Patrick Drevet

 

Une Chambre dans les bois : Roman  Biblio / Résumé / Première page / Extrait

 

BIBLIO

Paris : Gallimard, 1989
265 p. ; 21 cm
ISBN 2-07-071667-8 (br.)

Résumé

Durant l'été 1957, dans les montagne du haut Jura, un enfant, David, s'ouvre à la réalité du monde. Des bûcherons italiens l'accueillent avec chaleur. Parmi eux, un jeune homme taciturne et insolite suscite sa curiosité et l'attire.
Tandis qu'en ville les postes de radio diffusent des nouvelles de plus en plus alarmantes sur la guerre d'Algérie et instaurent un climat de précarité et de menace, David découvre le désir. Dans la ferme abandonnée qui abrite les bûcherons, dans la pénombre des sapinières, au bord des rivières encaissées, dans les hautes herbes des champs, il contemple avec admiration et terreur William, il observe la puissance des corps, il mesure le pouvoir des mots, il devine les élans irrépressibles à l'origine des rivalités entre les êtres, les drames où se tissent les destins et où lui-même et sa mère finiront par être pris.
Miroir d'une situation politique, sociale et sensuelle complexe, ce roman est le récit violent, fervent, de l'entrée en adolescence ramassée toute, ici, dans l'attachement émerveillé d'un garçon pour un aîné qui lui apparaît tour à tour comme un modèle, un frère, un père, un amant, un mythe. (Source : 4ième de couv. Ed Gallimard)

 

Extrait 1

Et il est inévitable, je le vois bien, qu'il en soit ainsi : David, Durant la nuit, s'approchant de la porte du salon, ne prenant pas la peine de fermer derrière lui celle de sa chambre, ne comptant pas s'éterniser dans le couloir ni s'y aventurer très loin, seulement pour satisfaire une irritante curiosité, peut-être dans l'espoir de savoir ses vœux réalisés et, précisément, poussé à s'approcher davantage parce qu'il lui semble que c'est le cas et qu'il n'ose pas le croire, a besoin d'une confirmation. Il ne distingue aucune forme sous la blancheur des draps qui rayonnent d'une absence narquoise.
Souriant, il s'arrête et tend l'ouïe vers la chambre de sa mère, il n'en provient aucun bruit, il lui faut être plus sûr. Il poursuit sa progression vers la porte du salon, d'un pas moins retenu tant sa conviction est faite déjà. Non, William n'est pas dans le lit mais, de derrière la porte, David ne peut voir s'il n'est pas installé ailleurs dans le salon. Il ouvre délicatement.
A peine a-t-il passé la tête dans l'entrebâillement qu'il découvre le jeune homme appuyé contre un battant de la porte-fenêtre, en station hanchée, serti dans le liséré argenté dont la clarté de la lune ou la réflexion des réverbères souligne ses contours et le découpe sur le noir profond de la nuit. Il semble se bercer au rythme d'un air qui lui trotte dans la tête et qui communique à son bassin et à sa jambe fléchie une oscillation langoureuse, mais il s'agit peut-être d'un frémissement de l'air autour de lui.
David se décide à entrer et referme. Le cliquettement du pêne, les tapes molles de la plante de ses pieds bruissant sur les lames du parquet, les grincements de certaines d'entre elles qu'il s'efforce d'atténuer mais ne cherche pas à éviter, le remous que provoque son intrusion dans le calme lourd alertent William qui jette un œil par-dessus son épaule inscrit soudain son profil sur le poudroiement de la lueur, mais il le dérobe aussitôt, il ne se retourne pas, il témoigne une réticence suffisamment manifeste pour dissuader un instant le garçon de s'approcher davantage. David demeure à deux pas en arrière du jeune homme, voué à la contemplation des formes à peine luisantes de son dos où les sillons et les dépressions douces n'apparaissent qu'en tracés plus sombres sur la chair assombrie.
L'immobilité de William le suggérant dans l'attente d'une initiative de sa part, il se résout à faire les deux pas qui le séparent encore de lui. Il élève une de ses mains à la hauteur de l'épaule du jeune homme sur laquelle enfin il la pose. Il l'y fait peser d'une pression qui se veut tout à la fois suppliante et persuasive, réclamant pardon pour la déception que cette nuit lui cause, lui recommandant la patience, l'assurant de son soutien. Il lui demande dans un souffle pourquoi il ne dort pas.

