Edmund White

 

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Un Jeune Américain : Roman  Biblio / Résumé / Première page / Extrait

 

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EXTRAIT

 

Mon père a fini par annoncer : « Il est temps d’aller au lit. »

En bas je me suis déshabillé près des lumière de couleur du bar en briques de verre et, une fois en T-shirt et en slip, je suis allé rapidement dans la chambre-dortoir où il faisait très sombre puis je me suis glissé dans mon lit. Les nuits au bord du lac sont froides même en juillet ; sur le lit il y avait deux couvertures épaisses qui avaient été aérées dans la journée et sentaient l’essence de pin. J’ai écouté les adultes parler ; les conduits métalliques de la ventilation faisaient circuler les bruits beaucoup mieux que la chaleur. Leur conversation, qui m’avait paru si vivante et sincère lorsque j’en avais été témoin, était maintenant hésitante et guindée. Beaucoup de rires forcés. Les silences étaient de plus en plus longs. Finalement tout le monde s’est souhaité mutuellement une bonne nuit avant de monter à l’étage. Pendant cinq minutes on entendit un bruit de tuyauteries, de chasse d’eau et de pas feutré ; puis un long murmure suivi par les conversations des deux couples dans leurs lits, enfin silence.

Kevin m’appela depuis son lit : « Tu dors ?

-Non », ai-je répondu. Je ne pouvais pas le voir dans le noir mais je savais que son lit était à l’autre bout de la pièce ; à l’évidence, Peter était endormi dans le lit qui nous séparait.

Kevin me demanda : « Tu as quel âge ?

-Quinze ans et toi ?

-Douze. T’as déjà été avec une fille ?

-Bien sûr », ai-je dit. Je savais que je pourrais toujours lui parler de la prostituée noire que j’étais allé voir. « Et toi ? 

-Non, pas encore. » Pause. « Il paraît qu’il faut les chauffer avant.

-Oui, c’est vrai.

-Comment on fait ? »

J’avais lu un manuel de mariage. « Ben, d’abord on éteint la lumière et on s’embrasse longtemps.

-On reste habillé ?

-Oui, bien sûr. Après tu lui enlèves son chemisier et tu lui pelotes les seins. Mais très doucement. Faut pas être trop violent, elles n’aiment pas ça.

-Est-ce qu’elle te branle ?

-Habituellement non. Sauf si c’est une femme plus âgée qui a plus d’expérience.

-T’as été avec une femme plus âgée ?

-Une fois

-Elles ont les nichons qui tombent, non ?

-Mon amie était magnifique, ai-je dit, blessé pour cette femme imaginaire.

-Ca glisse vraiment tant que ça dans leur truc ? Un mec m’a dit que ça ressemblait à un foie humide dans une bouteille de lait.

-Oui mais seulement si les préliminaires ont duré assez longtemps.

-C’est-à-dire ?

-Une heure. »

Le silence, pareil à des cils en train de battre sur un oreiller, était riche en suggestions.

« Chez moi, les mecs, -j’veux dire dans mon quartier.

-Oui, et alors ? ai-je dit.

-eh bien, on s’encule tous ensemble. T’as déjà fait ça ?

-Evidemment.

-Quoi ?

-J’ai dit : « évidemment ».

-J’imagine que t’as déjà dépassé ça, non ?

-Ouais, mais comme y’a pas de filles dans le coin… » J’avais l’impression que doit ressentir un savant lorsqu’il sait qu’il va réaliser l’expérience de sa carrière : extérieurement, j’étais calme alors qu’au fond de moi-même j’exultais et je me préparais mentalement à subir un échec. « On pourrait essayer maintenant ? »

Silence. « D’accord ! » Immédiatement après avoir parlé, j’ai cru qu’il ne me rejoindrait pas dans mon lit ; il avait trouvé quelque chose qui clochait en moi, il pensait que j’étais pédé et j’aurais dû dire « exact » au lien de « Oui, c’est vrai. »

Mais il m’a demandé : « T’as de la crème ?

-Quoi ?

-Tu sais, de la vaseline.

