Tony Duvert (né en 1945)

L'enfant au masculin

BIBLIO

Paris : Éditions de Minuit, 1980
182 p. ; 22 cm
(Essais /Tony Duvert ; 1)
ISBN 2-7073-0321-6

TRADUCTIONS

L'infanzia al maschile
La Rosa, Torino, 1982

p. 68

 

 

EXTRAITS  : 

Le texte en bleu est le passage repris dans l'anthologie de de Saintonge

Extrait 1 :

Texte au dos de l'ouvrage

Il paraît que l'homosexualité n'est plus un fléau social. Notre époque la tolère, l'intègre, y reconnaît un droit fondamental de la personne humaine.

Mais, si le temps des persécutions est vraimen révolu, comment se fait-il qu'à peine 20% des parents français se disent prêts à accepter que leur enfant soit homophile? Pourquoi cette forme d'amour est-elle un droit après dix-huit ans, mais une maladie, un vice ou l'effet d'une mauvaise influence, en deçà de cet âge? Pourquoi la relation amoureuse de deux homophiles, l'un mineur et l'autre adulte, est-elle un délit ou un crime? Pourquoi la jeunesse de tant d'homosexuels n'est-elle que solitude, interdits, sévices psychiatriques?

Le militantisme homosexuel lui-même a singluièremen oublié, dans ses revendications, cette victime absolue du pouvoir hétéro-familial, médical, policier : le mineur homophile. Serait-ce trop dangereux de réclamer pour lui les libertés des autres?…

L'enfant au masculin est un essai de réponse polémique à ces questions. Il met en accusation une domination que rien encore n'a diminuée, e qui n'est ni de classe, ni de sexe, mais de moeurs et de "culure sexuelle" : l'hétérocratie. Un totalitarisme qu'exercent avec une incroyable bonne conscience les hétéro mâles comme les hétéros femelles, les pères comme les mères, les conservateurs comme les progressistes.

A travers le problème de l'homophobie du mineur (et de la prétendue pédérastie), Tony Duvert dénonce et remet en cause le droit que les hétérosexuels ont de se "reproduire" dans leurs enfants. La vraie liberté - de l'amour, du comprotement, de la pensée - passe par l'abolition de ce droit… et par la disparition des "hétérocrates".

(Ed de minuits)

 

Extrait 2 :

Première Page

Parenthèse

J'avais, depuis longtemps, envie d'écrire quelques petits essais. Ignare, paresseux, mécontent de mes idées, j'hésitais.

Je n'ai pas changé. Mais je me résigne à composer des essais qui méritent vraiment ce nom : des choses modestes, humbles, fragiles, des opinions à vif. Il ne faut pas que je retouche trop ces textes ou que je tourne sept fois autour de ma machine à écrire. Je crois plus honnête, et plus joueur, de rester spontané - avec les défauts que cela sous-entend : a-peu-près, excès, redites, incohérences.

Je me sens d'ailleurs incapable de prouver, dans les formes, ce que je dirai. Pas de répondants, pas de système, pas de dossier. Si d'aventure j'exprime une chose vraie, il faudra bien qu'on y croie sans que j'y sois pour rien

 

Extrait 3

J'oubliais de me demander, pour achever de définir mes goûts, si j'aimais les hommes adultes. J'en ai énormément désiré certains quand j'étais jeune garçon : et, à la plage ou ailleurs, je restais sur des faims terribles, que je trompais avec des adolescents. Pas une photo de bel homme dévêtu ne m'échappait dans les journaux, les magazines : je découpais, je collectionnais, je les fréquentais à m'en luxer le poignet. Mes penchants avaient ainsi une réparation, des cimes particulières : les plus petits me rendaient amoureux (je n'ai presque pas cessé de l'être depuis l'âge de raison) ; les gamins de mon âge m'excitaient, on se cochonnait les trous ; la virilité des adolescents me chavirait jusqu'au trognon, tandis que je dédaignais leur derrière ; mais les beaux mâles, j'aurais fondu en eux au moindre effleurement ; les voir, je devenais un bébé sans père, et qu'un doigt faire rire. (…)

L'enfant au masculin (minuit)
pages 24-25

 

Extrait 4

(…) tandis que, plus mon amant est jeune, plus il me plaît après l'amour, et je me souffre de m'en séparer. Au jeu de l'île déserte, mon Vendredi serait un garçonnet.
D'ailleurs il grandira : et alors me plaira d'une autre façon. Si la croissance ne l'abîme pas trop, au physique et au moral, un garçon que j'aurais connu dès ses six ans me conviendrait encore plus tard. (…)

Idem page 25

 

Extrait 5

Je dus attendre jusqu'à douze ans pour être enfin sodomisé d'importance : bien des gamins, à qui je le rendais, me picoraient attentivement l'anus, mais cela n'éteignait pas le feu intérieur qu'attisaient en moi les grands membres qu'ici et là je masturbais. Il fallut un viol. Dont je fus l'auteur, évidemment. La victime était un adolescent de quinze ou seize ans qui se masturbait avec moi quelquefois. Quels efforts pour convaincre ce nigaud à belle verge de me monter dessus !

Idem page 25

 

Extrait 6

Ces libertés prises sous l'ordre moral coûtaient peu de peine. Timide, le désir me rendait extrêmement hardi ; au lycée et partout, même impubère, je savais vite trouver qui seraient mes complices ; je n'y pensais ni avant ni après ; cela me saisissait et me quittait comme tout désir vécu ; je manquais de fantasmes et d'idées sur moi. J'ai été converti par la beauté des garçons, par l'intensité des plaisirs : j'avais les yeux gourmands, et tout le corps avec. " M'assumer " comme homosexuel était chose accomplie, spontanée, naturelle, définitive, sans que j'eusse seulement conscience de l'avoir fait. Il y a un univers, un gouffre entre ceux qui découvrent leur sexualité dans la solitude, la continence, la peur, les rêves, et macèrent dans une longue virginité avant d'oser passer à l'acte ; et ceux qui - indépendant d'esprit, sensualité violente, circonstances opportunes - apprennent le plaisir en assouvissant chaque désir à mesure qu'il éclot. Ces deux sortes de têtes n'ont pas de points communs ; l'une n'est que fantasmes, scénarios, rancissements, auto-examen, crainte d'autrui ; l'autre n'est que souvenirs jouisseurs, repue, vivace, aventurée, à jamais libre comme le vent.

Idem p. 144-145