(1) Thème
(2) Questionnement
(3) Problème
(4) Thèse
(5) Explication
de la thèse
(6) Enjeu,
intérêt principal du texte
(7) Principales
articulations, plan bref du texte
(8)1ère partie du texte : l’amour musical.
Introduction
(9) 1ère sous-partie : le titre du
texte
(10) 2ème sous-partie
(11) 2ème sous-partie
(12) 3ème sous-partie
(13) 4ème sous-partie
(14) Explication de la 1ère sous-partie : le titre
(15) Le choix de la musique n’est pas neutre
(16) 2ème sous-partie : la 1ère étape de
l’apprentissage
(17) 3ème sous-partie : la 2ème étape de l’apprentissage
(18) et (19) : nécessité d’analyser les termes et
expressions importants. Etre attentif à la lettre du texte.
(20) 4ème sous-partie : la 3ème étape de
l’apprentissage
(21) Analyse des termes importants (en italique dans ce
texte) : la notion d’habitude
(22) Citer le texte régulièrement (les passages-clés)
(23) 5ème sous-partie : l’ultime étape de
l’apprentissage.
(24) Conclusion sur le premier grand mouvement du
texte : bilan (enseignement du texte,
reprise de la problématique définie dans l’introduction) + annonce de la
partie suivante sous forme d’une question
(25) 2ème partie du texte : introduction, idée
genérale + idées secondaires
(26) 1ère sous-partie
(27) 1ère sous-partie, suite. Formulation succincte et
circonspecte de quelques hypothèses à partir d’autres textes de Nietzsche (ce
procédé, à utiliser avec précaution dans la partie explicative, peut
permettre d’éclairer certaines obscurités d’un texte, notamment lorsque
celui-ci est peu explicite)
(28) 2ème sous-partie
(29) 2ème sous-partie, commentaire, suite (lorsque le
commentaire d’une sous-partie risque d’être un peu long, compte tenu de
l’importance ou de la complexité du
passage, il vaut mieux, pour des raisons de clarté et d’équilibre, étaler
l’analyse en plusieurs paragraphes. Un paragraphe ne correspond donc pas
nécessairement à une sous-partie du texte)
(30) 3ème sous-partie. Là aussi, nécessité d’être attentif à la lettre du texte
(31) Référence discrète à un texte d’un autre auteur (ici,
le texte de Pascal étudié en classe). Les références extérieures doivent
plutôt être évoquées dans la partie réflexive.
(32) 4ème sous-partie : la dernière phrase.
(33) Conclusion de la partie explicative : bilan,
enseignement du texte + annonce de la partie réflexive. Eviter de passer à la
partie réflexive de façon abrupte, sans transition.
(34) Partie réflexive : introduction. Présentation succincte des
principaux intérêts philosophiques du texte. Ici, trois grands problèmes (I,
II, III).
(I) 1er intérêt du texte : une définition originale de
l’amour en rupture avec la conception commune
(I’) Justifier ce que l’on écrit à partir du texte, prendre
appui sur lui, le prendre à témoin. Dans la partie réflexive, il ne s’agit
pas de se perdre dans des considératuons générales sans rapport explicite
avec le texte, mais de discuter, de souligner l’intérêt de la thèse de
l’auteur dans le texte.
(II) 2ème intérêt du texte : la beauté de l’effort.
Cette notion essentielle du texte est évoquée à partir du texte lui-même
(l’idée de récompense). L’intérêt d’un texte ne doit pas tomber comme
« un cheveu sur la soupe ».
(III) Le troisième intérêt philosophique du texte : la
figure classique de l’étonnement.
(35) Conclusion générale : bilan, enseignement du
texte.
