Peut-on dire, comme Lagneau, que « l’espace est la marque de ma puissance ; le temps est la marque de notre impuissance » ?

 

 

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INTRODUCTION

 

Plan suggéré :

I) LA PHRASE DE LAGNEAU

A) L’espace marque de notre impuissance

B) Le temps marque de notre impuissance

Transition

 

II) CRITQUE DE LAGNEAU

A) Notre impuissance devant l’espace

B) Notre puissance sur le temps

 

CONCLUSION

 

INTRODUCTION

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-        La célèbre phrase de Lagneau : « l’espace est la marque de ma puissance ; le temps est la marque de notre impuissance» établit une comparaison entre le temps et l’espace qui est censée nous permettre de mieux saisir notre situation vis-à-vis du temps. En effet, autant nous pouvons agir sur l’espace, ou du moins dans l’espace (le parcourir dans tous les sens, manipuler les objets, etc.), autant nous sommes démunis vis-à-vis du temps : nous ne pouvons échapper à son écoulement continu, ni l’accélérer ni le retarder, encore moins l’arrêter ou revenir en arrière. Le temps nous emporte, ainsi que tout ce qui nous entoure, nous arrache à ce à quoi nous tenons, il est facteur d’usure, de vieillissement – et finalement nous mène à la mort.

 

-        De plus, bien que nous y soyons immergés, comme nous le sommes du reste dans l’espace, nous ne savons pas ce qu’il est : le temps est immatériel et, par son écoulement même, nous ne pouvons pas le saisir comme un objet dans l’espace afin de l’examiner. Ainsi, l’espace marque notre puissance en tant que nous pouvons agir en lui et sur lui, tandis qu’à l’égard du temps nous sommes réduits à l’impuissance, à la passivité, nous ne pouvons que le subir, nous n’avons aucune prise sur lui.

 

-        Les choses sont-elles pourtant si simples ? Nous reconnaissons spontanément que le temps est aussi indispensable au mûrissement, à la  maturation, qu’il faut à un projet comme à une plante du temps pour se réaliser. Le temps nous permet aussi de nous habituer à des situations trop nouvelles, et de nous y adapater. Tout ne semble donc pas être passivité, impuissance, destruction dans le temps. Aussi convient-il d’analyser les caractères et les effets du temps, en les comparant avec ceux de l’espace, pour savoir si  nous pouvons souscrire sans réserves à la phrase de Lagneau.

 

 

Plan suggéré :

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I) LA PHRASE DE LAGNEAU

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A) L’espace marque de notre impuissance

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1)     L’espace est le milieu de l’action

 

-        L’espace, milieu dans lequel nous nous mouvons de toutes les manières, dans toutes les directions. Lieu où sont disposés les objets. Piaget montre comment l’enfant apprend peu à peu à découper l’espace en reconnaissant les objets, comment en se déplaçant, il précise sa connaissance de la troisème dimension, évalue les formes, les volumes, les dsitances, peut atteindre et connaître les objets éloignés. Le sujet se construit en maîtrisant, en conquérant l’epace.

 

-        Nous pouvons manipuler, sinon l’espace lui-même, du moins les objets étendus : les séparer, les déplacer, les combiner, les ranger. Organisation des lieux, action sur l’espace consistant à le découper, à le modifier.

 

2)     L’espace est réversible

 

-        L’espace est réversible : on peut s’y déplacer dans toutes les directions. La réversibilité annule le mouvement qui avait été fait : nous pouvons revenir au point de départ, si le lieu nouveau nous déplaît, si nous avons oublié quelque chose au lieu précédent, etc.

