«  SUIS-JE CE QUE J’AI CONSCIENCE D’ETRE ? »

 

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Compréhension et analyse du sujet en vue de dégager des éléments pour construire l’introduction

 

I) La conscience de soi comme évidence première

A) L’optimisme cartésien

B) Ses limites

 

II) Les obstacles à la connaissance de soi

A) L’introspection

B) Difficulté du dédoublement

C) L’acte même de s’auto-observer modifie l’objet observé

D) L’hypothèse de l’inconscient

 

III) Les conditions d’une conscience juste de soi

A) L’aspect fondamental de la conscience de soi

B) Nécessité de l’expérience

C) Le regard et le jugement d’autrui

D) Le retour à soi

 

Conclusion

 

 

 

Compréhension et analyse du sujet en vue de dégager des éléments pour construire l’introduction

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1)     Légitimation de la question posée

 

- Nos amis, nos proches ne sont pas les seuls à être quelquefois surpris par certains de nos comportements ou de nos paroles. Tantôt pour le regretter, tantôt pour nous en féliciter, il nous arrive souvent de nous étonner d’avoir pu dire telle ou telle parole, d’avoir accompli tel ou tel acte : je me conçois comme généreux mais je ne donne pas d’argent aux S.D.F. pour autant ; j’avais conscience d’être peureux mais j’ai défendu une personne agressée dans la rue. Mon être ne semble pas correspondre à la conscience que j’en ai. Cette méconnaissance ou ignorance de soi peut paraître surprenante : ne sommes-nous pas, parmi tous les objets de connaissance possibles, celui qui nous est le plus proche et le plus familier ?

 

2/  Citation de la question

 

- Il est donc légitime de se demander si je suis ce que j’ai conscience d’être.

 

3) Sens de la question posée, reformulation

 

- En d’autres termes, l’idée spontanée, la représentation que j’ai de moi-même, de mon essence, de mes déterminations est-elle en accord avec cette essence, cet ensemble de déterminations que je suis vraiment ? La conscience est-elle donc connaissance authentique de soi ?

 

5) Problématique

 

- Je ne peux me prononcer sur l’accord éventuelle entre la conscience que j’ai de moi et ce que je suis effectivement seulement si je me connais. Or, si je me connais, la question ne se pose plus puisque se connaître, c'est avoir conscience de soi tel que l'on est, parce que toute connaissance est connaissance de quelque chose comme elle est et parce qu'une connaissance s'accompagne toujours de la conscience de cette connaissance.

 

- A l’inverse, si je ne me connais pas, aucune réponse à la question n’est possible puisqu'il faudrait que je me connaisse pour savoir si la conscience que j'ai de moi est vraie ou fausse, ce qui est absurde. Mais ce n'est pas tout : l'expérience de l'erreur sur soi, de la méprise à son propre sujet est si présente que je peux être sûr que la conscience spontanée que j'ai de moi n'est pas une connaissance de ce que je suis effectivement.

 

- De sorte que le problème est le suivant : si aucune équivalence entre conscience et connaissance de soi n’est donnée, si aucun accord entre moi et moi-même n’est posé ou immédiat (sans quoi d'ailleurs la question ne se poserait pas), est-il toutefois possible de passer de la conscience spontanée et erronée de soi à une authentique connaissance de soi ou bien ce passage est-il impossible et illusoire pour celui qui prétendrait l’accomplir ? Dit autrement : puisque que je ne peux pas sortir de moi-même pour me prononcer sur l’accord ou le désaccord entre la représentation que j’ai de moi-même et ma réalité effective, est-il possible de passer de la conscience de soi à la connaissance de soi ?

 

- A quoi s'ajoute une autre difficulté : de quel moi parle-t-on ? Qui est ce "je" dont on a conscience et dont on pourrait avoir aussi une connaissance ? S'agit-il du moi psychologique, du moi impersonnel qu'est tout "je", du moi social, de la personne ? Cette difficulté est subordonnée à la première : on ne saura de quel moi on parle que du point de vue de la possibilité du passage de la conscience de soi à la connaissance de soi. Si le passage est possible, on découvrira non pas seulement qui l'on est, mais quel moi est connaissable comme tel par moi.

 

- En somme, la question posée nous invite à réfléchir sur le problème du rapport entre la conscience d’être et l’être qui se manifeste dans l’existence du “je suis”, et sur les figures possibles de ce rapport : suis-je ce que j’ai conscience d’être (identité de l’être et de la conscience) ? Suis-je moins que ce que j’ai conscience d’être (insuffisance de l’être par rapport à la conscience) ? Suis-je plus que ce que j’ai conscience d’être (surplus de l’être par rapport à la conscience) ? Suis-je autre que ce que j’ai conscience d’être ?