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INTRODUCTION
L’apprentissage de l’amour, tel est le
thème que développe Nietzsche dans ce texte extrait du paragraphe 334 du Gai Savoir (1) . Que nous arrive-t-il, en
effet, lorsque nous aimons vraiment quelque chose ou quelqu’un ? Cet
amour est-il donné d’emblée, en vertu de quelque alchimie mystérieuse
échappant en grande partie à la volonté du sujet ? N’est-il pas, au
contraire, le fruit d’une libre volonté, d’une décision ? (2) Le
problème que soulève Nietzsche apparaît alors clairement : pour que
l’amour advienne, ne faut-il pas se donner les moyens de le faire
advenir ? (3)
Nietzsche renverse la conception commune de la passion fatale et
exclusive : si l’amour vrai ne se réduit pas à un sentiment spontané, il
se construit par un long travail d’apprentissage qui consiste à apprivoiser
l’étrangeté dérangeante et perturbatrice de l’autre. (4) L’amour désigne un véritable
processus de transformation et de réalisation de soi au contact de
l’altérité, mouvement par lequel nous finissons parfois par nous éprendre de
ce que nous n’aimions pas nécessairement au premier abord. Autrement dit, il
faut vouloir aimer pour le pouvoir et il est de notre responsabilité de faire
advenir l’amour. (5) Attention donc à l’illusion de
facilité : ce texte nous invite avant tout à méditer sur la patience, la
beauté de l’effort et peut-être aussi sur la figure classique de
l’étonnement. (6)
Le texte est très nettement divisé en deux parties et son mouvement
d’ensemble est particulièrement clair : Nietzsche évoque d’abord une
figure musicale qui donne à penser l’amour et qui provoque en elle-même
quatre moments sucessifs au cours desquels le mélomane passe de l’étrangeté à
la familiarité (« Il faut apprendre à aimer…et rien
qu’elle-même »). Le deuxième moment du texte nous guide de la musique à
tous les objets d’amour possibles, l’amour de soi compris : le même
cheminement est à l’oeuvre puique l’apprentissage de l’amour est ouverture à
l’altérité qui ne dévoile que progressivement sa beauté et sa nécessité
(« - Mais ce n’est pas seulement…s’apprendre »). Le texte suit
ainsi une progression qui procède par un élargissement, une généralisation,
avant le retour en boucle au titre sur la fin. (7)
ª
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L’amour dont il est question dans le
premier mouvement du texte (« Il
faut apprendre à aimer…et rien qu’elle-même ») n’est pas précisément
(même s’il peut le devenir) l’amour d’une personne pour une autre, mais
l’amour d’un sujet pour une musique. (8) La référence à la musique est censée
dévoiler l’essence même de l’amour authentique. Nietzsche énonce d’abord,
dans la première phrase, son idée directrice : l’amour doit s’apprendre.
(9)
Puis il distingue les quatre étapes successives qu’exige la figure
musicale : la délimitation de son existence (« - Voici ce qui nous
arrive…une vie en soi ») (10) , l’acceptation de son étrangeté
(« ensuite il faut de l’effort…ce qu’elle a de singulier ») (11) ,
l’accoutumance à sa répétition (« - vient enfin le
moment…faisait ») (12) , la dépendance totale de sa beauté enfin
(« et désormais…rien qu’elle-même ») (13) .
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Le texte s’ouvre sur une proposition
éclatante, paradoxale à souhait, rédigée en italique, et qui constitue le
titre de ce paragraphe 334 du Gai
Savoir : « Il faut apprendre à aimer » (14) .
Premier paradoxe : l’amour, ce sentiment de sympathie et d’attachement
très fort pour un autre que soi-même, relèverait d’un apprentissage,
c’est-à-dire d’un processus complexe de formation, d’instruction,
d’acquisition de connaissance, de découverte. Loin de désigner un sentiment
plus ou moins confus, subi par l’individu, l’amour profond passerait
nécessairement par l’expérience et l’initiation. Deuxième paradoxe :
Nietzsche parle d’un devoir (« Il faut… ») d’apprendre à aimer,
alors que nous considérons spontanément que le sentiment amoureux est rebelle
par nature à toute injonction et que, comme on le dit, l’amour ne se commande
pas. Troisième paradoxe enfin : le titre fonctionne également sur le
rapprochement de deux verbes, l’un cognitif («apprendre ») et l’autre
affectif (« aimer »), rapprochement qui évoque le titre même de
l’ouvrage dont ce texte est extrait : Le Gai Savoir. Or, que s’agit-il précisément d’apprendre
dans l’amour ?
Pour répondre à cette question,
Nietzsche commence par l’exemple de la musique (« Voici ce qui nous
arrive dans le domaine musical ») (15) . Que se passe-t-il, en effet, lorsque nous
aimons ou finissons par aimer telle ou telle figure musicale ? Ce n’est
pas un hasard, semble-t-il, si le philosophe-artiste fait référence à la
musique pour mieux penser l’amour. Outre que l’analogie de l’amour et de la
musique est fréquente chez Nietzsche (l’art en général, la musique en
particulier, sont des puissances de vie), il convient de souligner que le
sens de l’ouïe, plus que celui de la vue, est le sens par excellence qui
permet de juger le monde et l’existence comme phénomène esthétique à part
entière. D’autre part, la référence à la musique n’est pas non plus neutre
dans la mesure où l’expérience esthétique est pensée comme un apprentissage
toujours exigeant de l’altérité et de l’étrangeté. Il faut donc considérer
les premières lignes du texte avec beaucoup d’attention puisqu’elles
dessinent les étapes principales de cet apprentissage patient de l’altérité.