 

3)     Nous pouvons connaître l’espace

 

-        Nous pouvons connaître l’espace de plusieurs façons :

 

·       par la perception (l’espace est un aspect de notre vécu) ;

·       par la représentation : exemple de l’art qui est une représentatin de l’espace (exemple des paysages, des natures mortes, etc.) ;

·       par une élaboration intellectuelle : à partir de l’espace vécu (étendue, assemblaged es objets), nous avons élaboré l’abstraction de l’espace comme milieu vide, neutre, isomorphe, espace qu’on peut définir à ;l’aide de points, de lignes, de plans, de figures géométriques. La géométrie, qui est née des techniques d’arpentage égyptiennes (reconstituer les limites des champs après les inondations du Nil) montre que d’un pouvoir pratique sur l’espace on passe à un pouvoir théorique : étudier les propriétés spatiales des corps sans avoir recours à ces corps eux-mêmes. L’élaboration rationnelle de l’espace nous donne un pouvoir sur les choses.

 

-        Ces connaissances plus approfondies de l’espace correspondent à des manipulations plus importantes : espace euclidien à trois dimensions, espaces courbes de Lobatchevsky, espaces élastiques de la topologie, etc.

 

-        Tout semble donc confirmer l’affirmation de Lagneau selon laquelle l’espace est la marque de notre puissance puisque c’est par lui et en lui que l’action se déploie et que nous pouvons maipuler ou maîtriser l’espace par la science et la technique.

 

 

B) Le temps marque de notre impuissance

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-        A côté de notre puissance à l’égard de l’espace, notre impuissance à l’égard du temps nous apparaît de façon évidente.

 

1)     La fuite du temps

 

-        Notion de fuite du temps. Le temps passe, il emporte tout, il apporte l’usure, l’érosion, le vieillissement, la dégradation, l’oubli (« Et la mer efface sur le sable les pas des amants réunis »). Nous ne pouvons rien faire contre le temps et ses effets. Nous n’avons aucune prise sur lui, nous ne pouvons que le subir. Reprendre ici les éléments du cours sur le temps. Donner des exemples, littéraires notamment (exemple : La charogne de Baudelaire). Contrairement à l‘espace donc, nous ne pouvons agir sur le temps et le manipuler à notre guise.

 

2)     L’irréversibilité du temps

 

-        A la différence de l’espace, le temps est irréversible. Il ne peut se parcourir dans les deux sens : alors que le mouvement de retour se superpose dans l’espace au mouvement de l’aller, dans le temps ils se juxtaposent, ils se succèdent. On revient au même endroit d’où l’on était parti, mais cet endroit a changé. Cf Héraclite : « on ne descend pas deux fois dans le même fleuve »  Cf. Jankélévicth, la primultimité. Là aussi, on pouvait puiser abondamment dans le cours.

 

-        Le temps : « lieu » du jamais plus, du regret, de la nostalgie, du remords. Crainte par rapport à l’avenir : nous ne pouvons faire advenir instantanément ce que nous voulons (« chaque chose en son temps »). Le propre de l’avenir est d’être incertain, tout ce que nous pouvons faire, outre attendre l’occasion favorable, c’est préparer les conditions de réalisation de ce futur. Nous ne prévoyons que des possibilités dont une se réalisera.

 

-        La mort : destin inéluctable : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste : on jette enfin de la terre sur la tête, et en voilà pour jamais » (Pensées, 210).

 

-        Le temps nous apparaît donc comme fluent, insaisissable, fuyant comme de l’eau ou du sable entre nos doigts – et tragique. Nos efforts contre le temps ressemblent au travail de Sisyphe. La seule manière de sortir du temps est d’imaginer des actions magiques, comme dans les contes de fée ou croire à une vie éternelle dans l’au-delà ?

 

3)     Nous ne pouvons pas connaître le temps

 

-        La nature du temps nous est inconaissable. Le temps n’est pas matériel et pourtant il existe. Nous n’en avons qu’un sentiment interne auquel nous ne pouvons faire confiance : il ne s’exerce pas toujours (pris dans une activité qui nous absorbe, nous oublions, au moint pour un moment, la fuite du temps ; dans le sommeil, nous ne ressentons pas le temps : l’ics ignore le temps) ; ce sentiment est fort imprécis : le temps nous semble rapide quand nous sommes heureux, désespérément lent dans le malheur, l’ennui.

