par Doris Lavoie, octobre 1996
TABLE DES MATIÈRES
CONCLUSIONDepuis plusieurs années déjà, la "prévention" est un thème qui est présent dans notre culture populaire sans pour autant avoir la même signification pour tous, ni faire l'objet d'un engagement réel de la part de tous les acteurs concernés. En publiant ce livre, Jack Pransky contribue en quelque sorte à clarifier certains concepts et à rassembler dans un même ouvrage un pot-pourri de ce qui se fait en matière de prévention sociale, plus précisément dans le Nord-Est des États-Unis. Il y dresse ainsi plusieurs tableaux intéressants et s'applique à faire le tour de la question. Ce livre est donc non seulement informatif mais sa publication, ajoutée à d'autres sur le même thème, démontre que son sujet attire et peut intéresser un vaste auditoire.
L'auteur choisit donc de traiter de prévention en l'abordant sous cinq grands volets. On y retrouve premièrement une définition des concepts, suivie de plusieurs exemples de stratégies communautaires fructueuses. Dans la troisième et la quatrième parties l'auteur examine les politiques en place au Vermont et les stratégies les sous-tendant Enfin il termine en présentant quelques exemples de stratégies de prévention/promotion à caractère plus personnel.
Pour les besoins de cet exercice, je ne me suis attardé qu'à deux parties : la définition des concepts reliés au sujet, dans un premier temps, pour ensuite compléter avec quelques applications de la prévention en milieu de travail. De façon générale, j'aborderai donc cette recension en examinant la position de l'auteur par rapport au thème central qu'est la prévention, tout en regardant les motivations derrière son cheminement. Je poursuivrai ensuite par un survol des idées maîtresses et des thèses avancées par l'auteur. Je terminerai enfin par un regard critique sur son ouvrage et par une réflexion sur ce que cette lecture m'a apporté.
1 - L'auteur et le contexte de l'ouvrage
Il est important de préciser en exorde que le livre est écrit du point de vue d'un praticien et qu'il se veut avant tout une mise au point de ce qui se fait présentement dans le domaine de la prévention aux États-Unis, en insistant surtout sur l'État du Vermont. De ce fait, «Prevention : The Critical Need», "consolidates a large amount of what the prevention field has learned to date and translates it into a practical, down-to-earth, informative guide, a resource/reference quide for effective prevention practice." (Pransky, 1991, p. xiii)
Le discours qui y est privilégié pourrait être qualifié de celui d'un humaniste possédant une vision globale et à long terme de la question. Le contenu en est de plus relativement politisé car l'auteur se veut activiste dans son approche afin de faire bouger des choses. Conçu dans un cadre quasi-didactique sous l'égide de la Burrell Foundation américaine, ce volume est destiné aux praticiens intéressés par la prévention et la promotion sociale ainsi qu'aux étudiants et aux administrateurs publics.
L'ouvrage relève également les multiples problèmes engendrés par le système socio-économique dominant. Il devient alors clair qu'on ne peut négliger le fait que ce système comporte des coûts sociaux très importants : pauvreté, engorgement des prisons, décrochage, assuétude, perte d'emploi et d'identité professionnelle, désorganisation spatio-temporelle, perte d'estime de soi, ruptures familiales, dépendance envers l'aide sociale, etc... Il est toutefois juste de préciser qu'on ne retrouve pas uniquement cette situation chez nos voisins du Sud. D'ailleurs plusieurs indicatifs économiques viennent confirmer ces faits chez nous quand on considère qu'au Québec seulement sont dépensés "plus de 6 milliards de dollars en mesures d'assistance sociale et le même montant en prestations d'assurance chômage " (Blackburn, 1995, p. 163).