--Non, on n’en a pas besoin. Avec de la salive (j’allais dire « ça ira », mais les vrais hommes disent « ça va marcher »), ça va marcher ». je bandais mais mon sexa était encore douloureusement replié dans mon short ; je l’ai libéré de cette position et placé sous la ceinture en élastique de mon short.

-Non, il faut que tu trouve de la vaseline. » j’étais peut-être bien documenté sur les pratiques sexuelles, mais en ce qui concerne l’enculage, c’est Kevin qui devait se révéler expert.

« Essayons toujours avec de la salive.

-Je sais pas. D’accord. » SA vois était douce, sa gorge semblait desséchée.

Je l’ai regardé venir vers moi. Lui aussi portait un short qui semblait rutiler. Bien qu’il fût torse nu, il avait porté pendant toute la saison du championnat un T-shirt qui lui avait laissé le torse et le haut des bras tout blanc ; le fantôme imprimé par ce T-shirt était impressionnant parce qu’il me rappelait que Kevin était capitaine de son équipe.

Nous retirâmes nos shorts. J’ouvrit les bras vers Kevin avant de fermer les yeux. « Il fait plus froid que dans les bras d’une pute », déclara-t-il. Je me suis mis sur le côté pour lui faire face ; il se glissa dans le lit contre moi. Son haleine avait une odeur de lait. Ses mains et ses pieds étaient glacés. L’un de mes bras était coincé sous moi, mais avec l’autre je pus lui caresser timidement le dos. Son dos, son torse et ses jambes avaient une douceur de satin et n’avaient pas de poils, mais je pouvais apercevoir une touffe duveteuse sous le bras qu’il avait soulevé pour me rendre la même caresse. Une fine couche de graisse donnait encore à sa peau de bébé des formes rebondies et potelées. Sous cette couche je sentais des muscles durs et fermes. Il descendit sa main sous les draps pour me toucher le sexe ; je touchai le sien.

« Tu les as déjà mis tous les deux dans une main ? demanda-t-il.

-Non, montre-moi.

-D’abord tu craches dans ta main pour que ce soit bien humide. Tu vois ? puis tu… rapproche-toi, remonte un peu… tu les mets l’un sur l’autre comme ça. C’est agréable.

-Oui, c’est bien. »

Comme je savais qu’il ne me laisserait pas l’embrasser, je mis la tête contre la sienne et, sans faire de bruit, posai mes lèvres sur sa nuque. Son cou était lisse, long et fin mais trop fin pour sa tête ; d’une certaine façon, il avait les traits d’un enfant. Avec l’échauffement progressif de nos corps, j’ai senti son odeur qui n’était pas âcre comme celle d’un adulte mais légèrement acide, pareille à une odeur d’échalotes détrempées par la pluie.

« Qui est-ce qui commence ? demanda-t-il.

-A enculer ?

-Je crois qu’il nous faut de la crème. Ça ne pas marcher sans crème.

-Je t’encule d’abord, ai-je dit. J’avais mis beaucoup de salive, mais il disait qu’il avait encore mal. A peine étais-je entré en lui qu’il me dit : « Retire-toi vite ! » Il était allongé sur le côté, le dos appuyé sur mon ventre, mais je pouvais observer son visage par-dessus ses épaules et le voir grimacer de profil. « Putain ! j’ai l’impression d’avoir un couteau en moi. » La douleur disparut et, avec une bravoure se scout, il me dit : « O.K. Essaye encore. Mais vas-y doucement et promets-moi de te retirer si je te le demande. »

Cette fois-ci, je le pénétrai millimètre par millimètre en faisant une pause entre chaque étape. Je sentais ses muscles se décontracter.

« T’es rentré complètement ? demanda-t-il.

-Ouais.

-Complètement ?

-Presque. Là, ça y est.

-Vraiment ? » Il passa la main entres ses jambes pour vérifier puis me dit : « Ouais, c’est vrai. C’est bon ?

-Génial !

-O.K., me demanda-t-il, rentre et sors lentement, d’accord ?

