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UNE INITIATION MARTINISTE SOUS L'OCCUPATION...
" Ceux qui ont approché le mystère des Initiations, et ceux qui les ignorèrent, n'auront pas, dans le séjour des Ombres, une semblable destinée. "
(JAMBLIQUE)
" Monsieur, je vais vous transmettre l'initiation selon notre Maître, Louis-Claude de Saint Martin, telle que je l'ai reçue de mon initiateur, telle qu'il l'a reçue lui-même, et cela depuis Louis-Claude de Saint Martin en personne, soit depuis plus de cent cinquante années. Mais auparavant je vous invite, comme j'invite également mes Frères ici présents, à vous joindre à moi pour sanctifier cette Salle, afin qu'elle devienne par la double vertu de la Parole et du Geste, le Temple Particulier* où va se célébrer le mystère de cette initiation traditionnelle.
C'est pourquoi, sous la Forme qu'ont jadis adoptée nos Maîtres, permettons aux "Symboles" de se manifester..."
Décembre 1940. La neige couvre Paris. En cette fin de soirée, à l'heure où le soleil pâle décline et se meurt à l'horizon rougi, quelques hommes sont assemblés, dans une pièce située au dernier étage d'un immeuble du Quartier Latin. Vieille maison du dix huitième siècle au large et monumental escalier de bois. Dehors, dans les rues, sur les places, dans les cafés, partout, l'armée allemande, victorieuse. Partout aussi, les agents du Gouvernement de Vichy. La terreur policière règne, sur les Sociétés Secrètes et sur les Illuminés, Perquisitions, saisies, arrestations, pleuvent sur les hors-la-loi. Mais ici, c'est un autre monde...
Sur une table, recouverte d'une triple nappe, noire, blanche et rouge, emblème des trois Mondes, l'Epée à garde cruciale jette son éclat en travers de l'évangile de Jean.
(* Du latin particularius : petite partie.)
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Derrière, dans la clarté dansante de trois hauts cierges allumés et disposés en triangle, vaguement voilée par la fumée odoriférante, se dessine la silhouette imprécise de l'Initiateur, l'encensoir en mains. Il trace dans l'espace, d'un geste large et sûr, le Signe mystérieux.
A l'écart, solitaire, brûle un autre Cierge. Appuyé contre la base du chandelier, une cordelière et un masque.
Le Cierge des " Maîtres Passés " ...
Dans le silence des Assistants, muets et recueillis, la voix grave continue la profération rituelle, et les paroles du Sacramentaire sonnent, claires et nettes, adjuratrices comme des Litanies. Elles établissent - par delà l'Espace et le Temps le " pont " qui doit unir les Vivants et les, Morts. Et il semble que, soudain, la Salle se soit peuplée d'Invisibles Présences.
" Reçois, Seigneur, Selon le Voeu du " Philosophe Inconnu ", notre Maître, l'hommage que Te font en ce lieu Tes serviteurs, ici présents ! Que cette Lumière Mystérieuse éclaire nos esprits et nos coeurs, comme elle auréola jadis les oeuvres de nos Maîtres ! Que ces Flambeaux illuminent de leur vivante Clarté, les Frères réunis à Ton appel Que leur présence soit constamment un vivant témoignage de; leur Union... "
Précisée avec minutie, la Cérémonie initiatique se déroule, pleine de grandeur. Le temps lui-même semble aboli.
Voici qu'un des assistants a enfin posé le Masque emblématique, image du Silence et du Secret, sur le visage du Récipiendaire. Un autre l'a revêtu du grand Manteau, symbole de Prudence. Et un troisième l'a ceint de la Cordelière, rappel de la " chaîne de Fraternité ".
Le lent office théurgique continue. Et après la consécration du nouveau Frère, la remise du " nomen " ésotérique, résonnent les ultimes paroles, et la cérémonie touche à sa fin
"Puissiez-vous, mon Frère, justifier la parole du Zohar : Ceux qui auront possédé la Divine Connaissance, luiront de, toute la lueur des Cieux... Mais ceux qui l'auront enseignée aux Hommes, selon les Voies de la Justice, brilleront comme des Etoiles dans toute l'Eternité"
Vers le Cierge solitaire, vers la Flamme immobile où veillent les aînés des " Maîtres Passés ", l'Initiateur et l'Initié se sont tournés :
" Frères, je vous présente N.... " Supérieur Inconnu " de notre ordre et je vous prie de l'agréer parmi nous... "
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Une extraordinaire angoisse étreint le coeur de tous les assistants. Dans, l'Oratoire, où la fumée de l'Encens dessèche les gorges, où il semble que toute la Vie se soit réfugiée dans ces petites flammes qui, hautes et droites, dansent, dansent, dansent, ce ne sont pas les vivants qui paraissent les plus réels. Et sous les. Grands Manteaux, les Masques, les Sautoirs de soie blanche, derrière le flamboiement des Glaives, on ne croit voir que des défunts... Bien au contraire, les plus Vivants, ce sont les Morts de l'Ordre, "les Maîtres Passés" tout proches.
