Une recension du livre de Bernard Vachon : "Le développement local : théorie et pratique"

par Doris Lavoie, octobre 1996

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

CONCLUSION

LISTE DES RÉFÉRENCES

INTRODUCTION

Depuis quelques années déjà, le "développement local" est devenu une sorte de mini-discipline en soi, apparentée par des liens hybrides au travail social, à la sociologie, à la géographie, à l'économie, etc. En publiant ce livre, Bernard Vachon, avec la collaboration de Francine Coallier, contribue en quelque sorte à y ajouter un certain droit de cité en y dressant un tableau intéressant de la question. Ce livre est donc non seulement informatif mais sa publication, ajoutée à d'autres sur le même thème, démontre que son sujet attire et peut intéresser un vaste auditoire.

L'auteur choisit donc de traiter de développement économique local en l'abordant sous quatre volets. On y retrouve premièrement une critique du modèle macro-économique dominant, suivi d'une analyse théorique des modèles de développement local. On y propose ensuite une approche méthodologique pour analyser de façon plus pratique les activités économiques locales et enfin, l'auteur termine par trois études de cas représentant des exemples de développement local endogène.

Pour les besoins de cet exercice, je ne me suis pas attardé à la première partie (la mise en situation macro-économique) car je me suis plutôt concentré à ne commenter que les trois autres. De façon générale, j'aborderai donc cette recension en examinant la position de l'auteur par rapport au thème central qu'est le développement local, tout en regardant les motivations derrière son cheminement. Je poursuivrai ensuite par un survol des idées maîtresses et des thèses avancées par l'auteur, pour terminer en jetant un regard critique sur son ouvrage.

1 - L'auteur et le contexte de l'ouvrage

Il est important de préciser en exorde que le livre est écrit du point de vue d'un géographe et qu'il se veut avant tout un manuel d'apprentissage. Le discours qui y est privilégié pourrait être qualifié de celui d'un humaniste pluraliste. Le contenu en est donc relativement aseptisé car l'auteur semble minimiser, en grande partie, les contextes politiques des projets de développement. Conçu dans un cadre quasi-didactique sous l'égide du Programme de développement des collectivités d'Emploi et Immigration Canada, ce volume est destiné aux praticiens intéressés par le développement local ainsi qu'aux étudiants et aux administrateurs locaux et régionaux.

L'ouvrage relève les problèmes engendrés par le système économique dominant. Ainsi il devient clair qu'on ne peut négliger le fait que la pauvreté comporte des coûts économiques très importants. D'ailleurs plusieurs indicatifs économiques viennent confirmer ces faits quand on considère qu'au Québec seulement sont dépensés "plus de 6 milliards de dollars en mesures d'assistance sociale et le même montant en prestations d'assurance chômage, ainsi qu'un minimum de 5 milliards en production non réalisée." (Blackburn, 1995, p. 163). Par contre, les coûts sociaux de cette situation sont tout aussi importants : perte d'emploi et d'identité professionnelle, désorganisation spatio-temporelle, perte d'estime de soi, ruptures familiales, dépendance envers l'aide sociale, etc. S'ajoutent également à ce phénomène la menace de disparition des municipalités rurales et la dégradation ou alors la gentrification des espaces urbains et des quartiers populaires où les plus démunis sont menacés d'exclusion. Une approche plus hétérodoxe est donc de mise si on veut sortir le Québec du marasme socio-économique qui l'attend au tournant du millénaire si rien n'est fait. De nouvelles pratiques et de nouvelles perspectives face à la survie des communautés doivent donc être contemplées :

C'est dans ce cadre socio-économique que le concept de développement local prend toute sa valeur en proposant un rapprochement des communautés à travers le rapatriement des pouvoirs vers les milieux touchés sous le couvert d'un contrat social solide entre tous les acteurs impliqués. Le terme développement local, peut d'ailleurs se définir comme : "projet visant la résolution de problèmes sociaux en misant sur une auto-organisation et un auto-développement des membres d'une communauté économiquement défavorisée" (Lavoie, Panet-Raymond, 1993, p. 36). Une approche de gestion à caractère holistique est donc de mise, car il faut tenir compte de tous les aspects entourant la communauté (géographiques, écologiques, politiques, sociaux, économiques, techniques, etc.) et traiter à la fois les causes et les symptômes.