 

I) La conscience de soi comme évidence première

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- Thèse : je suis ce que j’ai conscience d’être. Le passage de la conscience de soi à la connaissance de soi est possible.

 

A) L’optimisme cartésien

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- La conscience de soi se donne immédiatement à elle-même. Elle est, selon Descartes, la première et la plus certaines de nos connaissances (voir le cours et les explications concernant le doute et l’affirmation “je pense donc je suis”).

 

- Avec le cogito, l’être et la conscience coïncident : je suis avant tout une chose qui pense. Immédiateté et proximité de l’objet : l’esprit et plus facile à connaître que le corps (dualisme cartésien qui établit une distance entre le moi conscient et les choses, le sujet connaissant et l’objet à connaître).

 

- Par des précautions, une prudence méthodologique radicale mais suffisantes, on peut passer de la conscience spontanée de soi à la conscience vraie, à la connaissance de soi. L’épreuve du doute radical est la garantie de la vérité de mes représentations de moi-même.

 

B) Ses limites

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- Il est certes facile de s’apercevoir que je suis. Mais il est assurément difficile de définir ce que je suis, à supposer d’ailleurs que je sois quelque chose (cf. La critique bouddhiste du sujet substance) : nombre d’exemples montrent comment le moi se surestime, se sous-estime, s’évalue, se juge mal…

- Fragilité de la conscience : il est difficile de transformer la simple conscience de soi en connaissance (Cf. Spinoza ; “ les hommes se croient libres, en réalité c’est parce qu’ils ignorent les causes de leurs actes ”). On pouvait ici mettre en évidence le thème des illusions de la conscience (cf. Cours sur la 3e partie de L’Ethique de Spinoza).

 

II) Les obstacles à la connaissance de soi

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- Thèse : je suis autre que ce que j’ai conscience d’être. Quels sont les principaux obstacles à la connaissance de soi ?

 

A) L’introspection

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- L’introspection est l’analyse de soi par soi. Les défauts de l’auto-analyse se ramènent tous à la difficulté d’être à la fois l’observateur et l’observé, difficulté que Montaigne, dans les Essais, met bien en évidence. Cette connaissance de soi par soi manque incontestablement d’objectivité : je suis un observateur partial, “intéressé”, à la fois juge et partie.

 

B) Difficulté du dédoublement

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- C’est le prix à payer de la subjectivité. Comme le dit Auguste Comte : “On ne peut en même temps regarder par la fenêtre et se voir passer dans la rue”. Or, ce dédoublement, cette distance entre le sujet connaissant et l’objet à connaître est au principe même de toute connaissance.

 

C) L’acte même de s’auto-observer modifie l’objet observé

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- Je ne suis pas tout à fait le même lorsque je prends la décision de m’observer et de me connaître. C’est bien la difficulté que tente de cerner Montaigne dans les Essais. Cela est également valable au niveau de la microphysique : la physique du XXe siècle parle d’”indéterminisme physique” à propos de phénomènes dont l’observation directe est impossible ou ne permet pas de prédire les effets rigoureux d’un ensemble de causes. On ne peut, par exemple, observer une particule atomique qu’en en modifiant la trajectoire par le dispositif d’observation.

 

D) L’hypothèse de l’inconscient

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- Il y a des causes plus profondes qui tiennent à la nature de notre être, à notre situation dans le monde. Existence d’un inconscient psychologique, par exemple : “Le moi n’est pas maître dans sa maison”, dit Freud. Le rêve, les actes manqués, les névroses, etc., témoignent, selon Freud, de l’existence de cet inconscient. Ce dernier constitue le fond de toute vie psychique. Le moi est débordé par le monde extérieur, le ça, le surmoi (cf. Cours sur l’inconscient).

 

- Notre intériorisation également des stéréotypes et des préjugés sociaux (Ex. : pour qui se prenait un nazi, et qu’était-il en réalité ?)

 

 

III) Les conditions d’une conscience juste de soi

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- Thèse : ce que je suis, je peux partiellement en prendre conscience

 

A) L’aspect fondamental de la conscience de soi

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- La conscience de soi n’est pas une compétence acquise, elle est le propre de l’homme, de tout homme “normal” : j’existe, je suis un “moi”, une personne capable de sentir, d’agir. C’est assez pour être une personne, pas pour constituer une vraie connaissance.

