(1) Thème
(2) Contexte
problématique, problème central du texte
(3) Thèse
(4) Enjeu :
les difficultés que soulève le texte, son actualité, son importance (ici la
question du sujet)
(5) La
structure du texte, les principales articulations
(6) Bien séparer l'introduction de la partie explicative
(sauter plusieurs lignes)
(7) Introduction de la 1ère partie du texte, annonce de ce
qui va être étudié : présentation de l'idée
générale.
(8) Idées secondaires (indiquer entre parenthèses les
subdivisions dans le texte)
(9) Enjeu de la 1ère partie
(10) 1ère sous-partie. Rappel du contexte problématique,
des lignes précédentes
(11) Suite de l'explication de la 1ère sous-partie
(12) Nécessité de citer régulièrement le texte
(13) Explication de la 2ème sous-partie du texte
(14) Définition des termes importants (notion de vérité
ici)
(15) Explication de la 3ème sous-partie
(16) Citation du texte + analyse des termes importants
(notion de principe ici)
(17) Conclusion de la 1ère partie : bilan + annonce, sous
la forme d'une ou de plusieurs questions, de la suite du texte
(18) Ménager un espace entre les parties principales de
l'explication (ici, 1ère et 2ème parties)
(19) Introduction de la 2ème partie du texte (idée générale
+ idées secondaires, problème soulevé)
(20) Explication 1ère sous-partie
(21) Etre attentif à la lettre du texte, surtout dans ce texte
particulièrement riche et dense
(22) Deuxième sous-partie
(23) Analyse grammaticale parfois nécessaire, dans le but
de clarifier le texte et de faire apparaître la structure argumentative
(24) 3ème sous-partie du texte
(25) Définition des termes importants : substance, essence,
pensée
(26) La notion de "pensée", essentielle dans tout
le texte, mérite explicitation.
(27) Référence extérieure au texte (doit rester
exceptionnelle)
(28) 4ème sous-partie, fin du
texte, conclusion
(29) Bilan rapide de la partie explicative et annonce de la
partie réflexive
(30) Partie réflexive. Sauter plusieurs lignes
(31) Introduction : présentation des différents aspects de
l'intérêt philosophique
(32) 1er intérêt philosophique : le cogito, principe
méthodologique
(33) 2ème intérêt : l'idée de sujet
(34) 3ème intérêt du texte : ses limites, les difficultés
qu'il soulève
(35) 1ère difficulté : la relation âme-corps
(36) 2ème difficulté: la conscience, substance ou relation
? La critique de Husserl
(37) 3ème difficulté: la nature du "je" qui pense
(38) 4ème difficulté: l'idée d'universalité
(39) Bilan de la partie réflexive : retour à la fécondité
du texte
(40) Conclusion. Sauter plusieurs lignes
(41) Bilan rapide, réponse aux questions soulevées dans
l'introduction, jugement nuancé sur
le problème et la solution apportée central
|
I. Introduction
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Ce texte de Descartes a pour
thème le cogito, c'est-à-dire la
conscience de soi-même du sujet pensant, et constitue un moment essentiel du Discours de la méthode (1).
