P 85 revue N°2 mars avril 1953
M. Philippe fut, pour Papus, le "Maître spirituel", celui dont l'influence fut capitale pour l'orientation, nouvelle, de l'auteur du Traité de Magie pratique. Dans les dernières années de son existence terrestre, Papus avait, en effet, évolué vers le mysticisme chrétien. D'aucuns le lui ont reproché. Ils ont tort, ne serait-ce que par respect humain. Aux différentes phases de son évolution un être humain est toujours respectable. Et je puis assurer que ce développement spirituel dû à la présence, aux actes puis au seul souvenir du Maître Philippe, a été un bien pour Papus comme pour un grand nombre de ceux qui l'entouraient...
Ayant sincèrement foi en N-S. Jésus-Christ, sachant de ce fait écouter et comprendre le seul appel vraiment divin, celui du "coeur", Papus obtint, sur la fin de sa vie, des guérisons tant physiques que morales d'un niveau bien supérieur aux précédentes. Il y gagna également une maîtrise de soi, un calme, un repos intérieur, une concentration vraie qu'il n'avait pas eus à un tel degré lors des phases antérieures de son évolution sur cette terre... Cependant, il avait déjà été favorisé par la " chance " ou, si l'on préfère, le. " Destin ". En effet, au début de sa carrière d'occultiste, il eut le privilège de faire assez rapidement (en 1887) la connaissance d'un Maître, d'une personnalité à l'érudition et au talent de laquelle il rendit un hommage fervent : Monsieur de Saint-Yves, marquis d'Alveydre (*).
L'auteur des Missions devait être, pour Papus, le " Maître intellectuel ", celui qui lui ouvrit des horizons nouveaux et qui lui permit de devenir l'un des plus fidèles servants de cet Occultisme au développement rationnel duquel il devait attacher son nom.
Saint-Yves, qui était né en 1842 et qui était d'origine bretonne, avait publié, entre autres, la Mission des Souverains, par l'un d'eux, en 1882, la Mission des Ouvriers en 1883 et la Mission des Juifs en 1884, ouvrage qui retint plus spécialement l'attention de Papus.
* J'ai trouvé cette formule M. de Saint-Yves, Marquis d'Alveydre suivie de " Fondateur et Directeur de l'Institut International des Hautes Etudes " à la fin d'une copie manuscrite de la lettre envoyée, le 4 août 1904, par Saint-Yves d'Alveydre, à M. Maulvault, lettre accompagnant l'envoi de notes supplémentaires relatives à l'Archéomètre. (Ph. E.).
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Dans une brochure (éditée en 1888 sous l'égide de l'Isis. branche française de la Société Théosophique) consacrée aux disciples de la science occulte : Fabre d'Olivet et Saint-Yves d'Alveydre, Papus eut à coeur de mettre en valeur l'oeuvre de Saint-Yves.
" Dès la première lecture, dit-il, cet auteur apparaît comme un réalisateur d'une originalité très marquée. Rien de nébuleux dans son exposition à la fois très affirmative et très élevée. L'histoire est là comme le champ expérimental dans lequel il manoeuvre. Il énonce une loi, l'accompagne de définitions très nettes, et raconte une série de faits. A mesure qu'on avance dans cette exposition, la conclusion sort d'elle-même, éclatante, prouvant partout la justesse de la loi socialeénoncée.
" Chacun de ses livres est un satellite dont la loi sociale .qu'il appelle la SYNARCHIE est le soleil, et tous ses livres gravitent autour de l'un d'eux, la Mission des Juifs, qui marque le point de départ et le point d'arrivée de tous ses travaux.
" Que faut-il entendre par ce mot de Synarchie ? La Synarchie indique un type de gouvernement scientifiquement exact. Il y a donc des gouvernements basés sur des principes scientifiques déterminables et d'autres qui ne le sont pas ? C'est à la réponse à cette question que Saint-Yves a consacré toutes ses oeuvres...