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Le premier moment de cet apprentissage
(« - Voici ce qui nous arrive…une vie en soi ») passe par la
délimitation de l’existence de la musique (16) . Cette délimitation consiste
à « apprendre à entendre » le morceau de musique. Que signifie le
verbe « entendre », sinon l’écoute attentive, intelligente, qui se
distingue de l’écoute passive, irréfléchie, spontanée, celle qui fonctionne
notamment dans notre rapport immédiat au monde ? L’écoute musicale
authentique est affaire de sensibilité certes mais d’une sensibilité pénétrée
d’intelligence, libérée du poids des habitudes et du quotidien, une
sensibilité cultivée par le discernement. Il convient d’apprendre à repérer
et fnalement à apprécier l’originalité de l’oeuvre musicale, laquelle ne
s’offre pas spontanément à l’oreille distraite. Nietzsche parle de la
« vie en soi » de la figure musicale pour signifier le fait qu’une
oeuvre d’art quelle qu’elle soit se mire en elle-même, montre pourtant quelque chose comme un
monde, enseigne à voir d’une manière nouvelle notre univers quotidien. Face à
une oeuvre d’art, il faut d’abord la regarder ou l’écouter avec attention. Il
faut attendre qu’elle nous parle, abandonner toute prétention à un sens préétabli
ou à une compréhension immédiate.
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Le deuxième moment que provoque en
elle-même la figure musicale est l’acceptation de son étrangeté
(« ensuite il faut de l’effort…ce qu’elle a de singulier ») (17) .
Le verbe « supporter » (18), mis en italique dans le texte, résume
cette démarche. L’étrangeté dont parle Nietzsche renvoie à cette « vie
en soi » (19)
de la musique, c’est-à-dire à tout ce qui, en elle, est singulier,
mystérieux, original. Si l’oeuvre d’art nous ouvre une dimension inédite et
inexplorée du monde, il apparaît tout à fait normal que la nouveauté qu’elle
incarne soit perçue d’abord sur le mode de l’étrangeté. Ce passage nous
indique clairement que c’est bien d’un apprentissage de l’altérité qu’il
s‘agit dans l’amour musical. C’est ce que traduit d’ailleurs le verbe
« supporter » qui, loin de signifier quelque passivité du sujet,
désigne l’action positive et volontaire d’accepter l’étrangeté. Cette
acceptation de l’étrangeté de l’oeuvre, qui est acceptation de sa singularité
irréductible, est affaire, nous dit Nietzsche, « d’effort », de
« bonne volonté », de « patience » - dispositions
qui constituent précisément les matériaux et les moteurs de l’apprentissage. Pour
aimer l’étrange, il faut le vouloir, se donner les moyens, faire preuve de
« tendresse », c’est-à-dire d’une certaine disponibilité
ontologique, d’une certaine innocence, d’une capacité à se laisser surprendre
ou séduire, et à jouir d’une telle surprise.
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La troisième étape, après la phase de
la découverte et de l’acceptation, est celle de l’accoutumance ou de
l’habitude (« - vient enfin le moment…faisait ») (20). Au
fur et à mesure que le mélomane pénètre dans l’intimité de l’oeuvre musicale,
on sent la beauté qui affleure. Le philosophe nous explique ici que l’effort
et la bonne volonté produisent lentement leurs effets : le mélomane
s’imprègne littéralement de l’oeuvre qui dévoile petit à petit ses
richesses ; la figure musicale est comme intériorisée par le sujet, elle
fait partie de lui en quelque sorte, et l’on passe ainsi du registre initial
de l’étrangeté à celui de la familiarité. Le terme qui illustre parfaitement
ce processus d’imprégnation est le participe passé « habitués » (21) ,
lui aussi écrit en italique. L’habitude en question n’est pas tant le
comportement machinalement et passivement répété que l’apprivoisement de
l’étrangeté. Le sujet se transforme alors en profondeur, son horizon
naturellement borné s’élargit : simple mélomane ou amateur d’abord, il finit
par devenir amoureux.
Mais que veut dire l’auteur lorsqu’il
affirme, en parlant de la musique, que « nous sentons qu’elle nous
manquerait, si elle faisait défaut » (22) ? Ce passage du texte, d’une
grande beauté, suggère que l’apprentissage de l’amour est comparable à une
musique que nous n’apprécions pas de prime abord, et qui finit, très
progressivement, très patiemment, presque insidieusement, par nous devenir
indispensable – vitale. Se crée une sorte de nécessité entre le sujet et
l’oeuvre, une dépendance librement consentie, qui ne résulte pas de quelque
aliénation mais d’une activité volontaire d’un individu qui a su se rendre
disponible à l’étrangeté. L’amour accomplit le prodige de transformer la
contingence (la rencontre non nécessaire entre deux êtres – ici, le mélomane
et la musique - qui n’étaient pas destinés à se rencontrer) en nécessité.
