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Sujet : "Avons-nous besoin de rêver ? "

 

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LE TRAVAIL DE PREPARATION DE LA DISSERTATION

I - LECTURE DU SUJET

II - LA PROBLEMATIQUE

 

REDACTION

INTRODUCTION

I) Le rêve, besoin physiologique et psychologique

1) Le rêve, sommeil de la raison, dans la pensée classique

2) La réhabilitation du rêve avec Freud; fonction physiologique du rêve, gardien du sommeil

3) Le besoin psychologique de rêver; le rêve, satisfaction symbolique du désir

Conclusion du I)

 

II) Nécessité existentielle et esthétique du rêve

1) La rêverie diurne

2) la catharsis onirique

3) Le rêve artistique comme retour à la réalité

Conclusion du II)

 

III) Nécessité politique et morale du rêve; le rêve comme utopie

1) L'utopie, rêve collectif

2) La puissance créatrice des utopies et le désir d'un monde meilleur

3) L'utopie, idée régulatrice

 

Conclusion

 

 

1 ÈRE PARTIE : LE TRAVAIL DE PREPARATION DE LA DISSERTATION

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I - LECTURE DU SUJET

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1. Rechercher les mots clés et les concepts essentiels

 

-        Ici, le rêve et le besoin sont les deux concepts essentiels.

 

2. Analyse des termes (sens, étymologie) et des expressions, dans le contexte du sujet.

 

-        Rêver : au sens strict, faire des rêves, avoir en dormant une activité psychique; au sens large, délirer, laisser aller son imagination, mais aussi s’absorber dans ses désirs, ses souhaits. Le rêve est une activité psychique se produisant pendant le sommeil, ayant une signification et fondée, selon Freud, sur la réalisation d’un désir. Ce sujet de dissertation nous invite à identifier les différentes figures du rêve qui vont de la simple production onirique nocturne jusqu’à la rêverie diurne, le délire, la chimère, mais aussi l’utopie entendue comme rêve collectif, l’art, l’imaginaire en général. S’il fallait bien évidemment se référer au rêve nocturne et aux théories freudiennes, il convenait de ne pas négliger les différents aspects de la production onirique, faute de quoi on risquait de réduire considérablement le sens et l’enjeu du sujet.

 

-        Besoin : exigence ou nécessité naturelle ayant une cause physiologique ou psychologique (ex. : besoin de nourriture) ; sentiment de manquer – à tort ou à raison – de ce qui nous est nécessaire (ex. : besoin d’amour).

 

-        Nous : tout un chacun, les hommes en général.

 

3. Inventaire conceptuel ( utiliser le dictionnaire de J. Russ, fort utile pour ce travail) :

 

 

 

 

Rêve, rêver

Besoin

Termes voisins

Divaguer, imaginer, délirer, désirer, souhaiter.

Appétit, désir, envie, exigence, manque

Termes opposés

Réalité, vérité, raison.

Dégoût, satiété, bien-être, superflu

Termes en relation de dépendance

Rêverie, chimère, idéal, utopie, fiction, irrationnel, folie.

Production, travail, technique, acte, objet

 

 

4. Résultats de la lecture : sens global du sujet (reformulation synthétique su sujet).

 

-        La signification du sujet est la suivante : l’activité de faire ou de produire des rêves correspond-elle à la conscience d’un manque pénible provoquant, chez le sujet qui le ressent, un état de tension interne ?

 

II - LA PROBLEMATIQUE

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1. Significations, sous-entendus, présupposés du sujet

 

-        Pourquoi me pose-t-on cette question?

 

-        Lorsqu’au réveil, j’ai le souvenir d’un rêve, je peux avoir l’impression que le temps passé en activité onirique ne sert vraiment à rien : mon rêve est absurde, trop éloigné du quotidien pour y trouver quelque efficacité. Pourtant, je sais que je rêverai à nouveau. Le rêve apparaît donc à la fois comme une production délirante, sans rapport véritable à la réalité, expression étrange d’un relâchement de ma conscience, mais aussi comme une nécessité incontournable, voire une dimension riche et féconde de cette même réalité : ne dit-on pas que les rêves ont la vie dure ? D’où la question : « avons-nous besoin de rêver ? »  qui se présente sous une forme quelque peu paradoxale.

 

-        Qu’est-ce qui est supposé dans la question ? Quels sont les sous-entendus de l’énoncé ? La question sous-entend que le rêve n’est pas un simple délire irrationnel qu’engendrerait le sommeil de la raison ou de la conscience, mais qu’il correspond à une production hautement significative et féconde, renvoyant à une nécessité vitale, psychologique, peut-être même esthétique, sociale, politique, voire morale. Il  s’agit donc, dans ce sujet, d’explorer non seulement les mille et une figures du rêve, mais aussi les multiples facettes du besoin qui, chez l’homme, ne se réduit jamais tout à fait à un besoin d’ordre biologique (on distingue, en effet, deux sortes de besoins : les besoins innés ou naturels qui sont généralement d’ordre biologique et physiologique, et les besoins acquis ou culturels qui sont d’ordre psychologique et social ; ces deux catégories de besoins sont, en réalité, intimement liés).

