(2) Cadre
problématique et questionnement
( 4) Enjeu, intérêt philosophique
(5) Plan du texte, principales
articulations
(6) Introduction de la
1ère partie (idée générale + idées secondaires)
(7) Explication 1ère idée secondaire
(8) Analyse de la notion de
conscience et de « conscience animale ». Etudier les concepts
importants du texte
(9) 2ème idée secondaire du texte.
(10) Conclusion brève sur la 1ère partie du texte (bilan de
l’étude + annonce de la partie suivante). Nécessité d’expliciter la structure
argumentative du texte, le lien entre les idées.
(11) Introduction de la 2ème partie du texte (idée générale + idées
secondaires)
(12) 1ère idée secondaire
(13) 2ème idée secondaire
(14) Etre attentif à la lettre du
texte, aux termes utilisés.
(15) Analyser les expressions
importantes, énigmatiques, répétées ; étudier le champ sémantique et
métaphorique. Nécessité de citer régulièrement le texte.
(16) Conclusion de la 2ème partie du texte (bilan + annonce
de la troisième et dernière partie)
(17) Introduction de la dernière partie du texte.
(18) Nécessité de citer régulièrement
le texte
(19) La liberté humaine selon
Bergson : explication de cette notion centrale de la dernière phrase du
texte
(20) La dernière phrase est très
suggestive et nous invite, dans la partie réflexive, à méditer sur la
conception de l’homme et de la conscience que propose Bergson.
(21) Brève conclusion sur la partie explicative.
(22) Courte introduction annonçant la partie réflexive et
présentant les différents aspects de l’intérêt philosophique (ici, trois aspects importants donnant lieu
à trois parties distinctes).
(23) 1er intérêt du texte : la
« naturalisation » de la conscience et la rupture avec
l’explication cartésienne de l’animal-machine.
(24) 2ème intérêt du texte : la spécificité de la
conscience humaine, esquisse d’une philosophie de la culture et de la
discontinuité nature/culture.
(25) 3ème intérêt du texte : ses limites, ses
obscurités ; partie critique.
(26) Jugement nuancé sur le problème et la
solution apportée. Dégager la nature de la solution fournie en ce qui
concerne le problème principal.
|
INTRODUCTION
Haut de la page
Ces lignes de Bergson
s’interrogent sur la spécificité de l’homme au regard de l’animal (1). Qu’est-ce qui, en effet, nous distingue de nos
« frères inférieurs » (l’expression est d’Edgar Morin dans Le paradigme perdu : la nature
humaine) ? Contrairement à la thèse habituelle qui ne reconnaît de
conscience qu’à l’homme, Bergson admet de façon quelque peu paradoxale
l’existence d’une « conscience animale ». Or, en quoi consiste
cette dernière ? Est-elle de même nature que la conscience humaine ou
bien convient-il d’établir une opposition entre conscience animale et
conscience humaine ? La première hypothèse semble postuler une
continuité entre l’homme et l’animal, tandis que la seconde insiste sur la
discontinuité radicale entre le monde de la nature et celui de l’homme. (2)
En réalité, Bergson
déplace le point de rupture entre animalité et humanité, en suggérant que ce
qui caractérise l’homme n’est pas la conscience en tant que telle, mais la
conscience libre qui ne peut se manifester chez l’animal en raison de sa
dépendance à l’égard de l’espèce. De sorte que la conscience est synonyme de
liberté pour l’homme seul (3).
L’originalité de ce texte consiste donc dans l’élaboration du concept de
« conscience animale ». Que signifie-t-il exactement ? Peut-on
véritablement parler de conscience pour un animal ? La conscience
humaine est-elle vraiment synonyme de liberté ? C’est donc autour de
la valeur et des limites de ce concept de « conscience
animale » que nous allons organiser notre réflexion sur la thèse de
Bergson (4).
