Roland Barthes (1915-1980)

Préface de Tricks

 

EXTRAITS  :

Extrait 1

L'homosexualité choque moins, mais elle continue à intéresser ; elle en est encore à ce stade d'excitation où elle provoque ce que l'on pourrait appeler des prouesses de discours. Parler d'elle permet à ceux " qui n'en sont pas " (expression déjà épinglée par Proust) de se montrer ouverts, libéraux, modernes ; et à ceux " qui en sont ", de témoigner, de revendiquer, de militer. Chacun s'emploie, dans des sens différents, à la faire mousser.

Préface de TRICKS
pages 13 et 14

 

Extrait 2

Les pratiques sexuelles sont banales, pauvres, vouées à la répétition, et cette pauvreté est disproportionnée à l'émerveillement du plaisir qu'elle procure. Or, comme cet émerveillement ne peut être dit (étant de l'ordre de la jouissance), il ne reste plus au langage qu'à figurer, ou mieux encore, à chiffrer, à moindres frais, une série d'opérations qui, de toute manière, lui échappe. Les scènes érotiques doivent être décrites avec économie. L'économie, ici, est celle de la phrase.

Idem page 15

 

Extrait 3

Mais ce que je préfère, dans Tricks, ce sont les " préparatifs " : la déambulation, l'alerte, les manèges, l'approche, la conversation, le départ vers la chambre, l'ordre (ou le désordre) ménager du lieu. Le réalisme se déplace : ce n'est pas la scène amoureuse qui est réaliste (ou du moins son réalisme n'est pas pertinent), c'est la scène sociale. Deux garçons, qui ne se connaissent pas mais savent qu'ils vont devenir les partenaires d'un jeu, risquent entre eux ec peu de langage auquel les oblige le trajet qu'ils doivent faire ensemble pour atteindre le terrain. Le trick quitte alors la pornographie (avant d'y avoir abordé) et rejoint le roman.

Idem page 15

 

Extrait 4

Les tricks de Renaud Camus commencent toujours parla rencontre du type recherché (parfaitement codé : il pourrait figurer dans un catalogue ou une page de petites annonces) ; mais dès que le langage apparaît, le type se transforme en personne et la relation devient inimitable, quelle que soit la banalité des premiers propos, psychologique, dans le vêtement, le discours, l'accent, le décor de la chambre, ce qu'on pourrait appeler le " ménager " de l'individu, ce qui excède son anatomie et dont il a pourtant la gestion.

Idem page 17