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Dans la dernière étape, l’intensité est
à son comble et l’on perçoit le philosophe-artiste qui traduit sa propre
expérience de mélomane, d’instrumentiste et de compositeur (« et
désormais…rien qu’elle-même ») (23) . Filant la métaphore du rapport amoureux
(la musique fait de nous « ses amants humbles et ravis »),
Nietzsche en vient à décrire son rapport à la musique sous l’aspect du
plaisir de la soumission (« désormais elle ne cesse pas d’exercer sur
nous sa confiance et sa fascination… »). Je suis esclave de cette
musique, je le sais, et cela même est justement mon plaisir. On retrouve ici
la notion de dépendance volontaire, fruit d’une contingence devenue
nécessité, où le sujet se soumet peu à peu, à mesure que l’oeuvre offre sa
propre nécessité – son monde, ses richesses, sa beauté. Nietzsche ne dit pas
pour autant que tout est gagné et que dans cette quasi dépossession de soi
l’oeuvre devient transparente (une oeuvre d’art est une réserve de sens
inépuisable). Dans ce parcours initiatique où l’amour prend forme, nous ne
sommes pas passés exactement de l’étrangeté à la familiarité ; une telle
familiarité n’existe pas ici, il y a toujours quelque chose d’étrange en
elle, sans quoi il n’y aurait ni contrainte ni fascination, ni humilité ni
ravissement – ingrédients nécessaires de l’amour.
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En quoi donc la musique donne-t-elle à
penser l‘amour ? (24) Ce premier mouvement du texte nous enseigne
que dans l’amour musical, il se pourrait bien en effet que ce soient les
musiques que nous n'aimons pas à la première écoute qui finissent par nous
ravir entièrement : l’étrangeté se découvre peu à peu, leur beauté
apparaît avec le temps, mais – heureusement – il reste toujours un
voile. Aimer n’est pas quelque chose
d’immédiat, de spontané ; aimer demande du temps ; aimer s’apprend.
Ce texte nous suggère que la facilité n’est jamais bon signe pour l’amour
exigeant (et c’est bien d’amour exigeant qu’il s’agit tout au long de ce
texte – il y a amour et amour !). Est-ce seulement le cas en musique ou
cette vérité est-elle valable en toutes choses ?
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C’est alors que Nietzsche ajoute, dans
le deuxième mouvement du texte, que de la musique à tous les objets, c’est le
même apprentissage qui est à l’oeuvre, c’est la même expérience qui se
déploie, et c’est finalement la même chose qui est en jeu : l’effort
patient pour apprivoiser l’autre et se laisser féconder par lui (« -
Mais ce n’est pas seulement…s’apprendre »). (25) A partir du paradigme de la
musique, Nietzsche procède par une généralisation. On passe de l’amour
musical à tous les objets d’amour possibles (« Mais…aimons
maintenant »). Dans tous les cas, la beauté émanant de l’étrangeté
constitue comme une récompense de l’apprentissage de l’altérité (« Nous
finissons toujours…hospitalité »). L’amour de soi n’échappe pas à cette
règle puisqu’il convient également d’apprendre à s’aimer (« Qui s’aime
soi-même…d’autre »). La fin du texte fait écho au titre du début et
vient confirmer l’idée selon laquelle l’amour doit bel et bien faire l’objet
d’un travail (« L’amour aussi doit s’apprendre »).
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L’apprivoisement de la figure musicale
nous a livré quatre étapes fondamentales qui métamorphosent patiemment
l’amateur en amoureux : entendre, supporter, attendre et finalement
désirer ou aimer. Ce paradigme du travail amoureux semble pouvoir être étendu
à toute sorte d’objets d’amour possibles. En tout cas, « c’est justement
de la sorte que nous avons appris à
aimer tous les objets que nous aimons maintenant ». (26) Nietzsche
n’écrit pas que tout peut et doit être aimé, ni que toute chose soit digne du
même effort. Il s’agit plutôt de
dévoiler la façon dont nous avons fini par nous éprendre des objets que nous
« aimons maintenant ». L’injonction signalée dans la première
phrase du texte (« Il faut apprendre à aimer ») n’est peut-être pas
à comprendre comme une invite à aimer nécessairement tout et n’importe quoi
sur le modèle de l’amour musical. Nietzsche met plutôt au jour le processus
sous-terrain qui a présidé à l’élaboration de l’amour profond, soit pour nous
guérir de l’illusion de la facilité et nous permettre ainsi d’identifier les
choses que nous aimons vraiment, soit pour nous inciter à nous pencher sur
des objets authentiquement aimables.
A cette étape du texte, Nietzsche n’est
pas très explicite, en effet, sur
tous ces objets que nous « aimons maintenant ». Le philosophe ne
nous aide guère : il nous laisse deviner (le procédé est habituel dans un
aphorisme), peut-être parce qu’il se garde bien d’enseigner quelque recette
de l’amour, peut-être aussi parce qu’il convoque toujours un lecteur actif.
Outre la musique, qui est élevée au rang d’objet culte, d’autres textes du Gai Savoir signalent que, parmi ces
objets, se trouvent la philosophie elle-même, et plus précisément les grands
problèmes philosophiques : « Les grands problèmes exigent tous le grand amour et seuls en sont
capables des esprits puissants, entiers et assurés, fermes dans leur
assiette » (Gai Savoir, par.