Ce texte s’articule autour de
trois idées importantes. Bergson souligne d’abord que la conscience est
puissance de choix (« Radicale…liberté »). Il montre ensuite que la
conscience animale, si elle est capable de choix, n’en demeure pas moins fort
limitée quant à ses possibilités d’invention (« Or, chez
l'animal…allonger »). Le texte se termine sur l’idée directrice :
la conscience humaine, et elle seule, est liberté (5).
*
PARTIE EXPLICATIVE
Haut de la page
La première partie du
texte élabore le concept paradoxal de « conscience animale » et
tente de définir les caractéristiques de la conscience en général, afin de
comprendre ce qui spécifie l’homme parmi les êtres vivants, les animaux
notamment. Bergson part, en premier lieu, d’une proposition générale :
entre la « conscience animale » et la conscience humaine existent
une opposition radicale, une discontinuité, qui interdisent qu’on les
confonde (« Radicale…humaine »). Puis le philosophe justifie,
explicite, cette affirmation : la conscience a pour corollaire la
liberté, l’invention, le choix (« Car la conscience…liberté ») (6).
Haut
de la page
Si Bergson admet
l’existence d’une « conscience animale », expression énigmatique
s’il en est, il affirme néanmoins que « radicale est la différence entre
la conscience de l'animal, même le plus intelligent, et la conscience
humaine ». Comment comprendre ce paradoxe ? (7)
Haut
de la page
Ce texte est dès l’abord
surprenant, en ce qu’il évoque la conscience de l’animal : évocation
inhabituelle et à contre-courant de toute une tradition philosophique qui
réserve à l’homme la qualité d’être conscient. De sorte que l’homme et
l’animal auraient en commun la conscience, entendue, non point comme
connaissance ou sentiment qu’un sujet possède de lui-même (sens psychologique
ou intellectuel), mais comme « puissance de choix dont l'être vivant
dispose ». Qu’est-ce à dire ? La conscience a une fonction
biologique d’adaptation dans la mesure où, dans une situation donnée, les
éléments considérés ouvrent la possibilité d’une action. Cette action,
lorsqu’elle est opérée, apparaît alors comme privilégiée par rapport à d’autres
actions possibles. Que faut-il entendre par conscience selon Bergson ?
L’ensemble des représentations d’action possible. Il s’agit là sans conteste
de ce qu’on pourrait appeler la conscience immédiate ou spontanée puisque la
conscience semble coextensive à la vie. Ce premier degré de la conscience se
caractérise par la sensibilité, la possibilité d’autodétermination, de choix,
une certaine indétermination dans le comportement. Cette conscience remplit
donc une fonction biologique majeure : la conservation et la défense vitale. (8)
Cette hypothèse est renforcée par
la deuxième phrase du texte où Bergson nous indique qu’à côté ou autour de ce
qui est fait, il existe « une frange d’action possible ».
Cette « frange », ou marge d’indétermination, qui autorise
l’être vivant à adapter son comportement par rapport aux situations, est
perçue ou conçue plus ou moins confusément ; mais elle signifie que la
réponse apportée à la situation n’est pas entièrement déterminée par cette
dernière. On pourrait même préciser que cette capacité d’autodétermination
que rend possible la conscience, fût - elle animale, ne soumet pas
implacablement l’animal aux lois de l’instinct. (9)
Haut de la page
En effet, la conscience est
« synonyme d'invention et de liberté ». « Invention » car
l’action promue par un être n’est pas la simple conséquence mécanique des
données : elle ajoute quelque chose à ces dernières.