Dans cet ouvrage, l'auteur cherche à fonder une vérité indubitable qui
résiste aux assauts des sceptiques, auxquels il s'oppose, et qui puisse
servir de fondement à la connaissance. Il entreprend, pour ce faire,
d'utiliser l'arme des sceptiques – le doute – et de remettre en question la
totalité des choses. Or, y a-t-il une vérité qui apparaisse au sein du doute
? Si le doute est nécessaire pour parvenir à des certitudes, puis-je
toutefois aller jusqu'à douter de ma propre pensée et existence ? (2)
Descartes montre ainsi
qu'au coeur même du doute s'affirme la réalité de la pensée et de l'être, de
sorte que la conscience de soi constitue la première des certitudes. Chaque
fois, en effet, que l'on remet tout en question, ici et maintenant, on
affirme en même temps la réalité de sa pensée et la certitude de son être. La
pensée consciente d'elle-même est alors ce qui définit le moi. (3)
Or, pourquoi l'affirmation
" Je pense, donc je suis " résiste-t-elle au doute ? De quel être
d'ailleurs affirme-t-elle l'existence ? Quel est, en somme, le " je
" du " je suis " ? S'agit-il d'une pure expérience, de la
conclusion d'un raisonnement ou d'autre chose encore ? C'est autour de ces
questions essentielles que notre réflexion sur le texte va s'organiser, ce
qui, du coup, nous permettra de montrer que c'est bel et bien la définition
du sujet par la pensée et la conscience qui pose problème dans ce texte et,
avec elle, l’idée même de sujet à laquelle se réfère toute notre tradition
occidentale. (4)
Le texte se déploie en
deux paragraphes. Le premier établit que le " Je pense " est une
vérité première et le fondement de la philosophie (" Mais…cherchais
"). Le deuxième examine la nature de la pensée et du sujet pensant :
l'âme est une substance distincte du corps (" Puis…ce qu'elle est
"). (5)
¨
II. Etude ordonnée (partie explicative) (6)
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Dans le premier mouvement
du texte, c'est-à-dire dans le premier paragraphe, Descartes découvre, au
sein du doute, une première vérité : la réalité indubitable de la pensée et
de l'être. (7)
Il aboutit à cette
conclusion à partir d'un constat que chacun peut reprendre à son compte : je
peux certes douter de tout, mais, pour ce faire, encore faut-il être et exister
(" Je pris garde…quelque chose"); cette réalité de la pensée et
cette certitude de l'existence, qui
s'offrent dans l'acte même de douter et de penser, constituent la vérité
première de la philosophie (" et remarquant…cherchais"). (8)
Cette première partie du texte est ainsi tout entière consacrée à
l'expérience que fait le sujet de la certitude de sa propre existence,
expérience capitale, en ce qu'elle présente une issue à la démarche sceptique
et instaure la pensée consciente dans une position fondatrice (9) .
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La première ligne part
d'un constat ("Je pris garde que…"), d'une observation,
c'est-à-dire, non d'un raisonnement abstrait ou abscons, mais d'une
découverte existentielle : il m'est loisible, en théorie, de douter de tout
ce qui existe mais, dans le doute, je fais l'expérience que je suis. (10)
En effet, dans les lignes qui précédent ce texte, Descartes a d'abord
développé un doute radical et absolu, ce que rappelle la proposition subordonnée
circonstancielle de temps : " pendant que je voulais ainsi penser que
tout était faux " . Pour atteindre le vrai, il est nécessaire de faire
porter le doute sur la totalité des choses - les sens, les vérités
mathématiques, le corps, le monde extérieur, Dieu lui-même; il s'agit de
savoir si quelque vérité peut subsister, droite et ferme, après que Descartes
a fait " table rase " de toutes ses anciennes opinions. Aussi
convient-il de rappeler que l'ambition du philosophe consiste à déterminer
une vérité si solide qu'elle puisse servir de fondement à toute autre
connaissance humaine, et de modèle de clarté et de solidité à toute autre
vérité.
(
11) Douter de tout certes, mais
comment cette activité de remise en question est-elle possible ? Après avoir
passé tout ce qui existe au crible du doute, Descartes entreprend ici de
faire retour sur l'acte de douter jusqu'à en ressaisir la condition. La
proposition subordonnée complétive " il fallait nécessairement que moi
qui le pensais fusse quelque chose " (12) établit une condition
nécessaire : pour pouvoir douter de tout, l'existence du sujet est
obligatoirement requise, sans quoi le doute s'avère proprement impossible. Je
peux douter de tout, mais je ne peux douter de la condition inhérente à l'acte
même de douter; il faut bien que moi qui me persuade que je rêve ou que je
suis fou, moi qui veux douter, je pense et que je sois ou j'existe, justement
pour pouvoir penser. Au moment où je doute, je pense et au moment où je
doute, je suis. L'existence de la pensée est avérée par son activité même.