" Dans la Mission des Souverains, Saint-Yves établit tout d'abord sur des définitions nettes et claires lesdifférents types de gouvernement qui peuvent s'appliquer là une collectivité quelconque.
" La République, la Monarchie, la Théocratie sont définies dans leur principe, leur fin, leur moyen, leur condition radicale et leur garantie.
" Ces points bien expliqués, l'auteur fait quelques distinctions indispensables à connaître, par exemple la différence entre la Religion et les Cultes, et surtout celle entre l'Autorité et le Pouvoir. A ce propos, il s'appuie avec justesse sur la famille en montrant qu'en elle : Le père exerce le pouvoir sur ses fils, la mère et le grand-père l'autorité.
" C'est de ces définitions que découle la loi sociale dont l'histoire de l'Europe va montrer la vérification. La loi sociale, éclate tout d'abord dans l'organisation del'Eglise primitive où tous les membres de l'épiscopat étaient égaux, élus parles fidèles, institués par leurs collègues. de la même province, confirmés par les métropolitains.
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" Il montre bientôt la violation de cette loi de relation des gouvernés aux gouvernants, du clergé et des fidèles, par, l'évêque de Rome, instrumentaire lui-même de l'impérialat païen, qui s'érige en Empereur du clergé. Dès que le césarisme se répercute à travers la papauté dans ces conditions, la Synarchie. Judéo-Chrétienne n'existe plus et la loi païenne va seule diriger les actes des souverains d'Europe, le pape en tête.
" L'histoire de notre continent se dresse tout entière pour montrer l'application fatale de cette loi, dans le cours de la Mission des Souverains.
" En résumé, dans ce livre, l'histoire de l'Europe, gravitant autour de la papauté, montre, preuves en main, la nécessité d'une réforme sociale synthétique.
" La Mission des Ouvriers est une courte notice développée ensuite dans la France vraie.
" L'ouvrage capital (à cette époque) de Saint-Yves d'Alveydre, est sans contredit la Mission des Juifs, véritable synarchie de l'humanité, parue en 1884 (*).
" Nous ne pouvons, vu le manque -de place, analvs(,r même superficiellement cet énorme volume. de près de 950 pages in quarto. Notons-en cependant les points saillants.
" La Mission des Juifs est divisée en vingt-deux chapitres. Les quatre premiers forment un tout spécial traitant des principes généraux de l'Univers et de la connaissance qu'en avaient tous les peuples anciens ; les dix-huit derniers retracent l'histoire de l'humanité à travers plus de huit mille six cents ans, montrant partout que la loi sociale définie synarchie est bien l'instrument capable de diagnostiquer sûrement la résistance vitale d'une race, d'une nation et même d'une société. Saint-Yves montre, preuves en main, que le principe de la loi sociale a été connu dès la plus haute antiquité, dès la race rouge, et qu'il a été transmis dans les sanctuaires d'âge en âge jusqu'aux Egyptiens. De là, Moïse a choisi un peuple pour en transmettre la formule à travers les siècles, et Jésus une race pour la réaliser. De là le nom de Loi socialeJudéo-Chrétienne.
(*) L'édition la plus récente remonte à. 1928 (Dorbon Aîné). Il en reste peu d'exemplaires, car pendant l'occupation germanique, la Gestapo à pillé la librairie Dorbon Aîné et a volé, entre autres, de nombreux exemplaires de cet ouvrage. -(Ph. E.)