« Liberté » car, dès lors que plusieurs actions sont possibles, il
y a intervention nécessaire d’un choix qui n’en réalisera qu’une, et là où se
propose un choix authentique, on admet l’absence d’un déterminisme strict,
c’est-à-dire l’intervention d’une liberté (10). Qu’est, en somme, la liberté pour Bergson ? La
possibilité de choisir, d’opter pour une direction, une possibilité au sein
d’une pluralité d’orientations possibles. Bergson ne définit pas la liberté
comme étant une absence de contraintes, une capacité radicale de s’abstraire
des déterminations, mais comme une marge d’indétermination, un pouvoir de
choix, d’arrachement, de refus. Ce pouvoir est lui-même rendu possible par la
nature puisque c’est ce que les hommes et les animaux ont en commun.
Au total, ce premier mouvement du
texte élabore le concept de « conscience animale » : les
hommes, en tant qu’êtres vivants, partageraient avec les animaux les
caractéristiques de toute conscience : l’invention et la liberté. Cette
« conscience animale » constitue le premier degré de la conscience,
le plus élémentaire, le plus fruste, celui où l’être vivant, par nécessité
biologique, a le sentiment d’exister, s’adapte au milieu et, pour ce faire,
apporte des solutions inédites, originales, aux contraintes extérieures. De
sorte que l’animal, contrairement à la vision habituelle ou commune, ne
serait pas un pur automate soumis à la rigidité de l’instinct. Mais est-ce à
dire que la conscience humaine se réduit à cette « conscience
animale » et qu’entre l’humanité et la nature n’existe qu’une simple
continuité ? Ne faut-il pas relativiser la capacité de liberté et
d’invention de l’animal, de sorte que seule la conscience humaine serait
véritablement une conscience libre ? C’est ce que tente de comprendre la
deuxième partie importante du texte. (10)
*
Le deuxième mouvement du texte
(« Or, chez l'animal…allonger ») montre que la conscience animale,
si elle est capable de choix, n’en demeure pas moins fort limitée quant à ses
possibilités d’invention. Ce passage, le plus long du texte, entend définir
ce qui spécifie véritablement l’homme, en soulignant la différence qui le
sépare du monde animal. Bergson nuance d’abord le pouvoir d’indétermination
que possède l’animal (« Or…routine »). En réalité, même si
l’animal n’est pas tout à fait inféodé aux lois de l’instinct, il reste néanmoins
dépendant de son espèce (« Enfermé…allonger »). (11)
Haut de la page
Le philosophe nous a expliqué, en
premier lieu, que même l’animal est capable de ces choix et de ces inventions
qui marquent toute conscience. Toutefois, son invention, précise Bergson,
n’est rien de plus « qu’une variation sur le thème de la routine ».
Que signifie cette belle expression ? Le terme de
« variation » indique que la possibilité dont dispose l’animal d’inventer
sa réponse est fort limitée : c’est autour d’une réponse en quelque
sorte préformée que l’animal ajoute « individuellement » de légères
variantes. Cette initiative préformée serait précisément celle de l’instinct
qui autorise certes, nous l’avons vu, une marge d’indétermination, mais qui
n’en continue pas moins à circonscrire rigoureusement le périmètre de la
liberté animale. Comment mieux comprendre cette phrase quelque peu sibylline
de Bergson ? (12)
Haut de la page
La précision nous est apportée par
le philosophe lui-même dans la deuxième phrase de cette seconde grande partie
du texte. En effet, le principal de la réponse, de la liberté, de
l’invention, du choix, est imposé à l’animal par les « habitudes de
l’espèce » à laquelle il appartient, par ce qu’on appelle ordinairement
l’instinct . Que désigne l’instinct ? Un comportement transmis
héréditairement et caractérise par un savoir-faire inné. Par
« espèce », il faut entendre, au sens biologique du terme, un
élément de la classification, savoir un groupe d’êtres vivants caractérisé
par un type commun, bien défini et héréditaire (par exemple, l’espèce
humaine). (13)
Haut de la page
Ainsi, à chaque animal, membre
