Synthèse des études de cas en développement
local
par Doris Lavoie, décembre 1996
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
CONCLUSION
LISTE DE RÉFÉRENCES
INTRODUCTION
Cette réflexion, qui sert en même temps de synthèse
des discussions tenues en classe, se propose, après avoir expliqué
la nature des quatre cas d'interventions discutés en sous-groupe,
d'en relever certains points de convergence et de divergence. Il est à
noter qu'elle n'offre qu'une très courte présentation de
chacun de ces quatre cas, il est donc entendu que le lecteur aura pris
connaissance des études de cas en cause au préalable. Cette
réflexion permettra tout de même de regarder de plus près
l'impact de ces interventions sur leur milieu, les rapports entretenus
avec les pouvoirs publics et les facteurs pouvant contribuer à leur
succès ou leur échec. Ces éléments révèlent
ainsi toute leur importance si on considère que :
"Dans le contexte d'appauvrissement des communautés locales,
celui des dix dernières années (1985-1995), le mouvement
communautaire, loin de décliner, est devenu un acteur social de
plus en plus actif dans le domaine de l'économie, comme en témoignent
les organismes communautaires d'employabilité, les entreprises d'insertion
sociale par le travail, les entreprises communautaires, les Comités
régionaux de relance de l'emploi et de l'économie locale,
les CDÉC, les CDC, les fonds coopératifs, syndicaux et communautaires
de développement." (Favreau et Lévesque,
1996, p. 186)
1. Les interventions
Notre équipe a discuté de quatre cas différents
: La Popote roulante d'Aylmer (Francine et Sylvie) ; le quartier Jean-Dallaire
(Nadine, Brigitte et Andrée) ; le projet d'intégration des
Somaliens dans la Basse-ville d'Ottawa (Marie) et le mien sur le Centre
de ressources pour les familles militaires de la région de la capitale
nationale (MFRC/RCN).
Il m'est apparu intéressant de relever que dans chacun des cas,
on ne pouvait vraiment affirmer, à prime abord, que ces interventions
s'inscrivaient nécessairement à l'intérieur d'initiatives
de développement économique communautaire (DÉC) spécifiques.
Cependant, en y regardant de plus près, il ne fut pas difficile
d'identifier plusieurs éléments s'y rapportant. D'ailleurs,
Mathieu et al. (1996), dans leur étude
sur les quatre CDEC de la région de Montréal, rendent bien
cette perspective en notant que,
"c'est ainsi qu'à divers degrés, par leur intervention
et leurs activités en réseau, les organismes communautaires
tendent à opérer une réintégration du social
et de l'économique malgré leur insertion dans un modèle
de développement qui tend à consacrer la dissociation entre
ces deux domaines d'activité." (p. 57)
2. Impact sur le milieu
Afin d'optimiser l'impact des initiatives d'économie sociale,
de façon à ce qu'elles répondent adéquatement
aux besoins des communautés visées, la littérature
consultée explique qu'elles devraient idéalement rejoindre
les quatre principes du DÉC en adoptant :
-
des stratégies s'articulant à l'échelle locale, sur
un territoire précis ;
-
une approche fondée sur le territoire et non sur les caractéristiques
socio-économiques de «clientèles-cibles» ;
-
un partenariat de développement économique impliquant tous
les intervenants du milieu (privé, communautaire, syndical, public)
;
-
des stratégies tentant d'intégrer à la fois des objectifs
sociaux et des objectifs économiques. (Gouvernement
du Québec, 1996, pp. 26-27)
Pour les quatre cas que nous avons examinés, un point commun qui
est ressorti se situe au niveau des effets à court terme visés:
le bris de l'isolement des individus interpellés par l'effort d'intervention.
Il est cependant important de relever que pour trois des quatre cas étudiés
(CRFM, Popote, Somaliens), on retrouvait plutôt une approche à
caractère "sectoriel", en ce sens que les interventions visaient
plus spécifiquement des populations-cibles (familles militaires,
personnes âgées semi-autonomes, nouveaux arrivants Somaliens).
Ainsi, seul le projet du quartier Jean Dallaire préconisait une
approche plus globale, plus "territoriale". À ce propos, ce projet
rejoint d'ailleurs une intéressante observation de Dionne
(1996) qui souligne que :
"Le modèle territorial est plutôt construit sur des solidarités
humaines et communautaires. Il rend compte des efforts de coopération
négociée entre divers acteurs enracinés dans des lieux
spécifiques et concrets. Le défi consiste à domestiquer
les impératifs économiques de manière à en
faire des lieux d'échanges au service des buts sociaux d'une communauté.
Les activités économiques deviennent alors génératrices
de vie en société. Tous les aspects du développement
sont envisagés globalement, de manière intégrée."
