L’ART

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INTRODUCTION

 

I) DE L’ART A L’OEUVRE D’ART

A) RECHERCHE D’UNE DEFINITION DE L’ART : LA CHOSE, L’OBJET, L'ŒUVRE

B) L’OEUVRE D’ART

 

II) LA CREATION ARTISTIQUE

A) MYSTERE DE L'ŒUVRE D’ART : LA QUESTION DU GENIE (texte de Kant)

B) LES CONDITIONS D’INTELLIGIBILITE DE L’OEUVRE : L'ŒUVRE D’ART COMME TRAVAIL (texte de Nietzsche)

 

III) L’ART ET LA REALITE

A) L’ART COMME DEGRADATION DE LA REALITE

B) L’ART, TRANSFIGURATION DU REEL

 

IV) LE JUGEMENT ESTHETIQUE

A) L’IDEE DE BEAU : OBJECTIVITE ET SUBJECTIVITE

B) L’ANALYTIQUE DU BEAU

C) LA CULTURE DU GOUT

 

CONCLUSION

 

THEMES DE RECHERCHES COMPLEMENTAIRES

SUJETS DE DISSERTATION

LECTURES CONSEILLEES

EXERCICE DE CONTROLE DE COMPREHENSION DE LA FICHE

 

 

INTRODUCTION

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-        La technique, le travail permettent à l’homme de transformer la nature et de créer le monde des objets humains. Ils aboutissent à l’art, l’un des langages dont les signes et les formes donnent du sens à notre existence. Si l’art est parfois accusé de manquer de sérieux, d’être inutile, comment se fait-il alors que la moins utilitaire de nos activités, la moins rationnelle et la moins morale, soit celle qui nous humanise de la façon la plus complète ? Mais qu’entendons-nous par art ?

 

 

1) Définition de l’art (travail à partir d’un questionnaire)

 

-        Consigne : déterminer le sens du mot art dans les locutions suivantes : un ouvrage d’art, l’Ecole des beaux-arts, avoir l’art et la manière. Formulez les différents sens du mot art.

 

1.     Un ouvrage d’art : constructions nécessaires à l’établissement d’une voie (ponts, tranchées, tunnels). Art comme technique et travail.

 

2.     L’Ecole des beaux-arts : école qui enseigne les arts consacrés à la production de la Beauté (la peinture, l’architecture, la gravure, la sculpture), les arts plastiques (arts de l’espace).

 

3.     Avoir l’art et la manière : art comme adresse, habileté, savoir-faire.

 

Þ Les différents sens du mot art :

 

1.     étymologie : « ars » (latin) ® talent, savoir-faire.

2.     sens courant ® savoir-faire (exemple : l’art de séduire)

3.     sens ancien ® ensemble de procédés appliquant un savoir et permettant de produire un résultat (synonyme de technique).

4.     sens moderne (depuis le 18ème siècle) ® les arts aus ens de beaux-arts ; activités ayant pour objet propre le beau, l’absence d’utilité pratique, la production désintéressée, visant à l’expression d’un idéal esthétique. En ce sens, si les arts (la peinture, la sculpture, la danse, etc.) exigent une technique, un savoir-faire, les oeuvres créées ne recherchent pas l’utilité mais la beauté.

 

2) Problématique

 

2.1  - Exercice : analyse de sujets de dissertation

 

- Consigne : vous tenterez de classer les sujets de dissertation suivants autour de quelques problèmes fondamentaux.

 

-        L’art peut-il s’enseigner ?

-        L’art nous détourne-t-il du réel ?

-        Peut-on reprocher à l’art d’être inutile ?

-        En quoi consiste le plaisir que procure une oeuvre d’art ?

-        Puis-je dire en même temps : “c’est beau” et “ça ne me plaît pas ?”

-        La fin de l’art est-elle la vérité ?

-        Peut-on conviancre autrui qu’une oeuvre d’art est belle ?

-        L’oeuvre d’art a-t-elle pour fonction de délivrer un message ?

-        Peut-on nous reprocher une faute de goût ?

-        L’art est-il le règne de l’apparence ?

-        Qu’est-ce qu’une oeuvre d’art ?

-        En quoi l’art peut-il être considéré comme une chose sérieuse ?

-        L’art est-il une illusion ?

-        L’art nous détroune-til du réel ?