nécessairement d’une espèce (chien, chat…), Bergson attribue-t-il une
certaine « initiative individuelle », expression qui renvoie au
développement de la première partie du texte concernant la possibilité
d’invention dont disposerait l’animal. Capacité toute relative dont les
effets ne sont guère considérables : cette « initiative
individuelle », qui autorise une certaine souplesse par rapport aux
contraintes de l’espèce et qui est au fondement du processus biologique de
l’individuation (principe de distinction entre deux individus de la même espèce
rendant possible la constitution d’un corps vivant anatomiquement isolé et
autonome du point de vue fonctionnel), « élargit » la réponse
instinctive, mais ne s’en détache pas totalement. Le verbe
« élargir » indique une autonomie relative, et bien circonscrite,
un champ délimité par les rigueurs de l’espèce et de l’instinct. De sorte que
la réponse est, au mieux, adaptée aux caractères particuliers d’une
situation, mais le principal de ce qui la constitue demeure inchangé. (14)
Bergson affirme, par conséquent, que l’animal est comme prisonnier
(« enfermé ») des lois de l’espèce. L’auteur file abondamment cette
métaphore de la prison, témoin la profusion des termes relatifs à la
privation de liberté : « routine » (mot qui suggère
l’automatisme, l’habitude stérile, la répétition, la monotonie de l’action),
« habitudes », « portes de sa prison »,
« refermer », « chaîne »…Ce champ sémantique de
l’emprisonnement dénote par rapport à l’enthousiasme de la première partie
qui insiste sur les notions d’invention et de liberté, et tempère l’originalité et le caractère paradoxal du
concept de « conscience animale ». Que conclure, sinon que l’animal
n’échappe à l’automatisme provenant de son hérédité « que pour un
instant ». (15) Cette
restriction temporelle renforce l’idée de dépendance évoquée
précédemment : non seulement l’animal retombe aussitôt dans cet
« automatisme » (notion synonyme ici d’instinct), mais la variante
qu’il a introduite dans sa réponse risque de ne rien faire apparaître d’autre
qu’un « automatisme nouveau » ; elle devient vite obligatoire
et interdit en conséquence toute autre invention ultérieure.
D’automatisme en automatisme,
l’animal ne sort donc pas des bornes étroites de l’instinct et de l’espèce,
même si une certaine autodétermination est rendue possible par ce même
instinct. La liberté animale est fort limitée, ce qui distingue radicalement
la conscience humaine de la conscience animale. Cette deuxième partie du
texte insiste sur la discontinuité entre le monde de la nature et celui de
l’homme, et nous rappelle que si la conscience est coextensive à la vie, l’apparition au sein de la nature de la
conscience humaine introduit une rupture radicale et définitive. La dernière
ligne du texte fait office de conclusion et précise ce qui caractérise la
conscience humaine. (16)
*
Le texte s’achève sur un éloge bref
et éloquent de la liberté humaine (« Avec l’homme…libère »). Ce
passage final contraste fortement sur le plan sémantique avec les lignes
précédentes : les termes évoquant la liberté sont légion
(« briser », « libérer ») et l’adverbe
« seulement », qui indique une restriction forte, renforce cette
idée d’une spécificité de l’homme au regard des autres créatures vivantes. (17)
Haut de la page
Contrairement à la conscience de
l’animal, qui ne réussit qu’à « allonger la chaîne » (18) le liant aux autres représentants de son espèce,
celle de l’homme « brise » cette même chaîne. Le verbe briser
signifie qu’il s’agit d’une rupture brutale, radicale, d’une discontinuité
entre la marge d’indétermination de l’animal et la liberté humaine, de sorte
que le concept de liberté serait un concept très élaboré, une définition
riche de l’homme et non la simple capacité à prendre ses distances par
rapport à l’instinct. Il y aurait une liberté authentique, celle de l’homme,
et une liberté fruste, celle de l’animal. C’est dire que l’individu humain se
démarque de l’animal en ce sens qu’il est seul responsable de son invention.
