TEXTE DE PLATON RAPPORTANT UNE CONVERSATION AVEC CALLICLES

 

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TEXTE

 

LA PREPARATION DU COMMENTAIRE DE TEXTE

1) Analyse des formes grammaticales ou générales

2) Etude conceptuelle

3) Thème et thèse

4) Problème et enjeu(x)

 

INTRODUCTION

 

PARTIE EXPLICATIVE

I) CE QUI EST JUSTE, SELON LA NATURE, C’EST DE POUVOIR ASSOUVIR SANS FREIN SES DESIRS.

II) L’ELOGE DE LA TEMPERANCE ET DE LA JUSTICE EST LE MOYEN PAR LEQUEL LA MASSE DES FAIBLES, VERTUEUX PAR IMPUISSANCE, CHERCHE A ENCHAINER LES FORTS. 

III) LA PUISSANCE DU DESIR TROUVE SA VERITABLE VOIE DANS L’EXERCICE DU POUVOIR ET PARTICULIEREMENT DU POUVOIR ABSOLU 

 

Intérêt philosophique du texte

A) La nature du bonheur, de la justice et de la morale

B) La toute-puissance, condition du bonheur

C) Les limites de cette conception

 

CONCLUSION : LA VERTU ET LE BONHEUR NE RESIDENT NI DANS LA JUSTICE, NI DANS LA TEMPERANCE, MAIS DANS L’HEDONISME COMME PRINCIPE DE VIE

 

 

 

TEXTE

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Vous dégagerez l’intérêt philosophique du texte suivant en procédant à son étude ordonnée

 

                   « Mais si, Socrate, c’est d’eux que tu parles, absolument ! Car comment un homme pourrait-il être heureux s’il est esclave de quelqu’un d’autre ? Veux-tu savoir ce que sont le beau et le juste selon la nature ? Hé bien, je vais te le dire franchement ! Voici, si on veut vivre comme il faut, on doit laisser aller ses propres passions, si grandes soient-elles, et ne pas les réprimer. Au contraire, il faut être capable de mettre son courage et son intelligence au service de si grandes passions et de les assouvir avec tout ce qu’elles peuvent désirer. Seulement, tout le monde n’est pas capable, j’imagine, de vivre comme cela. C’est pourquoi la masse des gens blâme les hommes qui vivent ainsi, gênée qu’elle est de devoir dissimuler sa propre incapacité à le faire. La masse déclare donc bien haut que le dérèglement est une vilaine chose. C’est ainsi qu’elle réduit à l’état d’esclaves les hommes dotés d’une plus forte nature que celle des homes de la masse; et ces derniers, qui sont eux-mêmes incapables de se procurer les plaisirs qui les combleraient, font la louange de la tempérance et de la justice à cause du manque de courage de leur âme. Car, bien sûr, pour tous les hommes qui, dès le départ, se trouvent dans la situation d’exercer le pouvoir, qu’ils soient nés fils de rois ou que la force de leur nature les ait rendus capables de s’emparer du pouvoir - que ce soit le pouvoir d’un seul homme ou celui d’un groupe d’individus -, oui, pour ces hommes-là, qu’est-ce qui serait plus vilain et plus mauvais que la tempérance et la justice ? »

 

 

                                                                     Platon, Gorgias 491e-492d

 

 

 

 

LA PREPARATION DU COMMENTAIRE DE TEXTE

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1) Analyse des formes grammaticales ou générales

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         a. Terme ou expression de liaison

 

- “Mais…” : contradiction, discours de Calliclès qui s’oppose à celui de Socrate. Perspective polémique.

- “Car…” : explication; Calliclès justifie sa thèse et définit la question du débat.

- “Seulement…” : restriction.

- “C’est pourquoi…” : justification de cette restriction.

- “La masse déclare donc…” : conclusion sur le point de vue de la “masse”.

- “C’est ainsi…” : conséquences générales de ce point de vue.

 

         b. Structure première

 

- “Mais si…ce qu’elles peuvent désirer” : Calliclès expose son idée générale qui est en totale contradiction avec celle de Socrate comme nous le signale la conjonction “mais”. Ce qui est juste, selon la nature, c’est de pouvoir assouvir sans frein ses désirs. En cela consiste justement le bonheur.