La prévention sociale revient donc de plus en plus à l'ordre du jour et M. Pransky juge important de relever qu'au cours des dernières années est apparu un renouveau d'intérêt pour ce concept. Il devient donc crucial de pouvoir profiter de cet intérêt en encourageant les différentes initiatives reliées à la prévention car ce domaine souffre depuis longtemps de sous-financement si on le compare, entre autres, à l'intervention curative. Il est cependant primordial si on veut en maximiser la portée de promouvoir un paradigme pourtant évident : si les comportements sociaux déviants se développent parce qu'ils sont appris, il est important de remonter à la source de cet apprentissage et d'intervenir de façon préventive afin de changer les conditions favorisant leur éclosion et leur développement. Cette perspective confirme que la prévention sociale est donc privilégiée pour jouer un rôle des plus importants dans une perspective de santé globale. M. Pransky est d'ailleurs sans équivoque à ce sujet : "Prevention is an investment we all must make in our future". (p. xiv)
L'auteur relève de juste façon que le terme «prévention» sous-tend effectivement l'idée «d'anticipation» d'un état ou d'un acte avant son devenir. Cette approche permet donc d'envisager la prévention comme un acte positif et proactif. L'auteur suggère de ce fait que «prévenir» signifie plus que «contrer», «empêcher» ou «combattre» tel ou tel fléau social, mais qu'il s'agit plutôt de créer des conditions telles que ces maux n'ont pas l'occasion d'éclore et encore moins de se développer. Cette préoccupation d'agir à la source s'inscrit alors au sein de ce que l'auteur appelle «The Big Picture». Ce terme devient d'ailleurs central à toute sa vision de la prévention puisque chaque geste préventif posé doit s'inscrire dans une stratégie globale car il représente effectivement un élément de plus du «Big Picture» et contribue à la définir.
En examinant l'aspect théorique et conceptuel de la prévention sociale, M. Pransky ne peut s'empêcher de relever la typologie de la prévention mise de l'avant par Caplan (1964), qui la divise en trois catégories :
M. Pransky propose ainsi une approche holistique envers la prévention s'inspirant sans doute du modèle écologique. Pour lui cette approche doit considérer et mettre en pratique :
Le rôle de la prévention se situe donc à ces deux niveaux : la diminution des facteurs de risque (par l'action sociale surtout et par l'intervention spécifique) et l'augmentation des facteurs de protection chez les individus (par le développement communautaire, l'empowerment, la formation, les efforts de réintégration/réinsertion sociale, etc). Ainsi dans tout effort de prévention respectant le concept d'approche globale, bien schématisé au moyen de la «roue de la prévention» proposée par l'auteur (p. 37), il est important de prévoir certaines stratégies spécifiques afin de chercher à influer, et sur le numérateur, et sur le dénominateur de cette équation.
Un autre élément vient également s'ajouter car, comme précisé par l'auteur au moyen d'un tableau très révélateur (p. 31), les mêmes facteurs problématiques engendrent souvent une multiplicité de problèmes comportementaux inter-reliés. Il est donc important que les différentes disciplines s'intéressant à ces situations en viennent à coordonner leurs efforts et à travailler ensemble tant au niveau préventif que curatif.
Dans la deuxième partie de son ouvrage, l'auteur poursuit en présentant plusieurs exemples de stratégies communautaires fructueuses. Il précise cependant que ces exemples ne sont en rien des modèles mais qu'il est plutôt intéressant d'en faire ressortir les principes les sous-tendant. Pour les besoins de cet exercice je ne me suis attardé qu'à quelques exemples de prévention en milieu de travail. À cet effet, l'auteur explique dans un premier texte, l'étroit lien entre la satisfaction ou la réalisation de soi et le travail, en élaborant sur les facteurs qui contribuent à améliorer cette satisfaction/réalisation (possibilité d'avancement, travail significatif, contrôle sur son emploi, climat favorable, relations interpersonnels de qualité, accès aux ressources, etc.). Il insiste de plus sur l'intégration des jeunes à ce marché du travail.
Les trois autres textes portant sur le domaine du travail sont en fait des entrevues réalisées auprès d'une spécialiste consultante en promotion de la santé au travail, d'un avocat à l'aide juridique recyclé en aubergiste et enfin de Ben Cohen, co-fondateur de la compagnie de crème glacée "Ben & Jerry" qui est considérée aux E.U. comme un modèle d'originalité en tant qu'entreprise. Les interviewés parlent ainsi de leurs philosophies respectives, en relevant l'importance pour eux, de la prévention en général et en relatant comment ils la mettent en application chez eux.
Bien que la table des matières de cet ouvrage soit divisée en cinq chapitres, le lecteur y découvre en fait trois parties principales avec un ton et une approche différents pour chacune : l'aspect théorique, quelques exemples pratiques et une réflexion sur la nécessité d'avoir des politques bien élaborées.