Mon inexistence est impensable au présent. Si je n'existais pas, je ne
pourrais pas penser, pas même mon inexistence Si Je suis, j’existe, et ceci,
pour autant et aussi longtemps que je pense. Même si toutes mes
représentations sont fausses, elles ne cessent pas pour autant d'être mes
représentations. Descartes passe donc de la considération de la vérité ou de
la fausseté des représentations à leur caractéristique commune d'être des
représentations, c'est-à-dire des événements mentaux connus d'une conscience.
La conscience apparaît, par suite, comme la condition nécessaire de toute
représentation.
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(13) D'où la suite de la phrase qui passe de la
certitude de l'existence révélée par le doute à la condition de possibilité
du doute lui-même. Nous sommes toujours, semble-t-il, sur le terrain de
l'expérience vécue (" remarquant ") et Descartes nous invite à une
nouvelle découverte: une première vérité se dessine, " je pense, donc je suis ".
Descartes précise que cette vérité " était si ferme et si assurée que
même les plus extravagantes suppositions des sceptiques ne pouvaient
l'ébranler". Par "vérité" (14), il faut entendre ici la certitude
inébranlable et indubitable, non point celle du préjugé aveugle, mais celle
qui a résisté à l'entreprise dévastatrice du doute, c'est-à-dire à l'oeuvre
critique de la raison. Descartes fait explicitement référence aux sceptiques.
Le doute sceptique est une manière d'être et une attitude intellectuelle
: comme nous ne pouvons rien
connaître de sûr, il s'agit alors de suspendre son jugement pour atteindre
une forme de silence ou de contemplation. Le doute cartésien – méthodique,
radical et provisoire – peut certes sembler excessif, à l'instar des
sceptiques, mais la vertu de ce procédé hyperbolique est justement de
contraindre le doute à se retourner contre lui-même jusqu'à faire émerger,
nous allons le voir, le cogito
qu'il porte en lui.
Cette vérité "si ferme
et si assurée" que nous révèle la pratique étonnante du doute se formule
sous la forme d'une proposition énigmatique : " je pense, donc je suis
". La conjonction de coordination "donc" n'indique pas que
cette vérité est le fruit d'une déduction logique; il s'agit plutôt d'une
intuition authentique, celle de mon existence s'offrant à moi à travers ma
pensée. Douter, c'est déjà penser. Nier que ce que l'on pense puisse être
vrai, c'est encore et toujours penser. Même suspectée, la moindre pensée
reconduit nécessairement à la pensée la plus évidente, la plus infalsifiable
: la pensée de mon existence. Descartes nous parle ici d'une expérience
effective et singulière, offerte à quiconque voudra bien la tenter. Chacun
peut s'y reconnaître dans l'acte de penser et de réfléchir cet acte. Je sais
donc que je suis, non pas grâce à la raison, mais dans l'activité consistant
à me penser moi-même comme être pensant.
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(15) Conséquence de cette
découverte : si le cogito est cette terra
cognita par quoi s'offre l'évidence d'une existence, il s'ensuit
nécessairement qu'une telle vérité peut être à bon droit considérée comme
" le premier principe de la philosophie que je cherchais " (16).
Cette phrase rappelle d'abord que Descartes
a pour mission de trouver " un premier principe " pour la
philosophie. Par " principe ", il faut entendre ce qui est premier
- le commencement, la cause - à
partir de quoi on peut déduire toutes les autres connaissances. Descartes cherche
à fonder tout l'édifice du savoir et se met en quête d'une évidence première
( un " principe " comme il dit) à partir de laquelle pourrait se
développer une conception de l'homme et du monde. Ce " premier principe
" doit donc fonder d'autres vérités possibles et servir de modèle à la
connaissance en quelque sorte. Il réside dans cette vérité nécessaire,
universelle, saisie dans l'exemplarité de la proposition singulière : parce
que je ne puis nier ma pensée, en acte dans la négation, j'existe.