 

- “Seulement, …à cause du manque de courage de leur âme” : la restriction “seulement” situe le point de vue de Calliclès comme étant à contre-courant de l’opinion dominante. L’éloge de la tempérance et de la justice est le moyen par lequel la masse des faibles, vertueuse par impuissance, cherche à enchaîner les forts.

 

- “Car bien sûr…où eux-mêmes exercent le pouvoir” : Calliclès reprend sa thèse liminaire et la justifie. La puissance du désir trouve sa véritable voie dans l’exercice du pouvoir et plus particulièrement du pouvoir absolu.

 

2) Etude conceptuelle

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a.                   Repérage des termes essentiels

 

- le juste, les passions, la nature, les plaisirs, la tempérance, le pouvoir.

 

 

b.                  Définition des termes et concepts (dans le cadre du texte )

 

-        le juste : ici, ce qui est conforme à l’ordre inégalitaire de la nature, le droit du plus fort.

-        les passions : force, énergie irréductible du désir, de l’intelligence, du courage.

-        la nature : ordre qui régit les choses et les autres, modèle ou norme sur lequel doivent se régler les comportements, les institutions, les lois. Cet ordre est profondément inégalitaire et se caractérise par la violence sans frein, la liberté absolue, le pouvoir sans limite de l’individu, de ses désirs, de ses passions.

-        les plaisirs : état de bien-être sensible, satisfaction sensuelle, le désir sans frein dans ce qu’il a d’immédiat, d’éphémère.

-        la tempérance :  vertu cardinale désignant la modération en ce qui concerne les désirs.

-        le pouvoir : ici, le pouvoir absolu, tyrannique. Droit naturel, absolu d’exercer l’autorité politique, d’exiger quelque chose, sous peine de sanction.

 

 

3) Thème et thèse

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a.                   Thème

 

- Le bonheur, mais aussi la justice

 

b.                  Thèse (ou idée directrice)

 

- Le bonheur et la justice consistent dans une vie déréglée, soumise à la poursuite frénétique du plaisir. C’est dans l’hédonisme qu’il faut rechercher le principe d’une vie réussie.

 

4) Problème et enjeu(x)

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a.                   Questionnement

 

-        Qu’est-ce qu’être heureux ? 

-        Où réside la véritable puissance, dans la domination des autres ou dans la maîtrise de soi ?

-        Que vaut-il mieux choisir, une vie réglée selon la tempérance, la force de se vaincre soi-même qui aurait son fondement dans la raison, ou une vie déréglée, consistant en la puissance de vaincre les autres, laquelle aurait sa source dans le désir ?

 

a.                   Problème

 

-        En quoi consiste le bonheur et le principe d’une réussie ? Comment vivre pour être heureux ?

 

a.                   Enjeu(x)

 

-        L’enjeu de ce texte est capital puisqu’il engage une définition du bonheur et de la justice, laquelle est susceptible d’orienter un choix de vie. Ce texte nous permet de comprendre que si le bonheur est le but de l’existence humaine, pour y parvenir il convient de satisfaire tous ses désirs. Cette définition du bonheur est-elle satisfaisante ? N’est - elle pas dangereuse et donc éminemment contestable ?

 

Thème du texte

2 . Le contexte problématique

3 .    La thèse

4 .    Explication de la thèse

5 .   Enjeu et actualité du texte

6. Annonce des principales articulations du texte (indiquer, entre parenthèses, les subdivisions dans le texte)

7 .  Sauter plusieurs lignes entre l’introduction et la partie explicative

 

 

 

 

 

 

 

                  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Calquer le plan de l’explication sur celui du texte, en suivant les principales articulations dégagées dans l’introduction

 

 

 

 

 

 

 

8. Faire une courte introduction présentant l’idée générale et la problématique de la 1ère partie

 

 

 

 

9.  Explication de la première idée importante

 

 

 

10. Explication de la deuxième idée importante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

11. «               «              troisième   « 

 

 

 

 

 

 

 

12. Conclusion sommaire de la 1ère partie du texte (acquis du texte)

 

 

 

 

 

13 . Deuxième partie importante du texte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