L'épaule de William se soulève sous sa paume, la déporte insensiblement, l'amène à glisser sur sa rondeur moelleuse. Avec une lenteur qui ne saurait être l'expression d'un rejet, le jeune homme lui tourne cependant le dos pour pivoter sur lui-même et revenir à l'intérieur où, moucheté d'ombres et d'éclats, il gagne assez vite le lit. Il s'y assoit avec des précautions et dans une attitude un peu étranges, théâtrales, comme lors d'une grande lassitude ou d'un découragement extrême. Au bout du lit, le buste penché en avant, les épaules haussées, il serre ses bras raidis entre ses jambes et, transparaissant à travers le voile fuligineux de la nuit, son visage à peine levé trahit, sous le casque aux reflets cuivrés de sa chevelure, une contrariété mêlée de confusion.
Devinant ce qu'ainsi il tente moins de dissimuler que d'épargner à sa vue, David se rappelle l'excroissance de chair turgide et violacée à l'exigence de laquelle il avait surpris William en train de sacrifier dans sa chambre, et la conscience que sous le rideau de ses bras est dressé, en cet instant même, dur, tendu, engorgé, tirant toutes les fibres du corps de William, le bourgeon tumescent de son sexe, cela produit sur lui un bouleversement tel que lui-même sent aussitôt des nerfs se nouer dans ses entrailles et son propre sexe se dresser.
Quoique assuré de l'impossibilité pour William de le remarquer puisqu'il ne doit guère, tournant le dos à la clarté, lui apparaître qu'en ombre, il place ses mains en coquille au bas de son ventre et se dirige à son tour vers le lit, avec ce tiraillement qui entrave son pas. Il s'assoit à distance du jeune homme, et il replie une jambe contre son torse, dérobant plus sûrement son érection à un éventuel coup d'œil.
Ils fixent tous deux le halo qui poudroie sur la nuit dans l'encadrement de la porte-fenêtre et qui suffit à poser sur le ciment du balcon, sur les feuilles des plantes, sur les croisillons des battants une couche de pâle phosphorescence. Ils le fixent pour éviter de se regarder, ils simulent une hébétude somnambulique qui les dispense de parler, mais ils ne sont pas dupes de l'attention qu'ils se portent, de l'obsession qu'ils ont de leur présence embarrassée. L'intuition aiguë de ce qui les maintient ainsi ne cesse pas de les braquer sur cela et d'en accentuer la manifestation douloureuse au fur et à mesure que dans l'immobilité et le silence ils en espèrent l'apaisement, qui seul leur permettrait de retrouver leur aisance, leur familiarité.
Ils redeviennent étrangers l'un à l'autre, ils sont tenus écartés par la hantise d'être découverts dans un état dont ils ont honte comme s'ils craignaient qu'il ne fausse leur image, qu'il ne les révèle humiliés, dépendant d'un maître qui leur retire la liberté de disposer de soi. Ils ont le réflexe de bêtes blessées que la défaite chasse de l'espace et de la lumière. Ils ne peuvent concevoir de se montrer ainsi marqués dans leur chair ouverte et déformée sans courir le risque d'effrayer, d'inspirer raillerie ou opprobre.
Cependant William, toujours penché en avant, imprime à son torse un faible balancement destiné à conjurer la torpeur qui les fige. Tout en retenant encore les mots qu'il a probablement sur le bout de la langue, il jette de temps à autre un coup d'œil sur David, puis il le considère plus résolument, dans l'attente que le garçon porte ses yeux sur lui. David ne se décide pas à croiser son regard. Alors, retirant un bras d'entre ses jambes et le tendant jusqu'à lui, William pose sa main sur le genou pointé de David, il cherche d'une pression assez forte à le lui faire abaisser.
-Qu'est-ce que tu me cache là ? murmure-t-il.
David résiste, par jeu peut-être, puisque William est le plus fort et que lui-même n'est plus aussi déterminé à se dérober, par crainte encore, doutant que William n'ait pas, à la vue de son appendice blanchâtre, développé certes mais lisse et marbré, larvaire, la même réaction que lui qui le trouve répugnant, disgracieux, disproportionné comme s'il n'appartenait pas à son corps.