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(17) Le premier paragraphe nous
sauve donc du doute sceptique par la découverte d'une vérité première et
fondamentale : dans l'acte même de douter, je découvre que je suis, et ce
absolument, indubitablement, car du moment qu'il y a pensée, il est
impossible qu'on l'ait sans exister. La pensée se découvre essentiellement
comme conscience spontanée, si penser et réfléchir sur sa propre pensée
constituent un seul et même acte. Enfin, ces toutes premières lignes du texte
nous décrivent un sujet qui advient à lui-même, qui se découvre et se
reconnaît à la fois, en un acte qui ne s'accomplit tout à fait qu'au présent
et à la première personne du singulier. Or, en même temps que l'expérience du
doute me révèle que je suis, ne me dévoile-t-elle pas également ce que je
suis ?
¨
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(18) A la première certitude, qui
affirmait une existence, succède, dans le deuxième paragraphe, la question de
l'essence. Qui suis-je ou plutôt que suis-je, moi qui ai découvert que je
suis ? Descartes répond que c'est la pensée qui me définit essentiellement et
que l'âme est une substance distincte du corps. Le raisonnement de Descartes,
particulièrement dense et rigoureux ici,
s'articule autour de quatre arguments principaux : le premier
établit que c'est justement parce que
je peux douter de l'existence de mon corps et du monde extérieur que j'existe
sans conteste (" Puis, examinant…que j'étais"); le deuxième
introduit une opposition : si je ne pensais pas, je serais en droit autorisé
à douter de ma propre existence (" au lieu que …j'eusse été ");
conséquence : je suis bel et bien une substance pensante (" je connus de
là…chose matérielle "); le texte conclut sur l'idée que l'âme est plus
facile à connaître que le corps
(" en sorte que ce moi…ce qu'elle est "). (19)
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(20) La
première phrase du deuxième paragraphe laisse entendre que l'auteur acquiert
un savoir supplémentaire et que l'on va ainsi, au fil du texte, de constat en
constat, d'observation en observation, d'expérience en expérience : c'est ce
que suggère les deux participes présent "examinant" et "
voyant " (" examinant…j'étais ", " et voyant…fusse
"), faisant écho à la première proposition principale du premier
paragraphe (" Je pris garde que…") (21). Or, en réalité, Descartes
entend ici récapituler les propriétés que l'homme pouvait s'attribuer avant
le doute (d'avoir un corps, d'être dans un monde et en un certain lieu) et
leur oppose la feinte réitérée d'une négation. Pour définir ce que je suis,
il convient de revenir sur l'assurance que le premier paragraphe a établie,
afin d'en délimiter les contours et de conjurer les risques de compromission
de cette certitude fraîchement découverte. L'auteur reconduit ainsi à
l'indubitable sur lequel on bute une nouvelle fois : la pure pensée qui seule
atteste l'existence certaine du moi et qui manifeste son pouvoir fondateur au
sein du doute lui-même. C'est ce que suggère l'opposition introduite par la
proposition subordonnée " et qu'au contraire, de cela même…" qui
renforce ce privilège de la pensée consistant à subsister toujours dans le
moment où est disqualifié le jugement qui la captait et l'aliénait à l'extériorité
du monde ou du corps.