"Enfin, en 1887 paraissait la France vraie ou Mission des Français, dans laquelle l'histoire de France depuis le quatorzième siècle montre l'évolution de la Synarchie. française, seul moyen de sauver la patrie de la perte à laquelle elle court fatalement. La Mission des Juifs ou Synarchie de l'Humanité est le cercle dont la Mission des Souverains ou Synarchie de l'Europe est le rayon, et la France vraie ou Synarchie de la France est le centre... Ce qui frappe en premier lieu le chercheur, dans ces ouvrages, c'est la généralité de ces principes qui sont ici appliqués uniquement au social. Nous pouvons affirmer sans crainte d'être contredit que Saint-Yves d'Alveydre a trouvé la physiologie de l'Humanité, bien plus, qu'il a déterminé la loi de relation des divers groupes de l'humanité entre eux... Par quels moyens Saint-Yves d'Alveydre a-t-il eu connaissance de la loi sociale dont il fait état ?
" L'étude approfondie qu'il avait faite de Fabre d'Olivet (comme il le déclare franchement dans la Mission des Juifs et dans la France vraie), les efforts qu'il consacra à vérifier toutes les sources de cet auteur dans les originaux l'amenèrent fatalement à cette conclusion : il a existé, à une époque très éloignée de la nôtre, un Empire Universel sur la Terre.
" Poursuivant l'étude de cet empire universel, il rechercha quelle en était la constitution et lefonctionnement. C'est là qu'il découvrit l'existence de la Loi sociale trinitaire.
" En cherchant quelle fut l'époque et la cause de sa chute, il fut amené à constater la loi exclusivement politique qu'il appela Loi de Nemrod, opposée du tout au tout à la précédente.
" Enfin, en suivant à la piste la transmission de la Loi sociale trinitaire de sanctuaire en sanctuaire depuis l'Inde, il y a quatre-vingt-six siècles, jusqu'à Jésus, il fut amené à constater l'existence d'une chaîne ininterrompue qu'il trouva, du reste, mentionnée dans le XI chapitre de la Cosmogonie de Moïse, traduite ésotériquement.
" Cette chaîne passait des sanctuaires hindous aux Egyptiens avec Abraham comme chaînon ; et des Egyptiens au peuple juif avec Moïse. Jésus marque le passage du mouvement des transmissions aux peuples chrétiens ; de là le nom de Loi sociale Judéo-Chrétienne donné par Saint-Yves à la loi trinitaire de l'Empire Universel.
" Comme on peut le voir, c'est en alliant harmonieusement le Paganisme au Judaïsme et celui-ci au Christianisme qu'il a fait surgir du contact des deux pôles opposés la synthèse sociale... Nous avons dit que Saint-Yves avait vérifié les sources de Fabre d'Olivet dans les originaux. Nous. ajouterons qu'il suffit de parcourir le chapitre IV de la Mission des Juifs, ainsi que beaucoup de points divers de cet ouvrage, pour avoir la certitude de la vérité de cette assertion. Il est inutile démontrer longuement l'avantage que retire un auteur de l'étude des maîtres dans leurs oeuvres et non celles de leurs disciples. L'histoire de la philosophie tout entière est là pour le dire. C'est donc grâce à ce travail sur les originaux que Saint-Yves a pu découvrir l'alliance des deux contraires que Fabre d'Olivet n'a pas essayé de traiter.
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" Nous avons dit, de plus, que c'est en traduisant le onzième chapitre de la Cosmogonie de Moïse que Saint-Yves avait trouvé la relation de cette transmission séculaire de la loi séculaire de la loi sociale.
Cette traduction d'un chapitre que Fabre d'Olivet n'a pas abordé montre encore les connaissances personnelles en linguistique de l'auteur de la Mission des Juifs. Certains procédés qu'il emploie, entre autres celui de la lecture des mots hébreux de gauche à droite, lui sont également personnels.
" Enfin, quand nous aurons cité l'application (le la Loi. Sociale à l'histoire de. la France, nous aurons terminé les principaux points par lesquels notre auteur affirme son indépendance vis-à-vis de Fabre d'Olivet.
" Comment résumerons-nous maintenant l'oeuvre de Saint-Yves d'après ses ouvrages parus jusqu'à ce jour ?
