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Le corrigé suivant se limitera au travail de préparation qui constitue l’ossature de la dissertation et qui semble de plus en plus négligé par les élèves. Il est vivement conseillé, à l’approche du baccalauréat, de revoir attentivement la méthode de la dissertation distribuée en début d’année et d’apprendre par coeur les étapes conseillées dans le travail de préparation. Je ne saurais trop vous recommander de vous exercer à cette tâche à partir des sujets de dissertation indiqués dans les fiches de travail (par exemple, un sujet par semaine en plus des devoirs obligatoires). Le mieux est de réaliser ce travail de préparation en temps réel, en vous exerçant à ne pas dépasser la limite des deux heures (introduction et conclusion rédigées).
I) Il faut avoir peur du progrès technique
B) Des raisons d’avoir peur : le grand méchant loup
II) La peur du progrès technique est sans fondement réel
A) L’éthique de la peur : une démagogie
B) Défense du progrès technique
III) Une éthique du progrès technique plutôt qu’une éthique de la peur
B) La question de la responsabilité
C) Les effets humanisants de la technique
1. Rechercher
les mots clés et les concepts essentiels
- L’expression essentielle sur laquelle il va falloir travailler est celle d’un devoir de peur à l’endroit du progrès technique. Il ne va donc pas s’agir de parler du progrès technique en général mais de la technophobie en particulier.
2. Analyse
des termes (sens, étymologie) et des expressions, dans le contexte du sujet
- Faut-il : est-il nécessaire, convient-il, doit-on… Le verbe falloir indique que la peur du progrès technique renverrait à une nécessité, à un besoin, voire à une exigence morale. Etre attentif au verbe utilisé dans l’intitulé du sujet; lors du travail de préparation, tous les termes du sujet doivent être mis à plat et définis précisément. C’est justement ce travail d’analyse des termes du sujet qui fait défaut dans les copies.
- Avoir peur : s’alarmer, s’effrayer, s’inquiéter, redouter. La peur est un phénomène psychologique à caractère affectif, marqué par la conscience d’un danger, d’un mal, d’une menace réels ou imaginés.
- Progrès technique : l’expression « le progrès technique » renvoie à l’amélioration, au développement positif de l’ensemble des procédés par lesquels on applique des connaissances scientifiques pour obtenir un résultat déterminé.
3. Résultats
de la lecture : sens global du sujet
- La signification du sujet est la suivante : est-il nécessaire de redouter l’amélioration continue et permanente de l’ensemble des procédés par lesquels on applique des connaissances scientifiques pour obtenir un résultat déterminé ?
- Le verbe « falloir » est particulièrement important ici ; il nous oriente dans deux directions : la peur du progrès technique se fonde-t-elle sur une réalité objective, auquel cas ne pas le redouter reviendrait à faire preuve d’aveuglement, voire d’irresponsabilité ? la peur du progrès technique ne relève-t-elle pas d’une exigence éthique, de sorte qu’il conviendrait d’envisager, face aux méfaits du progrès technique, une éthique de la peur, une éthique par la peur (la thèse de Hans Jonas, évoquée dans le cours sur la technique, semble donc constituer un passage obligé – le choix des réferences est commandé par le sens du sujet et la problématique).
1 . Implications, sous-entendus, présupposés du sujet
- La question posée suppose :
a) que le progrès technique est bel et bien l’objet d’une inquiétude et qu’il existe donc une véritable technophobie ; il conviendra d’explorer les formes que revêt cette technophobie ambiante, en distinguant notamment une technophobie éternelle et une technophobie contemporaine (cf. cours) ;
b) que si cette technophobie correspond à une réalité dont il s’agira de dévoiler les causes, une telle crainte est-elle justifiée, légitime ? a-t-on vraiment des raisons sérieuses d ’avoir peur du progrès technique ? si oui, la peur est-elle pour autant le meilleur remède pour pallier les défauts, les méfaits réels ou supposés du progrès technique ? A noter que la question ne concerne pas tant la peur de la technique en général que l’inquiétude que semble générer le progrès technique.
