EXPLICATION REDIGEE D’UN TEXTE DE BERGSON

 

Retour

TEXTE

 

INTRODUCTION

 

PARTIE EXPLICATIVE

I)

1)

2)

 

II)

1)

2)

 

III)

 

 

PARTIE REFLEXIVE

I)

II)

III)

 

CONCLUSION

 

 

Vous dégagerez l'intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée

 

TEXTE

Haut de la page

 

- Proposition générale.

 

- Explication

 

- Thèse

- Réserve

 

-Opposition, difficulté

 

 

- Conclusion

 

" Radicale est la différence entre la conscience de l'animal, même le plus intelligent, et la conscience humaine. Car la conscience correspond exactement à la puissance de choix dont l'être vivant dispose; elle est coextensive à la frange d'action possible qui entoure l'action réelle : conscience est synonyme d'invention et de liberté. Or, chez l'animal, l'invention n'est jamais qu'une variation sur le thème de la routine. Enfermé dans les habitudes de l'espèce, il arrivera sans doute à les élargir par son initiative individuelle; mais il n'échappe à l'automatisme que pour un instant, juste le temps de créer un automatisme nouveau : les portes de sa prison se referment aussitôt ouvertes; en tirant sur sa chaîne il ne réussit qu'à l'allonger. Avec l'homme, la conscience brise la chaîne. Chez l'homme, et chez l'homme seulement, elle se libère. "

 

 

 

                          Bergson

 

 

 

 

(1)  Thème

 

 

 

 

 

 

 

(2)  Cadre problématique et questionnement

 

 

 

 

 

 

(3)  Thèse

 

 

 

 

( 4) Enjeu, intérêt philosophique

 

 

 

 

 

(5) Plan du texte, principales articulations

 

 

 

 

 

 

 

(6) Introduction de la 1ère partie (idée générale + idées secondaires)

 

 

 

 

 

 

(7) Explication 1ère idée secondaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(8) Analyse de la notion de conscience et de « conscience animale ». Etudier les concepts importants du texte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(9) 2ème idée secondaire du texte.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(10) Conclusion brève sur la 1ère partie du texte (bilan de l’étude + annonce de la partie suivante). Nécessité d’expliciter la structure argumentative du texte, le lien entre les idées.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(11) Introduction de la 2ème partie du texte (idée générale + idées secondaires)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(12) 1ère idée secondaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(13) 2ème idée secondaire

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(14) Etre attentif à la lettre du texte, aux termes utilisés.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(15) Analyser les expressions importantes, énigmatiques, répétées ; étudier le champ sémantique et métaphorique. Nécessité de citer régulièrement le texte.

 

 

 

 

 

 

(16) Conclusion de la 2ème partie du texte (bilan + annonce de la troisième et dernière partie)

 

 

 

 

 

 

 

(17) Introduction de la dernière partie du texte.

 

(18) Nécessité de citer régulièrement le texte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(19) La liberté humaine selon Bergson : explication de cette notion centrale de la dernière phrase du texte

 

 

 

 

(20) La dernière phrase est très suggestive et nous invite, dans la partie réflexive, à méditer sur la conception de l’homme et de la conscience que propose Bergson.

 

 

 

 

 

 

 

 

(21) Brève conclusion sur la partie explicative.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(22) Courte introduction annonçant la partie réflexive et présentant les différents aspects de l’intérêt philosophique (ici, trois aspects importants donnant lieu à trois parties distinctes).

 

 

 

 

 

 

 

 

(23) 1er intérêt du texte : la « naturalisation » de la conscience et la rupture avec l’explication cartésienne de l’animal-machine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(24) 2ème intérêt du texte : la spécificité de la conscience humaine, esquisse d’une philosophie de la culture et de la discontinuité nature/culture.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(25) 3ème intérêt du texte : ses limites, ses obscurités ; partie critique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(26) Jugement nuancé sur le problème et la solution apportée. Dégager la nature de la solution fournie en ce qui concerne le problème principal.