2. Recherche du domaine d’étude où le sujet prend sens

 

-        Domaines concrets : Biologique (le rêve comme besoin physiologique), psychologique (le rêve et son interprétation freudienne), culturel (le rêve comme figure de l’imaginaire), politique (l’utopie), esthétique (l’art).

 

3.Questionnement du sujet

 

-        Le rêve n’est - il pas utile, voire nécessaire, non seulement pour l’individu et son équilibre psychologique, mais aussi pour l’humanité en général dans sa dimension collective et universelle ? Quelle est alors la fonction du rêve ? Quelles sont ses principales figures ? Le rêve se réduit-il uniquement à la production nocturne ? Ne renvoie-t-il pas aussi aux différents aspects de l’imaginaire ? Avec le rêve nocturne proprement dit, ne faut-il pas aussi envisager la rêverie, l’utopie, l’art, etc. ?

 

4. Choix du problème fondamental

 

-        Ces multiples interrogations débouchent sur une question, une énigme, une aporie fondamentales : quelle est la nature de l’activité onirique : une nécessité, un besoin profond ou une production absurde et inutile ?

 

5.Détermination de l’enjeu (l’enjeu est le gain de pensée apporté par la formulation d’un problème; de la solution que nous choisissons au problème philosophique défini précédemment dépendent des choix de vie fondamentaux)

 

-        Il s’agit d’évaluer la fonction de l’imaginaire et de l’irrationnel,  et de se demander quel est le rôle véritable que jouent les rêves dans notre existence aussi bien individuelle que collective. Faut-il valoriser le rêve et souligner sa dimension féconde et créatrice, ou bien lui opposer l’efficacité, l’évidence et la consistance de la réalité, voire de la raison ? A notre époque de « réalisme gestionnaire » qui proclame la mort des idéologies, des utopies, des grandes espérances collectives, on devine l’actualité de ce problème et la nécessité peut-être de réhabiliter le rêve, dans sa dimension collective notamment.

 

6. Choix de l’idée directrice devant guider la dissertation

 

-        Nous tenterons de montrer que nous avons besoin de rêver tant sur un plan psychologique que culturel et politique. Le rêve possède alors une utilité et une efficacité indéniables. Il constitue une part essentielle de notre humanité. On réhabilitera l’utopie comme idée régulatrice de l’action humaine.

 

7. Plan détaillé :

 

a)     Choix du type de plan : plan  progressif (aller vers une définition de plus en plus riche du rêve et du besoin de rêver, en distinguant besoin psychologique, esthétique, politique, etc. La notion d’utopie pourrait alors constituer la notion la plus élaborée et la dernière partie du développement).

 

b) Etablissement du plan détaillé (Cf. Rédaction)

 

 

2EME PARTIE  : REDACTION

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(1)   Légitimation du sujet à partir de l'expérience commune

(2)   Position précise du sujet

 

 

 

(3)   Sens du sujet

 

 

 

 

(4)   Questionnement

(5)   Problème

 

 

 

 

 

 

 

 

(6) Enjeu

 

 

 

 

(7) Introduction de la 1ère grande partie : le rêve, besoin physiologique et psychologique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(8) 1ère sous-partie : le rêve, sommeil de la raison, dans la pensée classique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(9) 2ème sous-partie : la réhabilitation du rêve avec Freud; fonction physiologique du rêve, gardien du sommeil

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(10) 3ème sous-partie : le besoin psychologique de rêver; le rêve, satisfaction symbolique du désir

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(11) Conclusion de la 1ère partie : bilan + annonce de la partie suivante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(12) Introduction de la 2ème partie : nécessité existentielle et esthétique du rêve

 

 

 

 

(13) 1ère sous-partie : la rêverie diurne

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(14) 2ème sous-partie : la catharsis onirique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(15) 3ème sous-partie : le rêve artistique comme retour à la réalité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(16) Conclusion de la 2ème partie (bilan + annonce de la partie suivante)

 

 

(17) 3ème partie : introduction, nécessité politique et morale du rêve; le rêve comme utopie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(18) 1ère sous-partie : l'utopie, rêve collectif

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(19) 2ème sous-partie : la puissance créatrice des utopies et le désir d'un monde meilleur

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(20) 3ème sous-partie : l'utopie, idée régulatrice

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

(21) Conclusion générale : bilan, solution apportée au problème, réponse à la question posée

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

INTRODUCTION

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    Dans le tableau intitulé Le sommeil de la raison engendre des monstres, Goya nous peint un homme assoupi, guetté par les monstres de l'irrationnel qui surgissent, menaçants, lorsque s'endort la raison. Grande figure de l'irrationnel et de l'absurde, production délirante trop éloignée de la réalité pour y trouver quelque efficacité, le rêve semble pourtant représenter une nécessité irréductible et féconde : les rêves ne sont-ils pas les auxiliaires du progrès ? (1) Ainsi, avons-nous besoin de rêver ? (2)  L’activité de faire ou de produire des rêves correspond-elle à la conscience d’un manque pénible provoquant, chez le sujet qui le ressent, un état de tension interne ? (3)