 

-        Le temps est-il réel en dehors de nous ? Certains philosophes nient l’existence du temps (Parménide, les philosophies orientales en font une pure illusion) ou bien nient son existence en dehors de notre esprit (Kant, le temps est une forme apriori de la sensibilité, il transforme les choses en soi en phénmènes, il est une propriété de notre esprit gràace à laquelle il introduit dans le monde un ordre, une forme). Ou bien le temps, s’il existe, possède une existence inférieure par rapport à l’éternité qui est la seule réalité (Platon, Descartes…).

 

 

 

Transition 

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La comparaison des propriétés de l’espace à celles du temps semble donc donner raison à Lagneau. N’avons-nous pas toutefois une certaine puissance vis-à-vis du temps ? Notre puissance sur l’espace n’est-elle pas, de son côté, limitée ? Ne convient-il pas, dès lors, de renverser la phrase de Lagneau ?

 

 

 

II) CRITQUE DE LAGNEAU

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A) Notre impuissance devant l’espace

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1)     L’espace est lui aussi orienté 

 

-        Aristote : l’espace n’est pas aussi neutre que nous le pensons. Comme le temps, il est orienté. Le haut, par exemple, n’est pas la même chose que le bas : l’homme a dû faire effort pour se dresser verticalement vers le haut, il doit apprendre cette station debout quand il est enfant et elle demande toujours un effort d’équilibre. Selon Aristote, les choses lourdes sont attirées vers le bas, par une attirance naturelle vers leur lieu naturel. Si nous perdons l’équilibre, nous tombons du haut vers le bas.

 

-        De même, l’avant et l’arrière ne sont pas indifférents pour nous. Nous pouvons certes nous retourner et retourner sur nos pas – mais il y a toujours un avant ou un devant qui nous est visible, offert à notre perception et à notre action, et un arrière ou un derrière qui nous est invisible : nous ne connaissons pas notre dos, ce qui se passe derrière nous est toujours plus ou moins inquiétant, voire menaçant. Pour les TL, cf. L’analyse de Merleau-Ponty, dans La phénoménologie de la perception, sur le corps, « pivot du monde ».

 

-        Il en est de même pour la droite et la gauche qui posent le problème de la symétrie : la symétrie,le mouvement circulaire gauche-droite (sens des aiguilles d’une montre) ou droite-gauche s’imposent à nous-mêmes aussi bien qu’aux choses : nos organes, notre cerveau sont faussement symétriques, nos hémisphères cérébraux n’ont pas les mêmes fonctions, nos avons d’ailleurs un oeil et une oreille dominants, nous sommes droitiers ou gauchers ; l’eau qui se vide dans une bonde tourbillonne dans le sens des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère Nord, dans le sens inverse dans l’hémisphère Sud.

 

2)     La connaissance de l’espace est incertaine

 

-        Notre connaissance de l’espace n’est pas non plus assurée. Espaces à multiples dimensions – courbes, élastiques – de la géométrie moderne. Espaces multiples, vrais à certaines échelles (l’espace de Riemann en astrophysique) ou produits de spéculations sur l’espace en topologie. Les scientifques, comme pour le temps, ne parviennent pas à unifier ces espaces dans une définition de l’espace en général.

 

-        Par ailleurs, nous restons enfermés dans l’espace euclidien qui est l’espace correspondant à notre échelle et donné à notre perception. Notion kantienne de l’espace comme forme a priori de la sensibilité.

 

 

B) Notre puissance sur le temps

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1)     Le temps créateur

 

-        Le temps est ce qui permet le déplacement : nous ne pouvons parcourir l’espace qu’à travers le temps et par le temps. Nous ne pouvons pas être à plusieurs endroits à la foiqs, nous ne sommes pas doués d’ubuiquité. L’être parménidien, éternel et imobile, a quelque chose d’effrayant, son immobilité est peut-être plus une imperfection qu’une perfection : il ne peut bouger parce qu’il est coincé par le trop-plein de son être. Or, le mouvement est liberté, grâce au temps il nous livre l’espace.

