Colette (1873-1954)

Ces plaisirs
(Titre devenu "Le Pur et l'Impur" dans les Oeuvres compl�tes, publi�es par Flammarion.)

EXTRAITS  : 

La femme conna�t mal - cela va de soi - la p�d�rastie, mais elle adopte, quand elle la rencontre, l'attitude que lui impose son instinct. Ainsi, devant l'ennemi, le c�toine tombe et fait le mort, le gros crabe arque, immobilise ses pinces, la tarente grise se colle, plate, au mur gris. Il ne faut pas nous en demander plus que nous n'en savons.
(�)
Dans un temps de ma jeunesse, j'ai fr�quent� longuement des homosexuels vari�s, gr�ce � l'un des secr�taires n�gres de M.Willy. (�)

Un regard de femme s'est-il d�j� arr�t� sur eux, aussi longtemps que le fit le mien ? Une femme, d'ordinaire - mettons une femmes ordinaire -, pr�tend s�duire l'homosexuel. Elle �choue naturellement. Alors elle dit qu'elle le " m�prise ". Ou bien elle remporte sur lui - le cas n'est pas rare - une victoire voluptueuse qui la rend fi�re, une sorte d'avantage, brillant, inutile et qui l'�gare, car elle accorde une importance exag�r�e aux signes ext�rieurs, si j'ose m'exprimer ainsi. Il lui faut ensuite d�chanter et elle crie apr�s ce qu'elle appelle son d�� De l� na�t une profonde rancune. Elle, qui renonce ais�ment � tirer, d'un compagnon normal, le m�me " d� " pourvu que son renoncement demeure secret, revient sur une prise qui lui vint du hasard et de l'erreur. Impuissante � faire rena�tre le m�me hasard, la m�me erreur, elle s'acharne, s'attache � un d�sespoir amoureux in�dit�
(�) Je laisse para�tre une complaisance qu'on trouvera �trange, qu'on bl�mera. La paire d'hommes que je viens bri�vement de peindre, il est vrai qu'elle m'a donn� l'image de l'union, et m�me de la dignit�. Une esp�ce d'aust�rit� la couvrait, aust�rit� n�cessaire et que, pourtant, je ne puis comparer � nulle autre, car elle n'�tait pas de parade ni de pr�caution, ni engendr�e par la peur morbide qui galvanise, plus souvent qu'elle ne bride, tant de pourchass�. Il est en moi de reconna�tre � la p�d�rastie une mani�re de l�gitimit� et d'admettre son caract�re �ternel."

" Ces plaisirs "
Ed. Ferenezi 1932
p. 187 � 209

 

(�) La s�duction qui �mane d'un �tre au sexe incertain ou dissimul� est puissante. Ceux qui ne l'ont jamais subie l'assimilent au banal attrait des amours qui �vincent le principe m�le. C'est une confusion grossi�re. Anxieux et voil�, jamais nu, l'androgyne erre, s'�tonne, mendie tout bas� Son demi-pareil, l'homme, est prompt � s'effrayer, et l'abandonne. Il lui reste sa demi-pareille, la femme. Il lui reste surtout le droit, m�me le devoir, de ne jamais �tre heureux. Jovial, c'est un monstre. Mais il tra�ne incurablement parmi nous sa mis�re de s�raphin, sa lueur de larme. Il va du penchant tendre � l'adoption maternelle� C'est toujours � la Chevali�re que je me reporte. C'est � elle qu'il arrivera le plus souvent de se meurtrir � la femme - la femme, guide chuchoteur, pr�somptueux, �trangement explicite, qui lui prenait la main : " Viens, je vais te d�couvrir � toi-m�me� "
-Je ne suis ni cela, ni, h�las ! autre chose�, disait la chevali�re en quittant la petite main impure. Ce qui me manque ne se trouve pas ne le cherchant.
Elle est celui - ou celle - qui n'a point de semblable. Elle crut, selon la rencontre, que son semblable avait pris les traits d'une jeune femme, puis d'un beau jeune homme. (�)

