par : Doris Lavoie novembre 1996
TABLE DES MATIÈRES
Afin de bien cerner toute la portée de l'intervention communautaire, il est important d'en comprendre la dynamique interne ainsi que les aspects méthodologiques inhérents. Cette étude de cas est donc inspirée de mon expérience personnelle de trois années comme membre du CA du Centre de ressources des familles militaires de la région de la capitale nationale (CRFM/RCN), de différents écrits officiels consultés et d'une entrevue accordée par Mme Linda Gunning, directrice du Centre. Pour fins d'analyse, on peut classer cette intervention parmi la catégorie planification sociale, c'est-à-dire : "projet visant la résolution de problèmes sociaux et l'amélioration de l'état de la santé et des conditions de vie en faisant surtout appel à une expertise professionnelle, habituellement dans un établissement public." (Lavoie et Panet-Raymond, 1993, p. 36) Par contre il est apparent qu'à certains égards on peut également parler de développement local, car cette intervention repose aussi sur une participation active des gens du milieu.
Dans cet opuscule, après avoir identifié les éléments de base décrivant le CRFM/RCN ainsi que ses objectifs et ses activités, je tenterai d'identifier les différents aspects touchant plus spécifiquement la prévention et la promotion sociale, en relevant l'importance de favoriser le développement de réseaux. Je poursuivrai en identifiant certaines difficultés rencontrées et comment le Centre a répondu aux défis qui se sont présentés. Je terminerai enfin par un survol des réalisations les plus probantes du Centre, tout en y apportant une réflexion plus personnelle.
Le CRFM/RCN est un organisme sans but lucratif, incorporé au fédéral, mis en place pour offrir une ressource stable et professionnelle, à l'écoute du milieu, afin de répondre aux besoins de la communauté militaire travaillant au quartier général de la Défense nationale (QGDN). Sa mission est de fournir des services sur une base communautaire en développant des ressources visant à améliorer la qualité de vie des familles militaires.
Le mandat du CRFM/RCN est donc d'aider ces familles militaires à identifier, développer et utiliser efficacement leurs habiletés naturelles afin d'atteindre des aspirations saines, de donner aux enfants de ces familles une opportunité de croissance personnelle et de succès, et de bâtir ou de rebâtir des liens et des réseaux entre ses membres au sein de la communauté militaire.
Les services que fournit le Centre sont orientés en fonction des attentes exprimées par la communauté et sont mis en place avec un souci de prévention pour le court et le long terme. Ils s'efforcent donc de répondre aux besoins suivants :
Divers éléments contribuent à rendre plus difficile la situation des familles militaires de la région :
L'aspect socio-économique : Ottawa est une ville plus dispendieuse que les autres endroits où des bases militaires sont normalement localisées. De plus, puisqu'il y une bonne disponibilité de logements civils, très peu de logements militaires subventionnés ont été construits. Lors de récents reportages sur les forces armées, il fut relevé que certaines familles de militaires (surtout des soldats ou caporaux) devaient parfois avoir recours aux banques d'alimentation pour boucler leurs fins du mois. Ces familles ne disposent souvent que du salaire du militaire car, vu la fréquence des déménagements, il est très difficile pour l'épouse de se trouver de l'emploi et lorsqu'elle en trouve un, elle doit toujours recommencer au pied de l'échelle dans chaque nouvelle ville.
L'avènement du PRF (Plan de réduction des forces) : Les mesures de réduction des effectifs militaires, entreprises par le gouvernement, ont eu un impact direct sur les militaires et sur leur famille. Certains se sont retrouvés devant faire face à des décisions sur leur avenir, auxquelles ils n'étaient pas prêts (pré-retraite, changement de métier, offres de primes de départ, etc.). Le CRFM s'est donc efforcé d'y répondre par divers programmes adaptés (ex. info sur les pensions, prévention du burn-out, gestion du stress, etc.) ;
La fermeture de la BFC OTTAWA : La base des forces canadiennes d'Ottawa (avec des sites à Rockcliffe et à Uplands), ainsi que son CRFM ont officiellement fermé au printemps 1995. Le CRFM/RCN a donc hérité d'une clientèle additionnelle car les logements familiaux des deux sites de la base sont restés. La communauté a cependant perdu plusieurs services importants. Ainsi le magasin général, le dépanneur/station d'essence, le poste de police, l'église, les clubs sociaux (mess), la cafétéria, les écoles, l'aréna, etc. ont tous fermé. Le Centre a donc fait de son mieux pour répondre aux besoins existants en reprenant à sa charge les principaux programmes mis en place à ces endroits par l'ancien CRFM (cafés communautaires du matin, programme de nutrition équilibrée, ateliers d'artisanat, programme pour les adolescents, etc.). Cette prise en charge fut très importante afin que les résidents aient au moins accès aux ressources du CRFM pendant que tout le reste fermait autour d'eux. D'autres programmes se sont également ajoutés (aide à la petite enfance, formation populaire des adultes, etc.) et la communauté semble en voie de bien traverser l'épreuve.