-
La dissertation devra donc porter très
précisément non pas sur le progrès technique en tant que tel mais sur le
sentiment, la représentation que ce progrès technique suscite. Encore une fois,
la problématique
est guidée par les termes mêmes du sujet.
2. Recherche du domaine d’étude où le
sujet prend sens
- Domaines concrets : psychologique (la peur comme phénomène psychologique lié à la représentation que le sujet se fait de la réalité), technique ou scientifique (il s’agira d’évoquer les progrès les plus spectaculaires de la technique qui semblent générer les peurs les plus vives), moral (idée d’une éthique de la peur).
3. Questionnement
du sujet
- Questions centrales que fait naître le sujet (jeter sur le papier toutes les questions que le sujet suscite en nous; trier ensuite ces questions, en les regroupant autour de trois ou quatre grandes interrogations) : comment se fait-il que les progrès les plus spectaculaires de la puissance technique engendrent la peur ? de quoi précisément a-t-on peur ? est-ce vraiment le progrès technique qui est à l’origine des fléaux qui rongent le monde contemporain ? savoir de quoi on a peur dans le progrès technique, n’est-ce pas déjà ne plus en avoir peur ?
4. Choix du problème fondamental
- Plusieurs formulations étaient évidemment possibles, à condition d’insister sur le fait que le problème fondamental soulevé par l’intitulé du sujet concerne la valeur de la technophobie.
1) Face aux risques et aux méfaits inhérents au progrès technique, le sentiment de peur est-il susceptible de provoquer une réaction salutaire de limitation et de responsabilisation ?
2) Une éthique de la peur constitue-t-elle le remède efficace contre les imperfections et les dangers liés au progrès technique ? Ou bien : la généralisation de la peur est-elle de nature à résoudre les problèmes réels engendrés par le progrès technique ?
3) Quelle est la valeur de la technophobie contemporaine ?
5. Détermination
de l’enjeu
- Pour appréhender avec lucidité le progrès technique, il convient peut-être de faire le deuil de l’idée de progrès par la technique, afin de ne pas verser dans celle de la technique cause de tous nos maux. Si l’on veut que le progrès technique soit à visage humain, ne faut-il pas substituer au sentiment irrationnel de peur une réflexion lucide sur l’avancée de la techno-science et sur le nécessaire contrôle que l’homme contemporain doit avoir sur ce progrès technique ?
6. Choix
de l’idée directrice devant guider la dissertation
- Nous essaierons de montrer que la technophobie relève davantage d’un fantasme et d’une ignorance concernant la technique que d’une attitude responsable. Une éthique ne saurait constituer un remède efficace contre les malheurs qu’on attribue au progrès technique.
7. Plan
détaillé
-
Le cours sur
la technique pouvait être largement utilisé puisque la question posée y était
explicitement abordée, à condition bien sûr de l’avoir lu et travaillé (à quoi
sert sinon que Verdun se décarcasse !). On optera ici pour le plan
dialectique. La première partie (thèse) sera consacrée à l’examen des formes et
des motifs de la technophobie et à cette fameuse éthique ou heuristique de la
peur que propose Jonas. La deuxième partie (antithèse) traitera des limites
d’une telle technophobie et tentera de montrer son caractère illégitime. La
dernière partie (synthèse) réflechira à la question de la limitation du progrès
technique.
-
Encore une
fois, lors de l’établissement du plan détaillé au brouillon, il est conseillé
de procéder en trois temps : 1. Plan général (titre des grandes parties)
2. Parties secondaires (avec les transitions entre chacune des parties) 3. Plan
détaillé (arguments, références…). Les points 1 et 2 s’attachent uniquement à
la structure logique du plan.
-
Rappelons
également la nécessité de soigner les
transitions entre les grandes
parties du développement (dans beaucoup de devoirs, les transitions, lorsqu’il
y en a, se réduisent souvent à un vague bilan).
1.