 

     Le rêve n’est - il pas utile, en effet, voire nécessaire, non seulement pour l’individu et son équilibre psychologique, mais aussi pour l’humanité en général ? Quelle est la fonction du rêve ? Quelles sont ses principales figures ? (4) Quelle est donc la nature de l’activité onirique : une nécessité, un besoin profond ou une production absurde et inutile ? (5)

 

      Il s’agit finalement d’évaluer la fonction de l’imaginaire et de l’irrationnel. Faut-il valoriser le rêve et souligner sa dimension féconde et créatrice, ou bien lui opposer l’efficacité, l’évidence et la consistance de la réalité ou de la raison ? A notre époque de « réalisme gestionnaire » qui proclame la mort des idéologies, des utopies, des grandes espérances collectives, on devine l’actualité de ce problème et la nécessité peut-être de réhabiliter le rêve, dans sa dimension collective notamment, comme figure essentielle de notre humanité. (6)

 

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       Demandons-nous, en premier lieu, si l'activité onirique ne renvoie pas à la partie obscure et rebelle de notre être où se déchaînent les puissances de mort et d'agression. En ce sens, le rêve désignerait ce qui se passe en nous lorsque nous dormons, lorsque notre conscience vigile se relâche, pour donner lieu à des productions étonnantes, étranges, heureuses et parfois terrifiantes. (7) Le rêve n'est - il pas une nécessité vitale, un besoin à la fois physiologique et psychologique ?

 

       La philosophie classique tend globalement à soupçonner le rêve qui, loin d’exprimer un besoin profond de l’être, en manifeste plutôt l’étrangeté, la part irrationnelle. En effet, la situation faite au rêve est commandée par le modèle du discours de savoir, de sorte que le rêve désigne cette production nocturne d’images dont l’opacité s’oppose à tout langage intelligible et signe l’échec de la raison. Pour Descartes, par exemple, l’activité onirique ne correspond qu’à une sorte de délire suscité par le sommeil de la raison. Le rêve n’a pas d’intérêt en lui-même, ne fournit aucun sens et enseignement. Qu’est, en effet, le rêve, sinon un phénomène qui, à l’instar des rêveries auxquelles je peux me laisser aller pendant la veille lorsque je deviens inattentif à tout ce qui m’entoure, échappe à la vigilance rationnelle ? Curiosité amusante, le rêve est, du coup, dénué de signification. (8)

 

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       Cette dévalorisation du rêve est à mettre sur le compte d’une pensée classique iconoclaste qui promeut la raison et l’ordre du discours, au détriment de l’imaginaire et de l’irrationnel.  C'est précisément ce que suggère le tableau de Goya évoqué dans l'introduction : la perte de conscience de l'homme assoupi, son absence de vigilance, sont accompagnées d’une extrême tension et d’une souffrance ; les « monstres » sont là, grimaçants : chauve-souris, tigres sauvages, figures de l’agression, de l’irrationnel ou de la mort. Tout ce présupposé de notre expérience quotidienne, que nous expulsons de notre vécu à grand peine, quand il nous sollicite, voici qu’il guette l’homme endormi ou s’endormant. C’est un thème appartenant au romantisme que celui de la plongée nocturne dans l’univers des monstres qui peuplent nos rêves les plus secrets.

 

       Dans son Histoire de la folie à l’âge classique, Michel Foucault  montre qu’à partir de l’instauration du positivisme médical au début du XIXe siècle, la déraison, le rêve, sont réduits au statut d’une pure maladie et sont traités comme un effet moral de perturbations sociales ou corporelles. Dès lors, la raison elle-même engendre des réalités terrifiantes ; elle ne désigne pas seulement une simple faculté théorique de l’esprit, faculté de distinguer le vrai du faux ; cet exercice théorique est indissolublement lié à un certain pouvoir : le triomphe de la raison classique est lié, selon Foucault, à des gestes de refus et d’exclusion. Aussi le discours de la science récuse-t-il le rêve comme un objet qui ne saurait satisfaire aux conditions du fait scientifique, comme quelque chose qui ne veut rien dire.

 

       Il faut véritablement attendre Freud et la psychanalyse pour que la conception traditionnelle du rêve soit bouleversée. Longtemps considéré comme une réalité absurde et contingente, le rêve va trouver à la fois sa justification et son utilité fonctionnelle.