" A notre avis, Saint-Yves d'Alveydre a fait pour le Social ce que Louis Lucas a fait pour la Chimie et la Physique, Wronski pour les Mathématiques, Fabre d'Olivet pour la Linguistique et la Cosmogonie.
Cette mise au point, due à la plume si autorisée de Papus, était nécessaire, car nombreux furent et, sont encore lesadversaires de Saint-Yves d'Alveydre même dans les milieux spiritualistes qui s'efforcèrent de saper son oeuvre, de lui dénier toute originalité, d'accuser enfin l'auteur des Missions de n'être qu'un compilateur et un vulgaire plagiaire de Fabre d'Olivet
Saint-Yves d'Alveydre lui-même devait d'ailleurs, ultérieurement, dans la Mission de l'Inde, fournir une réponse à l'accusation portée contre lui d'avoir plagié l'histoire romanesque publiée par Fabre d'Olivet au sujet de, l'origine celtique des Aryas et du cycle de Ram. Le cycle de Ram et son origine occidentale sont une réalité historique, dont toute l'Inde, en joignant l'Asie centrale, est encore témoin et garant.
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Quant à Fabre d'Olivet, il n'a pas plus fait de roman que moi.
J'ai vérifié ses sources et je l'ai cité deux fois dans la Mission des Juifs, une fois tout justement à propos du cycle celtique de Ram, qu'il a trouvé lui-même dans les indianistes de l'école de Calcutta.
J'ajoute, pour couler à fond cette torpille politicienne de plagiat, que l'Histoire universelle ne peut êtreréelle qu'à la condition d'être l'universel plagiat des idées et des faits de toute l'Humanité, dont il n'appartient à personne de réclamer le monopole. Je ne revendique dans mon oeuvre que la paternité absolue, parmi les modernes, de la Loi synarchique à la fois théocratique et démocratique, telle que je l'ai, à satiété, définie et démontrée.
Je viens de faire état du livre de Saint-Yves la Mission de l'Inde. Cet ouvrage fut écrit par Saint-Yves à la suite dé la connaissance qu'il fit d'un Guru Pandit venu spécialement des Indes pour s'entretenir avec l'auteur de la Mission des Juifs. Le Sage demeura plusieurs mois auprès de Saint-Yves et, a écrit Barlet dans son livre si documenté sur Saint-Yves d'Alveydre, " compléta ses connaissances déjà si vastes, par la révélation des mystères initiatiques de l'Inde... Averti de source certaine que la publication de la Mission de l'Inde pouvait être inopportune, Saint-Yves la supprima tout entière au moment où elle sortait des presses de l'imprimerie, disant qu'il ne consentirait jamais à exposer la vie du saint homme qui l'avait instruit ".
Saint-Yves avait dédié la Mission de l'Inde " au Souverain Pontife qui porte la Tiare aux sept couronnes, au Brahatmah actuel de l'antique Paradisa Métropolitaine du Cycle de l'Agneau et du Bélier ".
J'ai retrouvé, dans la bibliothèque de Papus, un exemplaire, très rare, de cette première édition. Il comporte, sur la page de garde, la mention manuscrite suivant de Papus : Seul volume de cet ouvrage qui a échappé à la destruction totale de l'édition, destruction décidée par l'auteur à la suite de menaces venues de l'Inde.
Cet exemplaire appartenait à feu le marquis de Saint-Yves et a été donné au docteur Encausse par le comte: Keller.
C'est d'après cet exemplaire: que l'ouvrage a, été publié chez Dorbon. Octobre 1910. PAPUS.
A propos de la, bibliothèque ayant appartenu en propre au marquis de Saint-Yves d'Alveydre et qui avait été léguée à Papus, par le comte Keller, à la mort de Saint Yves, je signale aux lecteurs que cela peut intéresser que, 'conformément aux dernières volontés de Papus, j'ai fait don de cette bibliothèque à une bibliothèque publique, en l'occurrence celle de la Sorbonne à Paris, afin qu'elle puisse se trouver à la disposition de tous.