Plan général
I)
Il faut avoir
peur du progrès technique
II)
La peur du
progrès technique est sans fondement réel
III)
Une éthique du
progrès technique plutôt qu’une éthique de la peur
2.
Parties secondaires
I)
Il faut avoir peur du
progrès technique
Introduction :
A) La technophobie
B) Des raisons
d’avoir peur : le grand méchant loup
C) Une éthique de la
peur
Transition :
II)
La peur du progrès
technique est sans fondement réel
Introduction :
A) L’éthique de la
peur : une démagogie
B) Défense du progrès
technique
C) Nécessité de ne
pas se tromper d’adversaire
Transition :
III)
Une éthique du progrès
technique plutôt qu’une éthique de la peur
Introduction :
A) Le mythe de
l’apprenti sorcier
B) La question de la
responsabilité
C) Les effets
humanisants du progrès technique
Conclusion de la
dernière partie (non obligatoire, elle peut se confondre avec la conclusion
générale)
(le plan détaillé est
le plan définitif à partir duquel on passe à la rédaction au propre sur la
copie; comme je l’ai maintes fois conseillé, il vaut mieux ne rédiger au
brouillon que l’introduction et la conclusion qui doivent être particulièrement
soignées; il y a encore quantité d’élèves qui n’ont pas compris les exigences
de l’introduction)
-
Pour quelles
raisons devrait-on avoir peur du progrès technique ? De quoi a-t-on peur
exactement et, surtout, qu’attend-on du sentiment de peur ?
- Le rejet de l’artificiel débouche sur une véritable « technophobie » qui est sans doute liée à l’omniprésence des techniques à notre époque : les techniques et les techniciens ont inspiré pendant longtemps un véritable mépris, du moins dans nos sociétés. Il est possible de distinguer, dans la technophobie, deux composantes : une composante intemporelle et une composante circonstancielle, contemporaine.
1) La
technophobie éternelle
- La technophobie éternelle ou intemporelle semble en vouloir à la vulgarité des techniques : est vulgaire ce qui est directement lié aux satisfactions des exigences vitales (se nourrir, s’abreuver, se reproduire, etc.) ; les techniques sont liées à la triste contrainte d’avoir un corps et d’avoir à l’entretenir ; elles marquent l’animalité de l’homme biologique, elles suggèrent une finalité insupportable aux belles âmes qui les assimilent à la corvée, à la routine, au mécanisme. Qui plus est, on associe souvent la technique à une sorte de magie : le sorcier et le magicien, comme le technicien, opèrent sur les forces naturelles, et ne visent pas tant à les connaître qu’à les manipuler ; cette opération est toujours vaguement conçue comme une transgression ; la technique inquiète, en ce qu’elle trouble l’ordre de l’univers, déchaîne, ou risque de déchaîner, des forces incontrôlables.
2) La
technophobie contemporaine
- Si la technophobie intemporelle vise les techniques en général, la technophobie contemporaine vise plutôt la technologie, c’est-à-dire l’application des connaissances scientifiques à la conception, à la production et à l’utilisation d’artefacts. Qu’est-ce qui caractérise cette technophobie contemporaine ? Elle est souvent anti-scientiste ou anti-scientifique ; elle dénonce la mécanisation de la vie, les menaces du machinisme, les dangers d’uniformisation de l’humanité ; elle est aussi traditionaliste, opposant les pures prairies aux villes enfumées et les riches rapports humains de la société traditionnelle aux rapports humains unilatéraux et intéressés de la société industrielle. Nostalgie passéiste d’un monde pré-technique. A noter que ce n’est pas la technique en tant que telle qui inquiète mais le progrès technique, l’avancée rapide et extraordinaire des innovations en matière technique qui sont souvent des applications des découvertes scientifiques.
-
Les formes de
la technophobie repérées, de quoi le progrès technique est-il incriminé ?
De quoi a-t-on peur exactement ? La technophobie contemporaine semble
s’abreuver aux constats que chacun peut faire depuis 1945.
