Roger Martin du Gard (1881-1958)

Mémoires du Lieutenant Colonel Maumort

EXTRAITS :

Extrait 1 : 

(…) Je tenais le petit d'un bras ferme. Je l'attirais timidement contre moi. Je sentais sous ma paume la vivante mobilité des muscles de son dos, une souplesse féline qui frémissait sous la caresse de mes doigts. Je respirais son odeur, une odeur de jeunesse, de linge propre, chaude et saine. Ma joue a touché sa tempe, ma bouche a effleuré ses cheveux. Il ne disait rien, ne bougeait pas, ne cherchait pas à fuir. Je ne pouvais voir son visage, mais je savais qu'il ne souriait plus… Mes lèvres allaient atteindre les siennes. Alors seulement, d'un geste vif et comme involontaire, il m'a dérobé sa bouchez. Oh, sans tenter de s'éloigner de moi, au contraire : en baissant simplement la tête, et en collant sa joue, tendrement sur ma poitrine. Nous sommes restés quelques secondes sans bouger, retenant nos souffles. J'entendais battre nos deux cœurs. Puis, de ma main libre, j'ai saisi le bas de son visage, et, doucement, je l'ai rapproché du mien. Il ne résistait plus. Mon baiser a glissé de ses cheveux à son front, de son front à sa paupière - ah, le battement des cils sous mes lèvres - , de sa paupière à sa joue, de sa joue à sa bouche close, qui s'est d'abord crispée, puis très lentement s'est entrouverte et abandonnée… Ah, que ses lèvres m'ont semblé fraîches, humides, délicieusement inexperte… mais comme elles sont devenues dociles, soudain et consentantes ! Et lorsque je me suis une seconde détaché de lui pour reprendre haleine, avec quel appétit de tendresse il est revenu au-devant de mon baiser ! Le bras que j'avais d'abord passé autour de ses épaules était progressivement descendu le long de son corps svelte, et ma main s'allongeait pour palper le galbe dur de sa hanche, l'attache de la cuisse… L'autre main, appuyée sur sa poitrine, avait réussi à passer entre deux boutons de la chemise, à se couler sous la toile, et mes doigts avançaient peu à peu le long de sa chair musclée, tendre, moite. Je l'avais tout contre moi, immobile, rigide, bouleversé sans doute par ce qu'il éprouvait - déjà prêt, peut)être à davantage. (…)

Mémoires du Lieutenant
Colonel Maumort
Gallimard " Pléiade "
p. 452 et 453

 

Extrait 2 : 

(…) Il a débouclé sa ceinture ; puis pudiquement, il s'est tourné. Le pantalon, tombé sur ses pieds, découvrant les reins, le galbe des cuisses, les mollets. Toujours de dos, il a ramassé ses effets, les a roulé ensemble en un turban qu'il a fixé sur sa tête à l'aide de sa ceinture de cuire. Alors seulement il s'est décidé à me faire face.
C'était la première fois que j'apercevais dans sa nudité, que je surprenais le secret viril de ce corps : ombre pâle à peine couronnée d'une rousseur… Je tremblais… Qu'il était beau ! Que ce corps élancé semblait pur et frais, que cette jeune chair vermeille avait d'éclat sur ce fond de verdure dans la lumière du soir ! Il évitait de rencontrer mon regard. Il s'est penché, et soudain son reflet m'est apparu sur le miroir sombre de l'eau. Hésitait-il encore ? Cela n'a duré qu'une seconde. Il s'est assis dans l'herbe, et, silencieusement, il s'est laissé glisser dans la rivière.

Idem
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