La publicité négative des médias face à l'armée et les problèmes de moral s'ensuivant : Avec la publicité faite autour de l'enquête sur les événements de la Somalie, les membres de la communauté militaire ne sont pas bien perçus par la communauté civile les entourant. Le moral est au plus bas, le leadership des dirigeants est contesté, le stress est très élevé et les coupures et réorganisations internes continuent. Tous ces événements laissent des séquelles et la communauté militaire a dû se replier sur elle-même et compter de plus en plus sur ses moyens internes, d'où l'importance accrue du CRFM/RCN.
Les missions de paix : Comme on le sait, le Canada participe présentement à plusieurs mission de paix des Nations Unies (Haïti, Rwanda, Bosnie, Amérique Centrale, Chypre, Zaïre, etc.). La multiplicité de ces missions est un phénomène nouveau car par le passé, lorsqu'un militaire avait fait un tour de service au Moyen-Orient et peut-être un autre en Allemagne, c'était à peu près tout l'exotisme auquel il était exposé durant sa carrière. Depuis quelques années, les militaires de la région sont souvent appelés à se joindre à d'autres régiments canadiens pour compléter leurs effectifs. Il n'est pas rare que certains aient eu à s'absenter du foyer pour 3 ou 4 périodes de 6 mois au cours des 5 dernières années. Ces familles représentent alors une clientèle cible à très haut risque car, lors de ces absences à coup de 6 mois et plus, les familles sont plus ou moins laissées à elles-mêmes pendant cette période. Le processus par lequel les familles de ces militaires sont mises en contact avec le CRFM est aussi à améliorer car les noms des individus qui partent en mission ne leur parviennent pas toujours.
3- LES OBJECTIFS ET LES STRATÉGIES
Les objectifs formels du Centre, tel que précisés dans son plan triennal, se résument à :
Le Centre continue également de s'appliquer à remettre du pouvoir entre les mains des familles, pour qu'elles deviennent moins dépendantes du système fermé qu'est la vie militaire et qu'elles s'intègrent au sein de la communauté où elles habitent en participant à des activités de leur quartier, en se créant un réseau d'amis dans leur voisinage et en s'impliquant plus. De cette façon, on peut constater par ce souci «d'empowerment» que l'approche «psychologie communautaire» est également utilisée.
Dans le cas du CRFM/RCN, on ne peut cependant pas parler de modèle écologique car les efforts de promotion/prévention sont concentrés presque exclusivement sur les micro et méso systèmes des individus ciblés, tout en ignorant presque totalement les mio et macro systèmes les entourant. Ce choix semble d'ailleurs délibéré car il serait probablement «politiquement difficile» de justifier une telle approche auprès des autorités militaires qui demeurent les principaux bailleurs de fonds (95% du budget total évalué à environ $850,000).
Les premiers efforts concrets pour se pencher sur le sort réservé aux familles de militaires ont débuté vers la fin des années soixante-dix lors d'un congrès sur ce thème réunissant les travailleurs sociaux des Forces canadiennes. Par contre ce n'est qu'en 1982 qu'est apparu le premier Centre de ressources à l'intention des familles de militaires, à Cold Lake en Alberta (le Medley Family and Community Support Services), financé par la province. Dès cette époque, l'idée de prévention était omniprésente et le concept initial a ensuite reçu le feu vert pour être reproduit sur d'autres bases suite aux recommandations du Rapport d'étude sur le Soutien à la famille déposé en mai 1989. (QGDN, Service du Personnel)
Le programme de soutien aux familles militaires fut donc développé car les moyens de pression et les recherches avaient démontré que les familles militaires présentaient des besoins et des caractéristiques uniques qui ne pouvaient être comblés par la communauté en général. Avant la mise en place du CRFM/RCN, les militaires et leur famille devaient faire appel aux ressources de la communauté civile qui étaient souvent mal adaptées aux besoins spécifiques de la vie militaire. Un exemple typique est d'ailleurs le soutien aux familles pendant le déploiement d'un des partenaires pour les missions de paix. Les Centres répondent également plus adéquatement aux besoins des nombreuses familles militaires qui se sentent isolées et désorganisées après un déménagement.