La pression de la main sur son genou se fait impérative, il fâcherait William à s'entêter, il abaisse sa jambe, il n'est pas capable pour autant d'aller jusqu'à porter les yeux sur le jeune homme, il en attend, dans cette abdication et cette déréliction totales, la réaction à même de le sauver ou de le condamner. Or William ne dit rien, il se rapproche brutalement de lui, et si près que le rebond du matelas sous son poids fait se toucher leurs flancs. Il écarte les jambes et les allonge tout en ouvrant son torse à la clarté qui accroche aussitôt l'arc de son sexe bandé, bombé sur les côtés et parcouru d'un conduit renflé qui saille, entrelacé de veines tortues accentuant l'impression qu'il donne de tendre à éclater, l'orifice du prépuce continuant à s'élargir sous la poussée du gland déjà à moitié découvert, lisse, luisant.
-Tu vois, souffle William, nous en sommes au même point !
Il n'est pas plus sûr que David, ses yeux dans ceux du garçon trahissent même une inquiétude, comme s'il était effleuré par la crainte de montrer trop d'audace, comme si le prenait un remords, lui venait l'idée qu'il le choque.
Partagé entre l'émotion que lui donne la confiance de William et l'angoisse dont l'étreint la violence sortie, exhibée, de son sexe, David est d'abord paralysé. La vision de ce corps qui n'a plus rien à lui cacher et étale sous ses yeux sa puissance non pas veine peut-être mais sans objet, éperdue, malheureuse, le désempare. Il lui semble que cette vision lui fait un devoir. Il ne doute pas que William ne lui demande rien et qu'il s'expose aussi intégralement à lui par pur souci de franchise, mais son corps en appelle à son propre corps. Il devine que sa chair, sa peau, ses paumes détiennent ce dont manque William à l'instant, qu'il réclame, il le torture un peu plus à le faire attendre.
Alors l'intuition puis la conviction lui viennent qu'il lui faut prendre le sexe de William dans sa main. Bien qu'il ne puisse y lire rien de sûr, le regard de William est là, pourtant, qui tout à la fois l'interroge et l'implore. Le garçon vrille lentement son torse et commence à élever son bras, la distance qu'il faut à sa main parcourir s'allonge, le sexe de William se raidit, vibre à son approche, semble chercher à la fois à s'offrir et à se soustraire, et c'est quelque chose de vivace, brûlant, doux mais dur et d'une taille énorme entre ses doigts, qui se soumet à sa saisie, qui diffuse dans son propre corps une volupté intense.
William ne fait aucun geste. Il s'immobilise un peu plus au contraire, tendu à ce contact qui avive en lui tous les nerfs. La tête renversée, il ferme les yeux, entrouvre les lèvres, se concentre sur les élancements cuisants que le va-et-vient de la main de David coulissant sur son sexe, lent et hésitant d'abord, puis plus résolu et cadencé, déclenche, tels des éclairs dans les profondeurs de sa chair. David suit aux contractions de ses lèvres et de ses paupières, aux froncements de ses narines et de ses sourcils, la progression des forces qui s'emparent de William, il n'a pas le sentiment d'être en quoi que ce soit responsable de sa jouissance, il se sent plutôt au travail, obligé par quelque chose d'autre que lui et que le jeune homme à accomplir cela, utilisé à cette flagellation qui ligote William et que, par ses contorsions, celui-ci cherche à éprouver toujours plus forte, instrument d'une sanction mystérieuse qu'il doit subir.
Le raidissement de la verge tend à desserrer l'anneau de ses doigts, les décharges de battements du sang dans son tube induré, la contraction des nerfs à sa racine, les bruissements de la peau retroussée contre la couronne renflée du gland, les saccadées qui secouent William, ses halètements précipités, l'impression que le jeune homme va, dans ses soubresauts de plus en plus violents, lui échapper, tout cela le terrorise sans qu'il puisse s'y soustraire, pris lui-même dans le rythme mécanique d'une cadence qui maintenant le domine. Etourdi par ses propres gestes qui participent du supplice infligé à William, désireux à tout instant de les interrompre dans la peur qu'il ne mesure, il les accélère au contraire, malgré lui, obéissant aux gémissements, aux grognements sourds de William qui ont sur lui l'effet d'autant de commandements impérieux et terribles. Il le sent se cabrer, il voit son visage grimacer, son cou se ployer, il entend ce rugissement qui monte du fond de son torse et que tentent de retenir ses dents serrées dont il s'échappe néanmoins, enfin, en même temps que, d'une ultime contraction qui arque son sexe à l'extrême, jaillit une puissante giclée de liquide brûlant, suivie d'autres plus lourdes et crémeuses, s'écoulant, sous la pulsion de nouvelles saccades, au bout de la verge, y glissant jusque sur les doigts de David qui en sont inondés.