Autrement dit, alors que chez l’animal l’espèce prime sur l’individu,
l’humanité se définit précisément par cette primauté ou précellence de
l’individu sur l’espèce. Dès lors, l’individu humain n’est pas déterminé par
une hérédité mais met librement au point des solutions radicalement nouvelles
aux problèmes qu'il rencontre.
Ainsi, « chez l’homme, et chez
l’homme seulement, elle (la conscience) se libère ». La conscience est
synonyme de liberté pour l’homme seul. Telle est l’idée directrice de Bergson
dans ce texte à laquelle il aboutit et qui constitue en quelque sorte la
conclusion logique des démonstrations précédentes. Notons que la liberté est
saisie dans ce passage, et dans tout le texte d’ailleurs, à un niveau
anthropologique. La liberté signifie ici l’absence de déterminismes par
rapport à l’ordre des choses données et des situations naturelles, mais aussi
relativement à toute transmission biologique d’un acquis antérieur. (19)
Ce texte s’achève sur
une analyse féconde et très suggestive. Ce qui est à l’horizon de
l’opposition définie par Bergson entre conscience animale et conscience
humaine, c’est, en somme, la possibilité, pour l’homme, d’une véritable
élaboration culturelle, à l’intérieur de laquelle se réalise la liberté
humaine. Parce qu’elle est détachée de la « routine » de l’instinct
et de l’hérédité, la culture peut ainsi définir des conditions de vie
toujours nouvelles pour l’homme. Elle introduit l’homme dans un monde qui n’a
plus grand chose à voir avec celui de la nature et qui fait de l’homme un
animal tout à fait singulier dans le règne du vivant. La fin de ce texte
suggère que la culture est finalement la vraie nature de l’homme, qu’elle est
à la fois le résultat historique et la condition de la liberté. (20)
Ce texte de
Bergson nous permet donc de comprendre trois idées importantes : la
conscience, coextensive à la vie, qu’elle soit animale ou humaine, est une
authentique puissance de choix. L’animal, en revanche, n’échappe pas vraiment
à l’automatisme de l’instinct et à la rigidité de l’espèce, de sorte que sa
« frange d’action possible » s’avère fort limitée. La différence
« radicale » entre les deux consciences réside dans la liberté que
seul l’homme possède, si l’on entend par liberté la capacité d’une véritable élaboration
culturelle et émancipation par rapport à l’ordre de la nature. (21) Quel est alors l’intérêt philosophique de ce
texte ?
*
PARTIE REFLEXIVE
Haut de la page
*
La définition
anthropologique que donne Bergson de la conscience humaine est riche de
prolongements et de perspectives théoriques et pratiques. Ce texte nous
invite d’abord à penser la conscience comme un phénomène coextensif à la vie,
comme l’expression la plus riche de l’élan vital créateur, et non comme la
seule spécificité de l’homme, prenant ainsi à rebours toute une tradition
philosophique (I) . Il nous permet ensuite de mieux comprendre la
spécificité de l’homme et le passage du monde de l’animal à celui de la
culture (II) . Néanmoins,
ces lignes laissent, parfois, le lecteur perplexe : est-ce vraiment la
liberté qui caractérise l’homme et sa conscience ? (III) . Examinons successivement ces trois points. (22)
Haut
de la page
Le premier
intérêt philosophique de ce texte de Bergson est de restituer au phénomène de
la conscience sa dimension naturelle, anticipant les travaux contemporains en
matière d’éthologie. C’est ce que nous suggère le concept de « conscience
animale ». La philosophie classique réserve généralement la faculté de
la conscience à l’homme. Ainsi, selon Descartes, les animaux
appartiennent-ils à la catégorie des automates ; ils ne parlent pas et
leur parole, quand elle a lieu par mimétisme, n’est pas un langage, mais
l’effet d’une machinerie sans âme ni signification : « Je sais bien
que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m'en étonne
pas, car cela sert même à prouver qu'elles agissent naturellement et par
ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est
que notre jugement ne nous l'enseigne » (Descartes, Correspondance IV, juillet 1643-avril 1647). (23)
Or, selon Bergson, la
conscience n’est pas une propriété de l’homme mais s’avère « coextensive
à la vie », de sorte que tout ce qui est vivant peut être conscient. La
conscience est alors, en son plus bas degré, la faculté de choisir,
c’est-à-dire « de répondre à une excitation déterminée par des
mouvements plus ou moins imprévus » (Bergson, La conscience et la vie, in L’énergie
spirituelle). Capacité de se décider grâce à la rétention du passé et à
l’anticipation de l’avenir, la conscience « animale » est liée au
mouvement même de la vie par opposition à la matière qui se caractérise par
l’inertie, la géométrie, la nécessité. Bergson parle de « l'élan
vital » pour désigner un processus créateur imprévisible, un courant
traversant les corps qu’il organise ; l’élan vital est invention de
formes de plus en plus complexes, un mouvement permanent pour remonter la
pente que descend la matière.
