Altern ferme définitivement
par Jean-Marc
Manach
mis en ligne le 7 juillet 2000
Altern.org, hébergeur
gratuit et indépendant, vient de fermer, victime d'un amendement qui avait été
initialement inséré dans la "loi sur la liberté de communication" pour le protéger.
Fin d'une
époque.
« La loi sur la liberté de communication est une loi liberticide »Altern, c’est fini. Valentin
Lacambre, responsable du service d’hébergement gratuit (et sans pub !) altern.org,
ne rouvrira pas ses portes. Après avoir consulté divers conseillers et avocats,
Lacambre a décidé d'interrompre ses activités d’hébergeur : 48 000 sites Web
sont désormais en rade. Seuls demeurent les services annexes : dès demain il
sera possible de créer un [email protected] et d'avoir son propre nom de domaine
pour 100 F par mois. Mais la grande époque d’Altern est terminée et la raison
écrite en toutes lettres sur la page d'accueil : "Le service d'hébergement
gratuit altern.org est fermé pour des raisons légales." C'est la première
victime de la nouvelle la loi sur la liberté de communication, votée le 28 juin
dernier.
Hébergeur = indicateur ?
Valentin Lacambre avance plusieurs raisons pour justifier l'interruption d'Altern
(lire l'interview de Valentin Lacambre "La
loi sur la liberté de communication est une loi liberticide"). Au premier
rang, le statut d'"auxiliaire de la justice" qu'il estime devoir désormais endosser
: "Un service d'hébergement commercial peut continuer à exister en acceptant
son nouveau rôle d'indic’. En revanche, le service altern.org, dont l'objectif
est de promouvoir l'usage de l'expression publique, n'a plus aucun sens. L'obligation
d'identification préalable et de transmission au parquet permettra à toute personne
influente d'être tenue informée des activités et identités de ses contradicteurs."
La dernière déclaration de Catherine Tasca à l'Assemblée nationale (lire Altern
ferme ses portes ) sur les interprétations possibles de l’amendement Bloche
(lire La
loi sur les hébergeurs est adoptée ), voté le 28 juin dernier, semble indiquer
que les hébergeurs se doivent, dès qu'ils sont instruits d'une plainte, de la
"transmettre au procureur de la République accompagnée des noms, prénoms et
domiciles des auteurs mis en cause".
Le ping-pong jurisprudentiel
Le créateur d'Altern dénonce, d'autre part, le flou entourant la notion de "diligence
appropriée" dont doivent faire preuve les hébergeurs. Le manque de définition
claire oblige à se conformer à la jurisprudence en cours. Or, celle-ci n'arrête
pas de changer au gré des juges, des affaires et des chambres, et a été abondamment
dénoncée par l’association IRIS (Imaginons un réseau Internet solidaire) (voir
"Arrêtons
le ping-pong jurisprudentiel et législatif !" ). Ainsi, l'arrêt rendu le
8 juin 2000 par la cour d’appel de Versailles dans l'affaire opposant Linda
Lacoste à Multimania interprète la notion de "diligences appropriées" comme
une obligation faite à l’hébergeur d’"opérer un contrôle actif des contenus
hébergés en faisant des sondages". Et la victoire de Multimania repose sur le
fait que la société a engagé deux personnes pour effectuer une veille sur les
contenus hébergés. Un luxe que Valentin, "petit artisan" ne disposant pas de
moyens industriels, ne peut s'autoriser.
Un tiers de son chiffre d'affaires en frais judiciaires…
Enfin, la fermeture d'Altern s'explique aussi par la dizaine de poursuites judiciaires
dont il a été l'objet. L'hébergeur en est ainsi arrivé à dépenser un tiers de
son chiffre d'affaires en procédures judiciaires, soit environ 300 000 F. Un
chiffre dérisoire à l'échelle d'un groupe comme Lagardère (Club-Internet) ou
France Télécom (Wanadoo), mais insurmontable pour un "petit" comme Valentin
Lacambre.
Les supporters de ce dernier doivent néanmoins garder espoir. Deux pétitions
continuent de circuler : celle de Vos
Papiers, initiée par des proches d'altern.org, et celle d'IRIS,
qu'ont déjà co-signé un grand nombre de collectifs français et étrangers. D'autre
part, un projet de création d’une mutuelle d’internautes, ainsi qu'une coopérative
d'hébergeurs, sont à l'étude du côté des défenseurs de l'Internet non-marchand.
Il s'agirait de prendre collectivement en charge les risques et devoirs d'un
système indépendant d'hébergement pour que l'aventure d'altern.org ne reste
pas sur cette fin. Valentin s'est engagé à leur apporter son soutien, à la fois
logistique et technique. Un rideau qui se ferme, un autre qui s'entrouvre ?