 

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       Freud établit d’abord la fonction biologique du rêve, le besoin signifiant, en premier lieu, une exigence ou nécessité naturelle ayant une cause physiologique. La fonction du rêve est de protéger le dormeur et d’apporter à ses désirs inconscients une réalisation sur le mode hallucinatoire. Le rêve est un gardien du sommeil. Ce dernier est un état réparateur par lequel le dormeur se soustrait à un état de tension en se protégeant des excitations du monde extérieur. Cet abaissement des tensions s’accompagne d’une baisse des défenses et d’une irruption des désirs inconscients. Le rêve est, dès lors, d’importance vitale. (9)

 

       En effet, comme le souligne Pierre Magnin (Le sommeil et le rêve), « le rêve apure les signaux, les concepts, les événements et les faits inscrits sur le registre de la mémoire  immédiate… ». Le sommeil et le rêve peuvent être considérés comme une nécessité biologique, en vue d’assurer la maîtrise fonctionnelle de la conscience. N’est retenu comme rêve que ce qui importe pour le conscient, que ce qu’il convient de transformer en connaissance. Le rêve permet ainsi l’élaboration des réflexes de savoirs et de comportements adaptés, la consolidation et l’intégration des données apprises au cours de l’éveil. Selon certains scientifiques, il contribue puissamment à la « restauration énergétique et protéique des neurones » (ibid.), faisant intervenir tous les facteurs utiles à cette remise à neuf. Le rêve est le gardien de l’équilibre psychique; il nous protège des erreurs de comportement, de la déraison, des actes inconsidérés, mais aussi des influences perverses et néfastes.

 

       Au reste, Freud a montré que le rêve n’exerce pas uniquement une fonction biologique et vitale. Le besoin de rêver se situe aussi sur un plan psychologique et manifeste la dimension culturelle de l’homme écartelé entre le principe de plaisir et le principe de réalité. (10)

 

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       Freud fait du rêve un fait psychologique qu’il isole du sommeil, fait physiologique. Qu’est, en effet, le rêve pour Freud ? Il est « la voie royale d'accès à l'inconscient » et apparaît comme une production psychique dotée de signification propre, non seulement chez les névrosés, mais pour la “psychologie normale”. Freud découvre que le rêve est toujours motivé par un désir inconscient dont il est l’expression indirecte, déguisée, incompréhensible à première vue. Le rêve devient par là même le prototype de l’activité psychique inconsciente. Et c’est par lui que la psychanalyse se révèle comme “art de l’interprétation”.

 

       Cet accomplissement de désir auquel tend le rêve ne réussit pas toujours entièrement, dans la mesure où la censure, si elle est affaiblie pendant l’état de sommeil, ne disparaît pas complètement. C’est pourquoi le contenu manifeste du rêve apparaît souvent incompréhensible. Il est en fait le résultat d’un processus de transformation du contenu latent sous l’effet de la censure. Ce processus, appelé " travail du rêve ", est opéré principalement par les mécanismes de la condensation et du déplacement. En cela, le rêve est une formation de compromis entre les exigences pulsionnelles et celles de la réalité, et c’est précisément cette fonction de compromis qui le rend nécessaire pour l’équilibre de la vie psychique. Les cauchemars ne contredisent d’ailleurs pas cette fonction : un cauchemar est, selon Freud, un rêve qui échoue, dans la mesure où la censure n’a pas réussi à voiler suffisamment le désir refoulé, et l’angoisse prend alors la place de la censure. Haut de la page

 

       Nous avons donc bel et bien besoin de rêver, si l'on entend par besoin une nécessité vitale – biologique, physiologique, psychologique – sans laquelle la santé du sujet est gravement menacée. Cette première approche permet d'entrevoir que le rêve n'est pas tant un phénomène irrationnel qu'une activité utile, voire hautement significative, qui nous permet de libérer, en les rendant supportables, les énergies de l’inconscient. Si le désir ne pouvait trouver cette satisfaction symbolique et hallucinatoire, son dynamisme de plus en plus insistant mettrait en danger l’équilibre même de l’appareil psychique. Mais le besoin de rêver ne se manifeste-t-il pas également sur un autre plan, existentiel et esthétique cette fois ? (11)

 

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       Le rêve ne se réduit sans doute pas à l'activité nocturne de production d'images étranges dont la signification est à décrypter. La rêverie diurne, l'imaginaire artistique n'incarnent-ils pas aussi de riches figures du rêve qui semblent transfigurer l’existence, l’embellir, lui donner une dimension spirituelle à la hauteur de nos désirs ? Loin de se réduire à un besoin purement biologique ou psychologique, le rêve n'exprime-t-il pas de profondes aspirations spirituelles qui signent l'appartenance de l'homme au règne de la liberté et de la culture ? (12) Haut de la page

 

       Reprenons les enseignements de la psychanalyse freudienne. Le rêve, s’il constitue, pour l’analyste, la voie royale vers l’inconscient, n’est toutefois pas la seule façon que trouve ce dernier pour mettre en circulation ses contenus. Il existe aussi, selon Freud lui-même, une « psychopathologie de la vie quotidienne », dont les divers « symptômes » (lapsus, actes manqués, oublis, jeux de mots, etc.) donnent au désir l’occasion de trouver des satisfactions toujours symboliques. Ce caractère symbolique est obligatoire dans la mesure où le principe de plaisir, qui domine dans l’inconscient, doit toujours céder devant le principe de réalité, qui représente les normes sociales et morales de la conscience. La réalité n’est pas normalement constituée pour nous satisfaire totalement. C’est pourquoi toute production mentale s’éloignant de la réalité et de ses contraintes constitue pour l’homme un besoin fondamental. Elle vient compenser les manques et les frustrations qu’occasionne la vie sociale. (13)

