Jean Genet (1910-1986)

Le Miracle de la rose

EXTRAIT

(�) Il le choisit lui-m�me. C'�tait un petit gamin d�lur� qui me rit au nez quand Villeroy, un apr�s-midi d'�t�, derri�re les lauriers, me le pr�senta et lui dit en me d�signant : " C'est celui-l� qui sera ton homme. C'est moi qui te le dis ". Villeroy voulait que je " case " le petit mec sous ses yeux. Un soir, il organisa un rendez-vous derri�re la famille B. je ne sais quelle ruse inventa le gosse pour venir de la famille E., sans �tre vu, en traversant le grand carr�, mais � peine fut-il l� que Villeroy le fit s'allonger dans l'herbe et les orties. " D�fais ton froc ", commanda-t-il. Le gosse baissa son pantalon. C'�tait le soir. S'il ne pouvait voir ma rougeur, Villeroy devinait ma honte � mes gestes g�n�s. Il me dit : " Allez, vas-y, Jeannot, tape la-dedans ". Je le regardais. J'avais envie de me jeter � genoux. Ce qui m'angoissait, c'�tait l'id�e qu'il m'aimerait moins, me trouverait moins gracieux si je me mettais sous ses yeux en posture de m�le. Il dit encore : " Alors quoi, il faut faire vite, on n'a pas le temps. Quoi, t'as le trac ? " Couch� sur l'herbe, les fesses nues au vent, le gosse attendait, patient jusqu'� l'indiff�rence. Villeroy me saisit le bras : " Attends, j'vais t'aider ? J'vais le passer d'abord. " Il ouvrit sa braguette et s'allongea sur le m�me, mais sa t�te relev�e comme celle d'un serpent, il me dit : " Mets-toi l�, devant moi. Y va te tailler une plume pendant. " Je m'accroupis en face du gosse. Villeroy avait d� foncer du premier coup, selon son habitude. " Allez en vitesse, tends bien ta bite ". Et comme je n'allais pas assez vite, de ses deux mains, il ouvrit furieusement ma braguette, saisit ma verge band�e et la pla�a lui-m�me dans la bouche du vautour. Comme Villeroy ne pouvait embrasser le m�me, il dardait sur mon visage un regard qui l'unissait au sien par un long baiser. Aussi vite qu'il prit son plaisir, j'avais fini avant lui. Tous les trois nous nous relev�mes sans aucune g�ne. Le gosse en avait moins que personne. Villeroy le poussa vers moi. " Faut vous embrasser ". Je l'embrassai. Il ajouta : " Cette fois, c'est ton homme ".

Le miracle de la rose
Ed. de l'Arbal�te
1966