345). Plus révélatrice encore est l’utilisation (27) du passé composé dans la
phrase « nous avons appris à aimer ». Ce passage au passé permet de
relire l’aphorisme tout entier à la lumière de l’éternel retour (amor fati) qui suppose bien une forme
d’amour, à la fois attentif et attentionné, dans la mesure où l’éternel
retour apparaît, dans la philosophie Nietzschéenne, comme pensée éthique et
sélective, c’est-à-dire comme attention à la vie. La musique – l’art en
général -, les grands problèmes philosophiques, l’éternel retour incarnent peut-être
tous ces objets aimables dont parle Nietzsche.
Quelle que soit la pertinence de cette
hypothèse (le texte lui-même, peu disert à ce sujet, ne nous est pas d’un très grand secours),
une chose semble certaine : l’amour en question est de loin le moins
facile, Nietzsche nous décrit un amour d’une autre nature, un amour sublime
dont finalement bien peu sont capables et qui supposent des hommes d’une
autre trempe (le surhomme nietzschéen). On attendrait en tout cas que figurât
parmi ces objets l’amour pour autrui qui est sans conteste le plus commun,
voire le plus spectaculaire. Or, ce type d’amour n’apparaît pas dans ce
texte, sauf sous la forme d’une métaphore amoureuse désignant le rapport à la
musique. Il ne faut donc pas lire ce texte en termes d’amour entre l’homme et
la femme et ne pas y voir une recette idéale de l’amour parfait entre deux
êtres. Nietzsche n’est pas un conseiller matrimonial !
Alors que le premier mouvement du texte portait essentiellement sur le
processus d’apprentissage en amont du sentiment amoureux, la suite du texte
insiste davantage sur ce qui s’opère en aval du travail, lorsque toutes les
étapes précédemment décrites ont été franchies et que l’objet de notre amour,
dans son étrangeté même, finit par nous ravir (« Nous finissons
toujours…hospitalité ») (28). Ce qui se donne, au bout du compte, en
récompense à tant d’efforts, c’est le dévoilement de la beauté même de
l’objet, comme si, dans l’amour, la beauté était la finalité par excellence.
Nietzsche semble faire de l’expérience esthétique un modèle de vie :
dans l’oeuvre d’art, la beauté est à elle-même sa propre fin et dans le grand
amour, il semble que cela en soit ainsi.
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L’auteur souligne, comme pour nous rassurer, que tous les efforts qui
ont été déployés dans l’apprentissage de l’amour ne sont jamais vains et que
nous « finissons toujours par être récompensés » (29).
Car pour goûter la « nouvelle et indicible beauté » - celle de
l’étrangeté qui rebute d’abord et qui fascine ensuite -, pour entrer dans le
monde éclatant de l’autre et en percevoir toutes les richesses insoupçonnées,
il faut accomplir un véritable travail de soi sur soi qui est tissé de
« bonne volonté » (bienveillance à l’égard de l’objet), « d’équité »
(appréciation juste de la valeur de l’autre), de « patience »
(persévérance dans l’apprentissage malgré les difficultés et le
découragement), de « tendresse envers l’étrangeté » (affection,
attachement, plaisir qui naît de la découverte laborieuse de l’autre).
Où l’on voit que l’apprentissage de l’amour est affaire d’esprit tout
autant que de corps : l’amour, et notamment l’amour de la musique, est
toujours sensuel, charnel, corporel et consiste en une véritable éducation de l’âme comme des sens. L’étrangeté finit
par faire montre de « gratitude », de reconnaissance pour notre
« hospitalité », c’est-à-dire pour notre accueil chaleureux et
désintéressé à son endroit. La métaphore du rapport amoureux réapparaît
ici : l’apprentissage amoureux est finalement un apprentissage de la
réciprocité où chacune des parties est reconnaissante envers l’autre
pour le travail accompli et la beauté et le bonheur qui en découlent. La
« gratitude » est alors la juste récompense de la patience et de la
tendresse de l’amoureux.