2 - Les thèses de l'auteur

En examinant l'aspect théorique du développement local, l'auteur relève de juste façon qu'au cours des dernières années la croissance économique a beaucoup ralenti. De ce fait, on ne peut que constater que même si elle réussit à créer davantage de richesse, l'économie est essoufflée et elle ne réussit plus à créer des emplois de façon traditionnelle et en nombre adéquat pour suffire à la société. Il s'ensuit que l'on assiste à une montée de l'exclusion et à un élargissement de l'écart entre les revenus. Il faut donc se donner des moyens de maintenir les emplois actuels et d'en développer de nouveaux en privilégiant les initiatives communautaires et la création de PME et de TPE au niveau du secteur tertiaire entre autres ou dans des domaines d'utilité collective tels le maintien à domicile, l'environnement, la culture, etc.

En réponse à cette situation, M. Vachon propose donc une stratégie de développement local s'appuyant sur trois principes fondamentaux :

Cette emphase sur ces «micro-initiatives» est centrale à la thèse de l'auteur. Elle ne se fait cependant pas au détriment d'un certain équilibre au sein des communautés car l'auteur reconnaît également qu'il est très important pour que ces «micro-initiatives» puissent déboucher en des réalisations concrètes, qu'elles puissent bénéficier du support et de la concertation des acteurs socio-économiques du milieu. En d'autres mots le développement local se veut plus que la somme de plusieurs micro-initiatives individuelles. De ce fait, une approche concertée des principaux acteurs impliqués dans ces dernières, combinées au réseau formé par les autres partenaires du milieu, crée alors une force que l'auteur qualifie «d'endogène», parce qu'issue et appartenant au milieu, et pose ainsi les bases d'une stratégie de développement local intéressante.

Le facteur humain représente par ailleurs, selon l'auteur, un autre élément qui doit regagner ses lettres de noblesse. "Il faut savoir que le développement repose en permanence sur l'augmentation de la qualité des personnes et sur leurs aptitudes pour l'innovation" (p. 87). Enfin, il précise également qu'en plus de ces efforts «d'empowerment», le partenariat ainsi formé doit reposer de la même façon sur des bases d'égalité et de valeurs démocratiques.

Afin de favoriser la mise en oeuvre des objectifs établis plus tôt, il devient essentiel de s'assurer du concours synergique de tous les partenaires socio-économiques en cause. Cette concertation doit ainsi se réaliser à travers la création de nouvelles solidarités actives :

Dans la troisième partie de son ouvrage, l'auteur se penche sur des aspects plus pratiques du développement local. Il relève ainsi cinq caractéristiques importantes issues de l'expérience qu'il a accumulée au fil des situations qu'il a étudiées : Il poursuit par la suite en analysant les étapes nécessaires à un processus de développement local. J'ai de plus trouvé intéressant que l'auteur ait d'ailleurs choisi de présenter les parties plus «techniques» de sa réflexion sous forme de tableaux encadrés représentant des parenthèses intégrées au texte : le processus de revitalisation, le diagnostic, la formation des groupes leaders, les techniques de sensibilisation, les bénévoles et l'évaluation.

Dans la dernière partie l'auteur poursuit en présentant trois études de cas :

      "La mise sur pied ou l'expansion d'une entreprise locale, c'est plus qu'une petite richesse économique ; c'est peut-être trois emplois, trois familles de plus dans le village, une école qui ne ferme pas ses portes, un club de jeunes qui se forme, une clientèle assurée pour le magasin d'alimentation... C'est tout le tissu économique du village et de la micro-région qui renaît et se stabilise." (p. 288)
3 - Regard critique

Bien que le genre annoncé soit celui d'un travail de recherche, l'ouvrage se lit par endroits comme un programme. La structure est telle que le lecteur a parfois l'impression qu'il devrait s'accompagner d'un manuel d'exercices dans lequel il pourrait noter ses idées. Le style est par contre clair et facile d'accès. Les nombreux tableaux reproduits sont concis, faciles à comprendre et viennent adéquatement compléter le texte.