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(22) La deuxième sous-partie de ce deuxième paragraphe renforce les
enseignements précédents, toujours à l'aide d'un procédé rhétorique
multipliant, à l'intérieur de phrases complexes, les propositions
subordonnées (" au lieu que …j'eusse été ") : si je ne pensais pas,
je pourrais à juste titre douter de ma propre existence. (23) A l'intérieur de l'opposition
générale, la phrase se ramifie en une proposition subordonnée de condition ("
si j'eusse…cessé de penser " : hypothèse de la cessation de la pensée),
de concession (" encore que tout le reste…eût été vrai " :
cessation de la pensée mais persistance du monde extérieur), d'opposition
(" au lieu que…je n'avais aucune raison de croire…que j'eusse été "
: sans la pensée, la certitude de mon existence est invalidée). Cette partie
du texte fait très exactement écho à la précédente, dans la mesure où, si
c'est la pensée, dans son acte même, qui prouve que j'existe, l'inexistence
de la pensée rendrait cette évidence caduque et le monde, dès lors, pourrait
très bien être supposé exister. Cette longue phrase donne un peu le vertige à
la façon d'un dédale, mais ce procédé habile va permettre à Descartes de
définir la nature du moi qui pense et doute.
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(24) En effet, la troisième
sous-partie du texte est tout entière consacrée à la conclusion à laquelle
l'auteur aboutit au terme de ce travail vertigineux du doute : à la question
" que suis-je, moi qui doute que je suis ? ", Descartes répond
clairement que je suis justement une substance pensante (" je connus de
là…chose matérielle "). Qu'est-ce à dire, sinon que je suis l'acte de
douter, ou encore que je suis une pensée. Tout ce texte postule une identité
de la pensée et de l'acte, de la pensée et de l'existence. Descartes a montré
précédemment que si je cessais de penser, je cesserais aussi d'exister.
Conséquence ("je connus de là…") : l'essence de l'homme, c'est
l'existence de la pensée; la nature de l'homme, c'est la pensée.
Cet attribut essentiel
qu'est la pensée, Descartes le nomme "substance", dans la mesure où
il suffit à définir le moi. Par "substance" (25), l'auteur conçoit le support
permanent des attributs, qualités ou accidents, ce qui n'a besoin que de
soi-même pour exister. " Le "Je" est la substance pensante,
c'est-à-dire l'âme ou l'esprit. Cette conscience est réalisée dans une chose,
un être, doté d'une essence (la pensée) et d'une existence propres.
L'essence" ou " la nature " (les termes sont ici synonymes)
désignent, par opposition à accident, ce qui constitue la nature permanente
d'un être, indépendamment de ce qui lui arrive ( ce qui fait qu'une chose est
ce qu'elle est et non point une autre). En somme, l'attribut essentiel de mon
être est la pensée, puisque tout le reste est suspect et ne saurait résister
victorieusement aux assauts du doute; je suis véritablement, et de façon
indubitable, une substance pensante.
Prenons ici le temps de
nous arrêter sur la signification que Descartes accorde au terme
"pensée". (26) Ce
texte suggère que par le mot de "pensée" l'auteur ne désigne pas
uniquement l'activité proprement intellectuelle, hautement spéculative, telle
qu'elle se manifeste, par exemple, dans le raisonnement abstrait,
mathématique ou philosophique. Il s'agit plutôt de ce qui se donne sur le
mode d'une présence immédiate : ce que nous nommerions un fait de conscience,
quels que soient par ailleurs le contenu et la forme de cette présence dont
la variété peut recouvrir toute la gamme de l'expérience mentale :
affections, volontés, sentiments, sensations, images, etc. Evoquons ici la
définition que donne Descartes de la pensée dans un autre texte (27) :
" Par le mot de penser, j’entends tout ce qui se fait en nous de telle
sorte que nous l’apercevons immédiatement par nous-mêmes ; c’est pourquoi non
seulement entendre, vouloir, imaginer, mais aussi sentir est la même chose
ici que penser." (Descartes, Article 9 des Principes de la philosophie). Où l'on voit que la pensée se
définit par la conscience et n'existe comme pensée que pour autant qu'elle
est consciente; la conscience est la saisie immédiate de la pensée par
elle-même. Etre conscient ou penser, c’est donc simultanément et indissolublement
penser à quelque chose et savoir qu’on y pense.