INTRODUCTION

Haut de la page

 

         Ces lignes de Bergson s’interrogent sur la spécificité de l’homme au regard de l’animal (1). Qu’est-ce qui, en effet, nous distingue de nos « frères inférieurs » (l’expression est d’Edgar Morin dans Le paradigme perdu : la nature humaine) ? Contrairement à la thèse habituelle qui ne reconnaît de conscience qu’à l’homme, Bergson admet de façon quelque peu paradoxale l’existence d’une « conscience animale ». Or, en quoi consiste cette dernière ? Est-elle de même nature que la conscience humaine ou bien convient-il d’établir une opposition entre conscience animale et conscience humaine ? La première hypothèse semble postuler une continuité entre l’homme et l’animal, tandis que la seconde insiste sur la discontinuité radicale entre le monde de la nature et celui de l’homme. (2)

 

          En réalité, Bergson déplace le point de rupture entre animalité et humanité, en suggérant que ce qui caractérise l’homme n’est pas la conscience en tant que telle, mais la conscience libre qui ne peut se manifester chez l’animal en raison de sa dépendance à l’égard de l’espèce. De sorte que la conscience est synonyme de liberté pour l’homme seul (3). L’originalité de ce texte consiste donc dans l’élaboration du concept de « conscience animale ». Que signifie-t-il exactement ? Peut-on véritablement parler de conscience pour un animal ? La conscience humaine est-elle vraiment synonyme de liberté ? C’est donc autour de la valeur et des limites de ce concept de « conscience animale » que nous allons organiser notre réflexion sur la thèse de Bergson (4).

 

          Ce texte s’articule autour de trois idées importantes. Bergson souligne d’abord que la conscience est puissance de choix (« Radicale…liberté »). Il montre ensuite que la conscience animale, si elle est capable de choix, n’en demeure pas moins fort limitée quant à ses possibilités d’invention (« Or, chez l'animal…allonger »). Le texte se termine sur l’idée directrice : la conscience humaine, et elle seule, est liberté (5).

*

PARTIE EXPLICATIVE

Haut de la page

 

          La première partie du texte élabore le concept paradoxal de « conscience animale » et tente de définir les caractéristiques de la conscience en général, afin de comprendre ce qui spécifie l’homme parmi les êtres vivants, les animaux notamment. Bergson part, en premier lieu, d’une proposition générale : entre la « conscience animale » et la conscience humaine existent une opposition radicale, une discontinuité, qui interdisent qu’on les confonde (« Radicale…humaine »). Puis le philosophe justifie, explicite, cette affirmation : la conscience a pour corollaire la liberté, l’invention, le choix (« Car la conscience…liberté ») (6).

 

Haut de la page

 

          Si Bergson admet l’existence d’une « conscience animale », expression énigmatique s’il en est, il affirme néanmoins que « radicale est la différence entre la conscience de l'animal, même le plus intelligent, et la conscience humaine ». Comment comprendre ce paradoxe ? (7)

 

Haut de la page

 

         Ce texte est dès l’abord surprenant, en ce qu’il évoque la conscience de l’animal : évocation inhabituelle et à contre-courant de toute une tradition philosophique qui réserve à l’homme la qualité d’être conscient. De sorte que l’homme et l’animal auraient en commun la conscience, entendue, non point comme connaissance ou sentiment qu’un sujet possède de lui-même (sens psychologique ou intellectuel), mais comme « puissance de choix dont l'être vivant dispose ». Qu’est-ce à dire ? La conscience a une fonction biologique d’adaptation dans la mesure où, dans une situation donnée, les éléments considérés ouvrent la possibilité d’une action. Cette action, lorsqu’elle est opérée, apparaît alors comme privilégiée par rapport à d’autres actions possibles. Que faut-il entendre par conscience selon Bergson ? L’ensemble des représentations d’action possible. Il s’agit là sans conteste de ce qu’on pourrait appeler la conscience immédiate ou spontanée puisque la conscience semble coextensive à la vie. Ce premier degré de la conscience se caractérise par la sensibilité, la possibilité d’autodétermination, de choix, une certaine indétermination dans le comportement. Cette conscience remplit donc une fonction biologique majeure : la conservation et la défense vitale. (8)