14. Troisième et dernière partie du texte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

15 . Faire une courte introduction annonçant la partie réflexive et  mettant en évidence les différents aspects de l’intérêt philosophique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

16. Faire un bilan de l’étude et définir le principal intérêt du texte. Dégager brièvement la nature de la solution apportée au problème essentiel du texte

 

INTRODUCTION

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            Dans ce texte extrait de Gorgias, Platon donne la parole à Calliclès qui expose sa conception du bonheur et de la justice 1, en répondant à la question essentielle posée par Socrate 2 : où réside la véritable puissance, dans la domination des autres ou dans la maîtrise de soi ? Autrement dit, en quoi consiste le bonheur et le principe d’une  vie réussie ? C’est cette interrogation qui suscite la réaction véhémente de Calliclès et le conduit à exposer cyniquement la thèse d’un hédonisme sans frein comme principe de vie. Calliclès prétend, en effet, que le bonheur et la justice résident dans une vie déréglée, soumise à la poursuite frénétique du plaisir 3 . Si le but de l’existence humaine est d’être heureux, pour y parvenir, il faut satisfaire tous ses désirs, ce qui n’est possible qu’en exerçant le pouvoir absolu sur les autres 4.

 

            La question que pose Socrate revêt une importance capitale puisque la réponse engage le choix d’une vie. Le discours de Calliclès est présenté par Platon comme le prototype de la violence, de la tyrannie, de l’anti-philosophie, de l’immoralisme. Mais la position de Calliclès n’adopte-t-elle pas le même point de départ que les opinions modernes qui valorisent l’hédonisme et le bonheur de l’individu ? 5

 

            Ce texte se déploie en trois étapes principales. 6 Calliclès commence d’abord par établir que ce qui est juste, selon la nature, c’est de pouvoir assouvir sans frein ses désirs (“Mais sice qu’elles peuvent désirer” ). Il souligne ensuite que l’éloge de la tempérance et de la justice est le moyen par lequel la masse des faibles, vertueuse par impuissance, cherche à enchaîner les forts (“Seulement, tout le monde n’est pas capableà cause du manque de courage de leur âme”). Calliclès expose alors les conséquences politiques de sa démonstration : la puissance du désir trouve sa véritable voie dans l’exercice du pouvoir absolu ( « Car bien sûr, pour tous les hommesjustice « ).7

 

 

 

PARTIE EXPLICATIVE

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I) CE QUI EST JUSTE, SELON LA NATURE, C’EST DE POUVOIR ASSOUVIR SANS FREIN SES DESIRS.

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            Dans ce passage, Calliclès précise la notion de supériorité du plus fort. Il prétend que ce qui est juste, selon la nature, c’est de pouvoir assouvir sans frein ses désirs. La loi de la nature n’étant que la puissance du désir qui cherche à se satisfaire et qui pour cela est capable de mettre en œuvre toutes les ressources de l’individu, l’essentiel de la supériorité du plus fort ne consiste pas dans son seul courage et sa seule intelligence mais dans la force des passions qui suscite la volonté de vaincre la résistance des autres, de transgresser les interdits et de franchir les barrières dressées par le plus grand nombre. Pour donner une définition complète de ce qui fait la force des forts, il faut donc préciser qu’il s’agit d’une intelligence et d’un courage exceptionnels certes, mais au service du désir le plus fort. 8.

 

            1) Ce qui prime, pour Calliclès, c’est l’élan du désir qui cherche sa satisfaction et dont l’accomplissement constitue le bonheur. Une existence ne peut s’épanouir pleinement que dans la recherche frénétique du plaisir, le renouvellement incessant des jouissances. 9

 

            2) Ce qui implique une liberté sans entraves, c’est-à-dire la conception la plus primitive de la liberté : faire ce que l’on veut, au sens de suivre son bon plaisir. Liberté qui doit ne rencontrer aucun obstacle et ne pas se heurter à la résistance d’autrui. 10

 