1) L’ère de la « thanatocratie » (Michel
Serres)
-
Les nouvelles
énergies exploitées à des fins militaires, et aussitôt utilisées à Hiroshima et
Nagasaki ; la puissance destructrice de l’arsenal nucléaire accumulé au
cours de la guerre froide, sa dissémination en cours. L’utilisation du feu
nucléaire dans un conflit aurait pour conséquence irréversible la disparition
de toute forme de vie sur terre. Ce thème fait partie des fantasmes collectifs
entretenus par la science fiction notamment. Ici est pointée l’inféodation de
la technique et de la science à l’armée.
2) Le risque technologique
-
Le risque
technologique ne cesse de hanter les pensées et l’histoire des hommes. Quelques
grandes catastrophes font de l’accident technologique une réalité
familière : Bhopal, Tchernobyl, Seveso, etc. On pouvait évoquer également
la critique écologiste qui impute à la technique le crime de dénaturation, de
rupture des équilibres naturels, de pollution de l’environnement. A cela
s’ajoutent la disparition de milliers d’espèces animales et végétales, la
modification des climats, de sorte que c’est la vie elle-même qui est en péril.
3)
Les biotechnologies
-
Elles font
peur car elles apportent l’accroisssement démesuré et subit des possibilités
d’intervention de l’homme sur les autres vivants et sur lui-même. Les critiques
les plus vives sont adressées à l’égard des manipulations techniques du vivant
qui renvoient au mythe de l’apprenti sorcier, de l’homme démiurge égalant
bientôt Dieu . La puissance de la technique y semble d’autant plus
terrifiante que les biotechnologies peuvent affecter considérablement les
conditions de vie sur terre (ex : les armes bactériologiques) ; ces
technologies mettent en cause l’homme lui-même. Interviennent aussi des
considérations éthiques et religieuses fortes, ce qui explique la place de
l’éthique biomédicale dans la bioéthique contemporaine.
4)
Le sous-emploi
-
L’allègement
du travail, la réduction du temps de travail, l’amélioration des conditions de
travail qui résultent du progrès technique, au moins dans les pays développés,
sont eux-mêmes soupçonnées de résultats néfastes, comme le sous-emploi. D’autre
part, l’appauvrissement du tiers-monde pose la question : le progrès
technologique des uns a-t-il pour condition la stagnation des autres ? On
retrouve cette critique dans ce qu’on appelle le tiers-mondisme.
-
Toutes ces
raisons qui semblent alimenter la technophobie ambiante se fondent sur
l’accélération bien réelle et radicale des mutations, lesquelles modifient en
profondeur les modes de vie et les comportements. Comment ne
provoqueraient-elles pas un sentiment de peur ? Pour une part, il s’agit là
d’une réaction d’ignorance comme nous allons le voir, mais pour une part aussi
c’est un sentiment fondé en raison, étayé d’arguments sérieux, de preuves à
l’appui (rapports des experts, par exemple) dont il convient de prendre acte.
- Faut-il avoir peur du progrès technique ? Oui, semble-t-il, pour une part en tout cas, au vu des raisons évoquées ci-dessus. Mais si l’on a bel et bien des raisons objectives d’avoir peur du progrès technique, la peur est-elle pour autant le moyen le plus efficace de susciter une réaction salutaire face aux dangers qui nous guettent en permanence ? On pouvait ici s’appuyer sur la thèse de Hans Jonas développée dans son livre Le principe responsabilité.
- En effet, Jonas recommande d’entretenir un sentiment de peur, une « éthique de la peur », crainte motivée qui devrait engendrer une réaction salutaire d’autolimitation. Il s’agit là d’une crainte de type spirituel, et non pas seulement affectif, qui se veut motivée et qui fait penser à la théorie de la décision selon laquelle l’attitude rationnelle consiste à choisir comme si le pire devait se produire, dès lors qu’il est simplement possible. Jonas fait de la crainte le principe fondamental qui peut nous ramener au sacré. Pour défendre l’homme, nous avons besoin de la menace contre l’image de l’homme. Loin de s’abandonner aux illusions d’un progrès indéfini, l’humanité doit prendre conscience des menaces que recèle la croissance des techniques modernes. L’éthique de la peur doit s’exprimer dans une éthique de la précaution et de la responsabilité à l’égard des générations futures.
