Pierre de Brantôme (1537-1614)

Les Dames Galantes

EXTRAIT  : (L'extrait repris ici vient de : Pour tout l’amour des hommes : Anthologie de l’homosexualité dans la littérature :II – Moyen-Âge de Michel Larivière.)

Le texte en bleu est le passage repris dans l'anthologie de de Saintonge

 

Or voici une autre race de cocus, qui est certes par trop abominable et exécrable devant Dieu et les hommes, qui amourachée de quelque bel Adonis, leur abandonnant leurs femmes pour jouir d'eux.

La première fois que je fus jamais en Italie, j’en ouïs un exemple à Ferrare, par un conte qui m’y fut fait d’un, qui, épris d'un jeune homme beau persuada à sa femme d’octroyer sa jouissance audit jeune homme, qui était amoureux d’elle, et qu’elle lui assignât jour, et qu’elle fit ce qu’il lui commanderait. La dame le voulut très bien, car elle ne désirait manger autre venaison que de celle-là. Enfin le jour fut assigné, et, l’heure étant venue que le jeune homme et la femme étaient en ces douces affaires, et altérés, le mari qui s’était caché, selon le concert d’entre lui et sa femme, voici qu'il entra : et, les prenant sur le fait approcha la dague à la gorge du jeune homme, le jugeant digne de mort sur tel forfait, selon les lois d’Italie, qui sont un peu plus rigoureuses qu’en France. Il fut contraint d'accorder au mari ce qu’il voulut, et firent échange l’un de l’autre : le jeune homme se prostitua au mari, et le mari abandonna sa femme au jeune homme, et, par ainsi, voilà un mari cocu d'une vilaine façon.

 J’ai ouï qu’en quelque endroit du monde (je ne le veux pas nommer) il y eut un mari, et de qualité grande, qui était vilainement épris d’un jeune homme, qui aimait fort sa femme, et elle aussi lui : soit ou que le mari eût guigné sa femme ou que ce fût une surprise à l'improviste, les prenant tous deux couchés et accouplés ensemble, menaçant le jeune homme s’il ne lui complaisait, l'investit tout couché et joint et collé sur sa femme, et en jouit : dont sortit le problème, comme trois amants furent jouissants et contents tout à un même coup ensemble.

Je me suis laissé conter qu’un de ces ans, un jeune gentilhomme français, l’un des beaux qui fût été vu à la cour longtemps avait, étant allé à Rome pour y apprendre des exercices, comme autre ses pareils, fut regardé de si bon œil et par si grande admiration de sa beauté, tant des hommes que des femmes, que quasi on l’eût couru à force ; et là où ils le savaient aller à la messe ou autre lieu public et de congrégation, ne faillaient ni les uns ni les autres de s’y trouver pour le voir : si bien que plusieurs maris permirent à leurs femmes de lui donner assignation d’amours en leurs maisons, afin qu'y étant venu et surpris, fissent échange l’un de sa femme et l’autre de lui : dont lui en fût donné avis de ne se laisser aller aux amours et volontés de ces dames, d’autant que le tout avait été fait et apposté pour l’attraper. En quoi, il se fit sage, et préféra son honneur et sa conscience à tous les plaisirs détestables... Il est aussi vrai nul jamais bougre ni bardache ne fut brave, vaillant et généreux que le grand Jules César, aussi que par la grande permission divine telles gens abominables sont rédigés et mis à sens réprouvé. En quoi je m’étonne que plusieurs, que l’on a vu taché de ce méchant vice, sont été continués du Ciel en grande prospérité ; mais Dieu les attend, et à la fin on en voit de ce qui doit être d’eux.

Les dames galantes
Ed. Gallimard
p.174