 

         Cette hypothèse est renforcée par la deuxième phrase du texte où Bergson nous indique qu’à côté ou autour de ce qui est fait, il existe « une frange d’action possible ». Cette « frange », ou marge d’indétermination, qui autorise l’être vivant à adapter son comportement par rapport aux situations, est perçue ou conçue plus ou moins confusément ; mais elle signifie que la réponse apportée à la situation n’est pas entièrement déterminée par cette dernière. On pourrait même préciser que cette capacité d’autodétermination que rend possible la conscience, fût - elle animale, ne soumet pas implacablement l’animal aux lois de l’instinct. (9)

 

Haut de la page

 

         En effet, la conscience est « synonyme d'invention et de liberté ». « Invention » car l’action promue par un être n’est pas la simple conséquence mécanique des données : elle ajoute quelque chose à ces dernières. « Liberté » car, dès lors que plusieurs actions sont possibles, il y a intervention nécessaire d’un choix qui n’en réalisera qu’une, et là où se propose un choix authentique, on admet l’absence d’un déterminisme strict, c’est-à-dire l’intervention d’une liberté (10). Qu’est, en somme, la liberté pour Bergson ? La possibilité de choisir, d’opter pour une direction, une possibilité au sein d’une pluralité d’orientations possibles. Bergson ne définit pas la liberté comme étant une absence de contraintes, une capacité radicale de s’abstraire des déterminations, mais comme une marge d’indétermination, un pouvoir de choix, d’arrachement, de refus. Ce pouvoir est lui-même rendu possible par la nature puisque c’est ce que les hommes et les animaux ont en commun.

 

         Au total, ce premier mouvement du texte élabore le concept de « conscience animale » : les hommes, en tant qu’êtres vivants, partageraient avec les animaux les caractéristiques de toute conscience : l’invention et la liberté. Cette « conscience animale » constitue le premier degré de la conscience, le plus élémentaire, le plus fruste, celui où l’être vivant, par nécessité biologique, a le sentiment d’exister, s’adapte au milieu et, pour ce faire, apporte des solutions inédites, originales, aux contraintes extérieures. De sorte que l’animal, contrairement à la vision habituelle ou commune, ne serait pas un pur automate soumis à la rigidité de l’instinct. Mais est-ce à dire que la conscience humaine se réduit à cette « conscience animale » et qu’entre l’humanité et la nature n’existe qu’une simple continuité ? Ne faut-il pas relativiser la capacité de liberté et d’invention de l’animal, de sorte que seule la conscience humaine serait véritablement une conscience libre ? C’est ce que tente de comprendre la deuxième partie importante du texte. (10)

 

*

 

         Le deuxième mouvement du texte (« Or, chez l'animal…allonger ») montre que la conscience animale, si elle est capable de choix, n’en demeure pas moins fort limitée quant à ses possibilités d’invention. Ce passage, le plus long du texte, entend définir ce qui spécifie véritablement l’homme, en soulignant la différence qui le sépare du monde animal. Bergson nuance d’abord le pouvoir d’indétermination que possède l’animal (« Or…routine »). En réalité, même si l’animal n’est pas tout à fait inféodé aux lois de l’instinct, il reste néanmoins dépendant de son espèce (« Enfermé…allonger »). (11)

 

Haut de la page

 

         Le philosophe nous a expliqué, en premier lieu, que même l’animal est capable de ces choix et de ces inventions qui marquent toute conscience. Toutefois, son invention, précise Bergson, n’est rien de plus « qu’une variation sur le thème de la routine ». Que signifie cette belle expression ? Le terme de « variation » indique que la possibilité dont dispose l’animal d’inventer sa réponse est fort limitée : c’est autour d’une réponse en quelque sorte préformée que l’animal ajoute « individuellement » de légères variantes. Cette initiative préformée serait précisément celle de l’instinct qui autorise certes, nous l’avons vu, une marge d’indétermination, mais qui n’en continue pas moins à circonscrire rigoureusement le périmètre de la liberté animale. Comment mieux comprendre cette phrase quelque peu sibylline de Bergson ? (12)