L'auteur résume bien les différentes dynamiques en place. L'ouvrage comporte cependant une lacune assez importante en ce qu'il ne fait pas suffisamment ressortir le rôle essentiel du ou des leaders du milieu au sein du processus. Par contre l'auteur propose un excellent plan d'action permettant de poser un diagnostic de la situation en place. C'est cependant au niveau des moyens concrets d'action que l'approche de l'auteur demeure faible. L'idée de présenter trois exemples sous forme d'étude de cas est excellente mais la façon de les exposer manque un peu de substance. D'ailleurs ces études de cas, bien que présentées de façon très structurée, semblent demeurer à un niveau très superficiel, comme si l'auteur n'avait que recensé des écrits sur le sujet sans se rendre sur les lieux pour interroger les vrais acteurs de ces projets. Le contenu laisse donc le lecteur sur sa faim car il est presque dénudé d'exemples d'initiatives spécifiques qui auraient pu «humaniser» cet ouvrage.

Une attention particulière est accordée à l'aide gouvernementale au sein du partenariat. L'auteur s'arrête par contre très peu au rôle spécifique de l'État et à la façon dont le développement économique local devient un couteau à double tranchant pour les acteurs sociaux touchés par l'aide sociale et menacés d'être «coupés» par les mécanismes actuels en place, qui ne sont pas étrangers à la crise générale de la «société du travail». M. Vachon semble également parler d'une panacée assez universelle, sorte de «communauté de bien-être» qui gravite autour du développement économique local, sans s'arrêter au fait que cela suppose en partie une redéfinition du rôle de l'État-providence et aussi de cette même «société de bien-être». "La sortie de la crise de l'État-providence, loin d'exiger plus de marché, demande au contraire l'émergence de dynamiques communautaires autonomes au sein de la population ; donc reconnaissance, mais non contrôle, du communautaire par l'État." (Caillouette J., 1992, p.117)

Il est évident que l'auteur ne pouvait traiter de toutes les initiatives de développement au Québec et qu'il a dû arrêter son choix sur des exemples précis. On sera déçu de ce que celui-ci n'ait cependant pas analysé les divers organismes de développement économique régional, à Montréal ou ailleurs, qui ont imposé à la table de négociation du partenariat un programme plus radical. Certes, il traite de groupes plus revendicateurs tels le Programme d'action-revitalisation Hochelaga-Maisonneuve (PAR H-M) ou le Regroupement pour la relance économique et sociale du Sud-Ouest de Montréal (RÉSO), mais le développement économique local forme un choeur qui regroupe beaucoup de voix divergentes. Le livre de M. Vachon aurait pu tenter de rendre justice à cette réalité.

Il est également surprenant de voir l'auteur négliger les points de vue d'autres auteurs québécois sur l'histoire du mouvement du développement économique communautaire au Québec et à Montréal. Dans une optique parallèle, disons que son analyse du partenariat (la démarche partenariale) n'aborde aucunement la question du pouvoir et la façon dont les modes de concertation locale légitiment souvent toute une série de mécanismes très contraignants où les intérêts divergents des citoyens locaux peuvent parfois prendre l'allure de chicane de clochers. À cet effet, un défi de taille doit alors être relevé car les conjonctures économiques contemporaines se présentent comme très contraignantes et le climat actuel se prête beaucoup plus aux coupures de programmes qu'au renforcement du système.

Le mérite véritable du livre «Le développement local : théorie et pratique» se situe surtout au niveau descriptif de l'intervention. Certains qui souhaiteraient une approche plus critique, seront déçus.

CONCLUSION

Cette approche trace la voie vers un processus d'action sociale engagé tel que l'entend le sociologue Guy Rocher (1962, p. 42) : "toute manière de penser, de sentir et d'agir dont l'orientation est structurée suivant des modèles qui sont collectifs, c'est-à-dire qui sont partagés par les membres d'une collectivité quelconque." M. Vachon laisse de plus transparaître le souhait d'établir une certaine stabilité normative plus humaniste parmi tous les acteurs sociaux en place. Je crois que des choix économiques et sociaux s'imposent et que les Québécois doivent relever d'importants défis collectifs qui devront se concrétiser par des approches alternatives centrées sur l'aspect humain du développement. Des valeurs de société comme le partenariat social et la solidarité active doivent primer sur l'individualisme et les préjugés controuvés actuels.

«Le développement local : théorie et pratique» devrait être un instrument utile dans un contexte d'apprentissage relié aux cours de développement économique communautaire. Il importe toutefois de compléter cette lecture par celle de textes qui situent les données présentées par M. Vachon dans un contexte critique élargi.

LISTE DES RÉFÉRENCES

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