            3) Or faire de la satisfaction du désir le but de l’existence, prétendre qu’il ne faut pas réprimer les passions mais se tenir prêt à les assouvir par tous les moyens, mettre au service de ses passions toutes les forces de son énergie et de son intelligence, n’est-ce pas considérer l’individu comme la valeur suprême et la source de toutes les valeurs ? Tous les grands principes de l’individualisme sont dans ce passage du discours de Calliclès : assouvissement sans frein des désirs, goût d’une liberté sans entraves, qui refuse de rencontrer dans celle d’autrui ses propres limites. Le désir certes est présent en chaque homme mais il n’a pas la même puissance et les individus ne sont pas dotés des mêmes moyens pour les satisfaire. Ainsi, selon Calliclès , la force des désirs de l’individu, leur variété, le degré d’intelligence et de courage mis en jeu, sont des différences irréductibles, et l’affirmation d’un individualisme forcené se traduit chez lui par la singularité et de la différence. 11

 

            En conclusion, Calliclès  opère un renversement complet des valeurs : en faisant de la puissance du désir, du jeu des forces naturelles, le principe même de la justice, il considère comme vertu ce que la morale traditionnelle tenait pour vice. 12

 

II) L’ELOGE DE LA TEMPERANCE ET DE LA JUSTICE EST LE MOYEN PAR LEQUEL LA MASSE DES FAIBLES, VERTUEUX PAR IMPUISSANCE, CHERCHE A ENCHAINER LES FORTS.  13

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            Ce deuxième point abordé par Calliclès est la reprise de l’argument développé en 483 b-c où il affirmait que la loi positive de la cité n’impose qu’une justice conventionnelle, artifice inventé par les faibles pour se protéger de la puissance des forts.

 

            Les faibles suivent bien, eux aussi, la loi de leur nature quand, pour se protéger des forts, ils se rassemblent afin que la force de leur nombre supplée à leur faiblesse individuelle. Leur intérêt étant de refuser l’inégalité naturelle qui assujettit le faible au fort, ils affirment que la justice est l’égalité, c’est-à-dire le partage équitable des honneurs, de la richesse, et leur éducation, pour le surgissement et la victoire des forts, consiste à brimer la nature des supérieurement doués pour les faire entrer dans le troupeau.

 

            Ainsi, ceux qui louent la tempérance et que Socrate définit comme des “êtres raisonnables“ ne sont vertueux que par impuissance : “ ces derniers qui sont eux-mêmes incapables de se procurer les plaisirs qui les combleraient, font la louange de la tempérance et de la justice à cause du manque de courage de leur âme”.

 

            En bref, Calliclès, comme le fera plus tard Nietzsche, démystifie la morale du troupeau de deux façons : en montrant d’abord qu’elle n’est que l’expression de ce que Nietzsche appellera le ressentiment, l’éducation égalitariste brimant les plus doués en quelque sorte. Mais il ressort également que le beau et le juste de la morale conventionnelle, c’est-à-dire la tempérance et la justice, ne sont qu’une forme de rationalisation de l’impuissance de la masse à satisfaire ses désirs, une manière de faire de nécessité vertu.

 

            Le discours de Calliclès revient donc à dénoncer l’hypocrisie, la médiocrité d’une conception égalitaire de la justice qui est moins soucieuse de réaliser une véritable justice distributive que de soustraire aux meilleurs ce qui leur reviendrait selon le droit de nature. Ce n’est que par la méprisable ruse des faibles qui entrave la puissance des forts et la ligote par leurs lois et leur justice que l’ordre de la nature se trouve mis sens dessus dessous.

 

III) LA PUISSANCE DU DESIR TROUVE SA VERITABLE VOIE DANS L’EXERCICE DU POUVOIR ET PARTICULIEREMENT DU POUVOIR ABSOLU  14

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            Ce passage établit la connivence qu’entretiennent pour Calliclès la toute puissance du désir et la possession du pouvoir. Cet exercice du pouvoir individuel trouve son accomplissement dans la figure du tyran. D’une part, l’avidité du désir ne  peut se satisfaire d’aucun objet particulier du monde sensible. Seul le pouvoir, promesse d’une satisfaction illimitée, peut combler le désir toujours insatisfait et sans cesse renaissant, et répondre à l’attente de celui qui est habité par les passions les plus fortes. D’autre part, le désir est par essence domination. Sa logique veut qu’il ne trouve son plein épanouissement que dans l’exercice du pouvoir absolu qui est, pour l’homme du désir, à la fois une fin et un moyen.