 

Haut de la page

 

         La précision nous est apportée par le philosophe lui-même dans la deuxième phrase de cette seconde grande partie du texte. En effet, le principal de la réponse, de la liberté, de l’invention, du choix, est imposé à l’animal par les « habitudes de l’espèce » à laquelle il appartient, par ce qu’on appelle ordinairement l’instinct . Que désigne l’instinct ? Un comportement transmis héréditairement et caractérise par un savoir-faire inné. Par « espèce », il faut entendre, au sens biologique du terme, un élément de la classification, savoir un groupe d’êtres vivants caractérisé par un type commun, bien défini et héréditaire (par exemple, l’espèce humaine). (13)

 

Haut de la page

 

         Ainsi, à chaque animal, membre nécessairement d’une espèce (chien, chat…), Bergson attribue-t-il une certaine « initiative individuelle », expression qui renvoie au développement de la première partie du texte concernant la possibilité d’invention dont disposerait l’animal. Capacité toute relative dont les effets ne sont guère considérables : cette « initiative individuelle », qui autorise une certaine souplesse par rapport aux contraintes de l’espèce et qui est au fondement du processus biologique de l’individuation (principe de distinction entre deux individus de la même espèce rendant possible la constitution d’un corps vivant anatomiquement isolé et autonome du point de vue fonctionnel), « élargit » la réponse instinctive, mais ne s’en détache pas totalement. Le verbe « élargir » indique une autonomie relative, et bien circonscrite, un champ délimité par les rigueurs de l’espèce et de l’instinct. De sorte que la réponse est, au mieux, adaptée aux caractères particuliers d’une situation, mais le principal de ce qui la constitue demeure inchangé. (14)

 

         Bergson affirme, par conséquent, que l’animal est comme prisonnier (« enfermé ») des lois de l’espèce. L’auteur file abondamment cette métaphore de la prison, témoin la profusion des termes relatifs à la privation de liberté : « routine » (mot qui suggère l’automatisme, l’habitude stérile, la répétition, la monotonie de l’action), « habitudes », « portes de sa prison », « refermer », « chaîne »…Ce champ sémantique de l’emprisonnement dénote par rapport à l’enthousiasme de la première partie qui insiste sur les notions d’invention et de liberté, et tempère  l’originalité et le caractère paradoxal du concept de « conscience animale ». Que conclure, sinon que l’animal n’échappe à l’automatisme provenant de son hérédité « que pour un instant ». (15) Cette restriction temporelle renforce l’idée de dépendance évoquée précédemment : non seulement l’animal retombe aussitôt dans cet « automatisme » (notion synonyme ici d’instinct), mais la variante qu’il a introduite dans sa réponse risque de ne rien faire apparaître d’autre qu’un « automatisme nouveau » ; elle devient vite obligatoire et interdit en conséquence toute autre invention ultérieure.

 

         D’automatisme en automatisme, l’animal ne sort donc pas des bornes étroites de l’instinct et de l’espèce, même si une certaine autodétermination est rendue possible par ce même instinct. La liberté animale est fort limitée, ce qui distingue radicalement la conscience humaine de la conscience animale. Cette deuxième partie du texte insiste sur la discontinuité entre le monde de la nature et celui de l’homme, et nous rappelle que si la conscience est coextensive à la vie,  l’apparition au sein de la nature de la conscience humaine introduit une rupture radicale et définitive. La dernière ligne du texte fait office de conclusion et précise ce qui caractérise la conscience humaine. (16)

 

 

*

         Le texte s’achève sur un éloge bref et éloquent de la liberté humaine (« Avec l’homme…libère »). Ce passage final contraste fortement sur le plan sémantique avec les lignes précédentes : les termes évoquant la liberté sont légion (« briser », « libérer ») et l’adverbe « seulement », qui indique une restriction forte, renforce cette idée d’une spécificité de l’homme au regard des autres créatures vivantes. (17)

 

Haut de la page

 