A l'appel de la Parole, tous sont venus. Malgré: les siècles ils sont là, fidèles au rendez-vous magique : Henry Khunrath, l'auteur de l'Amphithéâtre de l'Eternelle Sapience... Séthon, le prestigieux " Cosmopolite ", mort sur les chevalets de torture de l'Electeur de Bavière... Cornélius Agrippa, médecin et alchimiste de Charles Quint, mort de misère et de faim Christian Rosenkreutz, le pèlerin de la Sagesse... Jacob Boehme, le savetier illuminé... Robert Fludd, à l'intelligence merveilleuse,mort dans un in-pace inquisitorial... François Bacon, qu'on soupçonne d'avoir été le Grand Shakespeare... Martinez de Pasqually, le "maître" qui osait évoquer les Anges... Claude de Saint Martin, le. porte-parole du " Philosophe. Inconnu " ... Willermoz, dépositaire fidèle de son maître Martinez... Et tous les autres dont les noms échappent, et qui, officiers, grands seigneurs ou roturiers, sous le grand manteau noir à pèlerine, sous le catogan poudré, portèrent aux quatre coins de la vieille Europe, en ce dix huitième siècle libérateur qui vit enfin se réaliser le "grand dessein" des Rose Croix, le mystérieux écho (le la" Parole Perdue " ...
Et, dominant toutes ces ombres, voici qu'un autre se lève, faisant passer dans l'Oratoire, comme un grand souffle venu des régions où plane l'esprit, l'âme même de toutes les Fraternités ! Voici que, mystérieuse mais inspiratrice, inhumaine mais divine, incognescible mais illuminatrice, voici que passe l'ombre d'Elie Artiste...
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Dehors, dans la nuit enfin tombée, Paris s'enrobe d'un silencieux manteau blanc. Il neige toujours. Et le froid devient plus piquant encore. Dans les rues, sur les places, partout, l'armée allemande, victorieuse. Et partout aussi, suspicions et surveillances, enquêtes et perquisitions, perquisitions et saisies, saisies et arrestations. Par centaines, en représailles d'attentats anonymes, les otages tombent, fusillés. Dans quelques mois à peine, les premiers convois partiront des camps de concentration pour les travaux forcés sur le front de l'Est, l'Ost d'où on ne revient pas...
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Et, comme aux heures rouges du Moyen Age, la terreur règne sur les Illuminés.
On s'est tout d'abord attaqué aux Obédiences maçonniques libres-penseuses ou athées, uniquement occupées de politique pure. Puis, aux 'Obédiences spiritualistes. Enfin, on en est venu aux organisations paramaçonniques. Ceci a accoutumé l'Opinion... Et maintenant on reprend la lutte séculaire, entravée par soixante-dix ans de libéralisme idéologique. Car derrière la Franc Maçonnerie et ses filiales, il y a autre chose à atteindre ! Ce qu'on veut abattre, définitivement, et pour toujours frapper à mort, c'est l'Hérésie, l'éternelle ennemie ! Et derrière l'hérésie, son animateur séculaire l'Occultisme ! Enfin ! Voilà donc le grand mot lâché...
Cela, on ne le criera pas sur les toits, du moins, pas tout de suite ! Mais, avant tout, ce seront ses archives, ses manuscrits, ses études doctrinales ou historiques, qui auront la vedette au cours des recherches.
Mais vainement ! Et c'est ce que cet ouvrage va démontrer.
Dans un livre, paru au printemps de la lourde année 1939, traitant du symbolisme des Cathédrales gothiques, nous écrivions ces lignes, inconsciemment prophétiques :
" Si l'ouragan, matérialiste et négateur, réussissait à incendier le monde ; si de nouveaux barbares, ravageant bibliothèques et musées, réalisaient la terrible prophétie d'Henri Heine, si le marteau de Thor écrasait, définitivement nos vieilles cathédrales et leur merveilleux message, nous voudrions croire encore à la sauvegarde de l'essentiel savoir " La tempête passée, dans un monde redevenu barbare, il se trouverait encore quelques hommes, suffisamment intuitifs, épris de mystère et d'infini, pour aller, pieusement et patiemment, raviver la lampe antique près du fameux linceul de pourpre où dorment les dieux morts
" Et de nouveau à travers la grande Nuit de l'esprit, la flamme verte du savoir occulte guiderait les Hommes vers son merveilleux Royaume, l'éclatante et radieuse " Cité Solaire " des philosophes et des sages ".
" Que la Paix, que la Joie, que la Charité, soient en nos coeurs et sur nos lèvres, maintenant et toujours... "
Décembre 1940 : la dernière phrase du rituel des " Initiés de Saint Martin " a répondu pour nous !