 

       La rêverie diurne fonctionne sans doute selon le même principe que le rêve nocturne. Par rêverie, il faut entendre, à l’état de veille, une activité mentale où la pensée, non dirigée par l’attention, suit son cours spontané, caractérisé par son naturel et son abandon à lui-même. Le fantasme y affleure, qui donne généralement au sujet le beau rôle – celui qui, dans le réel quotidien, lui échappe trop souvent. Le sujet qui se laisse aller à sa rêverie devient beau, riche, séduisant, etc. Il s’attribue justement tout ce qui lui fait ordinairement défaut, et profite de la parenthèse que lui assure la rêverie pour construire un univers et des situations conformes à ses souhaits. Dans cette optique, l’imagination onirique, qu’elle soit nocturne ou diurne, endormie ou éveillée, est une fuite hors du réel dont le but consiste à apporter des satisfactions au sujet. Que ces satisfactions soient illusoires importe peu ici, dans la mesure où l’illusion a une dimension positive qui rend la vie supportable : elles suffisent à préparer le sujet au retour vers le réel, parce qu’elles lui apportent une euphorie passagère qui lui permettra d’assumer les épreuves qu’il devra affronter.

 

      Nous avons besoin de rêver, de vivre dans l’imaginaire, de peupler notre univers d’illusions réconfortantes, non seulement pour prendre nos distances par rapport à la réalité, mais aussi pour donner forme à nos désirs et humaniser le monde. Il est même des sociétés traditionnelles ou primitives pour lesquelles la perception du monde est façonnée par le mythe, la tradition, de sorte que l’univers devient peuplé de forces occultes, de présences spirituelles, comme nous l’enseignent le chamanisme et l’animisme. L’art , comme illusion réconfortante, joue alors un rôle quasi thérapeutique : s’enthousiasmer pour un film, pleurer ou être ému à la lecture d’un roman, être touché par un portrait de Van Gogh ou de Rembrandt, c’est aussi profiter de l’imagination des autres pour oublier momentanément le réel. (14) Haut de la page

 

       Certes, une telle fréquentation des oeuvres d’art n’est pas au niveau de l’expérience purement esthétique qui, comme l’ont montré Kant et Hegel, s’avère profondément désintéressée et nous ouvre la sphère de l’universel, au-delà de celle du désir. Mais l’art est sans doute une illusion nécessaire parce qu’il nous permet de supporter ce qui, de la vie, nous terroriserait si nous y étions affrontés directement.

 

       L’idée remonte à Aristote dans La poétique : le spectacle tragique est une catharsis qui délivre le public de ses pulsions malsaines ou dangereuses (la violence, par exemple) par leur mise en spectacle. Ainsi, en assistant à des meurtres fictifs (le théâtre antique et shakespearien en sont remplis !), les spectateurs satisfont en quelque sorte leurs propres désirs agressifs qui perdent de leur consistance. Dès lors, l’art est utile : se perdre momentanément dans les images qu’il nous offre, se laisser prendre par ses apparences, c’est aussi, après que l’on aura oublié la réalité, se préparer, sans même le savoir lucidement, à mieux s’intégrer dans cette dernière.

 

       Freud a également souligné que l’art est une illusion nécessaire correspondant à un besoin d’évasion, de redécouverte du réel, de sublimation par lesquelles l’artiste préserve en lui, intacte et neuve, cette part rêvée de son enfance, au lieu de répéter, comme le pervers, ou de mimer, comme le névrosé, les plaisirs réels. En ce sens, l’art, le jeu, le rêve, le fantasme constituent une « continuation et un substitut du jeu enfantin autrefois » (Freud, Essais de psychanalyse appliquée) ; l’art, rêve éveillé, est satisfaction à la fois des désirs les plus récents et de ceux, plus anciens et à jamais impossibles à satisfaire tout à fait, de la petite enfance.

 

       Freud, dans Au-delà du principe de plaisir (in Essais de psychanalyse), montre que le jeu enfantin est une activité imaginaire constructive qui rend la dure réalité acceptable ; l’enfant supporte l’absence de sa mère en mimant, avec ses jouets, sa disparition et son retour, et remplace ainsi la passivité par une domination symbolique. On pourrait évoquer également les analyses fécondes de Bruno Bettelheim dans La psychanalyse des contes de fées : le conte de fée exerce une fonction thérapeutique sur l’enfant, dans la mesure où il répond à ses angoisses, lui permet d’affronter les difficultés de la vie et de trouver par lui-même les réponses adéquates.

