Revue l'initiation n°2 mars avril 1953
Papus
Par René Raymond
Causerie faite, le 29 octobre 1950, à la salle de Géographie, à Paris, à l'occasion d'une soirée commémorative consacrée à PAPUS et organisée par Edouard SABY (Conférences du Studio Addéiste).
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Je vous apporte seulement quelques-uns des rayons de la Lumière qui auréolait celui qui fut pour moi un Initiateur et un ami.
De ma modeste place, dans l'indépendance la pus totale, je fus charmé par son immense savoir, son rayonnement, son attirance spirituelle et surtout par son exemple. Sa vive intelligence, sa compréhension surhumaine que trahissait parfois un malicieux regard, toujours plein de bonté et d'indulgence pour autrui, attirait, séduisait, enseignait, révélait.
Eloigné de tout absolu, de tous dogmatismes, d'un éclectisme total, d'un désintéressement sans pareil, il avait cependant cette foi active qui vainc l'égoïsme, exalte le don de soi-même, il fit le généreux partage des fruits (le son travail et de ses efforts, aussi bien sur le plan matériel que sue le plan spirituel.
Remontant aisément aux causes premières, maître en la connaissance des principes, il comprenait tous les faits, comme tous les gens dont il pénétrait les motifs, secrets ou inavoués mieux qu'eux-mêmes ; découvrant leur vraie personnalité et les raisons conscientes ou inconscientes de leurs actes.
Cette supra connaissance le rendait pitoyable pour ses Frères en Humanité et en faisait leur naturel défenseur.
C'est lui qui, parmi tant d'autres enseignements, m'éclaira sur l'Analogie et les applications incessantes de ses méthodes à la résolution des problèmes de l'existence.
Une des merveilles de son sens initiatique fut de dépouiller les traditions des vêtements compliqués et rigides qui les recouvrent en ne laissant plus transparaître, pour les novices, que la lettre et non l'esprit de la Connaissance, qu'elles transmettaient.
Mieux encore, il traduisait en un clair langage cet esprit, l'adaptant au stade présent, tenant compte de l'acquit actuel.
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Sa mentalité était scientifique et précise, ses méthodes de compréhension obéissaient à la rigueur des définitions, de l'interprétation exacte des faits, contrôlés et prouvés. Avec un esprit de relativité intégrale sous le triple aspect : envers nous-mêmes, envers nos semblables, envers l'ambiance (cette portion de l'Univers). Il situait l'objet de sa méditation ou de son enseignement à la place qu'il occupait dans l'espace et dans le temps, il déterminait ainsi sa provenance, c'est-à-dire son passé , ses possibilités, c'est-à-dire son présent, ce qu'il pouvait devenir, c'est-à-dire : son avenir.
Dans les perpétuels problèmes qui se posent aux Humains, il leur apprenait à les définir en termes clairs qui en permettaient la solution immédiate.
Il avait ce pouvoir du véritable Initié, de dissiper l'obscurité, dans laquelle nous, luttons, en projetant sur nous, comme sur ce qui nous entourait, cette clarté, lumière symbolique réelle, qui donne la " Vision spirituelle ".
Ce rare apanage, que j'ai bien rarement rencontré parmi les Hommes, est vérifiable aisément (comme j'ai eu la faveur de le faire moi-même) au contact des vrais Initiés. Chaque fois qu'une question se précise en votre cerveau et que vous allez pour la formuler, elle s'y résout immédiatement, avant même que vos paroles soient émises, comme si votre interlocuteur, l'Initié, l'avait entendue et fait la réponse instantanément, par une sorte de télépathie. Ce qui paraissait alors miraculeux (il y a 50 ans) est devenu commun aujourd'hui. La " Radio " en fournit chaque jour l'évidente possibilité, mais cette prescience, que nous recherchions avidement dans l'héritage du Passé, n'en reste pas moins acquise. Ces dons si rares apportent à ceux qui les ont reçus - à côté de la ferveur et de l'amour de leurs disciples compréhensifs - l'envie et la haine ; l'envie de ceux qui ne les possèdent pas, la haine des ignorants, prompts à détruire ce qu'ils ne peuvent comprendre.