 

-        Le temps : ce qui permet la maturation, la transformation étape par étape des choses et des projets. Toute action demande des étapes. Ainsi fait-on longuement mijoter les plats pour en mélanger et fondre les saveurs. Joie de l’étape : le bricoleur, le jardinier, le cuisinier aiment à surveiller les progrès de leur ouvrage, de même que le gourmet savoure chaque bouchée de son plat. La jouissance elle-même demande une certaine durée, de sorte que les étapes d’une action ne sont pas seulement une nécessité qu’on subit, mais elles apportent une jouissance.

 

-        Exemple de l’artiste qui élabore progressivement sa conception de l’oeuvre à faire, d’abord mentalement (croquis, brouillons…), il modifie ensuite cette conception au cours de ces ébauches de réalisation, il corrige, approfondit, etc. Travail vécu comme passionnant même s’il est ingrat.

 

-        Inversement, le passage du temps nous aide à supporter le malheur : il crée une accoutumance qui nous le rend moins pesant, plus supportable : on s’habitue à une douleur, on la ressent moins.

 

-        On pouvait reprendre quelques analyses des philosophies insistant sur le caractère créateur du temps. Exemple de Bergson : la durée est créatrice, elle propulse la vie en avant (l’élan vital), vers un avenir ouvert et imprévisible. Cela est vrai pour la réalité, la vie, l’individu, la société.

 

2)     La connaissance du temps

 

-        Au niveau de la connaissance, les sciences s’interrogent, avec la philosophie, à la question de la nature du temps. La théorie de la relativité, la physique quantique ont fait éclater l’idée d’un temps unique, comme les géométries non-euclidiennes ont fait éclater l’idée d’un espace unique. Problème : cette multiplicité fait qu’on ne sait plus comment ressaisir une unité. Mais impossibilité d’échapper à notre temporalité, à notre nature d’êtres temporels.

 

-        Possibilité d’agir, de mesurer le temps, de nous organiser et repérer dans la durée, de le maîtriser par les lois scientifiques.

 

-        La science, en confirmant une orientation générale du temps (la flèche du temps), en concevant des temps différents et éclatés, a ouvert une brèche dans l’énigme du temps. D’abord en avançant dans la connaissance du temps, mais aussi dans notre conception vécue du temps : en libérant le temps du déterminsime, en insistant sur le rôle du chaos, de l’imprévisible, du complexe qui réintroduisent les notions de hasard, de liberté.

 

 

CONCLUSION 

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-        Reprise de la phrase de Lagneau qui se justifie par l’examen de nos possibilités d’action et de nos limites vis-à-vis de l’espace et du temps. Toutefois, nous pouvons tout aussi bien affirmer l’inverse – la seconde affirmation ne détruisant pas pour autant la première. Certes, nous avons des pouvoirs, une puissance sur le temps, comme nous en avons une sur l’espace, que ce soit sur le plan de la connaissance (nous pouvons mesurer le temps) que sur celui de l’action (nous pouvons organiser nos actions dans la durée et, par la mémoire notamment, retenir les images et les enseignements du passé ; anticipations de l’avenir qui nous permettent de préparer, voire de créer, l’avenir).

 

-        Mais cette puissance sur le temps est toute relative et s’inscrit dans des limites absolues, celles du temps précisément : nous ne pouvons pas échapper à notre nature temporelle, c’est seulement psychologiquement ou rationnellement que nous pouvons dépasser le temps orienté, uniforme et irréversible. Nous ne pouvons échapper à cet écoulement du temps et à son aboutissement, la mort. Lagneau n’a donc pas tort de nous rappeler que le temps est le signe d’une impuissance, c’est-à-dire d’une impossibilité et d’une finitude. Mais cette impuissance, en définitive, n’est pas totale et désespérante. Elle ne conduit pas à la résignation. Bien au contraire : le temps est la marque, sinon de notre puissance, qui s’affirme d’autant plus qu’elle est limitée, du moins de notre liberté. C’est le temps qui, en faisant de nous des êtres en projet, nous amène à créer, à agir, à transformer le monde et à nous tansformer nous-mêmes.

 

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