par Doris Lavoie, février 1997
TABLE DES MATIÈRES
Depuis quelques années déjà, la santé mentale en milieu de travail est un sujet qui est présent dans la culture des différentes entreprises sans pour autant avoir la même signification pour toutes, ni faire l'objet d'un engagement réel de la part de tous les acteurs concernés. En publiant ce livre, Vézina et ses collaborateurs (1992) contribuent en quelque sorte à clarifier certains concepts et à rassembler dans un même ouvrage un pot-pourri de ce qui se fait présentement dans le domaine de la santé mentale en milieu de travail au Québec. Ils y dressent ainsi plusieurs tableaux intéressants et s'appliquent à faire le tour de la question en regardant surtout l'influence du milieu de travail sur la santé mentale des travailleurs. Ce document est donc non seulement informatif mais sa publication, ajoutée à d'autres sur le même thème, démontre que son sujet attire et peut intéresser un vaste auditoire.
Les auteurs choisissent donc de traiter du sujet en l'abordant sous trois grands volets. Dans la première partie, on y retrouve premièrement une description de cas typiques suivie d'une discussion théorique des impacts psychophysiologiques ou comportementaux possibles suite aux différentes formes de tension vécues au travail. Dans la deuxième partie les auteurs rapportent les résultats d'une recherche quantitative réalisée auprès d'un échantillon de travailleurs québécois et dressent alors une liste des indicateurs significatifs qui en ressortent. Cette partie examine également ce qui se fait au Québec en ce qui concerne la santé mentale au travail. Enfin cet ouvrage se termine en présentant quelques propositions de stratégies de prévention/promotion, applicables à différents niveaux, pour améliorer la situation en milieu de travail.
Pour les besoins de cet exercice, je me suis appliqué à produire un bref résumé sur chaque partie de cet ouvrage et je ne me suis attardé à critiquer que le chapitre 5 qui traite plus particulièrement de certaines réalisations québécoises dans le domaine.
1. Résumé du contenu selon l'ordre proposé dans le document
Il est important de préciser en exorde que cet ouvrage est en fait le résultat d'une requête du Comité de la Santé mentale du Québec commandée aux auteurs dans le cadre d'une importante série touchant à divers domaines de la santé mentale au Québec. Malgré ce fait, j'ai été agréablement surpris de constater la façon très terre à terre dont ce sujet d'apparence assez difficile est traité.
1.1 L'origine des problèmes de santé mentale au travail
Le premier chapitre traite plus de différentes situations en milieu de travail comportant un caractère pathogène. L'approche utilisée est de nature descriptive et situe d'emblée le lecteur par des exemples simples et typiques de la situation examinée. Les exposés font ainsi le point autour de six situations problématiques qui peuvent avoir des répercussions sur la santé mentale des travailleurs :
Comme Vézina et al. (1992, p. 8) le font remarquer, la sévérité des réactions augmente selon les phases. On retrouve donc dans la phase I des réactions qui sont la réponse physiologique ou comportementale aux facteurs de risque en place. Ces réactions servent de mécanismes de défense face à ces risques. La phase II amène l'apparition de pathologies mais qui sont réversibles lorsque l'individu demande de l'aide des services de santé ou des services sociaux. La phase III par contre peut entraîner une incapacité importante, laisser des séquelles graves ou même causer la mort.
Ces réactions physiologiques ou comportementales sont décrites en détail dans le livre de Vézina et al. pour chacun des cas étudiés. Elles varient donc selon le genre de risque auquel le travailleur est exposé, de même que la durée et la sévérité de l'exposition. Un autre facteur très important permet de composer avec ces facteurs de risque : les facteurs de protection. En milieu de travail les auteurs ont identifié deux principaux éléments permettant aux travailleurs touchés de composer avec la tension psychique ainsi engendrée : la présence d'autonomie décisionnelle (développement des habiletés et pouvoir décisionnel accru) et la qualité du soutien social (entraide avec les collègues et reconnaissance du milieu).