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Nous évoquions plus haut la discrétion de Nietzsche concernant les
« objets que nous aimons maintenant ». L’avant-dernière ligne du
texte est plus suggestive et semble apporter un élément supplémentaire aux
hypothèses que nous formulions (« Qui s’aime soi-même…d’autre »). (30)
En effet, Nietzsche ne nous donne explicitement qu’un seul exemple, celui,
pour le moins surprenant, de l’amour de soi : « Qui s’aime soi-même
n’y sera parvenu que par cette voie ». Quoi ? Le moi serait aussi
étrange qu’une petite musique ? Je serais si étranger à moi-même, duel,
multiple à l’intérieur de moi-même, qu’il conviendrait que je fournisse à mon
égard le même effort, la même disponibilité et la même tendresse que pour une
musique ? Il est difficile de ne pas penser ici au texte de Pascal (in Pensées, fragment n°323) sur le moi
introuvable où pascal conclut que, dans l’amour, on aimerait une personne, alors qu’on n’aime personne, qu’on ne
connaît pas le moi, qu’on ne connaît pas l’amour. (31)
Chez Nietzsche, il convient apparemment de comprendre que nous
commençons par ne pas nous aimer : nous nous regardons comme un
étranger, au même titre que la figure musicale se livre d’abord à l’oreille
sur le mode de l’étrangeté rebutante. Pourquoi cette couleur d’yeux, cette
forme de bouche, ce mouvement des cheveux ? Pourquoi aussi cette
réaction stupide face à un événement, ce comportement, cette qualité, ce
défaut ? Le moi est d’abord étranger à lui-même avant d’être étranger au
monde, sans parler des nombreuses fois où le moi se mésestime, voire se
méprise. On est très loin ici de l’illusion du moi substantiel transparent à
lui-même ! Puis, comme pour la musique, nous nous acceptons, nous
faisons de nous une figure possible du monde. Précisons que l’amour de soi
dont parle Nietzsche n’est pas l’amour propre des moralistes (l’amour
excessif et exclusif de soi) mais une certaine estime de soi par laquelle le
moi vaniteux est surmonté. En tout cas, là où la problématique de Pascal
était celle du moi haïssable, celle de Nietzsche s’attache avant tout à l’étrangeté qui précède tout amour de
soi, - étrangeté qu’il ne s’agit nullement de résorber mais d’accepter et de
chérir.
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Le texte se termine par la
reprise, légèrement modifiée, de la toute première phrase où Nietzsche
annonce sa thèse : « L’amour aussi doit s’apprendre ». (32) La
structure circulaire du texte permet de renforcer l’idée directrice et
d’insister sur l’originalité de la conception nietzschéenne de l’amour. La
nouveauté de cette dernière ligne du texte par rapport au titre réside dans
la conjonction « aussi » qui est ajoutée. Quel sens a au juste cet
« aussi » ? Ne faut-il pas le comprendre comme : il y a
des choses qui s’apprennent, et d’autres dont on croit qu’elles ne
s’apprennent pas ? Là aussi, ce passage du texte est pour le moins
provocateur : si parmi les choses qui font l’objet d’un apprentissage
Nietzsche range, contre toute apparence, l’amour, voire l’amor fati, ne faut-il pas ajouter,
comme nous l’avons suggéré plus haut, la philosophie, dont on sait très bien
qu’elle s’apprend, qu’elle demande même beaucoup de temps pour s’apprendre
(les élèves en savent quelque chose !), qu’on n’en finit jamais de l’apprivoiser
et que, dans cet effort d’apprentissage infini, réside peut-être la joie de
penser et de vivre. Aussi faut-il peut-être entendre la dernière
phrase : comme la philosophie (ce qui est évident pour elle), l’amour
doit s’apprendre, lui aussi. Décidément, Nietzsche ne nous ménage guère, nous
qui pensions trouver dans l’amour un havre de paix. Nul répit donc, même et
surtout dans l’amour !
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De la musique à tous les objets, du mélomane à l’amoureux, que nous
apprend finalement sur l’amour le paragraphe 334 du Gai Savoir ? D’abord que, en musique comme en toutes choses,
la facilité n’est pas de mise pour l’amour exigeant qui demande un difficile
effort sur soi-même. Entendre l’étrangeté, peu amène au départ,
l’apprivoiser, se laisser surprendre et conquérir par elle pour finalement
l’aimer et la désirer : tel semble être le cheminement nécessaire de
l’amoureux authentique qui part à la découverte de l’altérité et de
l’étrangeté. Cet effort courageux, nous devons l’exercer à l’égard du moi
lui-même qui lui aussi a pour tâche de s’aimer et de s’apprendre. Au bout du
compte, il y a la récompense de goûter des plaisirs inouis et de connaître
des beautés rares qui ne se dévoilent qu’au voyageur intrépide. Outre la
question de l’amour, quel est le gain théorique et pratique de cette idée que
l’amour s’apprend ? Quel intérêt philosophique cette conception
nietzschéenne de l’amour peut-elle bien avoir ? (33)
ª
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Ce texte au grand style et au ton toujours provocateur est riche d’une
multiplicité de vues fécondes et intéressantes. (34) Il nous permet tout d’abord
de dépasser une conception naïve de l’amour, empreinte de fatalisme, et de
pénétrer au coeur de l’amour authentique (I). En second lieu, malgré ses
nombreuses énigmes, ce texte est manifestement un éloge de la réalisation de
soi et de la beauté de l’effort : certains aspects essentiels de la
philosophie de Nietzsche se dessinent ici en filigrane (II). Ce texte est intéressant,
enfin, sous un autre aspect, plus insidieux : il met en scène la
relecture de la figure philosophique de l’étonnement (III).
Alors que l’amour est souvent envisagé dans la pensée commune et dans
certaines oeuvres littéraires comme un sentiment confus et subi par
l’individu dans une impuissance totale, Nietzsche nous invite d’abord à ne
pas réduire l’amour à un sentiment de sympathie très fort pour un autre que
soi-même (I) .