(p. 245)
À ce titre il faut cependant souligner que pour trois des quatre
cas (la Popote roulante étant l'exception), la participation des
usagers était importante et les changements globaux et intégrés
accomplis par les interventions comportaient des aspects structurants à
long terme en ce sens qu'elles ont aidé à faire changer les
perceptions et les conditions de vie. Ainsi, à travers les efforts
de ces organismes, les épouses de militaires ne sont plus des «dépendantes»,
les Somaliens ne sont plus des «étrangers» tenus à
l'écart et les gens pauvres de Jean-Dallaire sont revalorisés
en se reprenant en main. De ce fait, et il en va de même pour les
quatre cas étudiés, "les notions de partenariat, d'insertion
sociale par l'économique, de DÉC, de développement
local, de projets et d'acteurs locaux occupent invariablement l'avant-scène
de certains débats économiques et sociaux autour de l'enjeu
de l'exclusion sociale et de la lutte contre la pauvreté" (Favreau
et Lévesque, 1996, p. 134).
3. Rapports avec
les pouvoirs publics
Les rapports avec les pouvoirs publics, principalement si ces derniers
représentent également d'importants bailleurs de fonds, ne
sont pas toujours faciles. Par contre pour les quatre organismes étudiés,
le fait d'avoir réussi à établir un partenariat (ou
tout au moins une collaboration cordiale) avec les acteurs publics significatifs
pour chacun a pourtant joué un rôle déterminant, tant
au démarrage que pendant les phases s'ensuivant. Ce partenariat
ou cette collaboration doit cependant s'exprimer dans un climat d'équité
et de respect mutuel. De ce fait, je rejoins encore une fois Favreau
et Lévesque (1996) lorsqu'ils soulignent que :
"Intervenir, c'est prendre des risques, c'est aussi être capable
de respecter les règles du jeu quand il le faut, quitte à
se mobiliser pour construire d'autres règles. Dans une conjoncture
où les règle institutionnelles dominantes sont remises en
cause de part et d'autre, beaucoup d'initiatives naissent et se consolident
en dérogeant aux règles existantes. Ce faisant ces initiatives
contribuent parfois à favoriser l'atteinte de compromis qui permettent
la définition de nouvelles règles." (idem, pp. 157-158)
Il faut cependant rajouter que pour les quatre cas étudiés,
le rapport avec les pouvoirs publics fut toutefois facilité par
les conjonctures socio-politiques en place. Ainsi, le projet impliquant
les Somaliens a pu démarrer car le sujet de l'intégration
des immigrants était (et est toujours) «chaud» du côté
ontarien ; celui de la Popote roulante s'inscrivait bien dans la visée
du CLSC qui voit d'un bon oeil la «déprofessionnalisation»
du maintien à domicile (les bénévoles coûtent
bien moins cher que les auxiliaires familiales) ; les autorités
militaires devaient répondre aux pressions politiques les forçant
à mieux s'occuper des familles de leurs troupes ; et les initiatives
de DÉC tel le projet du quartier Jean-Dallaire ont la cote de popularité
du gouvernement actuel.
4. Facteurs de réussite
ou d'échec
Un point qui m'a frappé lors des discussions en grand groupe
était l'importance des appuis financiers publics comme facteur d'évaluation
pour les différentes interventions. J'étais resté
avec l'impression que, jusqu'à un certain point, la perception du
«succès» des initiatives d'économie sociale était
directement proportionnelle à leur degré «d'indépendance»
par rapport aux deniers publics. L'opuscule de Gauthier
(1996) m'a cependant fait réaliser qu'en pensant de cette façon
je tombais peut-être dans le piège du néo-libéralisme
car en fait :
"Dans le secteur privé, personne n'est gêné de
dire qu'il a eu tant de contrats du gouvernement et qu'il compte en avoir
tant dans les prochaines années. Mais on dirait que dans l'économie
sociale, on n'a pas le droit d'analyser notre marché de cette façon-là.
Pourtant, si nous ne rendions pas les services que nous rendons, quelqu'un
d'autre devrait le faire. Si c'était une entreprise privée,
l'État payerait le prix du marché. Quand il fait affaire
avec nous, il paie en dessous du prix. Nous pouvons miser sur le bénévolat
et l'implication du milieu, c'est vrai, mais il reste qu'il y a deux poids,
deux mesures dans la manière dont on traite les entreprises de l'économie
sociale. Il faut que cela change."
Il est par contre juste d'observer que certains éléments
ressortent cependant comme des facteurs significatifs contribuant à
la réussite ou à l'échec des interventions. Il est
de plus intéressant de constater que, dans la plupart des cas, la
disparition d'un facteur de réussite mènerait souvent à
l'échec mais que le contraire n'est pas nécessairement vrai.