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(28) Le texte s'achève sur une
affirmation quelque peu sibylline et qui soulève de nombreux problèmes : la
conséquence première des démonstrations précédentes, c'est que la pensée, ou
" l'âme ", non seulement est " entièrement distincte du corps
", mais elle est même " plus aisée à connaître que lui " et
semble pouvoir subsister sans le corps ( " et encore qu'il ne fût point,
elle ne laisserait pas d'être tout ce qu'elle est "). Cette affirmation,
pour surprenante qu'elle paraisse, se justifie toutefois dans la perspective
adoptée par Descartes tout au long de ce texte.
En effet, si je suis
essentiellement une chose qui pense, c'est-à-dire si la pensée est l'attribut
essentiel de mon être, il convient de définir " l'âme " comme la
substance pensante, immatérielle, distincte du corps. Le corps est alors la
substance étendue en longueur, largeur et profondeur. L'âme est aisée à
connaître, nous dit Descartes : dès que je pense à quelque chose, je connais
que je pense ou que je suis une pensée, alors que je n'ai aucune certitude
concernant la chose à laquelle je pense. Descartes rajoute que cette âme est
même plus facile à connaître que le corps, en ce sens que le corps relève de
l'extériorité, des choses que l'on peut justement révoquer en doute. Surtout,
cette transparence de l'âme à elle-même s'explique par le fait que la
substance pensante est d'une nature différente de la substance étendue, ce
qui permet de comprendre pourquoi, selon Descartes, l'âme possède une
certaine autonomie ("et qu'encore qu'il – le corps – ne fût point, elle
ne laisserait pas d'être tout ce qu'elle est ").
Cette doctrine est appelée "dualisme", en ce
qu'elle postule que le réel existe sous deux formes : la substance étendue (matière :
corps, phénomènes physiques, monde) et la substance pensante (esprit ou âme, pensée). L’âme est pensée, c’est-à-dire conscience ; donc
tout phénomène psychique est nécessairement conscient ; la conscience ou
pensée est l’essence même de la vie psychique. Ainsi un comportement humain
trouve-t-il sa source ou bien dans le corps (mécanisme corporel,
involontaire) ou bien dans l’esprit (processus intentionnel, volontaire).
Comme la pensée est identifiée à la conscience, tout ce qui en moi échappe à
la pensée, à la conscience, appartient au corps et s’explique, par
conséquent, par des mécanismes physiologiques. Certes, en l'homme, l'âme et
le corps sont réunis et s'informent mutuellement. Mais cette réunion tient à
la juxtaposition de deux natures radicalement distinctes.
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(29) Au total, quels enseignements
faut-il retenir de ce texte ?
D'abord
que la pure pensée, c'est-à-dire la conscience, invincible au doute, atteste
seule l'existence certaine d'un moi; en quête des fondements de la vérité,
Descartes découvre la pensée comme premier principe vrai. Ensuite que cette
pensée donne au moi l'unique caractère dont il peut se prévaloir : d'être une
substance pensante et rien d'autre.
Enfin, si l'âme est certaine quand tout le reste ne l'est pas, on peut
rapporter la nature pensante de l'homme à une nature autre que celle du
corps, d'où la perspective dualiste sur laquelle débouche notre texte et qui,
nous allons le voir, suscite de nombreuses difficultés. Aussi, après avoir
tenté de faire la lumière sur ce texte complexe, essayons, dans un deuxième
temps, de méditer sa portée, son enjeu, son actualité, c'est-à-dire son
intérêt philosophique.
¨
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III. Partie réflexive (intérêt philosophique) (30)
(31) Ce texte est riche d'une multiplicité de vues fécondes et
intéressantes. Il nous permet d'abord de dégager un modèle de clarté et
d'évidence pour la connaissance vraie (A). En second lieu, c'est la
définition même du sujet qu'implique ce texte qui va nous intéresser et
renvoyer à une idée essentielle pour toute la tradition occidentale (B). Mais
ces lignes laissent le lecteur perplexe et suscitent de nombreuses
interrogations : la réalité de la
conscience de soi est-elle bien, comme le prétend Descartes, une substance ?
