Paul Guth
5/3/1910 - 29/10/1997
Le pouvoir d’attention des jeunes a considérablement diminué parce que notre civilisation de consommation les gave automatiquement, comme nous tous, sans exiger d’eux des réactions de refus ou de choix. D’où, nausée, ingratitude, ennui. Pour restaurer la fraîcheur, l’appétit, apprendre aux jeunes à voir, à entendre, à toucher, à sentir par toutes les méthodes les plus ingénieuses et les plus révigorantes qui rendent à l’enseignement sa nature excitante de jeu, préparant au jeu de la vie.
Ne développer l’esprit critique, indispensable à la liberté, qu’en lui donnant, chaque fois, une contrepartie supérieur d’enthusiasme et d’admiration, indispensable à la création et à la joie de la vie. Comme les coureurs automobiles, utiliser l’accélérateur plus que le frein.
Chez les écrivains et les savants, en ne séparant jamais l’homme de l’oeuvre, souligner l’énergie créatrice, la volonté, l’abnégation, la lutte incessante, en eux et hors d’eux, contre l’apathie, l’indifférence, le conformisme, l’égoïsme. Considérer la littérature et les sciences comme un object de délectation ou d’utilité, mais surtout comme le fruit de l’héroïsme vital des créateurs, qui doit devenir contagieux.
Montrer le merveilleux du monde moderne, dans les sciences, les techniques, la vie courante. Il s’ajoute au merveilleux païen et au merveilleux chrétien des anciennes épopées. Il devrait inspirer une exaltante joie de vivre et de créer.
Souligner le long des études, dans toutes les matières, sur un ton adapté à chaque âge, que la culture ne sert pas seulement à passer des examens et à conquérir une situation, mais qu’elle aide à la conquête de soi, au bonheur personnel, au progrès de notre pays et de tous les autres.
Relier par un interne courant de connivence le passé, le présent, l’avenir, sans craindre de bousculer un respect stérile. Comparer sans cesse les faits et les êtres du passé à ceux de notre actualité.
Instituer une sorte d’auto-examen perpétuel. Quand le maître corrige un exercise écrit ou oral, qu’il fasse trouver par l’élève ce qu’il y a de bon et de mauvais dans son propre exercise et dans l’exercise de quelques-uns de ses camarades.
Développer dans chaque élève le respect de la liberté et de la pensée de ses camarades. Créer une émulation à base moins d’agressivité que de loyauté sportive.
Que les maîtres fassent sentir qu’ils pratiquent, dans l’Université, une neutralité ardante, plus passionnée, plus héroïque, plus engagée, que bien des prétendus engagements, qui ne sont souvent que des masques de conformisme.
En chaque matière, insister sur l’interaction, sur la solidarité des individus et des classes sociales dans notre pays et des differents pays entre eux.
Développer, dans la pratique, une chevalerie de l’entraide, en associant régulièrement les jeunes à des travaux de secours ou d’utilité publique: aide aux vieillards, aux économiquement faibles, aux accidentés de la route, restauration des monuments.
Associer, pour tous les élèves, le sport et le travail manuel à la culture intellectuelle, en insistant sur la noblesse et sur les qualités de caractère et d’esprit qu’ils développent.
Créer un civisme qui ne soit ni partisan, ni bénisseur, ni chauvin, et qui naîtra de la lumière projetée dans toutes les matières, sur l’énergie et sur l’union qu’il a fallu à la France et aux Français pour s’adapter, au cours des siècles, sans perdre leur caractère, aux changements de l’Europe et du monde. Un civisme national, européen, planetaire.
(Le Figaro, 1958)