Antonin Artaud (1896-1948)

Héliogabale ou l'Anarchiste couronné

 

EXTRAIT  :

Il mit à la tête de ses gardes de nuit, dit Lampride, le cocher Gordius et nomma commissaire aux vivres un certain Claudius, qui était censeur aux mœurs ; toutes les autres charges furent distribuées suivant que l'énormité de leur membre rendait les gens recommandables.

(…)

Cela n'empêcha pas de profiter lui-même de ce désordre, de ce relâchement éhonté des mœurs, de faire de l'obscénité une habitude ; et de mettre au jour, obstinément, comme un obsédé et un maniaque, ce que d'habitude on garde caché. " Dans les festins, raconte encore Lampride, il se plaçait de préférence auprès des hommes prostitués et prenait plaisir à leurs attouchement, et jamais il ne recevait de personne, plus volontiers que de leurs mains, la coupe, après qu'ils avaient bu. "(…)
Tout ce qu'Héliogabale envoie aux galères, ce qu'il châtre, ce qu'il fait flageller, il le prend parmi les aristocrates, les nobles, les pédérastes de sa cour personnelle, les parasites du palais. Il poursuit systématiquement, je l'ai dit, la perversion et la destruction de toute valeur et de tout ordre, mais ce qui est admirable et qui prouve la décadence irrémédiable du monde latin, c'est de voir qu'il ait pu, pendant quatre années consécutives, poursuivre au vu et au su de tous ce travail de destruction systématique, sans que personne n'ait protesté ; et sa chute ne dépasse pas l'importance d'une simple révolution de palais.

Héliogabale ou
l'Anarchiste couronné
E. Gallimard - 1982