Le garçon conçoit alors seulement que les gestes qu'il vient d'accomplir et qui le quittent peu à peu n'avaient rien de difficile en regard de ce qui l'attend maintenant, à ce moment où il lui faut reporter les yeux sur le visage de William, l'interroger, attendre sa réaction, apprendre s'il a bien fait ou ne va pas être foudroyé par sa colère. Dans les secondes qui viennent, c'est toute la pauvreté, toute la détresse d'un enfant démuni qu'il va étaler aux pieds de William, et son angoisse s'accroît à mesure que le temps passe, à mesure qu'entre ses doigts le sexe du jeune homme s'amollit, se rétracte, accuse la fin du plaisir.
Alors il voit le ventre de William se plisser sous la tension des muscles tandis qu'il se redresse et, presque en même temps, il sent son bras qui s'enroule autour de son cou, qui le plaque contre lui, qui le maintient serré, l'entraîne avec lui à la renverse sur le lit.
Ils sont immobiles, silencieux. La tête blottie contre la poitrine douce de William qui joue tranquillement avec ses cheveux, David ferme les yeux. Il écoute le cœur de William qui palpite à coups sourds et lents sous sa joue, il entend les fins crissements de ses mèches emmêlées par les doigts de William, les souffles accordés de leurs respirations, et ces bruits ténus le bercent, ils l'endorment presque.
Et l'heure tardive, le calme du temps qui passe, le silence même produisent une sorte de vrombissement profond dans son oreille comme si les faibles sons perçus provenaient de l'intérieur de son crâne, comme si le bourdonnement de son propre corps suppléait à tous les autres bruits, enfermé qu'il est dans l'impression douillette du sommeil en train de venir.
Ballotté entre cet engourdissement où le plonge le repos dans les bras de William et le devoir qui lui reste de regagner sa chambre, il est secoué de spasmes légers qui l'empêchent de sombrer. Il tend l'oreille pour savoir s'il n'aurait pas malencontreusement manqué l'invitation de William à le quitter, mais rien d'autre que les battements de leurs cœurs, les chuintements confondus de leurs souffles, les bruissements de ses cheveux ne troublent la tranquillité immédiate, définitive. Le garçon se prend à croire qu'il va rester auprès du jeune homme, il sent toujours son bras qui le maintient contre lui, rien ne saurait plus intervenir pour les séparer.
Malgré l'inconfort de sa posture, il ne bouge pas de peur de modifier quoi que ce soit aux dispositions du monde qui les oublie. Il souhaite que l'apaisement qui le gagne, patiemment engendré par les doigts de William continuant à jouer dans ses cheveux, que cette langueur exquise s'éternise.