En effet, l’attachement éprouvé par quelqu’un envers quelqu’un est
souvent entaché d’égoïsme forcené, de possession exclusive de l’autre et
finalement d’un malentendu radical (malentendu qui, selon Nietzsche, est
inhérent à l’essence même de l’amour : «L’homme et la femme entendent
chacun quelque chose de différent par le terme amour », Le Gai Savoir, par. 363). Le texte
semble nous suggérer que l’amour authentique est plutôt à chercher dans des
objets où l’égoïsme et le malentendu ne sont pas systématiquement
réactivés : la musique, l’art en général, la philosophie, nous l’avons
vu, sont promus au rang d’objets aimables car, à travers eux, le sujet est
mis à l’épreuve et finit par se libérer de sa propre prison selon le
processus que décrit Nietzsche tout au long du texte. On est donc loin ici de
l’amour entendu comme sentiment que l’on éprouve pour une personne, le plus
souvent du sexe opposé, caractérisé par sa puissance et ses débordements, ses
excès et son aspect déraisonnable (thème classique de la passion amoureuse).
Ainsi, contre la conception d’un amour qui serait un sentiment inné
rencontré tel quel en soi, le texte s’éloigne du sens commun (suivre ses
impulsions, c’est le premier mouvement qui est le bon, etc.), en affirmant
qu’on peut et doit travailler à aimer . Tout le texte insiste sur l’idée
que l’amour peut faire l’objet d’une volonté et d’une décision. Tout amour
est ouverture à l’altérité. Ce qui est subi dans la passion doit, dans
l’amour athentique, suciter la patience et la bonne volonté. Celui qui veut
pouvoir aimer doit apprivoiser l’autre. S’il faut s’habituer à l’étrange ou
l’étranger et le faire sien (thème de l’habituation développé au début du
texte), il ne s’agit pas de le réduire, de se l’approprier dans un désir
consommateur ; il convient, au contraire, de se laisser modifier, tout
en modifiant soi-même l’autre. C’est ce que laisse entendre le texte lorsque
Nietzsche précise que le mélomane devient paradoxalement dépendant de la
chose qu’il a fini par apprivoiser (« et désormais…elle-même »). Il
n’y a alors pas d’appropriation univoque, mais échange et réciprocité. Dans
l’exemple donné par Nietzsche, la reconnaissance et la
« gratitude » de la musique que l’on apprend à aimer résident dans
le fait qu’elle dévoile sa richesse. L’amour est ainsi création d’un espace
nouveau de relation où deux parties se rencontrent et se donnent l’une à
l’autre en étant modifiées, transformées, voire transfigurées par ce
processus. (I’)
Du coup, l’idée que l’amour s’apprend, qu’il n’est pas donné d’emblée
et que l’on doit s’en rendre capable, implique une certaine liberté dans le
choix de l’objet d’amour. Cette conception s’oppose très nettement à celle de
la passion fatale et exclusive. L’amour est pensé dans notre texte comme le
fruit d’une construction et d’un travail personnels, il est le résultat d’une
action volontaire pour accueillir ce qui est autre. L’amour peut alors
laisser place à une certaine indétermination de son objet. La vision
fataliste de l’amour nécessaire pour un être ou une chose (« nous étions
faits pour nous rencontrer »…) est rassurante en ce qu’elle fait
l’économie de doute sur la réalité du sentiment amoureux. En clair, accepter
que l’amour est aussi le fruit d’une décision et d’un travail fragilise la
détermination de l’objet ou de l’être à aimer, et le revers de cette liberté
relative réside dans la possibilité de l’erreur et du risque (Merleau-Ponty
parlera, à ce sujet, de la « hardiesse de l’amour » qui promet
souvent au-delà de ce qu’il peut offrir).
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Le deuxième aspect du texte qui retient l’attention et qui constitue
un deuxième intérêt philosophique de tout premier ordre concerne l’idée
finale de récompense (Nietzsche parle de « gratitude ») que l’on
trouve dans la dernière partie et qui n’est guère nietzschéenne en apparence,
si on la voit comme une idée chrétienne (II). Mais s’il est vrai, comme le dit
l’aphorisme 153 de Par-delà le bien et
le mal, que « ce qu’on fait par amour s’accomplit toujours par-delà
le bien et le mal », alors on verra ce texte comme un amour du travail,
de la réalisation de soi et d’autrui à travers une oeuvre, en un sens non pas
chrétien mais nietzschéen : construire sa vie comme une oeuvre d’art. Se
surmonter soi-même, surmonter sa propre douleur, telles sont les exigences du
surhomme dont le gai savoir ne va pas sans désespoir surmonté, jusqu’à dire
« oui » à l’existence dans toute son horreur et sa splendeur.