Transition :
-
Rappel méthodologique : dans les transitions, il convient,
avant d’annoncer, sous forme de questions mettant en évidence l’insuffisance du
propos développé et la nécessité d’une réflexion plus approfondie, la partie
suivante, de revenir sur l’intitulé précis du sujet, afin d’opérer un bilan
(répondre aux questions posées dans l’introduction de la partie).
-
Faut-il donc
avoir peur du progrès technique ? Le verbe « falloir » de
l’intitulé nous invite à explorer l’ordre du fait et de la valeur : oui,
nous avons des raisons objectives de craindre le progrès technique qui
apparaît, à bien des égards, comme étant délétère et souvent incontrôlé par
l’homme ; qui plus est, si les nouvelles technologies ont profondément
transformé « l’essence de l’agir humain », le sentiment de peur,
fondé en raison, peut devenir l’objet d’une « éthique pour la civilisation
technologique » et permettre à
l’homme contemporain de définir de « nouvelles dimensions de la
responsabilité » (Jonas, ibid.). Est-ce à dire que la généralisation de la
peur soit de nature à résoudre les problèmes constatés ?
-
A-t-on vraiment raison d’avoir peur ? Et de quoi au juste a-t-on
peur ? L’éthique de la peur que préconise Jonas ne se fait-elle pas l’écho
des préjugés ambiants et de l’ignorance ? N’est-elle pas une forme de
démagogie ?
-
Souligner
d’abord que les raisons qui semblent justifier la peur sont aussi fabriquées
par la peur elle-même qui s’alimente de mille et une raisons d’avoir peur, de
sorte que le peureux se conforte dans sa peur grâce à une rationalisation
inattaquable.
-
Insister sur
le fait que la peur s’installe et gagne sans toujours dire de quoi exactement
elle a peur. Dans la technophobie, des peurs contradictoires s’amalgament.
Aussi à la question « faut-il avoir du progrès technique ? »
convient-il de répondre que la connaissance des motifs de la peur est déjà une
façon de conjurer la crainte.
-
Surtout, la
peur ne serait efficace qu’à la condition qu’elle produisît un geste
salutaire : celui du moratoire. Mais la peur est-elle vraiment susceptible
de produire le geste salutaire ? Ne pas confondre l’abstention volontaire,
l’autolimitation délibérée, la prudence génératrice de précautions et de
mesures, et la paralysie, engendrée généralement par la peur.
-
Aussi la
généralisation de la peur que sous-tend l’idée d’une éthique de la peur se
résout-elle en une démagogie de la peur, par la peur, qui caresse les préjugés
et les discours des Cassandre dans le sens du poil. Le problème étant que la
peur est communicative et qu’elle peut rapidement dégénérer en panique. A noter
que le consensus de la peur rappelle un certain nihilisme et antihumanisme
qu’on trouve exprimé, sous des formes diverses, dans l’occultimse, le
spiritisme, certaines interprétations des philosophies indoues, etc. Lire à ce
sujet le livre de Luc Ferry, Le nouvel
ordre écologique.
-
En tout cas,
force est de constater que l’insistance sur les périls inhérents au progrès
technique constitue un renversement de l’apologie du même progrès technique qui
a animé notre civilisation depuis le XVIIIe siècle.
-
Si la peur
semble peu encline à produire le geste salutaire escompté, plusieurs vérités concernant
le progrès technique semblent devoir être rappelées (lire, de François
Dagognet, qui fait le point sur la question, L’essor technologique et l’idée de progrès). Quelques arguments que
chacun pouvait trouver et développer à sa guise (il n’était évidemment pas
nécessaire et possible, dans le cadre d’une épreuve de quatre heures, de
développer autant).