 

            L’exercice du pouvoir est d’abord une fin parce que, ne s’intéressant qu’à lui-même, à son élan égoïste, le désir travaille à l’établissement d’une domination sans partage. En effet, dans cette situation de domination absolue, le désir ne se heurte plus aux limites que lui impose constamment le désir des autres. Si l’homme le plus fort n’est pas désigné par sa naissance à exercer le pouvoir, il faut qu’il s’en empare. Et c’est la puissance du désir, lorsqu’elle est accompagnée de courage et d’intelligence, qui désigne l’homme valant le plus pour le pouvoir absolu. La conquête du pouvoir devient alors le but unique de son existence, qui met en jeu toutes les qualités et les vices dont la nature l’a doué. De même, si le but ultime de cet homme est la possession du pouvoir absolu, celui-ci à son tour semble lui offrir le moyen par excellence de toutes les satisfactions, la possibilité sans entrave de s’épanouir dans la multiplicité infinie des plaisirs.

 

            Puisqu’il est dans la nature du désir du plus fort de vaincre et de s’imposer aux autres, quelle absurdité que la tempérance et la justice qui imposent un frein à nos désirs ! La reprise de ces termes dans le discours de Calliclès renvoie à la thèse de Socrate. Mais comment ce dernier définit-il la justice et la tempérance. Une précision s’impose ici pour une meilleure intelligence du texte.

 

            La tempérance est plus que la simple modération : elle est la vertu qui préside à l’ordre des parties de l’âme, de même que la justice est la vertu par excellence des relations entre les citoyens. La tempérance est la justice de l’âme qui, au dérèglement des passions, impose la maîtrise et l’ordre de la raison. Loin de consacrer aux plaisirs la totalité de ses soins  sans rien calculer , l’homme tempérant établit une hiérarchie entre les plaisirs comme entre les désirs par référence à une valeur supérieure qu’est le bien.

 

            Or, qu’est-ce que le Bien ? Il ne s’identifie ni avec l’agréable ni avec l’utile : il est pour chaque chose ce qui fait la qualité et l’excellence de sa nature . Ainsi le Bien est-il  l’ordre et l’arrangement qui conviennent à la nature de chaque être. Une âme ordonnée est une âme tempérante où la raison commande au désir au lieu d’en subir la tyrannie. La tempérance suppose la connaissance de cet ordre, ordre qui règle d’ailleurs l’ensemble de l’univers, lequel forme un tout harmonieux ( “Kosmos” signifiant précisément “ordre du monde”).

 

            Nous sommes donc dans ce texte en présence de deux positions irréductibles, le discours de Calliclès s’opposant terme à terme à la conception socratique du bonheur et de la justice : la raison et le désir appartiennent à deux ordres hétérogènes, ce qui explique l’imperméabilité et la véhémence des propose de Calliclès aux arguments de Socrate. Mais quels peuvent bien être les enseignements et l’actualité de ce texte ?

 

 

Intérêt philosophique du texte

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          Ce texte présente plusieurs dimensions intéressantes. Il est riche de questions multiples et fécondes. Il pose le problème important de la nature du bonheur, de la justice et de la morale (A). Il examine ensuite les conséquences politiques d’une telle interrogation  (B). Néanmoins, ces lignes sont-elles encore adaptées à l’opinion moderne et proposent-elles une conception satisfaisante du bonheur ?(C). Examinons successivement ces différents points.  15

 

A) La nature du bonheur, de la justice et de la morale

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                         Calliclès adopte le même point de départ que les opinions modernes. Le but de l’existence humaine est d’être heureux. Pour y parvenir, il faut satisfaire tous ses désirs. Le bonheur se définit donc comme la satisfaction totale des désirs. Pour être heureux, nous enseigne Calliclès, il faut avoir des désirs et surtout avoir la puissance de les assouvir. En effet, un désir inassouvi fait souffrir, tandis que des désirs réalisés donnent de satisfactions dont l’accumulation constitue le bonheur. Dès lors, plus j’ai de désirs, plus je suis capable de les satisfaire, et plus je suis heureux.  Cette conception du bonheur que propose Calliclès apparaît ainsi étonnamment moderne et semble recouper l’idéologie de notre société de consommation, qui prône un hédonisme et un individualisme absolus.

