Herman Hesse (1877-1962)
PRIX NOBEL DE LITTERATURE
Narcisse et Goldmund
EXTRAITS
Extrait 1
Lui aussi �tait tent� de s'abandonner � sa tendresse pour le joli Goldmund, de faire jaillir son gracieux rire, de passer doucement sa main dans ses cheveux blonds pour les caresser. Mais jamais il ne le ferait, jamais. En outre, en qualit� de ma�tre auxiliaire plac� au rang des professeurs sans pourtant en avoir la charge et l'autorit�, il �tait accoutum� � une prudence et � une vigilance particuli�res. Il �tait habitu� � se tenir devant les jeunes gens qui n'avaient que quelques ann�es de que lui comme s'il avait vingt ans de plus qu'eux. Il �tait habitu� � s'interdire s�v�rement toute pr�f�rence pour un �l�ve.
Narcisse et Goldmund (Poche) page 27
Extrait 2
Il �tait, dans cette amiti�, le meneur de jeu, et, longtemps, il fut seul � prendre pleinement conscience de son destin, de sa port�e et de son sens. Longtemps, au c�ur m�me de son amour, il resta solitaire, sachant bien que son ami ne lui appartiendrait vraiment que quand il l�aurait r�v�l� � lui-m�me. Goldmund s�abandonnait en se jouant, et sans rien approfondir, � l�intimit�, � la ferveur de sa nouvelle vie. Narcisse accueillait avec le sentiment d�une pleine responsabilit� cette haute faveur du destin.
Idem page
37
Extrait 3
Bien souvent m�me on eut dit qu'il se moquait de lui, ne
le prenait pas au s�rieux. Goldmund sentait bien que ce n'�tait pas l� simple
attitude de ma�tre d'�cole, que ce n'�tait pas pour l'a�n� et le plus fort une
mani�re de se donner de l'importance ; il voyait bien qu'il y avait autre chose
derri�re, quelque chose de plus profond, de plus s�rieux. Mais il n'arrivait pas
� se rendre compte de ce que c'�tait et ainsi son amiti� pour Narcisse le
laissait souvent triste et d�sempar�.
En r�alit� Narcisse n'ignorait
nullement ce que lui offrait son ami ; il ne fermait pas les yeux � sa beaut� en
fleur, � sa vitalit� orient�e dans le sens de la nature, � l'opulence de ses
dons en plein �panouissement.
Idem page 39
Extrait 4
Sa liaison avec Narcisse ne plaisait � personne. Le malintentionn� s'en indignaient et le pr�tendaient contre nature - particuli�rement ceux qui s'�taient amourach�s de l'un des deux jeunes gens. Mais ceux-l� aussi qui voyaient bien qu'il ne pouvait le moins du monde �tre question de vice branlaient la t�te. Personne ne prenait joie � l'accord de ces deux jeunes �tres. En se rapprochant l'un de l'autre ils s'�taient, semblait-il, par un aristocratique orgueil, retranch�s du reste de la communaut� scolaire qu'ils jugeaient avec d�dain.
Idem page 45
Extrait 5
Goldmund �tait couch� sur le dos, immobile, le regard perdu dans le ciel p�le et en tous deux montait une immense tristesse dont ils se lib�r�rent dans le sommeil. Ils s'y plong�rent profond�ment, d�sesp�r�ment, avec la m�me avidit� que s'ils dormaient pour la premi�re fois, que s'ils �taient condamn�s � rester �ternellement �veill�s et devaient encore dans ces derni�res heures aspirer en eux auparavant tout le sommeil du monde.
Idem page 107
Extrait 6
Bien plus qu'il ne l'imaginait, l'enfant hantant les pens�es de Narcisse qui souhaitait devenir l'ami de cet aimable gar�on au clair et joli visage. Il voyait en lui le p�le oppos� au sien, une nature compl�mentaire de la sienne ; il aurait voulu l'attirer � lui, le diriger, lui r�v�ler sa propre personnalit�, l'�lever, l'amener � s'�panouir. Mais il restait sur la r�serve. Il le faisait pour beaucoup de raisons qui, presque toutes, �taient en lui conscientes. Avant tout il �tait retenu et frein� par l'horreur qu'il avait pour ces ma�tres et ces moines qui - le cas n'�tait pas rare - s'amourachaient d'un �l�ve ou d'un novice. Trop souvent il avait senti avec r�pugnance peser sur lui les yeux pleins de d�sir d'hommes plus �g�s, trop souvent il avait oppos� un silence hostile � leurs amabilit�s et � leurs cajoleries.
Idem page 26