Haut
de la page
On est alors proche
des études récentes qui montrent que l’animal n’est pas cet automate
aveuglément soumis à la rigidité de l’instinct : les éthologues, les
psychologues nous expliquent de plus en plus que les comportements des
animaux résultent d’apprentissages plus ou moins longs et sont organisés
selon des règles permettant flexibilité et capacité d’adaptation ; ils
sont doués d’intelligence, de certaines formes d’intentionnalité, d’une
reconnaissance de soi, voire d’une culture embryonnaire. Faculté biologique
d’adaptation et de conservation éclairant ce qui est utile à connaître, la
conscience est donc une propriété de la vie et du vivant, non une spécificité
de l’homme.
Mais le deuxième
intérêt de ce texte est de souligner qu’il n’y a pas pour autant continuité
entre l’homme et l’animal et que la conscience humaine ne saurait se réduire
à cette conscience immédiate ou spontanée qui s’apparenterait davantage à un
sentiment plus ou moins confus qu’à un savoir ou une représentation de soi et
du monde. Si on peut tenir « la conscience
animale » pour la forme la plus primitive de la conscience, on peut
aussi considérer que ce sentiment n’est que le seuil de la conscience, ce qui
la précède sans se confondre avec elle. Il ne caractériserait pas vraiment ce
qu’est un être doué de conscience et de langage, savoir la liberté. (24)
Bergson reprend ici les intuitions
les plus profondes de la pensée des Lumières qui fait de la liberté l’essence
même de l’humanité. Ainsi Rousseau conçoit-il l’homme comme perfectibilité,
indétermination ; son humanité réside dans sa liberté, dans le fait
qu’il n’a pas de définition, que sa nature est de ne pas avoir de nature,
mais de posséder la capacité de s’arracher à tout code où l’on prétendrait
l’emprisonner : « la nature lui est si peu un guide qu’il s'en
écarte parfois au point de perdre la vie…Voyant le bien, il peut choisir le
pire : telle est la formule de cet être d'anti-nature » (Luc Ferry,
Le nouvel ordre écologique). On
comprend alors pourquoi Sartre considère la liberté humaine comme étant la
propriété essentielle de la conscience, ce pouvoir infini de nier toute
détermination, de donner un sens aux choses et au monde, de se tourner vers
les possibles, d’être toujours en projet.
Haut
de la page
D’où la nécessité de mettre en
évidence la discontinuité entre l’homme et l’animal. Bergson esquisse ici une
philosophie de la culture, si l’on entend par culture la possibilité
naturelle que possède l’homme d’élaborer sa propre réalité à l’intérieur de
laquelle se réalise sa liberté. L’humain est la dernière étape de l’élan
vital qui se traduit au plus haut point dans la société, dans la morale et
dans la religion.
Cette conception de l’homme et
de sa conscience est-elle pour autant vraiment convaincante ?
