Honoré de Balzac (1799-1850)
Louis Lambert
A l'annonce de mon départ, Lambert devint d'une tristesse effrayante. Nous
nous cachâmes pour pleurer.
- Te reverrai-je jamais ? me dit-il de sa voix
douce en me serrant dans ses bras.
- Tu vivras, toi, reprit-il ; mais moi,
je mourrai. Si je le peux, je t'apparaîtrai.
Il faut être jeune pour
prononcer de telles paroles avec un accent de conviction qui les fait accepter
comme un présage, comme une promesse dont l'effroyable accomplissement sera
redouté. Pendant long-temps, j'ai pensé vaguement à cette apparition promise. Il
est encore certains jours de spleen, de doute, de terreur, de solitude, où je
suis obligé de chasser les souvenirs de cet adieu mélancolique, qui cependant ne
devait pas être le dernier.
Lorsque je traversai la cour par laquelle nous
sortions, Lambert était collé à l'une des fenêtres grillées du réfectoire pour
me voir passer. Sur mon désir, ma mère obtint la permission de le faire dîner
avec nous à l'auberge. A mon tour, le soir, je le ramenai au seuil fatal du
collége. Jamais amant et maîtresse ne versèrent en se séparant plus de larmes
que nous n'en répandîmes.
- Adieu donc ! je vais être seul dans ce désert,
me dit-il en me montrant les cours où deux cents enfants jouaient et criaient.
Quand je reviendrai fatigué, demi-mort de mes longues courses à travers les
champs de la pensée, dans quel coeur me reposerai-je ? Un regard me suffisait
pour te dire tout. Qui donc maintenant me comprendra ? Adieu ! je voudrais ne
t'avoir jamais rencontré, je ne saurais pas tout ce qui va me manquer.
- Et
moi, lui dis-je, que deviendrai-je ? ma situation n'est-elle pas plus affreuse ?
je n'ai rien là pour me consoler, ajoutai-je en me frappant le front.
Il
hocha la tête par un mouvement empreint d'une grâce pleine de tristesse, et nous
nous quittâmes.