Est-il bien sûr que, dans la proposition cartésienne "je pense, donc je
suis ", c'est le " je " qui pense ? Enfin, le dualisme
cartésien n'appauvrit-il pas considérablement la nature même de la
subjectivité ? (C). Examinons tour à tour, et de façon succincte, ces
différentes questions.
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(32) Comme le souligne Geneviève
Rodis-Lewis dans L'oeuvre de Descartes,
le premier intérêt philosophique de ce texte est de faire du Cogito un modèle d'évidence pour la
connaissance vraie. Le principe de toute certitude apparaît enraciné dans la
vérité claire et distincte : " je pense, donc je suis ". De cette
expérience du Cogito, Descartes
tire la règle de l'évidence intellectuelle comme critère ultime de la vérité.
Et les quatre préceptes de la méthode, énoncés dans la seconde partie du Discours de la méthode, découlent
justement de ce principe : c'est à partir de ce critère de l'évidence qu'il
convient d'analyser, de dénombrer, de synthétiser les difficultés d'un projet
de connaissance, de suivre un ordre logique et rigoureux. Cette méthode, dont
l'auxiliaire est le doute, donne
ainsi le moyen et la raison du rejet de tous les dogmatismes puisqu'il n'est
d'autorité légitime que celle que reconnaît la raison. La découverte
cartésienne que le Cogito est la
première certitude est d'abord la découverte de cette exigence pour la
philosophie et la science de se donner des fondements. Exigence qui, sans
doute, revêt chez Descartes une signification non seulement épistémologique ou métaphysique, mais aussi
existentielle.
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(33) Le deuxième intérêt de ce
texte réside sans conteste dans sa modernité. Il inaugure les grandes
philosophies du sujet et de la subjectivité qui jalonnent toute notre
tradition occidentale, alors que l'Orient, semble-t-il, met à distance le
sujet ou le relativise. Que désigne, en effet, pour Descartes, l'idée de
sujet ? On le voit dans ce texte, une substance, c'est-à-dire une réalité
permanente, un principe, une donnée première. Résistant à tous les assauts du
doute, le cogito est conquis et désigne bel et bien ce sujet universel, cette
pensée identique en tout moment. De même, en se proposant, à la fin de notre
texte, de montrer l'indépendance de l'âme par rapport au corps, Descartes
rend possible la découverte de la nouvelle méthode et du nouvel objet de la
philosophie : décrire de l'intérieur, d'une manière rationnelle, la pensée.
La philosophie devient le déploiement d'une connaissance en première
personne, l'objet de cette connaissance étant le moi lui-même. Dès lors, " Le " Je " est
un " moi " qui peut et doit se connaître " lui-même "
puisqu'il est tout entier défini comme " pensée " (Robert Misrahi, Les figures du moi et la question du sujet
depuis la renaissance, p. 31).
(34) Toutefois, la profondeur et
la modernité de ce texte ne doivent pas occulter les zones d'ombres ou les
difficultés qu'il recèle. C'est notamment le dualisme cartésien qui fait
problème et qui a occasionné, dans l'histoire de la philosophie de nombreux
débats.
(35) Première difficulté : si l'âme est une substance pensante et
si le corps est une substance étendue, la première étant plus facile à
connaître que la seconde et se suffisant à elle-même, la relation de ces deux
réalités distinctes qui constituent l'individu humain devient
incompréhensible. Le rapport de l'âme et du corps devient sinon impossible,
du moins mystérieux. La solution qu'esquisse Descartes dans Le traité des passions ne fait que
déplacer un problème insoluble : comment une âme immatérielle peut-elle agir
sur un être matériel ?