En décembre 1992, le CRFM/RCN d'Ottawa recevait son incorporation, un premier CA/comité de démarrage, composé de 7 personnes, ayant été mis en place 18 mois auparavant. Les premiers employés ont alors été embauchés pour commencer à mettre le Centre sur pied et à opérer à partir d'un local provisoire.
6- LES ACTEURS ET LES ALLIANCES
Tous les CRFM au pays (une trentaine) sont regroupés sous l'égide d'une organisation faisant partie de la division des services au personnel : la direction des services aux familles de militaires (DSFM), située à Ottawa. Cette organisation chapeaute également un colloque national, où les directrices générales et les présidentes du CA de tous les CRFM se rencontrent pendant une semaine chaque année pour discuter de difficultés communes, d'orientation, de réseautage, etc.
Au niveau local, plusieurs facteurs systémiques jouent un rôle déterminant sur les orientations des programmes sociaux fournis par le CRFM/RCN. Ce dernier doit donc fonctionner à l'intérieur de différentes sous cultures distinctes : l'appareil militaire, régi par le quartier général de la défense nationale (QGDN) à Ottawa ; les familles de ces militaires ; les communautés civiles francophones et anglophones environnantes ; l'étalement géographique de la clientèle ; les disparités régionales au sein de la RCN ; le territoire chevauchant deux provinces ; etc. La programmation du CRFM doit donc s'adapter à ces réalités en reconnaissant la spécificité de chacune.
Tous les membres des familles militaires de la RCN sont des membres potentiels. Évidemment tous ne participent pas aux activités ou ne font pas appel aux services du Centre. La clientèle, sans être bien nantie, n'est pas vraiment considérée comme pauvre. Elle est également assez hétéroclite car on y retrouve des membres de tous les milieux sociaux. Cette diversité permet cependant d'y retrouver des éléments qui ont plus à donner sous forme de bénévolat et d'autres qui pour l'instant sont surtout des utilisateurs des services. On y retrouve également beaucoup de leaders naturels qui apportent des idées nouvelles et qui amènent un effet d'entraînement par leur dynamisme inné. D'ailleurs, plusieurs militaires sont habitués de demeurer sur une base dans des logements familiaux militaires. Ils ont donc tendance à se regrouper et à former des réseaux pour retrouver l'esprit de petite communauté auquel ils sont habitués. Selon les données obtenues en septembre/octobre 1995 :
Il y avait 6,956 militaires dans la RCN ; 68.5% d'entre eux (ou 4,764) étaient mariés ou vivaient avec un conjoint de fait; de ces familles sont issus 7,328 enfants ; 13% de ces enfants avaient moins de 6 ans ; Il y avait 270 familles militaires monoparentales, comprenant 415 enfants à charge ; 1,189 des 6,956 militaires étaient nouvellement mutés de l'été 1995 ;
La communauté militaire représente donc environ 19,500 personnes dans la RCN sans compter les parents et les conjoints et enfants non déclarés. Ces familles sont réparties dans les localités suivantes : Ottawa, Ottawa Ouest, Nepean et Kanata Orléans Hull, Aylmer et Gatineau Uplands et Ottawa Sud Rockcliffe, Gloucester et Vanier.
Il est donc important de forger plus de contacts et de partenariats avec les acteurs sociaux des communautés «civiles» environnantes afin que les familles militaires puissent connaître les ressources à leur disposition et retrouver un peu de l'esprit communautaire qu'on remarque habituellement sur les autres bases, ailleurs au pays. On dénombre ainsi 13 centres de ressources communautaires de santé et de services sociaux dans la région de la capitale. Cette approche décentralisée permet donc de s'assurer que les services fournis par le Centre évitent le dédoublement avec ceux disponibles dans les communautés et qu'ils se concentrent sur des domaines uniques à la situation de la communauté militaire.