Le deuxième chapitre décrit ensuite les éléments extérieurs au travail même qui peuvent influer sur la santé mentale des individus. À ce sujet, les auteurs identifient trois aspects à examiner :
Dans cette partie, les auteurs rapportent les résultats d'une recherche quantitative réalisée auprès d'un échantillon de travailleurs québécois et dressent alors une liste des indicateurs significatifs qui en ressortent : indice de détresse psychologique, échelle de bien-être psychologique et indice globale de santé mentale. L'enquête a donc permis d'identifier certains secteurs d'activité où «il semblait y avoir une prévalence accrue des situations de travail pathogènes» (Vézina et al, ibid, p. 88). En fait, selon des études américaines (Karasek et Theorell, 1990), plus du tiers de l'absentéisme au travail, relié à des problèmes de santé mentale, serait directement imputable au milieu de travail même et pourrait ainsi être prévenu. Les résultats de l'enquête de Santé-Québec (ESQ, 1988) révèlent que les problèmes de santé mentale causent près de 30% des journées d'absence au travail. Cela signifie donc que l'implantation de programmes préventifs efficace en milieu de travail pourrait faire épargner plus de $145 millions par année dans ce domaine aux entreprises québécoises, sans compter les pertes reliées à la baisse de productivité et aux coûts de formation dus au haut taux de roulement des employés.
Le deuxième chapitre de cette partie (le chapitre 5) examine enfin ce qui se fait au Québec afin de prévenir ou diminuer les problèmes reliés à la santé mentale au travail. J'y reviendrai plus loin car c'est le chapitre de cet ouvrage que j'ai décidé de critiquer plus en détail.
1.3 Les orientations et les propositions
Afin d'apporter quelques éléments de réponse à certaines situations problématiques en milieu de travail, exposées au premier chapitre de leur ouvrage (travail en miettes, surcharge administrative et travail en relation d'aide), les auteurs proposent alors quelques propositions de stratégies de prévention/promotion, applicables à différents niveaux, pour améliorer la situation en milieu de travail :
Les auteurs concluent enfin en constatant qu'en matière de santé mentale au travail, les entreprises ont tout intérêt à s'en préoccuper tant en ce qui concerne le respect qu'ils doivent à leurs employés qu'à celui du souci d'améliorer leur productivité et leur compétitivité. À ce titre les orientations proposées sont destinées de façon globale à transformer les rapports sociaux entre tous les acteurs mentionnés plus haut pour en faire de réels partenaires.
2. Regard critique sur le 5e chapitre : Une description des réalisations québécoises
Les premiers chapitres ont relevé de multiples problèmes engendrés par les milieux de travail déficients. Il devient clair qu'on ne peut négliger le fait que certains milieux contribuent à engendrer des coûts sociaux très importants : dépression, assuétude, perte d'emploi et d'identité professionnelle, désorganisation spatio-temporelle, perte d'estime de soi, ruptures familiales, dépendance envers les services sociaux ou de santé, etc...
Ce chapitre fait donc le point sur les réalisations québécoises en milieu de travail afin de prévenir ou diminuer les problèmes de santé mentale engendrés par des environnements de travail à risque. Je trouve cependant surprenant que les auteurs débutent la description de ces réalisations en discutant des mérites des PAE (programmes d'aide aux employés) en place dans plusieurs entreprises québécoises. Il est vrai que dans la pratique certains employés vont s'adresser au PAE pour résoudre certains problèmes directement reliés au travail mais ils représentent cependant une minorité. Les auteurs le reconnaissent cependant : «ces programmes visent à adapter les individus à leur travail et ne tentent guère d'analyser les conditions de travail qui pourraient être à la source des problèmes.» (p. 98)
Rockhurst Consulting Group Inc (1993) ont d'ailleurs réalisé une étude pour le compte du MDN (ministère de la Défense nationale), qui a mesuré auprès de 1512 employés quelles avaient été leurs sources de préoccupation et d'inquiétude au cours des cinq dernières années. Il est intéressant de constater que les situations directement reliées au travail (conflit avec le surveillant ou un collègue, satisfaction professionnelle et sécurité d'emploi) viennent au premier rang parmi la population en général qui n'a pas nécessairement fait appel au PAE par le passé. Par contre, quand on regarde plus spécifiquement les «aidés» par le PAE (103 répondants), à part les conflits avec le surveillant qui sont aussi très présents, les problèmes de nature plus «personnelle» et non reliés au travail même se démarquent facilement (problème émotionnel ou social, problème conjugal, difficultés avec les enfants). Cette étude confirme donc que le PAE ne joue un rôle que très secondaire en ce qui concerne les facteurs de risques directement reliés au milieu du travail. De ce point de vue, les auteurs s'écartent un peu de la mission essentielle des PAE qui est de s'occuper de problèmes de nature personnelle qui ont des répercussions sur le rendement ou la santé mentale ou physique des employés et non de ceux reliés au milieu de travail même.