         Contrairement à la conscience de l’animal, qui ne réussit qu’à « allonger la chaîne » (18) le liant aux autres représentants de son espèce, celle de l’homme « brise » cette même chaîne. Le verbe briser signifie qu’il s’agit d’une rupture brutale, radicale, d’une discontinuité entre la marge d’indétermination de l’animal et la liberté humaine, de sorte que le concept de liberté serait un concept très élaboré, une définition riche de l’homme et non la simple capacité à prendre ses distances par rapport à l’instinct. Il y aurait une liberté authentique, celle de l’homme, et une liberté fruste, celle de l’animal. C’est dire que l’individu humain se démarque de l’animal en ce sens qu’il est seul responsable de son invention. Autrement dit, alors que chez l’animal l’espèce prime sur l’individu, l’humanité se définit précisément par cette primauté ou précellence de l’individu sur l’espèce. Dès lors, l’individu humain n’est pas déterminé par une hérédité mais met librement au point des solutions radicalement nouvelles aux problèmes qu'il rencontre.

        

         Ainsi, « chez l’homme, et chez l’homme seulement, elle (la conscience) se libère ». La conscience est synonyme de liberté pour l’homme seul. Telle est l’idée directrice de Bergson dans ce texte à laquelle il aboutit et qui constitue en quelque sorte la conclusion logique des démonstrations précédentes. Notons que la liberté est saisie dans ce passage, et dans tout le texte d’ailleurs, à un niveau anthropologique. La liberté signifie ici l’absence de déterminismes par rapport à l’ordre des choses données et des situations naturelles, mais aussi relativement à toute transmission biologique d’un acquis antérieur. (19)

 

         Ce texte s’achève sur une analyse féconde et très suggestive. Ce qui est à l’horizon de l’opposition définie par Bergson entre conscience animale et conscience humaine, c’est, en somme, la possibilité, pour l’homme, d’une véritable élaboration culturelle, à l’intérieur de laquelle se réalise la liberté humaine. Parce qu’elle est détachée de la « routine » de l’instinct et de l’hérédité, la culture peut ainsi définir des conditions de vie toujours nouvelles pour l’homme. Elle introduit l’homme dans un monde qui n’a plus grand chose à voir avec celui de la nature et qui fait de l’homme un animal tout à fait singulier dans le règne du vivant. La fin de ce texte suggère que la culture est finalement la vraie nature de l’homme, qu’elle est à la fois le résultat historique et la condition de la liberté. (20)

 

         Ce texte de Bergson nous permet donc de comprendre trois idées importantes : la conscience, coextensive à la vie, qu’elle soit animale ou humaine, est une authentique puissance de choix. L’animal, en revanche, n’échappe pas vraiment à l’automatisme de l’instinct et à la rigidité de l’espèce, de sorte que sa « frange d’action possible » s’avère fort limitée. La différence « radicale » entre les deux consciences réside dans la liberté que seul l’homme possède, si l’on entend par liberté la capacité d’une véritable élaboration culturelle et émancipation par rapport à l’ordre de la nature. (21) Quel est alors l’intérêt philosophique de ce texte ?

 

 *

 

PARTIE REFLEXIVE

Haut de la page

                                                        *

 

         La définition anthropologique que donne Bergson de la conscience humaine est riche de prolongements et de perspectives théoriques et pratiques. Ce texte nous invite d’abord à penser la conscience comme un phénomène coextensif à la vie, comme l’expression la plus riche de l’élan vital créateur, et non comme la seule spécificité de l’homme, prenant ainsi à rebours toute une tradition philosophique (I)  . Il nous permet ensuite de mieux comprendre la spécificité de l’homme et le passage du monde de l’animal à celui de la culture (II) . Néanmoins, ces lignes laissent, parfois, le lecteur perplexe : est-ce vraiment la liberté qui caractérise l’homme et sa conscience ? (III) . Examinons successivement ces trois points. (22)

 

Haut de la page

 