On vous dira qu'il en fut ainsi de notre vénéré Papus, en but à ces ignorances, critiqué, ridiculisé, pris à partie de tous côtés, il fit face bravement, conscient de sa mission, dédaigneux des appellations sensationnelles ou ridicules. Je fus le témoin de ces luttes : par la parole et par la plume, j'ai connu ses adversaires, ses ennemis. Je l'ai vu, en France comme à l'étranger, plein de confiance et de Foi, n'hésitant pas à descendre dans le Forum, affrontant les rhéteurs, éternels critiques et démolisseurs, chercheurs de faciles triomphes oratoires d'une lamentable démagogie.
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Cette croisade, menée dans toutes les sphères sociales, sans ménagement pour sa santé devait hâter sa fin prématurée.
En ses derniers moments il a pu, en toute conscience, sentir qu'il avait tout donné et pouvait, sans reproche, ni remords, trouver un repos plus que mérité.
Lecteur assidu et passionné de ses livres et publications, j'y trouvai la compréhension de tout ce que j'aspirais à connaître, dans la forme claire que je souhaitais ; puis, rayonnant à mon tour la sagesse -que je lui devais, je conservai cette liberté totale qui m'est toujours restée chère. Beaucoup d'autres ont, suivant leurs tempéraments ou leurs tendances, été soit les disciples, groupés et travaillant en commun, hiérarchisés, ou bien les indépendants, les solitaires, les ermites, isolés dans la recherche personnelle de la Vérité et de la Lumière. C'est encore un des mérites de Papus, d'avoir su inspirer les uns et les autres ; de les avoir préparés à une mission ultérieure pour la propagation de la Lumière dans tous les milieux. Livres, Conférences, Congrès, tenues rituelles, articles, voyages, il n'épargna rien,confirmant par sa vie pleine de dévouement, de bonté, de charité, l'excellence de ce qu'il apportait au Monde, de ce qu'il distribuait gracieusement, sans penser à la moindre récompense, subissant philosophiquement la rigueur des reniements de certains, l'injustice (les égoïsmes avides.
Avec le recul du temps, nous pouvons mieux apprécier l'oeuvre et le rôle de notre bon ami Papus, rôle ingrat s'il en fut, rôle de sacrifice. Papus eut, comme d'illustres devanciers, à choisir son chemin, c'est-à-dire son destin. Il pouvait faire son existence dans le calme des études ; l'initiation cloîtrée, la vie spirituelle de l'ermite, que lui donnaient en exemple beaucoup de ses amis ! ... Il pouvait, avec une sorte d'égoïsme supérieur, consacrer ses pensées à un mysticisme transcendant, ses méditations aux idées qui lui étaient chères, au développement de sa merveilleuse érudition, équilibrant sa solitude sociale par l'immensité de son horizon... Il aurait ainsi échappé aux turpitudes de la foule, fui la lutte, les combats du Forum, les luttes inégales, avec une Humanité ignorante et brutale... Il choisit, comme Celui en qui il devait finir de trouver toute sa foi, tous ses espoirs, le Christ, d'abandonner ce refuge édénique de la Science initiatique pour ce monde terrestre, chaotiqueet bouleversé par les passions et les appétits.
Il aurait pu y vivre à l'écart, en observateur et en philosophe, l'étudiant comme le médecin qu'il était devant un cas pathologique intéressant, sans prendre en considération la misère physique de son patient...
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Son coeur parla plus haut que sa belle intelligence, sa passion de la connaissance ; il partagea, il donna, il immola sa personnalité, aux Humains malheureux, leur apportant, en plus des remèdes sur le plan physique, ceux, plus admirables et plus nécessaires, du plan spirituel.
Mais, pour faire un tel don il fallait en porter le fardeau comme une Croix, en vivre les conséquences, tel le Christ, s'identifier avec celui qui avait choisi d'abandonner sa place céleste pour se confondre avec ceux qui, sur la Terre, représentaient la dispersion des étincelles de la divine lumière qu'il faut regrouper pour la reconstituer...
