- Autobiographie -

Le souffleur de bulles

       Je me souviens de cette journée d'été de mon enfance; le soleil rayonnait de tous ses feux et une gentille brise soufflait dans le cou de tous les gens sortis de leur abri pour profiter de cette température clémente. Je me trouvais parmi ces privilégiés et j'étais à la recherche d'une occupation digne de cette journée. Subitement, une étincelle fit surgir une idée du néant : je vais faire des bulles.

       Cela dit, je cours chercher le matériel nécessaire. Avidement, comme il s'agissait d'un trésor, j'ouvre le petit bocal contenant le savon et la baguette. Je trempe la baguette dans le savon et je souffle dans l'anneau pour faire une bulle de grosseur moyenne qui se dirige immédiatement sur l'herbe piquante où elle éclate. Visiblement, la chance n'était pas de mon côté.

       Aussitôt, je crée une seconde bulle encore plus grosse et plus magnifique que la première. Cette fois-ci, j'ai le temps de l'observer minutieusement. J'admire les couleurs d'arc-en-ciel qu'elle prend grâce au reflet des rayons du soleil. Le peintre céleste s'amusait à changer les couleurs et à leur donner du mouvement au gré de sa fantaisie. Le meilleur kaléidoscope n'aurait pu accomplir de tels chefs-d'oeuvre. J'aimerais prendre ma bulle dans mes mains pour la caresser, apprécier sa texture et sa forme par mon toucher. Si seulement je pouvais la toucher, ne serait-ce que du bout du doigt, sans la faire éclater. Je n'ose pas la troubler de peur qu'elle garde un mauvais souvenir de moi. Que ce serait agréable de pouvoir au moins pénétrer à l'intérieur! Je pourrais alors faire le tour du monde à bord de ma bulle, vivre pleinement la vie comme elle se doit d'être vécue. Autrement dit, l'essentiel demeure qu'il faille voir les splendeurs terrestres et les assimiler dans son âme pour mieux analyser les comportements humains devant de majestueux paysages. Les paysages dont il est question ici se trouvent dans les tableaux et les poèmes des artistes. Brusquement, un vent du sud se lève et emporte ma bulle haut dans le ciel en la faisant tourbillonner, en la bousculant sauvagement. Impuissant, je la regarde s'éloigner et disparaître. Je suis frustré : voilà mon ballon qui s'envole et je ne suis même pas du voyage. Avoir su, j'aurais tenté de grimper à bord ou de m'agripper à elle.

       Après de profonds chagrins, je me résigne à poursuivre mon jeu ailleurs, à l'abri des herbes indiscrètes et des coups de vent volant ma source de bonheur. C'est là que j'ai pu créer mes bulles sans être dérangé sans cesse par l'hostilité de ce monde extérieur qui empêche les gens de ma race. Réflexions faites, cette race ne saurait tarder à prendre à l'assaut cette société étouffée.

Eric Bélanger


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