Par contre, il est primordial si on veut maximiser la portée de la prévention sociale de promouvoir un paradigme pourtant évident : si les milieux de travail eux-mêmes sont responsables de plus du tiers de la détérioration de la santé mentale des travailleurs, il est important de remonter à la source de cet état de fait et d'intervenir de façon préventive afin de changer les conditions favorisant l'éclosion et le développement de cette détérioration. Les auteurs relèvent d'ailleurs avec justesse le rôle des syndicats dans la lutte pour la revendication de meilleures conditions de travail. À ce titre, ce rôle touche également à des domaines à caractère plus préventif comme la formation de leurs membres afin qu'ils soient en mesure d'identifier ces conditions dangereuses et de faire reconnaître leurs droits pour que des mesures correctives soient prises. Les syndicats donnent également du soutien juridique et de l'information sur des sujets tels : l'épuisement professionnel, le stress, la consommation de drogues et d'alcool, etc.
Vézina et ses collaborateurs soulignent également la contribution de la CSST en matière de santé au travail, bien qu'elle n'ait pas encore de «politique d'indemnisation pour les lésions liées aux aspects psychosociaux en santé au travail et à l'atteinte de l'état psychique des travailleurs» (p. 108) Les auteurs mentionnent également les services offerts par le réseau public de la santé (évaluation de milieu, information, etc.) et l'apport stratégique au niveau de la recherche dans le domaine apporté par l'IRSST.
Je trouve cependant déplorable que les auteurs taisent complètement les efforts entrepris dans l'industrie en général pour améliorer les conditions de travail. Je crois qu'il aurait été intéressant d'examiner plusieurs expériences en cours dans certaines entreprises québécoises au niveau du télé-travail, des cercles de qualité, de la gestion participative, des horaires flexibles, du partage des tâches de travail, etc. À ce titre les auteurs me semblent avoir légèrement manqué de perspective en ne touchant qu'aux PAE, aux syndicats et aux organismes publics. Certains qui souhaiteraient une approche plus étoffée, seront déçus.
L'approche préconisée par Vézina et al trace la voie vers un processus de prévention et d'action sociale engagé tel que l'entend le sociologue Guy Rocher (1962, p. 42) : "toute manière de penser, de sentir et d'agir dont l'orientation est structurée suivant des modèles qui sont collectifs, c'est-à-dire qui sont partagés par les membres d'une collectivité quelconque."
Le ton général de l'ouvrage est cependant inégal. Certains chapitres sont bien appuyés par une réflexion théorique tandis que d'autres semblent demeurer à un niveau très superficiel, comme si l'auteur n'avait que conduit ses recherches sans approfondir le thème traité. D'ailleurs, la partie que j'ai plus précisément critiquée (le chapitre 5) comportait des lacunes assez importantes en ce qu'elle ne faisait pas suffisamment ressortir les réalisations relatives aux nouvelles approches de gestion en milieu de travail. Ces nouvelles initiatives sont pourtant appelées, à mon sens, à jouer un rôle essentiel au niveau de la prévention au sein de ce milieu. Le contenu laisse donc le lecteur quelque peu sur sa faim.
La lecture de la première partie de cet ouvrage m'a toutefois permis de faire le point sur plusieurs situations problématiques spécifiques au milieu du travail. Le véritable mérite du livre «Pour donner un sens au travail : Bilan et orientations du Québec en santé mentale au travail» se situe surtout d'ailleurs au niveau de la vulgarisation de l'aspect «médical» ou «psychopathologique» des conséquences sur la santé mentale des facteurs de risque en milieu de travail.