François-Maris Arouet de Voltaire (1694-1778)

Dictionnaires Philosophique

 

EXTRAIT  : (L'extrait repris ici vient de : Pour tout l’amour des hommes : Anthologie de l’homosexualité dans la littérature : V – XVIIIe siècle de Michel Larivière.)

Le texte en bleu est le passage repris dans l'anthologie de de Saintonge

Comment s’est-il pu faire qu’un vice, destructeur du genre humain, s’il était général, qu’un attentat infâme contre la nature, soit pourtant si naturel ? ll paraît être le dernier degré de la corruption réfléchie, et cependant il est le partage ordinaire de ceux qui n’ont pas encore eu le temps d’être corrompus...
C’est la jeunesse aveugle qui, par un instinct mal démêlé, se précipite dans ce désordre au sortir de l’enfance. (...)

Les jeunes mâles de notre espèce, élevés ensemble, sentant cette force que la nature commence à déployer en eux, et ne trouvant point l’objet naturel de leur instinct, se jettent sur ce qui lui ressemble. Souvent un jeune garçon, par la fraîcheur de son teint, par l’éclat de ses couleurs et par la douceur de ses yeux, ressemble pendant deux ou trois ans à une belle fille ; si on l’aime, c’est parce que la nature se méprend : on rend hommage au sexe, en s’attachant à ce qui en a les beautés, et, quand l’âge a fait évanouir cette ressemblance, la méprise cesse, (...)

On sait assez que cette méprise de la nature est beaucoup plus commune dans les climats doux que dans les glaces du septentrion, parce que le sang y est plus allumé et l’occasion plus fréquente ; aussi, ce qui ne paraît qu’une faiblesse dans le jeune Alcibiade est une abomination dégoûtante dans un matelot hollandais et dans un vivandier moscovite. Je ne peux souffrir qu’on prétende que les Grecs ont autorisé cette licence. On cite le législateur Solon, parce qu'il a dit en deux mauvais vers : « Tu chériras un beau garçon/Tant qu’il n’aura barbe au menton. » Mais, en bonne foi, Solon était-il législateur quand il fit ces deux vers ridicules ? Il était jeune alors, et quand le débauché fut devenu sage, il ne mit point une telle infamie parmi les lois de la République. (...)

On abuse du texte de Plutarque, qui, dans ses bavarderies, au Dialogue de l’amour, fait dire à un interlocuteur que les femmes ne sont pas dignes d’un véritable amour, mais un autre interlocuteur soutient le parti des femmes comme il le doit. Il est certain, autant que la science de l’Antiquité peut l’être, que l’amour socratique n’était point un amour infâme : c’est ce nom d’amour qui a trompé. Ce qu’on appelait les amants d’un jeune homme étaient précisément ce que sont parmi nous les menins de nos princes, ce qu’étaient les enfants d’honneur, des jeunes gens attachés à l’éducation d’un enfant distingué, partageant les mêmes études, les mêmes travaux militaires. (...) La troupe des amants institués par Laïus était une troupe invincible de jeunes guerriers engagés par serment à donner leur vie les uns pour les autres, et c’est ce que la discipline antique a jamais eu de plus beau. Sextus Empiricus et d’autres ont beau dire que la pédérastie était recommandée par les lois de la Perse. Qu’ils citent le texte de la loi, qu’ils montrent le code des Persans et, s’ils le montrent, je ne le croirai pas encore, je dirai que la chose n’est pas vraie, par la raison qu’elle est impossible. Non, il n’est pas dans la nature humaine de faire une loi qui contredit et qui outrage la nature, une loi qui anéantirait le genre humain si elle était observée à la lettre. Que de gens ont pris les usages honteux et tolérés dans un pays pour les lois de ce pays ! Sextus Empiricus, qui doutait de tout devait bien douter de cette jurisprudence. S’il vivait de nos jours, et qu’il vît deux ou trois jeunes jésuites abuser de quelques écoliers, aurait-il droit de dire que ce jeu leur est permis par les constitutions d’Ignace de Loyola ? L’amour des garçons était si commun à Rome qu’on ne s’avisait pas de punir cette fadaise dans laquelle tout le monde donnait tête baissée.