-        En quoi consiste le plaisir que procure une oeuvre d’art ?

 

 

2.2 - Correction de l’exercice

 

1.     Problème du jugement de beauté ou du jugement de goût

 

-        Peut-on nous reprocher une faute de goût ?

-        Puis-je dire en même temps : “c’est beau” et “ça ne me plaît pas” ?

-        Peut-on convaincre autrui qu’une oeuvre d’art est belle ?

-        En quoi consiste le plaisir que procure une oeuvre d’art ?

 

-        Dans tous ces sujets, on nous demande de réfléchir la nature et la valeur du jugement que l’on porte sur une oeuvre d’art. S’agit-il d’un jugement purement singulier, incommunicable ou bien a-t-il une dimension objective, voire universelle ?

 

 

2.     Problèmes de la définition et de la fonction de l’art

 

-        L’art peut-il s’enseigner ?

-        Peut-on reprocher à une oeuvre d’art de ne “rien vouloir dire” ?

-        L’oeuvre d’art a-t-elle pour fonction de délivrer un message ?

-        Qu’est-ce qu’une oeuvre d’art ?

 

-        Réflexion ici sur la nature de l’art et de l’oeuvre d’art, sur ce qui les caractérise, les différencie d’autres activités. Qu’est-ce qu’il y aurait de propre à l’art et qui permettrait de l’identifier clairement ? A quoi sert une oeuvre d’art ?

 

 

 

3.     Problème du rapport de l’art et de la vérité

 

-        La fin de l’art est-elle la vérité ?

-        L’art est-il le règne de l’apparence ?

-        L’art est-il une illusion ?

-        L’art nous détourne-t-il du réel ?

-        En quoi l’art peut-il être considéré comme une chose sérieuse ? 

 

-        Réflexion ici sur la valeur de l’oeuvre d’art : que nous apprend ou révèle l’art que les autres formes de connaissances ou d’activités humaines ne révéleraient pas ? L’art n’est-il pas vrai à sa manière ?  Ne nous permet-il pas une meilleure compréhension du monde et ne nous fait-il pas accéder à une réalité plus fondamentale que ne le permettraient la science, le langage, la philosophie, etc.

 

-        Nous orienterons notre réflexion sur l’art dans quatre directions qui recoupent les questions soulevées précédemment à partir de sujets de dissertation :

 

1.     La première partie du cours sera consacrée à une réflexion sur l’essence de l’oeuvre d’art : qu’est-ce qui définit une oeuvre d’art ?

 

2.     La deuxième partie abordera la question relative aux conditions de la création artistique : qu’est-ce que créer une oeuvre d’art ? peut-on véritablement expliquer la création artistique ?

 

3.     La troisième partie envisagera le problème du rapport entre l’art et la réalité : quelles relations l’art entretient-il avec le monde extérieur ?

 

4.     La quatrième partie, enfin, se penchera sur le jugement de goût : quelle est la nature du jugement qui nous permet d’évaluer une oeuvre d’art ?

 

 

 

I) DE L’ART A L’OEUVRE D’ART

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- En quoi consiste l’art en son essence ? Qu’est-ce qui distingue l’art des autres activités humaines ? Y a-t-il un critère permettant d’identifier les oeuvres d’art ?

 

A) RECHERCHE D’UNE DEFINITION DE L’ART : LA CHOSE, L’OBJET, L'ŒUVRE

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1)     La chose, l’objet, l’oeuvre

 

- Si nul ne confond les rumeurs de la mer avec la musique, un rocher avec une sculpture, les lézardes d’un mur avec une peinture, par quel critère identifions-nous, immédiatement semble-t-il, l’oeuvre d’art ? Aussi convient-il de distinguer les productions de la nature des oeuvres de l’homme, avant d’identifier, parmi ces dernières, celles que nous nommons les oeuvres d’art.

 

- Prenons trois objets : un caillou, un marteau, un tableau. Qu’est-ce qui les distingue ? Le caillou est une chose, le marteau est un objet, le tableau est une oeuvre.

·       Une chose est là, sans intention, sans autres lois que celles de la nature; l’homme la trouve, il peut certes s’en servir et la transformer (la polir, par exemple) mais il ne l’a pas fabriquée.