         Le premier intérêt philosophique de ce texte de Bergson est de restituer au phénomène de la conscience sa dimension naturelle, anticipant les travaux contemporains en matière d’éthologie. C’est ce que nous suggère le concept de « conscience animale ». La philosophie classique réserve généralement la faculté de la conscience à l’homme. Ainsi, selon Descartes, les animaux appartiennent-ils à la catégorie des automates ; ils ne parlent pas et leur parole, quand elle a lieu par mimétisme, n’est pas un langage, mais l’effet d’une machinerie sans âme ni signification : « Je sais bien que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m'en étonne pas, car cela sert même à prouver qu'elles agissent naturellement et par ressorts, ainsi qu’une horloge, laquelle montre bien mieux l’heure qu’il est que notre jugement ne nous l'enseigne » (Descartes, Correspondance IV, juillet 1643-avril 1647). (23)

 

         Or, selon Bergson, la conscience n’est pas une propriété de l’homme mais s’avère « coextensive à la vie », de sorte que tout ce qui est vivant peut être conscient. La conscience est alors, en son plus bas degré, la faculté de choisir, c’est-à-dire « de répondre à une excitation déterminée par des mouvements plus ou moins imprévus » (Bergson, La conscience et la vie, in L’énergie spirituelle). Capacité de se décider grâce à la rétention du passé et à l’anticipation de l’avenir, la conscience « animale » est liée au mouvement même de la vie par opposition à la matière qui se caractérise par l’inertie, la géométrie, la nécessité. Bergson parle de « l'élan vital » pour désigner un processus créateur imprévisible, un courant traversant les corps qu’il organise ; l’élan vital est invention de formes de plus en plus complexes, un mouvement permanent pour remonter la pente que descend la matière.

Haut de la page

 

         On est alors proche des études récentes qui montrent que l’animal n’est pas cet automate aveuglément soumis à la rigidité de l’instinct : les éthologues, les psychologues nous expliquent de plus en plus que les comportements des animaux résultent d’apprentissages plus ou moins longs et sont organisés selon des règles permettant flexibilité et capacité d’adaptation ; ils sont doués d’intelligence, de certaines formes d’intentionnalité, d’une reconnaissance de soi, voire d’une culture embryonnaire. Faculté biologique d’adaptation et de conservation éclairant ce qui est utile à connaître, la conscience est donc une propriété de la vie et du vivant, non une spécificité de l’homme.

 

         Mais le deuxième intérêt de ce texte est de souligner qu’il n’y a pas pour autant continuité entre l’homme et l’animal et que la conscience humaine ne saurait se réduire à cette conscience immédiate ou spontanée qui s’apparenterait davantage à un sentiment plus ou moins confus qu’à un savoir ou une représentation de soi et du monde. Si on peut tenir « la conscience animale » pour la forme la plus primitive de la conscience, on peut aussi considérer que ce sentiment n’est que le seuil de la conscience, ce qui la précède sans se confondre avec elle. Il ne caractériserait pas vraiment ce qu’est un être doué de conscience et de langage, savoir la liberté. (24)

 

         Bergson reprend ici les intuitions les plus profondes de la pensée des Lumières qui fait de la liberté l’essence même de l’humanité. Ainsi Rousseau conçoit-il l’homme comme perfectibilité, indétermination ; son humanité réside dans sa liberté, dans le fait qu’il n’a pas de définition, que sa nature est de ne pas avoir de nature, mais de posséder la capacité de s’arracher à tout code où l’on prétendrait l’emprisonner : « la nature lui est si peu un guide qu’il s'en écarte parfois au point de perdre la vie…Voyant le bien, il peut choisir le pire : telle est la formule de cet être d'anti-nature » (Luc Ferry, Le nouvel ordre écologique). On comprend alors pourquoi Sartre considère la liberté humaine comme étant la propriété essentielle de la conscience, ce pouvoir infini de nier toute détermination, de donner un sens aux choses et au monde, de se tourner vers les possibles, d’être toujours en projet.

 

Haut de la page

 

         D’où la nécessité de mettre en évidence la discontinuité entre l’homme et l’animal. Bergson esquisse ici une philosophie de la culture, si l’on entend par culture la possibilité naturelle que possède l’homme d’élaborer sa propre réalité à l’intérieur de laquelle se réalise sa liberté. L’humain est la dernière étape de l’élan vital qui se traduit au plus haut point dans la société, dans la morale et dans la religion.