(36) Deuxième difficulté, mise en évidence notamment par Husserl et
la phénoménologie, et qui peut trouver son expression dans une phrase célèbre
de Husserl extraite justement des Méditations
cartésiennes: "toute conscience est toujours conscience de quelque
chose". La réalité de la conscience de soi est-elle bien, comme le
prétend Descartes, une substance ? Selon Husserl, au contraire, la réalité de
la conscience de soi est non une substance mais une relation avec le monde,
avec les autres, même si c'est par la conscience de soi que toutes les
réalités peuvent prendre sens, comme l'établit justement Descartes.
(37) Troisième difficulté et non des moindres : est-il bien sûr que,
dans la proposition cartésienne "je pense, donc je suis ", c'est le
" je " qui pense ? L'objection vient ici des penseurs de
l'inconscient, des "maîtres du soupçon", comme les appelle Paul
Ricoeur. Dans Par delà le Bien et le Mal,
Nietzsche montre que ce que nous appelons la pensée est le produit du système
du langage, de sorte qu'il faudrait dire, à la place de "je pense",
"quelque chose pense en moi", formulation qui anticipe en quelque
sorte le fameux "ça pense" de Freud. Le "je" lui-même
n'est - il pas une illusion ? Nous croyons spontanément au sujet qui nous
confère une existence personnelle, mais la notion même de sujet n'est - elle
pas une production de l'histoire, du langage ? Y a-t-il d'ailleurs identité
de chaque sujet dans le temps ? Le moi est-il un ou plusieurs ?
(38) Où l'on comprend que c'est l'idée même d'un sujet universel,
tel que nous le décrit Descartes dans ce texte, qui fait problème, nous qui
ne saisissons que des formes relatives, transitoires, particulières. S'il
l'idée d'un sujet substantiel est en soi problématique, l'idée d'universalité
subit également, à notre époque, les assauts des sciences humaines et de
certains courants philosophiques. Détruire les universalités, mettre à jour
des sujets-formes, conçus non point comme principes ni comme substances, mais
comme résultats, produits, effets, n'est-ce point ce que semble avoir réalisé
notre époque ? Il n'y a pas, dès lors,
une idée de sujet, mais des notions correspondant à des sujets divers
qui se créent dans de multiples sphères. Ici, l'éclatement de l'idée de sujet
en une myriade de sujets est censée enrichir la notion de sujet, et non
l'appauvrir.
(39) Il reste que, au-delà de ces
nombreuses critiques, ce texte de Descartes est d'une grande fécondité, en ce
qu'il fonde une authentique philosophie du sujet, de la liberté, de la
connaissance qui est elle-même fondatrice de toute notre modernité.
¨
IV : Conclusion générale
(40)
Haut
de la page
(41)
Le problème était de savoir si, au coeur même du doute, une vérité peut
surgir ou si nous sommes condamnés à l'errance sceptique ? En découvrant une
vérité indubitable, celle de la conscience de soi, Descartes fonde une
véritable philosophie du sujet et fait de la conscience le fondement et le
modèle de toute connaissance vraie. Descartes nous révèle ainsi deux vérités
essentielles : d'une part, la nature et la valeur de l'évidence (elle est
critère ultime, clair, distinct et irrécusable), d'autre part, le contenu
même de cette évidence : le sentiment d'exister est donné dans l'acte même de
penser, de même que, inversement, la pensée en acte implique l'existence en
acte. Si penser, c'est être, cette pensée dit à la fois la nature de l'être
et, a fortiori, de la pensée, ainsi que la véracité de cet acte qui se saisit
comme pensée et comme existence.
Si
ce texte sembler poser plus de problèmes qu'il n'en résout – problèmes
relatifs à la nature de la relation de l'âme et du corps, difficultés
soulevées par le dualisme cartésien, définition de la conscience comme
substance, caractère peut- être illusoire de l'idée même de sujet universel,
etc. -, il n'en demeure pas moins que Descartes nous propose ici une riche
philosophie du sujet que toute notre modernité va prolonger et approfondir.
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