 

·       Un objet, en revanche, est le produit, matériel ou pas (exemple : l’objet du livre que l’on est train de lire), de l’activité humaine. Il n’y a d’ob-jet (étymologiquement : ce qui est osé, jeté devant) que par et pour un sujet.

 

·       L’oeuvre est un objet éminent, soit parce que son élaboration a réclamé un travail particulièrement approfondi, soit parce qu’il contient un supplément de sens don’t l’objet simple est dépourvu. Un objet ne dépasse pas sa fonction  (un coupe-papier est un coupe-papier), une oeuvre si ; un objet se réduit à son utilité, une oeuvre non.

 

-        Revenons sur la distinction opérée entre une chose et un objet. Une chose est naturelle en quelque sorte, tandis qu’un objet est artificiel. Dans le paragraphe 43 de la Critique de la faculté de juger, Kant distingue l’Art de la Nature par leurs modes de production respectifs. L’Art est un “faire”, la Nature un “agir” ou un “causer”. L’Art est une production par liberté et raison, la Nature est une production nécessaire et sans conscience.

 

-        Même si le nid d’hirondelles ou les gâteaux de cire des abeilles ont une régularité et une finalité qui les apparentent aux oeuvres de l’homme, « en droit », nous ne pouvons pas les appeler des oeuvres de l’art car seul l’instinct a présidé à leur formation. Une oeuvre de l’art (un objet ou une oeuvre en tant que telle), au contraire, a d’abord dû exister comme projet, et toutes les fois où la représentation d’une chose a dû précéder sa réalisation, on se trouve en présence d’une oeuvre de l’art.

 

-        Il semble alors que l’intention de produire quelque chose soit le critère distinctif de l’Art.

 

-        C’est dire que les oeuvres de l’art portent en elles-mêmes la trace de leur genèse. Kant donne l’exemple de l’ustensile trouvé dans une tombe : la plupart des produits du travail humain, les outils en particulier, rendent sensible une “forme finale”, présentent une structure qui suggère une finalité. Nous avons beau ignorer, comme le remarque Kant, la finalité de cet ustensile, nous percevons quelque chose dans sa forme qui nous permet de le qualifier d’ustensile, c’est-à-dire de moyen en vue d’une fin. C’est par sa forme, bien plus que par sa matière, que cet objet révèle une destination et indique la présence d’un projet dont il est l’accomplissement.

 

-        Nous reconnaissons une oeuvre de l’art lorsque sa perception nous permet de rapporter sa forme à un projet, et le choix de sa matière à une sélection réfléchie de certaines de ses propriétés. Autrement dit, ce n’est pas par sa réalité matérielle que l’oeuvre d’art se laisse distinguer de visu, mais par une forme qui renvoie à une intention et à un usage.

 

-        On aboutit à une première idée important : une oeuvre d’art est d’abord une oeuvre de l’art et non de la nature. En ce sens-là, l’art et la technique désignent la même chose, savoir des productions artificielles et finalisées de l’homme. Mais ne peut-on pas pour atant distinguer l’art de la technique ? 

 

2) L’art autonome

 

-        Kant distingue également l’art de la technique : la technique est une production fondée sur la méthode; elle est susceptible d’un progrès collectif; la méthode scientifique et technique peut être exposée et expliquée dans toutes ses démarches (toute découverte peut être reprise et dépassée).

 

-        L’art, au contraire, est une production fondée sur le libre développement de la fantaisie créatrice; il est le domaine de la réussite individuelle (l’idée de progrès n’a aucun sens) : le génie de l’artiste est un don strictement individuel, incommunicable (cette question du génie sera abordée ultérieurement); l’art est la production d’une oeuvre qui trouve sa fin en elle-même, et dont les procédés ne peuvent être rigoureusement conçus et définis.

 

-        L’art n’est pas non plus le métier. Kant définit l’art comme une activité libérale qui relève des activités de jeu et d’esprit; activité désintéressée et gratuite, agréable par elle-même, n’ayant pas en vue la production utilitaire. Le métier, au contraire, est une activité “mercenaire” qui s’apparente au travail, à une occupation en soi désagréable (pénible), attrayante par son effet seulement (le salaire).

 

-        L’art est donc, d’après Kant, une oeuvre de l’art et non de la nature, une activité libre et désintéressée, la production d’oeuvres qui trouvent leur fin en elles-mêmes. 