 

         Cette conception de l’homme et de sa conscience est-elle pour autant vraiment convaincante ? N’aboutit-elle pas à une sorte de sacralisation de l’homme qui représenterait le parachèvement de l’élan vital ? Ce texte ne nous dit pas, en tout cas, comment s’effectue réellement le passage de la nature à la liberté et en quoi la conscience humaine émerge de la conscience animale. Bergson ne fait ici que constater une différence qu’il interprète dans le sens de la discontinuité et ne nous explique pas comment la nature a pu créer cet être d’anti-nature qu’est l’homme. Comment, en somme, la conscience, la liberté sont-elles des produits ou des effets de la nature elle-même ? (25)

 

          La culture ne fait-elle pas partie, en effet, de la nature ? Un être culturel, n’est-ce pas un être naturel transformé, de sorte qu’il y a à la fois continuité biologique entre l’homme et la nature, et discontinuité historique que la culture, sans pour autant sortir de la nature, introduit. La culture fonctionne comme une “anti-nature” que la nature produit par l’évolution et qui la transforme par la civilisation. L’homme est un être d’antinature parce qu’il y a, dans sa nature, quelque chose qui le prédispose à cela. L’homme est cette espèce biologique (Homo sapiens) et sociale (l’humanité) qui se dresse contre la nature qui la produit et la contient. On peut alors comprendre la liberté humaine, comme une marge d’indétermination, un pouvoir de choix, d’arrachement, de refus. Ce pouvoir est lui-même rendu possible par la nature, la sélection naturelle. Des individus jouissant d’une marge accrue d’indétermination, quoique génétiquement déterminée, auraient davantage de chances, dans la lutte pour la vie, de vaincre, de se reproduire, de s’adapter. De sorte que la liberté serait un avantage sélectif : nous serions libres grâce à la nature.

 

         Gardons-nous cependant de faire grief à Bergson d’une vision idéaliste de l’humanité. Si ce court extrait ne répond pas aux interrogations que nous venons de mentionner, c’est que la réponse de Bergson est ailleurs. Toute son oeuvre tente de décrire la belle continuité qui existe entre la vie, la nature et la conscience : « …je vois dans l’évolution entière de la vie sur notre planète une traversée de la matière par la conscience créatrice, un effort pour libérer, à force d'ingéniosité et d'invention, quelque chose qui reste emprisonné chez l'animal et qui ne se dégage définitivement que chez l’homme » (Bergson, op.cit.).

 

 

CONCLUSION

Haut de la page

 

         Le problème était de savoir ce qui distingue la conscience humaine de la conscience animale, sachant que l’animal possède lui aussi une conscience et que cette dernière n’est pas une spécificité de l’homme, mais une propriété de la vie. Tout en attribuant à l’animal une conscience, Bergson confirme que cette dernière est bien différente de celle de l’homme. D’une part continuent à jouer chez l’animal des déterminismes biologiques, alors que de l’autre le déploiement de la conscience humaine est lié à l’existence de la liberté. Cette liberté constitutive de l’humanité n’est elle-même possible que parce que l’homme invente réellement : son comportement est indépendant de toute détermination par son appartenance à une espèce strictement définissable.

 

         Ce texte est donc étonnamment actuel dans sa double volonté de redonner à l’animal ses lettres de noblesse, en saisissant mieux, à la façon de nos éthologues, sa complexité, et de comprendre, à l’instar de nos anthropologues, la rupture que la culture humaine introduit dans le monde de la nature.  Mais la réponse que Bergson apporte au problème principal de la spécificité de la conscience humaine, pour intéressante qu’elle soit, fait peut-être la part trop belle à la liberté humaine et tend à définir l’homme comme un  « empire dans un empire » (Spinoza). On comprend mal comment la nature elle-même produit cet animal dénaturé qu’est l’homme et comment la liberté elle-même émerge de la nécessité. (26) 

 

 

©Tous droits réservés