 

       L’oubli qu’autorise la rêverie artistique pourrait pourtant sembler dangereux, si le sujet en vient à confondre l’apparence artistique et le réel lui-même ou, comme c’est le cas aujourd’hui, le virtuel et la réalité. Mais le spectateur d’un film ou le lecteur d’un roman, même lorsqu’il en subit les effets et s’immerge dans cet équivalent de rêve qui lui est proposé, sait à sa manière qu’il vit dans l’illusion. Dans l’illusion du trompe-l’oeil, par exemple, le public est mis implicitement à contribution, « joue le jeu », se fait complice du subterfuge, sachant très bien qu’il s’agit là d’un artifice. Une fois le film terminé, le livre fermé, lorsque les yeux se détournent de la fresque murale, l’individu est capable d’un comportement adapté, exactement comme le rêveur nocturne qui, au réveil, ne tarde pas à reprendre les gestes du quotidien, grâce à la mémoire notamment, gardienne de l’identité et de la continuité du sujet à travers le temps.

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       Où l’on voit que l’art, fantaisie ou rêve éveillé, se distingue nettement, malgré leur ressemblance, du rêve nocturne, du jeu, du fantasme, du délire ou de l’hallucination, de même que le rêve, le sommeil ne se confondent pas avec la réalité, sauf dans des cas d’altération pathologique de la personnalité (dans les psychoses notamment). (15)

 

       Certes, l’artiste joue, rêve et fantasme, mais c’est pour de vrai ! L’art est la réalisation concrète, dans une oeuvre, du rêve, c’est-à-dire de l’irréel ; si l’artiste se détourne de la réalité, ce détour devient un retour. Les illusions de l’art, de l’imaginaire, du rêve en général sont bien réelles, invincibles, elles ont leur part de vérité et nous apprennent sur le sujet qui les véhicule : le rêve artistique est ce qui fait durer l’éternité de l’enfance par la sublimation de ses désirs. La matière première de la création onirique et imaginaire est toujours intérieure, de sorte que l’artiste ou le rêveur ne travaillent la nature, la société ou lui-même que par l’intermédiaire de ses fantasmes. Il n’est de réalisme en art qu’imaginaire. L’art n’est donc pas une simple évasion puisqu’il crée et communique.

       Si le besoin de rêver renvoie à une nécessité existentielle (s’échapper du réel pour mieux le retrouver), comme l’exemple de l’art nous l’a enseigné, ne peut-on pas envisager également un besoin collectif de rêver se situant cette fois sur un plan politique et moral ? (16) Haut de la page

 

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       Nous appréhendons ainsi une troisième figure du rêve et du besoin de rêver. Ce dernier n'est pas uniquement biologique, psychologique, existentiel; le rêve constitue également une idée régulatrice de l'action, une nécessité sociale, politique, voire morale. Le rêve ne désigne plus alors uniquement la production onirique, l’activité psychique qui se produit pendant le sommeil. Par rêve, il faut aussi entendre l’imaginaire collectif, utopique, visant l’invention de l’avenir et dessinant des projets idéaux de société. La question se pose de savoir quelle est la valeur de l’utopie, ce qui est une ultime façon de relancer notre question liminaire « avons-nous besoin de rêver ? ». L’utopie, un rêve nécessaire, un facteur positif d’évolution des sociétés, ou une chimère illusoire et dangereuse ? (17) Haut de la page

 

       Si l’utopie concerne, au sens ordinaire, un rêve irréalisable, chimérique, le mot signifie aussi, depuis Thomas Moore au XVIe siècle, le projet réfléchi de créer de toutes pièces une société parfaite. L’utopie est à la fois le lieu du bonheur, le « lieu de nulle part » qui n’a pas d’existence géographique réelle. Un lieu où il fait si bon vivre qu’il en devient inaccessible, un « départ pour un ailleurs meilleur, une contre-société débarrassée de ses malheurs » (Thierry Paquot, L’utopie ou l’idéal piégé). (18)

 

       On a reproché aux projets utopistes élaborés au XIXe siècle dans un contexte de critique du monde industriel et capitaliste – les utopies de Robert Owen, de Saint-Simon, de Charles Fourier –, non seulement d’être voués à l’échec, mais encore de fabriquer l’enfer en voulant réaliser le paradis, c’est-à-dire d’être porteurs du fait totalitaire. Le plus grand défaut d’une utopie ne serait pas tant son irréalisme que sa volonté de contraindre la société à ressembler à son rêve. Les utopies pécheraient alors par obsession de l’ordre, horreur du conflit, expérience en vase clos et tendresse pour les tyrans. Les utopies sociales qui, tels les phalanstères de Fourier, se veulent un projet historiquement réalisable, refuseraient d’une certaine façon l’histoire, en se réfugiant dans un passé mythique ou en se situant souvent dans des îles conçues comme des micro-sociétés retirées, non exposées aux vicissitudes du temps. En étant en dehors du réel, l’utopie ne permettrait aucune prise sur lui et rendrait donc impossible toute transformation véritable.