1)
Progrès technique et
hominisation
-
Les ennemis du
progrès technique oublient que l’irruption technique va de pair avec
l’hominisation ; la rébellion contre la nature constitue l’essence de la
technique et celle de l’humanité. La technique va même jusqu’à constituer
l’homme dans ses propres structures psychophysiques (bipédie, libération de la
main, réduction de la face, expansion de la boîte crânienne…). Si l’homme s’est
doté seul d’une technique dont les progrès sont saisissants depuis la
préhistoire, la technique en retour a contribué à sculpter l’homme (cf.
Leroi-Gourhan, in Le geste et la parole).
2)
Le progrès technique
s’humanise
-
Exemple de la
machine qui n’est pas ce monstre froid, bruyant, aveugle et finalement
inhumain. L’engin moderne s’est humanisé, miniaturisé (il mime notre cerveau et
notre sensorialité), simplifié, assouplit et devient plus discret, en vivifiant
et élargissant le cadre de notre existence. Le fonctionnel finit même par être
promu au rang de l’esthétique (cf., dans le cours sur l’art, le développement
sur le rapport entre l’art et la technique). Si l’objet technique s’est
embelli, il devient une constante source d’inspiration pour l’art contemporain.
3)
Une technologie écologique
- La critique écologiste du progrès technique, pour pertinente qu’elle soit, pèche néanmoins par simplifiaction. En effet, la science et ses techniques interviennent de plus en plus de nos jours pour maîtriser les interactions de l’homme et du milieu et gérer les risques. Rôle des scientifiques, des industriels, des gouvernements, des associations, du public – organisation de congrès internationaux depuis les années 1920 pour s’efforcer d’aménager la nature en fonction des besoins d’épanouissement des hommes, de maîtriser scientifiquement l’environnement (conférence de Stockholm de 1972 où furent jetées les bases d’une législation internationale de l’environnement). La technique et la science sont donc mobilisées en faveur d’un contrôle humain de la nature (moteurs non polluants, méthodes de culture “biologique”, etc.) : notion de « technologie écologique ».
-
Il est de bon
ton d’accuser le progrès technique d’être responsable de la crise économique,
du chômage, etc. Or, est-ce le progrès technique (la machine plus précisément)
qui doit être mis en cause ou bien ceux qui le détournent ou le confisquent à
leur avantage, en le pliant à leur choix politico-économique ? Faut-il
incriminer le moyen et la fin qu’il porte (après tout le progrès technique a
pour finalité l’abondance, le bien-être, l’allègement du temps et de la
pénibilité du travail, l’extension de la sphère du loisir et de la liberté) ou
bien son détenteur ? N’est-ce pas Nous ne devons pas nous tromper
d’adversaire. Le progrès technique a bon dos.
-
La
technophobie obscurcit les vrais problèmes et occulte les enjeux politiques. Ce
qui est en cause, n’est-ce pas la soumission du progrès technique au profit et
à la rentabilité qui conditionnent le fonctionnement des entreprises et qui
fondent le système libéral ? Tchernobyl, par exemple, ne prouve pas tant
la nocivité de l’énergie nucléaire mais la déficience de la politique
industrielle soviétique et de son administration (la bureaucratie).
-
En tout cas,
le progrès technique devrait servir les progrès sociaux et humains et ce n’est
sûrement pas la démagogie de la peur qui peut contribuer à cette avancée.
Transition :
- Faut-il, en somme, avoir peur du progrès technique ? L’évidence de départ qui voyait dans le progrès technique l’origine des maux de notre civilisation se révèle, en réalité, bien peu convaincante et satisfaisante : la technophobie n’est sans doute pas le remède le plus efficace et le plus rationnel aux dangers inhérents à la mauvaise maîtrise par l’homme des nouvelles technologies. Cette technophobie fait feu de tout bois, en particulier de l’obscurantisme et de l’antihumanisme à la mode; la technophobie est une forme perverse de « misologie » (haine de la raison) et de démagogie qui relève davantage de l’ignorance que du constat objectif. Dès lors, plutôt qu’une éthique de la peur, ne convient-il pas de penser une éthique du progrès technique, fondée sur une réflexion lucide, informée et responsable ?