Si on prend l'exemple du CRFM/RCN, la «richesse» de son financement
contribue grandement à son succès. Ainsi, si les autorités
militaires en venaient à interrompre leur appui financier, ils sonneraient
assurément le glas pour cet organisme. Par contre, même si
la «résistance» des auxiliaires familiales face aux
services de «maintien à domicile» prodigués par
la Popote roulante (la ½ heure que les bénévoles passent
auprès des personnes âgées est souvent la seule aide
de «maintien à domicile» qu'ils reçoivent) s'est
pratiquement estompée, la disparition de ce facteur potentiel d'échec,
par elle-même, n'assure pas le succès de la Popote.
D'autres facteurs de réussite ont également un certain
poids dans la balance du «succès» ou de «l'échec».
Ainsi, dans trois des quatre cas, l'opportunité de pouvoir compter
sur un ou des intervenants professionnels est certainement un élément
contribuant au succès pour ces organismes (CRFM, Jean-Dallaire et
projet Somalien). De la même façon, le fait que la demande
pour le programme/service soit issue du milieu même (Somaliens, Jean-Dallaire
et Popote) et non un programme «parachuté» (CRFM/RCN)
assure une implication importante du milieu, contribuant ainsi au succès
des programmes en place. À ce sujet on ne peut s'empêcher
de dresser un parallèle entre les CRFM et les CJE (Centres Jeunesse-Emploi)
car les deux concepts ont été «récupérés»
par les pouvoirs publics et implantés de façon «artificielle»
dans divers endroits.
De façon générale cependant, parmi les facteurs
contribuant au succès des diverses interventions, quelques éléments
reviennent souvent. Beauchamp (1995) l'a d'ailleurs
bien fait ressortir :
"L'empowerment, l'autonomie décisionnelle et le contrôle
sur sa vie, sont des questions qui ont été étudiées
plus souvent chez les individus, en psychologie communautaire, notamment,
que chez les collectivités. Pourtant les processus que nous supportons,
notamment à travers les groupes et tables de concertation dans le
quartier, tissent des apprentissages collectifs, et construisent des pouvoirs
collectifs qui sont aussi importants que les pouvoirs individuels. Les
uns construisent la possibilité de croissance des autres."
CONCLUSION
Puisque les groupes de discussion avaient été réunis
selon une certaine affinité entre les cas étudiés,
il est évident qu'il fut plus facile d'identifier les points communs
entre chacun que les différences marquées. J'ai cependant
trouvé que cet exercice de mise en commun des évaluations
a permis un retour nécessaire et un certain recul, afin de mettre
en perspective les expériences que nous avons vécues.
Les interventions communautaires s'inscrivant à l'intérieur
d'initiatives rattachées à la nouvelle économie sociale
(NÉS) ne datent pas d'hier, mais ce n'est que récemment qu'elles
peuvent aspirer à tenir le haut du pavé.
"C'est donc à tâtons, en utilisant des programmes qui
avaient été conçus dans une perspective transitoire
de simple tremplin vers le marché du travail... que les initiatives
communautaires ont vu le jour, qui pour donner à manger, qui pour
apprendre à chanter ou à utiliser un micro-ordinateur...
mais toutes pour redonner de l'espoir et du sens, alors que les «conditions
objectives» ne conduisaient nulle part." (Beauchamp,
1995)
La recherche sur le sujet est cependant encore jeune et plusieurs pistes
restent à explorer.
"Plusieurs facteurs expliquent la rareté d'évaluations
du développement économique communautaire. D'une part, ce
type de développement économique prend forme dans des communautés
différentes les unes des autres, ce qui rend ardue l'élaboration
de paramètres d'évaluation. D'autre part, les initiatives
inspirées par les principes du développement économique
communautaire sont jeunes. Par ailleurs, l'évaluation de telles
stratégies demande que l'on fasse l'hypothèse de ce qui serait
survenu dans ces communautés en leur absence." (Gouvernement
du Québec, 1996, p. 30)
LISTE DES RÉFÉRENCES
-
Dionne, H. (1996). L'autre développement
local et régional, Relations, no 624, pp. 244-246
-
Beauchamp, G. (1995). Du développement
local à l'économie solidaire, CLSC Hochelaga-Maisonneuve,
http://www.chc-ccs.org/solidaire/dev_local.html.
-
Favreau, L. et Lévesque, B. (1996).
Développement Économique Communautaire : Économie
sociale et intervention, Presses de l'Université du Québec,
Ste-Foy, 230 p.
-
Gauthier, P. (1996). Entrevue avec Nancy
Neamtan, http://www.cam.org/~pgauth/neamtan.html
-
Gouvernement du Québec (1996).
L'harmonisation des politiques de lutte contre l'exclusion, Conseil de
la santé et du bien-être, Québec, 79 p.
-
Mathieu R. et al. (1996). L'impact économique
et social du secteur communautaire dans quatre arrondissements de la ville
de Montréal, Montréal, LAREPPS, UQAM, 108 p.
Aller vers la page portant sur les PAE : .
. . . ou encore sur celle portant sur le psychosocial et le TS :
Retour à la page d'index .
. . . ou à la page d'