Binet-Valmer (1875-1940)

Lucien

 

EXTRAIT   :

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-Mais p�re, je n'essaie pas d'�tre habile !
- Cet apr�s-midi, mon enfant, tu as refus� d'entendre Batchano, sous pr�texte qu'il n'a pas le droit de te surveiller. Ce soir, tu invoques, pour ne pas me r�pondre, les sentiments que je t'inspire : ces sentiments ne t'ont pas emp�ch� de devenir ce que tu es devenu.
-Comment m'en auraient-ils emp�ch�, p�re ? � Tu ne veux pas comprendre : ce n'est pas ma faute !
-Ce n'est pas ta faute si tu as particip� chez cet inf�me Lowell � des sc�nes ?
-Si p�re, de cela je m'accuse� Mais je te promets que ce qui s'est pass� dans l'atelier de Lowell n'est dans ma vie qu'un accident !
-Tu appelles accident la plus r�pugnante des ignominies, la corruption d'�tres sans d�fense, d'innocents que vous avez souill� ?
-D'innocents ? � Oh ! papa, tous ceux qui �taient chez Lowell n'�taient pas des innocents !
-Assez Lucien ! � Tu n'as pas eu un mot de repentir. Tu cherches des excuses !
-Mais non�
-Tais-toi ! Tu n'es qu'un mis�rable ! "
Fran�ois Vigier s'�tait lev�. Lucien se leva aussi.
" Un mis�rable ?
Il recula un peu dans la pi�ce.
-Et bien ! oui, p�re, un mis�rable ! � mais, ton fils� Je n'au qu'une excuse et je n'en cherche pas d'autres : pourquoi m'as-tu cr�� tel que je suis ? "
L'immense table les s�parait.
L'effort que fit Fran�ois Vigier pour se contenir durcit jusqu'� la cruaut� sa grande figure.
-" Je m'attendais � ce reproche, dit-il en baisant la voix. Je ne l'accepte pas. Il sous-entend un diagnostic que tu ne saurais porter toi- m�me sur ton cas. Les monstres sont rares, Lucien, et les pervertis, innombrables. Jusqu'� preuve du contraire, je pr�tends te soigner comme un malade qui peut gu�rir.
-Et si je ne veux pas gu�rir ? � Si je pense que j'ai le droit, �tant donn� ce que je connais de moi, d'�tre le moins malheureux possible ! Apr�s tout, je m'appartiens ! � Je ne suis pas malade ! Je ne veux pas �tre un malade ! J'entends ne pas g�cher mon existence par des plaintes et des soins inutiles !.. Pour ce qui s'est pass� chez Lowell, j'ai eu tort, je le reconnais, comme j'aurais eu tort d'�tre m�l� � n'importe quel autre scandale ; mais pour le reste, j'ai le droit de vivre, j'entends vivre ma vie ! "
Alors, comme il se tenait d�bout, le torse rejet� en arri�re, la t�te haute, le sang aux pommettes, les yeux brillants, Fran�ois Vigier reconnut leur inconcevable orgueil, et il d�sesp�ra
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Lucien
Ed. ollendorf
1910 (p.79-80)