 

       Notre époque prétend d’ailleurs, à travers le thème de la mort des idéologies (l’utopie marxiste notamment) et de la fin de l’histoire dans la démocratie libérale (cf. Le livre de Francis Fukuyama, La fin de l’histoire et le dernier homme), que la fonction onirique s’avère purement individuelle ou psychologique et qu’elle ne saurait concerner l’action politique et historique, sous peine de dégénérer en monstre totalitaire. Se mettre à l’école du réel, entendu comme l’ordre capitaliste et libéral actuel, voilà l’idéal ! Se soumettre aux règles et aux lois qui gouvernent le monde actuel, oublier les thèmes visionnaires, rêveurs, fantastiques. Mortes, les idéologies, les illusions de l’esprit, les spéculations fumeuses. Ce qu’il faut chérir et défendre, c’est ce qui existe, seul le réel étant véritablement rationnel.

 

       Au-delà du bilan qu’il convient de tirer, en cette fin de millénaire, du communisme et des grandes philosophies de l’histoire, cette apologie du réalisme est-elle saine et correspond-elle vraiment aux besoins authentiques des hommes ? Encore une fois, le rêve, fût - il collectif, n’exprime-t-il pas un besoin fondamental de créer, de changer le monde, de féconder en permanence la réalité par l’idéal ? N’avons - nous pas besoin de rêver tout simplement parce que le désir d’un monde meilleur est profondément ancré dans nos aspirations ? L’utopie ne renvoie-t-elle pas, dès lors, à une aspiration universelle au bonheur et à la liberté ?

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       L’utopie, c’est-à-dire ce qui n’appartient à nul lieu, représente la part de rêve dont nous sommes porteurs, part de rêve indispensable à qui veut authentiquement construire le réel, à partir d’une vision juste de l’avenir, porteuse de valeurs, capable d’unifier l’action. L’homme est un animal imaginant, un « homo-sapiens-demens » (l’expression est d’Edgar Morin dans Le paradigme perdu la nature humaine) qui joue, délire, invente, rêve, où la raison est étroitement associée à la folie et à l’irrationnel. (19)

 

       Ernst Bloch, dans Le Principe Espérance, établit que le rêve utopique correspond à la « catégorie Espérance », c’est-à-dire à une donnée fondamentale et irréductible de la conscience humaine. L’histoire est une activité des individus tournés vers un souverain bien qu’ils situent dans l’avenir. Celui-ci est l’oeuvre des individus dans la mesure où ils sont toujours portés, dans le présent, par le « souhait » d’un certain idéal à réaliser et par l’espoir de voir un jour l’avènement effectif de cela qui est désiré. La « catégorie espérance » est par essence tournée vers l’avenir et vise en cet avenir la réalisation d’un rêve. Ainsi la conscience est-elle, par sa structure, toujours habitée par le « non-encore-réalisé », et toujours tournée vers le « front du possible ». Elle incarne l’idée d’une « histoire à construire et d'un progrès vers la réalisation d'un bonheur concret digne d’être considéré comme un souverain bien » (Robert Misrahi, Le bonheur, p. 12).

      

      Certes, les rêves sont parfois des fuites, mais ils sont aussi, comme rêves éveillés, ce qui stimule l’action et empêche que l’on s’accommode d’une réalité non satisfaisante. Ernst Bloch oppose le « rêve nocturne », qui est l’objet de la psychanalyse et exprime un certain rapport au passé, et le « rêve éveillé », pris au sens large de « souhait » ou désir-souhait, et qui manifeste le rapport de la conscience à son avenir. L’espérance n’est cependant véritable et authentique que lorsqu’elle est portée par une volonté de transformation et met en oeuvre à la fois une vision d’ensemble de la totalité du processus historique et une action singulière dans un présent spécifique tourné vers l’avenir. « L’espérance, ou espoir actif et créateur, est donc à la fois la dimension fondamentale de la conscience, sa catégorie essentielle, et l’origine de toute l’histoire des hommes et de toutes les transformations » (Robert Misrahi, Qu’est-ce que l’éthique ?).

 

       L'aspiration au « monde meilleur » ne transparaît pas seulement dans les utopies sociales élaborées, pour l’essentiel, au XIXe siècle. Elle inspire aussi de nombreux aspects de la technique, de la science, de l’art, et accompagne la découverte de soi dans l’expérience même de la création. La musique, la peinture, l’art permettent ce dépassement qui exprime l’impossible enfin réalisé et s’enracine dans le double mouvement de la révolte et de l’espérance. Ainsi, dans l’architecture, par exemple, de très nombreux édifices ne se comprennent-ils qu’en référence à une signification utopique : « L'architecture est la cristallisation et l'objectivation d'un véritable « rêve éveillé » qui est l'esquisse et « l'épure » d'un monde idéal et parfait, répondant aux conceptions de la perfection que se fait une époque » (Robert Misrahi, ibid.). L’art gothique, par exemple, à travers les grandes cathédrales, déploie la vie incarnée sur terre à partir du ciel, vie sacrée, parfaite, mais aussi ce « Dieu lumière » dont parle Georges Duby dans Le temps des cathédrales.