En ce qui concerne le personnel, le CRFM/RCN emploie 11 personnes à temps plein, dont 4 ont une formation en travail social, 5 dans un autre domaine des sciences sociales, 2 en administration/secrétariat et 1 spécialiste de l'informatique à temps partiel, pour une masse salariale de près de $535,000. Il est bon de noter que 6 de ces employées ont été engagées cette année, afin de répondre à la demande accrue. L'intégration complète de tout ce nouveau monde au sein de l'équipe existante du CRFM s'est bien faite mais certains ajustements sont encore à apporter. Quelque 148 bénévoles inscrits, représentant environ 5000 heures de bénévolat en 95/96, viennent également ajouter la main à la pâte et il semble que tous fonctionnent de façon bien intégrée. La responsable du Centre est la directrice générale, Mme Linda Gunning et le style de gestion qu'elle préconise favorise une approche «équipe». Tous les membres du personnel ont d'ailleurs une rencontre hebdomadaire afin de discuter des différentes questions touchant le Centre ou son fonctionnement. Des rencontres entre le personnel et les membres du CA sont également organisées afin de discuter des orientations du Centre ou pour se concerter sur des points importants.
Le CRFM/RCN est donc dûment incorporé et il est contrôlé par un Conseil d'Administration composé d'entre 10 et 12 conseillers, en plus de la directrice générale et d'un représentant «ex-officio» des autorités militaires. Les membres du CA sont élus lors de l'assemblée générale annuelle, où tous les membres des familles militaires de la RCN sont invités à participer/voter. Afin de s'assurer que le contrôle du Centre reflète effectivement les besoins des familles, 51% ou plus des membres du CA doivent obligatoirement être des époux(ses) civil(e)s de militaires. De plus, dans un souci d'équité dans la représentation, le CA essaiera également d'attirer des représentants des communautés anglophones et francophones de même que des chefs de familles monoparentales.
Étant basé à Ottawa, il semble que le CRFM/RCN soit perçu par les familles québécoises comme plus anglophone. Par contre, 9 des 12 employées sont bilingues, et un des postes permanents est réservé spécifiquement à une coordonnatrice du développement communautaire des francophones.
En ce qui concerne les alliances, le CRFM/RCN est inscrit auprès du Centre de bénévoles d'Ottawa-Carleton et est membre de «Service aux familles Canada», de la «Fédération canadienne des soins à l'enfance», de «l'Association canadienne des programmes de ressources pour les familles» et de «l'Association ontarienne des programmes de ressources pour les familles». Le Centre a également réussi à s'adjoindre la collaboration des boutiques «Body shop» comme membre bénévole corporatif (nouveau concept de bénévolat des entreprises dans la communauté).
Le CRFM opère ainsi selon un modèle de développement communautaire qui favorise un réseautage et préconise plusieurs liens avec les ressources environnantes. Il parraine également un groupe de discussion, ayant pour thème principal la communauté militaire, sur le National Capital Freenet et est actuellement à développer un site Web pour relier en réseau tous les CRFM au pays.
7- LES DIFFICULTÉS ET LES TRANSACTIONS
Les débuts du Centre ont été assez modestes et une période d'adaptation d'environ 3 ans fut nécessaire afin qu'un noyau de 7 employés soit embauché et qu'un local permanent soit trouvé. Ce n'est en fait que depuis l'été dernier que le nombre d'employés est finalement passé à 12. Le Centre semble également plus connu et mieux accepté dans les communautés.
Il faut aussi noter que les relations avec les autorités militaires étaient passablement tendues au cours des 3 dernières années. À prime abord il n'est pas évident que l'apparatus militaris soit prédisposé à parler le même langage que le personnel du CRFM lorsque sont abordés des sujets comme : développement social, «empowerment» des familles, soutien social, participation des épouses au processus décisionnel, etc. Cette tension était présente car :
Les programmes suivants furent offerts durant l'année fiscale 95/96. Ils sont classés selon les champs d'intervention spécifiques et les retombées escomptées :
Programmes visant à réduire le stress pour les familles, engendrés par les besoins spécifiques de la vie militaire. Plusieurs sont inspirés de notion d'entraide et s'adressent à une clientèle précise (nouveaux arrivés, familles séparées par les missions de paix, etc). rencontres hebdomadaires durant le café du matin ;
Afin de répondre à des besoins spécifiques quatre nouveaux programmes/services ont été mis sur pied cette année :
Avec un budget annuel s'approchant du million de dollars, le CRFM/RCN peut s'attendre à être surveillé de près par les autorités militaires qui sont ses bailleurs de fonds. Le Centre doit donc continuer, pour les quelques prochaines années, à consolider ses bases et à assurer ses appuis. Plusieurs défis demeurent et il faut oser espérer que la qualité du produit saura s'avérer suffisante pour prouver sa valeur d'elle-même.