 

- La psychanalyse notamment nous enseigne que je ne suis pas ce que j’ai conscience d’être mais que je peux prendre conscience de cette méconnaissance. Cette prise de conscience est  la condition sine qua non de toute connaissance de soi. Quels seraient alors les autres moyens pour qu’une telle connaissance soit possible ?

 

B) Nécessité de l’expérience

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- Pour se connaître et mieux prendre conscience de soi, il faut avoir de l’expérience, avoir été confronté à des situations multiples qui enrichissent ma personnalité et révèlent des aspects ignorés de moi-même. Cette expérience est faite de nombreux éléments : circonstances, événements, vécus affectifs, conflits traversés, etc.

 

- Je me connais ainsi à travers mes actes, mes oeuvres, mes projets. Je suis véritablement ce que je fais, comme l’affirment les existentialistes. En ce sens, ce n’est peut-être qu’à la fin de sa vie comme peut véritablement se connaître.

 

C) Le regard et le jugement d’autrui

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- Je ne peux pas passer par moi-même, seul, de la conscience de moi à la connaissance de ce que je suis. Le discours des autres sur moi est indispensable. cf. Sartre : "Autrui est le médiateur indispensable entre moi et moi-même." Je ne peux m’affirmer et me connaître vulgaire, jaloux...sauf si les autres me reconnaissent comme tel. L’extériorité est donc requise : autrui est celui qui sait ce que je suis et par qui je peux me connaître. Ce que semble bien confirmer l'existence et les discours des sciences humaines qui m'apprennent sur moi ce que le plus souvent je n'aurais pas pu découvrir par mes propres moyens et ce non pas par manque de lucidité, de sincérité ou de précautions, mais radicalement : parce que je ne peux à la fois être un objet et un sujet.

 

- Mais le savoir d’autrui n’est - il pas aliénant, d’autant plus s’il m’enferme en une essence (cf. Huis-clos) . Le discours d’autrui sur moi ne rend pas nécessairement compte de ce que je suis mais m’impose ses déterminations. (CF. Genêt de Sartre : tu es un voleur...je me fais voleur). Ce qu’on pense de l’autre le transforme. Je ne suis en effet aucunement indifférent à ce que les autres pensent de moi ( et par là je me distingue des pierres !) "La défiance a fait plus d’un voleur." De même que la confiance a fait plus d’un honnête homme : cf. dans Les Misérables, l’épisode de Jean Valjean a qui un prêtre donne les deux chandeliers que Jean avait d’abord volés, transformant ainsi l’acte, la personne et le destin de Jean qui n’avait connu jusqu’alors que la défiance, l’injustice et la misère infligées.

 

D) Le retour à soi

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- Dès lors, si le détour par l’autre est requis afin d’accéder à soi-même, mais si je cours en même temps le risque de l’aliénation, ne dois-je pas conserver le privilège du dernier mot ?

 

-  Je peux et dois récupérer le discours de l’autre sur moi. Le discours de l’autre comme moyen d’auto-élucidation par lequel je peux me connaître sans être aliéné par un discours que je ne contrôle pas et sans prendre cette fois le risque cartésien du solipsisme. Par exemple, la cure psychanalytique, la lecture réfléchie et réfléchissante des sociologues...Mais cette auto-élucidation comme prise de conscience (idée de passage) est aussi presque toujours une re-définition de soi, un déplacement, une neutralisation, une sublimation, un renversement des déterminations d’abord vécues passivement, sans en avoir conscience. De sorte qu'en ayant le dernier mot, je risque de m'échapper encore. A moins que je ne sois finalement rien d'autre que cette possibilité de dépasser toujours les déterminations qui semblent me définir, une liberté en somme.

 

Conclusion

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- La conscience de soi peut être conscience de l’illusion sur soi. En prenant conscience que je ne suis pas ce que j’ai conscience d’être, je peux m’efforcer de mieux me connaître et ainsi atteindre une certaine sagesse. Je dois pour cela avoir conscience de mes limites. La conscience de soi s’acquiert dans l’éducation et dans la fréquentation d’autrui. Elle constitue une connaissance spontanée acquise sans effort apparent. Mais c’est une connaissance fort limitée. De multiples causes peuvent la déformer. Je n’accède à une conscience exacte de ce que je suis, c’est-à-dire à une connaissance vraie de moi-même, qu’au cours d’un long processus qui ne s’achève qu’avec la vie. Les résultats atteints dépendent de circonstances que nous ne maîtrisons pas toutes. Ils dépendent aussi, et peut-être surtout, de la sincérité et de l’effort consenti.



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