- S’il ne faut pas avoir peur du progrès technique, ce n’est pas en vertu d’une confiance naïve dans le progrès technique : il convient précisément de faire le deuil de l’idée de progrès par la technique qui, nous l’avons vu, verse dans celle de la technique cause de tous nos maux (le discours technophobe fait écho au discours technophile). Le progrès technique n’est pas étranger au monde des valeurs et des finalités ; la technique moderne prend de fait sa part à l’accouchement de cette nouvelle éthique qui est la rançon inévitable du destin technologique de l’homme.
-
Contre le
mythe du savant fou, de l’apprenti sorcier qui ne sait pas ce qu’il fait, de la
technique « an-éthique », rappelons que la réflexion éthique est, à
propos des techniques, à la fois un fait et une exigence. La question de la
responsabilité n’est pas seulement un rappel à l’ordre ou un appel désespéré :
la bioéthique, par exemple, est contemporaine des biotechnologies. Depuis 1945,
la responsabilité sociale de la science est un problème auquel les
scientifiques sont de plus en plus sensibles.
-
Les
biotechnologies suscitent objectivement en grand nombre les problème d’éthique
et les amènent à un débat public. Le principe responsabilité est le principe de
la cité scientifique : les problèmes nouveaux posés par l’accélération des
progrès biologiques ont abouti depuis les années 70, à l’institution de comités
d’éthique.
- Elaboration progressive, dans la communauté scientifique elle-même, d’une éthique de la modestie, de la bonne volonté qui propulse sur le devant de la scène les problèmes éthiques et invitent la société civile à réfléchir et à maîtriser ses propres innovations. La question du contrôle du progrès technique est éthique mais aussi politique (elle renvoie à des choix de société, à des enjeux idéologiques).
- Il reste à l’humanité, pour préserver le caractère humain du monde de travail et de technique, à se montrer responsable, à maîtriser les pouvoirs qu’elle se donne, à les soumettre aux exigences morales de l’homme. La technique contemporaine propulse sur le devant de la scène les problèmes éthiques. Toute innovation qui modifie les références essentielles de notre existence doit donner lieu à des nouvelles règles de droit définissant le permis et l’interdit. Si cette réflexion donne lieu à des débats de société, si elle met le choix des valeurs au centre de la vie sociale, le progrès technique sera cause d’un immense progrès de la civilisation.
- Comme la science, la technique n’apporte pas les réponses aux grandes interrogations de l’homme et ne saurait se substituer à la réflexion philosophique sur les fins et les valeurs.
-
Finalement, plutôt que d’avoir peur du
progrès technique qui est notre oeuvre, nous devrions prendre conscience des
effets profondément humanisants du progrès technique ; avoir peur du
progrès technqiue ce serait craindre l’homme lui-même.
- La technique travaille à la poursuite de la création (exemple de l’art contemporain) ; par la technique, nous augmentons et humanisons ce que nous soumettons à nos instruments. La technosphère tend à rapprocher les hommes entre eux, elle accroît les possibilités d’échange et de communication. Les techniques actuelles relèvent incontestablement de la sphère du « relationnel ». En outre, comme nous l’avons pressenti, la technique qui s’enseigne et se transmet appartient au domaine du rationnel et se sépare, à ce titre, de la magie, du simple savoir-faire, de la recette, du coup de main, de tout ce qui touche à l’idiosyncrasie. Tout ce qui rapproche et empêche l’isolement va, d’une certaine façon, dans le sens de la civilisation et de l’hominisation. A ce titre, le progrès technique est porteur des valeurs d’universalité, d’échange, de rationalité qui sont au coeur de la réflexion morale.
Exercice proposé à partir de
ce corrigé : vous
rédigerez intégralement l’introduction et la conclusion.
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