 

                         De même, Calliclès, bien avant Nietzsche, esquisse dans ce texte une généalogie de la morale et de ses interdits, et en souligne la supercherie. Les lois, les valeurs morales n’ont rien de sacré, mais ne font que refléter l’intérêt des faibles . Les plus intelligents d’entre eux ont imaginé une solution pour maîtriser plus efficacement les forts : les éduquer et les culpabiliser. Il faut, dès l’enfance, leur faire croire que ces lois ne sont pas simplement l’expression de l’intérêt du plus grand nombre, mais qu’elles sont un Bien absolu qui s’impose à tous. La position relativiste défendue par Calliclès dans ce texte conforte ainsi une inversion des valeurs : de la force en droit, du mal en bien, de l’injuste en juste, inversion qui fait de la morale une arme des faibles contre les forts, un instrument de la lutte pour la vie.

 

                         Cette position aboutit à une apologie de la force et à la proclamation d’un droit du plus fort. En effet, si le bonheur consiste en la liberté absolue des passions et des désirs, si la justice selon la société n’est que pure convention reflétant l’intérêt des faibles, selon la nature il est en revanche juste que le plus fort domine. La justice naturelle, qui est la vraie justice, la seule absolue, est donc directement opposée à la fausse justice inventée par les sociétés humaines, qui permet au faible de limiter les actions du fort.

 

B) La toute-puissance, condition du bonheur

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                         D’où les conséquences politiques de cette théorie hédoniste du bonheur et de la justice. Pour être heureux et  vraiment libre, il faut n’avoir personne qui vous commande, il faut être à la tête de la société, il faut le pouvoir absolu sur les autres hommes. La tyrannie, le pouvoir absolu sur les autres, est le désir secret de tout homme. Puisque tout homme désire le bonheur par la satisfaction de tous ses désirs, il en désire aussi secrètement le moyen, qui est la toute-puissance. Si, pour réussir dans la vie et obtenir le bonheur, il faut  se débarrasser de tous les scrupules moraux, un seul, dans une société donnée, peut conquérir par conséquent le pouvoir suprême et goûter le bonheur.

 

                         On le voit : cette doctrine aboutit à un immoralisme, mais aussi à une conception élitiste du pouvoir qui contredit l’idéal démocratique.

 

 

 

C) Les limites de cette conception

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                         Aussi l’idée que le bonheur s’obtient par la satisfaction de tous nos désirs n’apparaît-elle pas dangereuse et contestable, même si elle est apparemment soutenue par toute l’idéologie de la société de consommation ? N’aboutit-elle pas à l’apologie de la violence et du crime ?

 

                         Cette conception hédoniste et tyrannique du bonheur sera réfutée terme à terme par Socrate : le dérèglement, la liberté de faire ce que l’on veut, l’assouvissement sans limite des désirs, ne font pas la vertu et le bonheur. “Ne pas réprimer ses passions, aussi grandes soient-elles, mais se tenir prêt à les assouvir par tous  moyens”, n’est-ce pas, dit Socrate, une vie redoutable ?

 

                  La critique de l’hédonisme repose essentiellement sur l’argument de l’instabilité inhérente au désir. La puissance du désir réside en effet dans sa propre frénésie et non, cela va sans dire, dans la capacité de se réfréner. Pour illustrer cette idée, Socrate recourt à l’image du tonneau percé qui laisse fuir tout ce qu’il contient. L’âme est ainsi comme un crible, tout coule en elle; rien ne peut étancher la soif inassouvie du désir. Faut-il alors choisir l’ascétisme, renoncer à tous les plaisirs ? Pour Calliclès, “une vie sans désir est identique à celle des pierres et des morts.” (492-c). Dans le Gorgias, Socrate, face au radicalisme de Calliclès, proposera une solution de mesure : entre la jouissance sans frein et l’austère renoncement, il invite au choix d’une vie tempérante, c’est-à-dire celle où la raison impose au dérèglement des passions la maîtrise et la modération.