N’aboutit-elle pas à une sorte de sacralisation de l’homme qui représenterait
le parachèvement de l’élan vital ? Ce texte ne nous dit pas, en tout
cas, comment s’effectue réellement le passage de la nature à la liberté et en
quoi la conscience humaine émerge de la conscience animale. Bergson ne fait
ici que constater une différence qu’il interprète dans le sens de la
discontinuité et ne nous explique pas comment la nature a pu créer cet être
d’anti-nature qu’est l’homme. Comment, en somme, la conscience, la liberté
sont-elles des produits ou des effets de la nature elle-même ? (25)
La culture ne fait-elle pas
partie, en effet, de la nature ? Un être culturel, n’est-ce pas un être
naturel transformé, de sorte qu’il y a à la fois continuité biologique entre
l’homme et la nature, et discontinuité historique que la culture, sans pour
autant sortir de la nature, introduit. La culture fonctionne comme une
“anti-nature” que la nature produit par l’évolution et qui la transforme par
la civilisation. L’homme est un être d’antinature parce qu’il y a, dans sa
nature, quelque chose qui le prédispose à cela. L’homme est cette espèce
biologique (Homo sapiens) et sociale (l’humanité) qui se dresse contre la
nature qui la produit et la contient. On peut alors comprendre la liberté
humaine, comme une marge d’indétermination, un pouvoir de choix,
d’arrachement, de refus. Ce pouvoir est lui-même rendu possible par la
nature, la sélection naturelle. Des individus jouissant d’une marge accrue
d’indétermination, quoique génétiquement déterminée, auraient davantage de
chances, dans la lutte pour la vie, de vaincre, de se reproduire, de
s’adapter. De sorte que la liberté serait un avantage sélectif : nous serions
libres grâce à la nature.
Gardons-nous cependant de faire
grief à Bergson d’une vision idéaliste de l’humanité. Si ce court extrait ne
répond pas aux interrogations que nous venons de mentionner, c’est que la
réponse de Bergson est ailleurs. Toute son oeuvre tente de décrire la belle
continuité qui existe entre la vie, la nature et la conscience :
« …je vois dans l’évolution entière de la vie sur notre planète une
traversée de la matière par la conscience créatrice, un effort pour libérer,
à force d'ingéniosité et d'invention, quelque chose qui reste emprisonné chez
l'animal et qui ne se dégage définitivement que chez l’homme » (Bergson,
op.cit.).
CONCLUSION
Haut de la page
Le problème était de savoir ce qui distingue la conscience humaine de la conscience
animale, sachant que l’animal possède lui aussi une conscience et que cette
dernière n’est pas une spécificité de l’homme, mais une propriété de la vie.
Tout en attribuant à l’animal une conscience, Bergson confirme que cette
dernière est bien différente de celle de l’homme. D’une part continuent à
jouer chez l’animal des déterminismes biologiques, alors que de l’autre le
déploiement de la conscience humaine est lié à l’existence de la liberté.
Cette liberté constitutive de l’humanité n’est elle-même possible que parce
que l’homme invente réellement : son comportement est indépendant de
toute détermination par son appartenance à une espèce strictement
définissable.
Ce texte est donc
étonnamment actuel dans sa double volonté de redonner à l’animal ses lettres
de noblesse, en saisissant mieux, à la façon de nos éthologues, sa
complexité, et de comprendre, à l’instar de nos anthropologues, la rupture
que la culture humaine introduit dans le monde de la nature. Mais la réponse que Bergson apporte au
problème principal de la spécificité de la conscience humaine, pour
intéressante qu’elle soit, fait peut-être la part trop belle à la liberté
humaine et tend à définir l’homme comme un « empire dans un
empire » (Spinoza). On comprend mal comment la nature elle-même produit
cet animal dénaturé qu’est l’homme et comment la liberté elle-même émerge de
la nécessité. (26)
|