La première partie où on y définit l'aspect conceptuel de la prévention, se rapproche beaucoup plus d'un travail de recherche classique, bien structuré où on y découvre un réflexion théorique très intéressante de la part de l'auteur. Les nombreux tableaux reproduits sont concis, faciles à comprendre et viennent adéquatement compléter cette partie du texte. L'auteur propose aussi une excellente synthèse de son plan conceptuel (conceptual framework), en le présentant sous la forme d'une équation synoptique (partiellement empruntée à G. Albee, 1980), facile d'accès pour le lecteur.
La deuxième partie par contre, est beaucoup plus décousue et il est parfois difficile de faire le lien en sautant d'un sujet à l'autre. Certains chapitres sont bien appuyés par une réflexion théorique tandis que d'autres sont présentés sous la forme de très courtes études de cas ou de brèves entrevues qui sont souvent laissées à elles-mêmes sans être vraiment rattachée à la théorie les sous-tendant. Je dois avouer que je me suis très peu attardé aux exemples de la deuxième partie autres que ceux se rattachant au domaine du travail. Par contre il est évident que l'auteur ne pouvait traiter de toutes les initiatives de prévention fructueuses et qu'il a dû arrêter son choix sur des exemples précis. La partie que j'ai donc recensée comportait des lacunes assez importantes en ce qu'elle ne fait pas suffisamment ressortir la multiplicité des efforts en milieu de travail et tait presque l'importance des programmes d'aide aux employés (PAE) qui ont, à mon sens, un rôle essentiel à jouer au niveau de la prévention au sein de ce milieu.
Cette partie semble également demeurer à un niveau très superficiel, comme si l'auteur n'avait que conduit ses entrevues sans recenser d'écrits sur le sujet et sans l'appuyer par une réflexion théorique. Le contenu laisse donc le lecteur sur sa faim car il est presque dénudé d'éléments conceptuels spécifiques qui auraient pu «étoffer» cette partie.
La lecture de la première partie de cet ouvrage m'a toutefois permis de faire le point sur plusieurs concepts abordés en classe, en particulier ceux rattachés à l'équation synoptique d'Albee/Pransky. De plus l'approche de l'auteur m'a ouvert les yeux sur les côtés positifs de la prévention, en faisant ressortir que c'est beaucoup plus qu'un ensemble de stratégies déployées en vue d'empêcher ceci ou cela, ou encore de combattre tel ou tel mal social. La prévention peut également se préoccuper autant à diminuer les facteurs de risque qu'à augmenter ceux de protection, tant au niveau individuel que communautaire.
J'ai cependant trouvé difficile de ne recenser qu'une partie de cet ouvrage car cette lecture parsemée m'a difficilement permis de tirer des conclusions d'ensemble sur le reste du livre. Je trouve de plus que l'approche «entrevues» utilisée dans la dernière partie ne permet pas de produire un compte rendu bien organisé car l'information qui y est présentée n'est pas ordonnée et le fil de l'exposé m'a semblé par moment quelque peu décousu.
«Prevention : The Critical Need» devrait être un instrument utile dans un contexte d'apprentissage relié aux cours de prévention sociale. Il importe toutefois de compléter cette lecture par celle de textes qui situent les données présentées par M. Pransky dans un contexte critique élargi.
L'approche préconisée par M. Pransky trace la voie vers un processus de prévention et d'action sociale engagé tel que l'entend le sociologue Guy Rocher (1962, p. 42) : "toute manière de penser, de sentir et d'agir dont l'orientation est structurée suivant des modèles qui sont collectifs, c'est-à-dire qui sont partagés par les membres d'une collectivité quelconque."
Le véritable mérite du livre «Prevention : The Critical Need» se situe surtout au niveau de la première partie qui se résume en fait à une cinquantaine de pages. Certains qui souhaiteraient une approche plus étoffée, seront déçus.
J'aurais souhaité que l'auteur puisse analyser les diverses initiatives de prévention réalisées en milieu de travail par les PAE, par les syndicats ou par le service des ressources humaines. Certes, il traite de milieux plus hétérodoxes comme celui de l'avocat-aubergiste ou de la compagnie de crème glacée à conscience sociale très poussée, mais la prévention sociale en milieu de travail c'est beaucoup plus que ça. Le livre de M. Pransky aurait pu tenter de rendre justice à cette réalité.