 

                  La critique de Socrate se portera également sur la conception illusoire que Calliclès se fait de la liberté car l’homme supérieur, c’est-à-dire l’homme du désir le plus fort, n’est en réalité que l’esclave de son ambition et de ses passions. A cette aliénation au désir, Socrate oppose la maîtrise de soi du sage qui règle son existence selon l’ordre de la raison.

 

                  Enfin, à l’individualisme forcené qui caractérise l’hédonisme de Calliclès, Socrate opposera la vertu de justice fondée sur le respect mutuel où l’autre est traité en égal dans des relations de réciprocité.

 

                   La justice est, en effet, la connaissance de l’ordre, non plus dans l’individu mais dans la cité, ordre qui nous est enseigné par la géométrie : cette dernière nous enseigne en effet que la mesure est en toute chose et en tant que science des relations d’égalité et de réciprocité, elle nous fournit le modèle de l’ordre qui règne dans le monde à tous les niveaux : ordre qui fait la santé du corps; ordre qui réalise cette hiérarchie des puissances de l’âme qui réside dans la maîtrise raisonnable des désirs; mais ordre aussi de la cité, fondé sur les rapports mutuels de réciprocité entre les citoyens, ce qui définit à proprement parler la justice, celle-ci faisant système avec l’ordre du monde.

 

                  Toute la critique de la thèse de Calliclès par Socrate se fonde donc sur ce grand principe d’ordre et d’harmonie universelle. L’hédonisme, qui se réclame de la nature, introduit en réalité le désordre et le dérèglement dans l’ordre universel de la nature.

 

                  Qui plus est, l’égocentrisme de l’homme ambitieux, parce qu’il vise exclusivement la satisfaction individualiste des désirs, ne peut aboutir qu’à la domination et l’asservissement d’autrui. Quand la politique se trouve subordonnée aux intérêts particuliers, l’exercice du pouvoir dégénère en tyrannie, plus sûr moyen d’assurer impunément le triomphe de ces mêmes intérêts. Comme Platon l’affirmera dans les Lois (IX. 875 b c d), “ la nature mortelle poussera toujours celui qui est investi d’un pouvoir absolu à poursuivre la satisfaction de son ambition, à la recherche de son intérêt personnel “.

 

                  Le désir du plus fort s’affirmant toujours contre les autres, dans une concurrence impitoyable, il est par nature profondément asocial. Tendant à s’approprier son objet envers et contre tous, le désir provoque la lutte; au lieu de réunir les hommes, il les isole les uns des autres et il isole plus particulièrement des autres  celui qui, dans sa recherche de la domination, a la puissance de s’imposer en maître. L’homme qui vivrait ainsi “ ne pourrait être aimé ni par un homme, ni par un dieu. Il ne peut participer à la moindre communauté et quand il n’y a pas de communauté, il ne saurait y avoir d’amitié “ (Gorgias).

 

 

 

 

 

CONCLUSION : LA VERTU ET LE BONHEUR NE RESIDENT NI DANS LA JUSTICE, NI DANS LA TEMPERANCE, MAIS DANS L’HEDONISME COMME PRINCIPE DE VIE    16

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                  La question fondamentale du Gorgias est posée par Socrate et elle est sous-jacente au discours de Calliclès : de quelle façon doit-on vivre sa vie pour qu’elle soit la meilleure possible ?  est-ce une vie de tempérance et de justice ou la quête de la toute puissance et du pouvoir absolu, au service d’une satisfaction illimitée des désirs ?

 

                  Calliclès, dans ce texte, a choisi sans ambiguïté la recherche frénétique du plaisir et il l’affirme avec provocation : la vertu et le bonheur ne l’idéal socratique de vie raisonnable, de bonheur dans la vertu, n’est qu’invention mensongère, propos futile et creux, à l’usage des imbéciles et des faibles. Les hommes intelligents ne peuvent se laisser berner par de telles balivernes. C’est une piètre conception de la justice que défend là Socrate, et Calliclès appelle de ses voeux l’homme capable de renverser, au nom d’un réalisme sain, les valeurs conventionnelles. Cette conception aboutit à une apologie de la force et de la tyrannie, la toute-puissance étant la condition même du bonheur. Si le bonheur s’obtient par la satisfaction de tous nos désirs, il faut nécessairement avoir le pouvoir de se satisfaire, donc un pouvoir total sur les autres.

 

 

 

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