(�) Sans le vouloir, elle contribua � la cr�ation d'un type de gar�on � la fois eff�min� et dur, fard� d'ocre, �pre � tous profits, auquel je compare dans mon souvenir tels amis de 1898, 1900 scandaleux � bon compte, fastueux jusqu'� la pierre de lune et � la chrysoprase, et ridicules � coup s�r ; mais leur mode de ce temps-l� ne les d�guisait pas au point que je ne pusse reconna�tre en eux une primitive fra�cheur, la force d�volue aux esp�ce gr�les qu'on croit d�biles, la gravit� et la sauvagerie de l'amour. J'�voque, en �crivant ces derniers mots, un couple qui ne se m�lait jamais � mes h�tes habituels� Mais j'ai peur, si je pr�cise seulement qu'il fut lettr�, po�te, �crivain, beau de la t�te aux pieds, qu'on ne reconnaisse l'a�n� Pour son pupille, couleur de bl�, couleur de pommier fleuri, digne comme un petit paysan de race qu'il �tait, il parlait peu, �coutait son ma�tre et ami, et ils vivaient retir�s, hors de Paris. Je revois le regard hostile que tous deux jet�rent, un jour qu'ils entr�rent � l'improviste, sur ma coterie un peu criarde.
-Chut� me souffla l'a�n� � mi-voix, ne d�rangez pas ces� ces aimables personnes. Nous ne faisons que passer, nous partons ce soir.
-O� allez-vous ?
-En Touraine, chez le petit, pour les foins. On a besoin de lui.
-Et vous ?
Il avan�a sous mon regard ses mains cuites de grand voyageur, ses poignets durs comme des baliveaux, et il ajouta :
-Nous faisons la route � pied. Ce n'est pas la premi�re fois. C'est tellement plus agr�able�
Les yeux du " petit ", impatients, d'un bleu resplendissant, attendaient d�j� le signe du d�part, la longue marche sous la nuit de Juin, les haltes et les repas de vagabonds, le pain chaud achet� en traversant un village� Plus petit que l'a�n�, il se modelait sur lui par admiration, portait la t�te haute et d�gag�e. Que fait le temps d'un semblable attachement ?
L'a�n�, qui fut tu� devant l'ennemi, n'est pas de ceux qui se laissent oublier. Je ne l�guerai ses lettres � personne. Pour le cadet, l'odeur des foins, quand il �chev�le � la fourche les andains, serre peut-�tre encore son c�ur qui fut combl� Amiti�, m�le amiti�, sentiment insondable ! Pourquoi le plaisir amoureux serait-il le seul sanglot d'exaltation qui te f�t interdit ?�

(�) Malignement je me scandalisais, autrefois, que le m�le s'en pr�t, dans le corps femelle, moins � l'attrait de pi�ge profond, de gouffre lisse, de vivante corolle marine, qu'� l'arrogance intermittente de ce qu'une femme poss�de de plus viril - et je n'oublie pas le sein. L'homme va � ce qui peut le rassurer, � ce qu'il peut reconna�tre, dans ce corps f�minin creux, tout � rebours du sein, inqui�tant, jamais familier, dont l'odeur ind�l�bile n'est pas m�me terrestre, mais emprunt�e au zost�re originel, au coquillage cru� Ceux qui m'assist�rent, en ce temps qui ne fut, pour moi, que contrainte et mensonge impos�, m'expliqu�rent que l'antipathie d'un sexe pour l'autre existe en dehors de la n�cropathie. Depuis, je n'ai pas constat�, en changeant de milieu, que l'opinion des " normaux " soit tellement diff�rente� Seule parmi mes " monstres " d'autre fois, j'ai nomm� " pure ", et aim� l'atmosph�re qui bannissait les femmes. Mais, � ce compte, j'eusse aim� aussi la puret� du d�sert, et celle de la prison. La prison et le d�sert, ne sont pas � la port�e de tout le monde�
Avec douceur, je me retourne donc vers les monstres qui m'ont, un long bout de chemin, accompagn�e, car ce bout de chemin n'�tait pas commode�
" Monstres "� C'est bient�t dit.
Va pour monstres. Mais ceux-l� qui me distrayaient de moi-m�me, qu'au fond de moi je suppliais, pouvais-je les nommer ainsi, et leur dire : " O monstres, ne me laissez pas seule� Je ne vous confie rien que ma crainte d'�tre seule, vous �tes ce que je connais de plus humain, de plus rassurant au monde� Si je vous appelais monstres, quel nom donnerais-je � ce qu'on m'inflige pour normal ? Voyez, sur le mur, l'ombre de cette effrayante �paule, l'expression de ce vaste dos et de la nuque embrass�e de sang� O monstres, ne me laissez pas seule� "

" Le pur et l'Impur "
p.63, 116 � 118

 

Mes apprentissages

EXTRAIT : 

(�) Peu d'heures, un homme sans scrupules fait d'une fille ignorante, un prodige de libertinage, qui ne compte avec aucun d�go�t. Le d�go�t n'a jamais �t� un obstacle, il vient plus tard, comme l'honn�tet� (�)

" Mes apprentissages"
Cit�e par G.Dormann
Fanrenczi 1936
(poche p.23)