Jean Boccace(1313-1375)

L'Ecole de Rome

 

 

A pile ou face

EXTRAIT  : (L'extrait repris ici vient de : Pour tout l�amour des hommes : Anthologie de l�homosexualit� dans la litt�rature :II � Moyen-�ge de Michel Larivi�re.)

Le texte en bleu est le passage repris dans l'anthologie de de Saintonge

 

(...)

Il y a peu de temps encore vivait � P�rouse un homme riche du nom de Pierre de Vinciolo. Il se maria, moins, sans doute, par go�t personnel, que pour donner le change et d�truire l�opinion qu�avaient g�n�ralernent de lui ses concitoyens. Jugez � quel point la fortune sourit � ses aspirations ! Il prit une jeunesse bien en chair, aux cheveux roux et d�un temp�rament... Elle e�t souhait� deux maris plut�t qu�un, et tomba sur un homme que son penchant entra�nait � tout autre chose que les charmes f�minins. Elle s�en rendit compte au bout de quelque temps. Elle se voyait belle et fra�che, pleine d�ardeur et de force, et fut d�abord en plein d�sarroi. Elle eut plus d'une fois d�amers propos � l�adresse de son mari, et ne cessa de lui mener la vie dure. Mais ce parti l��puisait plus s�rement qu�il ne risquait d�amender un homme si d�testable.

Cet individu, se dit-elle enfin, m'abandonne pour suivre une passion d�plorable. Il n�a cure que des endroits secs. Je trouverai bien moyen de faire naviguer un autre par o� l�on mouille. Je l�ai pris pour mari, je lui ai port� une belle et grosse dot ; je savais qu�il �tait homme, et je lui attribuais les d�sirs normaux des hommes. Si j�avais cru qu�il ne f�t pas un homme, je me serais bien gard�e de lui. Il savait, lui, que j��tais femme. Pourquoi voulait-il de moi, si les femmes lui r�pugnaient si fort ? C�est intol�rable. Si j�avais d�sir� ne pas rester dans le si�cle, je me serais faite nonne. Mais du moment que j�y veux �tre en gardant ma condition, je peux toujours attendre de lui agr�ment et plaisir ! Il y a bien des chances que je vieillisse et que j�attende pour rien ! Quand je serai vieille, j�aurai beau me raviser, je verserai des larmes inutiles sur ma jeunesse perdue. Il est vrai qu�il est lui-m�me bon rna�tre en fait de consolation, et me montre que je dois prendre mon plaisir o� il le prend. Ce plaisir, qui lui vaut de sanglants reproches, sera louable en ce qui me concerne. Je n�offenserai que les lois, tandis qu�il offense les lois et la nature. � (...)

Pierre surprend chez lui l�amant de sa femme qui n�est autre que le greluchon - auquel il avait fait des avances

(...) Le jeune homme tremble de peur � la pens�e que Pierre peut lui faire un m�chant parti. Pierre reconna�t en lui l�objet de ses pers�v�rantes et malhonn�tes assiduit�s. Il lui demande : � Que fais-tu l� ? � Pas de r�ponse. Mais le gar�on, au nom de Dieu, supplie qu�on ne lui fasse pas mal.

� L�ve-toi. Ne crains que je te fasse le moindre mal. Dis-moi seulement comment tu es ici et pourquoi. � Le jeune homme fit des aveux complets. Aussi joyeux de l�avoir d�couvert que sa femme en �tait furieuse, Pierre le saisit par la main et le conduit dans la salle o� la dame, sous le coup de la plus vive terreur, les attendait. (...) Mais la dame vit que Pierre, en ce premier assaut, ne lui faisait d�autre mal qu�en paroles. Elle crut noter aussi qu�il fr�tillait de plaisir, en tra�nant par la main un aussi joli gar�on. Elle reprit donc son courage.

� Tu voudrais, s��cria-t-elle, que le feu tombe du ciel et nous br�le toutes! Pour s�r, tu es sinc�re. Tu as envie de nous � peu pr�s comme le chien du coup de b�ton. (...) Depuis quand n�as-tu pas couch� avec moi ? Ecoute, Pierre, c�est s�rieux : je suis une femme comme les autres, j�ai les m�mes d�sirs qu�elles. Alors, si je vais chercher ailleurs ce que tu ne me donnes pas, il n�y a pas de quoi me chanter pouille. Je te fais tout de m�me de l�honneur, en ne ramassant pas des malotrus ou des galeux.

Pierre fit r�flexion que la querelle risquait de durer toute la nuit. Or il se souciait de sa femme comme d�une guigne.
� C�est assez, mon amie, dit-il. Je te donnerai satisfaction sur ce point. Tu serais aimable de nous faire manger un morceau Il me semble que ce gar�on, tout comme moi, n�a pas encore soup�.
� Bien s�r qu�il n�a pas encore mang�. Quand tu as �t� si mal inspir� d�arriver, nous nous mettions � table.
� Alors va donc. Fais-nous manger. Apr�s quoi je prendrai toutes mesures pour que tu n�aies pas lieu de te plaindre. �
La dame comprend que Pierre est de bonne humeur. Elle se l�ve et apporte le repas qu�elle avait tout pr�t. Elle soupe gaiement en compagnie de l�inf�me cocu et du greluchon.
Quelles dispositions Pierre sut-il prendre ensuite pour contenter chacun des trois ? Je n�en ai pas conserv� le souvenir. Toujours est-il qu�au matin, quand on l�accompagna jusqu�� la place, le gar�on n��tait pas bien s�r d�avoir, par priorit�, jou� pendant la nuit un r�le de femme ou un r�le d�homme.