Rude et terrible besogne, propre aux Initiés, mais couronnée pour lui par l'immolation de sa personnalité, la crucifixion finale, précédée de l'apostolat déchirant et infiniment injuste, du sacrifice intégral ou le " Moi " serait entièrement absorbé, dévoré, par le Minotaure populaire.
Ce fut son choix, ce fut sa vie, que nulle critique ne peut plus contredire ou persifler..., et cela nous fait mieux comprendre son besoin impérieux, vers la fin de son existence, de ce mysticisme chrétien qui symbolisait à la fois ce qu'il avait vécu et son aspiration vers ces sphères lumineuses, épurées, reposantes, idéalisant les espoirs de sa vie entière.
Son évolution personnelle, ses acquisitions spirituelles, sa Foi croissante, sont résumées dans cette Confession de ses derniers jours :
Le premier acte obligatoire est le stade rationaliste, les faits seuls frappent l'esprit. Puis les faits s'effacent devant l'idée qu'ils révèlent, les divisions des religions disparaissent dans l'Amour universel des faibles et l'âme fuit peu à peu les bases terrestres sur lesquelles doit s'exercer son effort. L'illuminé devient un Solitaire, un Mystique. Enfin quand la Science est illuminée par la Foi, et la Foi coagulée par la Science, il faut consacrer ces facultés spirituelles à l'évolution des faibles.
Nous pouvons, tous, accepter cette énumération, ou chacun de nous reconnaîtra les stades qu'il a parcourus et ceux qui lui restent à parcourir.
Allant plus loin encore, il dit :
D'ailleurs celui qui aspire aux souffrances conscientes du Troisième Stade, doit rechercher l'action spirituelle comme étant son but, plus encore que l'action naturelle On n'atteint jamais le sentier des Maîtres de la Vie et de la souffrance par le Corps astral seul le corps spirituel est capable d'y parvenir.
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C'est ce qu'il fit courageusement, en parfaite sincérité. Il conclut :
C'est la route que Jésus révèle à ceux qui veulent le suivre.
Il avait trouvé "Sa route" et l'indiquait aux autres, leur laissant sagement le droit de choisir celle qui leur conviendrait le mieux, concevant que la vie mystique de chacun n'est que l'un des multiples sentiers gravissant la montagne au sommet de laquelle brille la " Lumière symbolique des Initiés ", où, tous les pèlerins, partis de tous les points de l'Univers, convergent pour se réunir sur ce sommet unique, quels que soient leur point de départ, leur religion, leur mystique, leur initiation.
Je ne puis clore ces lignes sans évoquer auprès de notre inoubliable disparu, sa famille, que j'ai bien connue. Son père Louis Encausse avec qui, malgré notre différence d'âge nous avons souvent et longuement philosophé, abordant les sujets dont ma connaissance était avide, sous l'angle de sa vaste expérience et de ses conceptions originales si attachantes. Sa mère et aussi sa soeur Louise Encausse-Deullin, véritable aide, élève et préparatrice de son père, d'une grande érudition et d'un esprit aussi averti qu'indépendant.
Enfin, son fils Philippe, que j'ai retrouvé après la longue séparation des guerres et de l'isolement involontaire qui intervint dans nos existences. C'est à lui, à son affection filiale que je dois le plaisir, mélancolique mais précieux, d'évoquer les lointaines années qui m'unirent à la grande et belle figure de son père. Son père dont la lumière spirituelle fut pour moi, le phare qui m'a guidé, et me guide encore, vers l'idéal de Paix, d'Equilibre, et de Bonheur que je souhaite et désire pour nos Frères en Humanité ; cet Idéal auquel nous travaillons sans cesse, avec, nos frères en spiritualité et en affection.
Je salue le docteur Philippe Encausse, en cette soirée commémorative, heureux de l'assister, comme mon fils spirituel, il est chargé de porter le flambeau à son tour et de le transmettre ensuite à qui en sera digne, selon lui. je le salue avec toute l'affection profonde que j'ai conservée pour ses chers disparus et que je lui ai transmise de tout mon coeur.