Ainsi, cet énigmatique « il faut apprendre à aimer » n’est
pas un texte sur l’habitude, c’est un texte sur la patience et la beauté de
l’effort. Que nous dit Nietzsche au fond, si on sait l’écouter ? Que les
choses (la musique, l’acceptation de soi-même, l’amour en général, le bonheur
en somme) ne viennent pas d’elles-mêmes comme par enchantement, que la beauté
elle aussi suppose l’amertume de la désillusion et du travail puisqu’aimer
plus profondément, c’est aussi aimer ce qu’on n’aimait pas nécessairement au
premier abord. Aimer, c’est ne-pas-s’en-tenir-à. Il en va de même pour
l’amour de soi, condition de possibilité de l’amour, si l’on en croit la
suggestion finale du texte : s’il faut un travail, une ouverture, une
acceptation et une réceptivité pour aimer l’autre, encore faut-il qu’au
préalable on se juge soi-même digne d’accomplir ce service et de partager cet
amour. On le sent bien, dans nos échecs, dans nos errances, dans nos
frustrations, que l’amour de soi est indispensable à l’échange amoureux et
que cet amour de soi, que l’on confond souvent avec le narcissisme, est le
plus dur qui soit. Nietzsche a manifestement retenu la leçon de Rousseau dans
le Discours sur l’origine et les
fondements de l’inégalité parmi les hommes.
Pourtant, ce texte de Nietzsche laisse en suspens une question
cruciale : s’il faut se donner les moyens de faire advenir l’amour, ne
faut-il pas aussi que les événements extérieurs favorisent ce travail ?
On pourrait, en effet, reprocher à ce texte sa trop grande complaisance à
l’égard du travail personnel qui fait fi des contraintes extérieures, des
données inconscientes ou imaginaires tissant la toile d’araignée de notre vie
affective, mais aussi de la part irréductible de hasard et de chance qui
jalonne l’existence. Au fond, la rencontre se décide-t-elle vraiment ?
N’est-elle pas contingente, soumise aux aléas de la vie ? Et l’on sait
que l’amour ne peut pas être sûr de lui, qu’il a toujours besoin de preuve,
qu’il ne peut jamais se dire nécessaire. Comment, en somme, la contingence
qui préside à la rencontre amoureuse se mue-t-elle en nécessité, en
contrainte (cette idée est suggérée par le texte lui-même, à la fin de la
première partie) ?
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Ces questions semblent tout à fait pertinentes pour l’amour entre deux
personnes. Mais que dire de l’amour artistique et de l’amour
philosophique ? Le troisième intérêt philosophique de ce texte serait
peut-être alors à chercher dans la relecture de la grande figure
philosophique de l’étonnement que ce texte appelle (III). Car qu’est-ce qui,
finalement, est en jeu dans la question de l’amour, de son apprentissage, et
qui intéresse au premier chef le philosophe ? C’est peut-être ce qu’il
faut bien appeler le « déplacement du sujet ». Dans le fait d’aimer
ou de philosopher, nous sommes sans cesse tendus vers quelque chose ou
quelqu’un . Penser l’amour, ce n’est pas seulement penser l’autre comme
effet de soi, c’est se penser aussi, et surtout, comme effet d’autre.
Autrement dit, c’est la question même de ce qui m’échappe en moi :
l’amour décentre, propulse le sujet hors de lui, il détermine plus qu’il n’est
déterminé. En amour, comme en philosophie, on trouve la même passion lucide,
la même tension-vers – que ce soit un objet, une personne, une pensée ou un
idéal -, avec toute la part de souffrance que coûte cet effort. Tel est sans
doute le sens de l’étonnement à l’origine du projet philosophique lui-même
et, semble-t-il, du grand amour : que rien ne nous semble aller de soi,
que chaque chose suscite en nous l’émerveillement, la fascination, voire le
ravissement.
ª
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Ce très bel aphorisme de Nietzsche nous a
conduits très loin dans la compréhension de l’amour et de son apprentissage.
En insistant sur le fait que l’amour exigeant est le fruit d’une décision et
d’un travail par lesquels s’établissent patiemment la réciprocité et la
beauté de l’échange, Nietzsche n’entend pas démsytifier le sentiment
amoureux. Si démystification il y a, c’est plutôt du côté d’une certaine
vision naïve et fataliste de l’amour qu’il convient de chercher. La
conception de l’amour que nous propose Nietzsche, loin d’appauvrir l’amour,
en restitue au contraire toute la part de risque,d’erreur et de beauté
puisque c’est au sujet qu’il incombe de faire advenir l’amour. Si le texte
peut paraître décevant en ce qu’il ne parle guère de l’amour entre deux
personnes, c’est peut-être parce que là ne réside pas vraiment l’amour
authentique. Nietzsche fait l’éloge de la réalisation de soi, de l’attente,
de la grandeur de l’effort. Ce texte est une invite à la création, à l’amour
de la vie, au dépassement de soi et de sa propre douleur – au gai savoir. (35)
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