-Oui. »

Je le pénétrai par petits à-coups et lui demandai si ça faisait mal. Il fit non d’un hochement de tête.

Il ramena ses genoux contre son torse ; j’accentuai ma pression. Alors que je m’atis senti timide lorsque j’étais face à face avec lui et incapable d’ajuster mon corps au sien, j’étais maintenant soudé contre lui et il ne trouvait rien à redire – il était entendu que c’était mon tour et que je pouvais faire ce que je voulais. J’ai passé mon bras par-dessous son corps pour le replier contre son torse ; à ma surprise ses côtes étaient très fines, on pouvait même les compter ; maintenant qu’il était complètement décontracté, je pouvais le pénétrer plus profondément. Qu’un petit mec aussi dur et aussi musclé que lui et qui avait une conversation aussi plate, des yeux à ce point dépourvus de profondeur ou d’humour pût être pénétré ainsi m’étonnait. C’était tellement bon d’être en lui. Mais la sensation qu’il me donnait ne semblait pas provenir de son corps, ou si c’était effectivement le cas, alors c’était un don secret, honteux et vif qu’il n’osait pas avouer. Dans le christcraft, il m’avait fait peur. Il avait été l’un de ces gagneurs intimidants que rien n’atteint, mais là, il était en train de me donner un plaisir nerveux et renouvelé, ses cheveux fins étaient trempé de sueur sur son cou humide juste à l’endroit de ces creux dans la peau que les doigts du Créateur avaient laissés dans l’argile. Il avait posé l’une de ses mains bronzées sur une hanche découverte qui, elle, était toute blanche. Les extrémités de ses cils battaient au ras de ses joues rebondies.

« C’est bon ? » m’a-t-il demandé, avant d’ajouter d’un ton de voix qu’eût employé un vendeur de chaussures : « Tu préfère quand c’est contracté ?

-Non, c’est bien comme ça.

-Tu vois, je peux les resserrer. » Effectivement il en était capable. Son désir de me faire plaisir me rappelait que je n’avais pas besoin de m’inquiéter parce qu’à ses yeux il n’était qu’ un gosse et moi un lycéen qui avait baisé avec des filles, et même avec une femme plus âgée. La plupart du temps j’avais rêvé qu’un lord anglais me kidnapperait et m’emmènerait avec lui pour toujours ; quelqu’un qui me sauverait, mais que je posséderais. Apparemment, ni Kevin ni moi n’avions besoin de quelqu’un de plus âgé : on pourrait partir ensemble, je ferais office de protecteur. Nous dormions déjà dans un champ sous la protection de vents calmes et à tour de rôle nous jouissions du corps de l’autre ; nos corps rendus humides pas la rosée.

« Je vais jouir, ai-je dit, tu veux que je me retire ?

-Non, vas-y à fond.

-d’accord. Ça y est. Oh, merde ! » je ne pus me retenir de l’embrasser sur la joue.

« Tu pique. Tu te rases tous les jours ?

-Non, tous les deux jours. Et toi ?

-je ne me rase pas encore. Mais les poils deviennent plus foncés. Y’a un mec qui m’a dit que plus tôt on se rase, plus on a de barbe. C’est vrai ?

-Oui. Je vais me retirer ; c’est ton tour. »

je me suis retourné et j’ai entendu Kevin cracher dans ses mains. Je n’aimais pas particulièrement me faire enculer, mais j’étais décontracté et heureux à l’idée que nous nous aimions. On dit que les « premières fois » et que les amours e passage ne compte pas mais moi je crois que les seules relations qui comptent sont les premières. Plus tard, nous savons reconnaître leur ombre éphémère qui vient traverser notre existence, comme les brefs échos d’un thème original qui envahit toute l’œuvre ou comme l’élaboration mécanique d’une fugue trop complexe. Je savais qu’il y avait au-dessus de nous des conduits de ventilation perfides qui transportaient à l’étage le bruit que nous faisions. Mon père était peut-être en train d’écouter. Peut-être, comme Kevin, n’entendait-il que la jouissance qui sortait de son corps pour s’enfoncer en moi.

 

 

VIRTUEL