 

       Le rêve éveillé, utopique renvoie donc à un besoin fondamental de la conscience humaine qui s’incarne dans l’histoire concrète à travers les grandes oeuvres, les révolutions, les révoltes, mais aussi la science, la technique, l’art en général. Ce besoin dévoile cette « catégorie espérance », cette conscience anticipante, cette émergence de la nouveauté, cette ouverture vers la dimension de l’avenir et du possible qui sont des figures de notre désir profond d’un monde meilleur.

 

       Soulignons donc la puissance créatrice des utopies et insistons, pour finir, sur leur fonction régulatrice de l’action et de la pensée humaines. (20) Haut de la page

 

       Si l’on se réfère à la grande utopie socialiste du XIXe siècle, nombre de ses idées, valeurs ou propositions ont fécondé notre siècle, ses institutions, ses mentalités : l’idée de la nécessaire administration des choses, chère à Saint-Simon; l’attraction passionnelle, dont nous parle Fourier et qui anticipe, à maints égards, la psychanalyse et le surréalisme; la justice, comme respect de la dignité des personnes, telle que l’explicita Proudhon… Autant de thèmes qui, « loin d'incarner des illusions parasites, représentent des idées régulatrices de toute action politique ou sociale à venir » (Jacqueline Russ, Le socialisme utopique français). A quoi sert donc le rêve utopique ? A explorer les nouveaux champs sociaux, politiques et culturels, pour s’efforcer de les maîtriser humainement. L’esprit d’utopie, fondé sur le pouvoir de l’imagination, n’est - il pas alors un précieux contrepoids au conservatisme social, à cette « pensée unique », à ce réalisme gestionnaire froid et borné dont semble tant souffrir notre époque  ?

 

       Loin de se réduire à l’instrument d’une critique sociale et politique de la société réelle, les utopies peuvent aussi, selon Kant, constituer un idéal régulateur, une hypothèse féconde de la raison permettant de donner à l’homme l’espérance d’avoir une efficacité dans le monde, une condition, en somme, du progrès moral et politique. Cette dimension critique ou régulatrice se reconnaît surtout dans les utopies théoriques, dont les auteurs n’attendent aucune réalisation effective.

 

       Expression d'un besoin fondamental de progrès et de sens, le rêve utopique participe, comme l’a montré Michel Onfray dans sa Politique du rebelle, de cette « figure du rebelle dont le génie colérique porte, à travers l’histoire, l'irrépressible désir de révolution ». L’utopie, le rêve en général, devraient alors, selon Michel Onfray, être réhabilités, afin de « réenchanter » un monde soumis à l’économisme et de célébrer un « idéal de plaisir opposé à cet idéal ascétique que la droite n’en finit pas de célébrer » (op.cit.). Cette réhabilitation de l’utopie est finalement à mettre du côté d’une volonté de revaloriser l’action politique sous les formes de la désobéissance, de la résistance, de l’insoumission, de l’insurrection. C’est le grand vent libertaire qui souffle à nouveau et qui n’est sans doute pas prêt de s’éteindre !

 

*

 

Conclusion

 

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       Que faut-il répondre à la question : « avons-nous besoin de rêver » ? Le problème était de s’interroger sur la nature de l’activité onirique : représente-t-elle une nécessité, un besoin profond ou une production absurde et inutile ? Quel rôle les rêves, mais aussi l’imaginaire et l’irrationnel, jouent-ils dans notre existence ? (21)

 

       Nos avons vu se déployer plusieurs figures du rêve, depuis le rêve nocturne qui renvoie à un besoin physiologique et psychologique (préserver le sommeil et satisfaire symboliquement le désir) jusqu’à l’utopie - rêve éveillé et rationnel - qui correspond à un besoin politique et moral de transformer le réel, de dessiner les contours d’un monde meilleur et de donner une forme à notre désir de bonheur et de liberté, en passant par la rêverie, l’art dont la fonction est sans doute à chercher du côté d’un besoin existentiel et esthétique d’échapper à la réalité pour mieux la retrouver.

 

       Nous avons donc bel et bien besoin de rêver, nécessité à la fois biologique, psychologique, existentielle, mais aussi politique et morale. L’homme a besoin de rêves comme d’oxygène ! Il convient d’affirmer avec force la dimension créatrice du rêve qui humanise ou spiritualise en permanence la réalité.

 

 

 

 

Bibliographie

 

-        Freud, Introduction à la psychanalyse, Essais de psychanalyse, Psychopathologie de la vie quotidienne, Payot.

-        Pierre Magnin, Le sommeil et le rêve, PUF.

-        Aristote, La poétique, Garnier-Flammarion..

-        Jean Starobinski, Jean-Jacques Rousseau, la transparence et l’obstacle, Gallimard.

-        Michel Onfray, Politique du rebelle, Grasset.

-        Jacqueline Russ, Le socialisme utopique français, Bordas.

-        Thierry Paquot, L’utopie ou l’idéal piégé, Hatier.

-        Robert Misrahi, Qu’est-ce que l’éthique, Armand Colin ; Le bonheur, Hatier.

 

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