 

-        Historiquement, c’est à la Renaissance que la création artistique acquiert progressivement son autonomie et que l’artiste cherche à produire une oeuvre personnelle, la valeur de l’oeuvre tenant moins au thème qu’à la manière de le traiter. Avant, l’artiste devait servir la religion ou le Prince et l’art était essentiellement l’expression du Sacré (la cathédrale du Moyen - âge est d’abord une prière de pierre, l’expression religieuse de la communauté médiévale chrétienne).

 

-        Selon André Malraux, la notion d’art autonome suppose la « mort des Dieux », c’est-à-dire une métamorphose que l’on porte sur les oeuvres : la perception passe du plan spirituel au plan esthétique (rôle du musée, oeuvre de la révolution française, qui instaure un regard « laïque » sur les oeuvres). 

 

3) L’artiste et l’artisan (texte d’Alain)

 

-        Dans Le système des Beaux-arts, Alain distingue l’artiste de l’artisan. Il y a d’abord un lien évident entre un artiste et un artisan : tous deux créent des objets singuliers différents les uns des autres et doués d’une personnalité. Mais qu’est-ce qui distingue l’artiste de l’artisan, l’art de l’artisanat ?

 

1. Lorsque l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie.

- « Toutes les fois que l’idée précède et règle l’exécution, c’est industrie ». L'industrie ou l'artisanat ici sont des activités productrices telles que tout ce qu'elles produisent est prémédité : avant de faire, on a l'idée de ce que l'on fait et de la manière de le faire, un cahier des charges, une méthodologie, une procédure. Tout est planifié. L'activité productive est mécanique en cela qu'elle pourrait être effectuée par une machine précisément parce que tout est prémédité. Il suffit de l'idée pour faire la chose.

Le mot idée ici renvoie à la représentation imagée, au dessin, au plan. Une machine pourrait faire l’oeuvre à des milliers d’exemplaires.

 

2. L'artisan peut par éclair être artiste.

- En faisant, on peut s'apercevoir que ce qui était prévu n'est pas possible ou qu'on pouvait faire autrement ou autre chose et que c'est préférable. C'est dans ces moments, rares, que l'artisan ressemble à l'artiste. Selon Alain, « Un beau vers n’est pas d’abord en projet, et ensuite fait; mais il se montre beau au poète; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu’il la fait ».

 

3. Le peintre de portrait.

- Il s'oppose aux artisans en cela qu'il ne sait pas avant de commencer tout ce qu'il fera, ni donc exactement ce que sera son œuvre une fois son travail achevé. L'idée ne précède pas le geste, mais accompagne le geste. L'idée ne vient qu'ensuite, comme au spectateur. L’idée lui vient « au fur et à mesure qu’il fait;…l’idée lui vient ensuite, comme au spectateur, il est spectateur aussi de son oeuvre en train de naître ».

 

- Cela ne signifie pas qu'il ne sait pas du tout en commençant ce qu'il va faire, mais qu'il n'a pas l'idée de tout ce qu'il fera à l'avance. Tous les artistes ont certes un projet avant de commencer à faire, mais l'œuvre ne tient pas dans le projet, ne se ramène pas au projet, n'est pas réductible à lui. Pour beaucoup, ce que sera l'œuvre n'était pas prévu et pas seulement parce que ce n'était pas prévisible, mais parce que si tout avait été prévu, elle ne serait pas une œuvre d'art.

 

- Il semble que ne pas savoir à l'avance tout ce qu'on va faire revient à dire qu'il entre dans la pratique artistique une part de hasard, d'improvisation, voire de n'importe quoi. Mais est-ce le cas ? Est-ce que ne pas avoir tout prévu, c'est faire un peu n'importe quoi ?

 

- Exemple de l'élocution : lorsque nous parlons, nous savons à l'avance ce que nous allons dire, mais nous ne savons pas comment nous allons le dire : nous ne faisons pas d'abord toutes nos phrases dans notre tête pour ensuite les livrer : d'une certaine manière, on apprend ce qu'on veut dire en le disant. Cela ne veut pas dire que l'on dit n'importe quoi et qu'on ne maîtrise rien de l'expression de nos idées.

 

- De même, faire une dissertation ou un cours, c'est aussi faire une œuvre en ce sens que lorsque l'on commence, on peut bien savoir où l'on veut en venir, c'est en faisant que l'on apprend ce que l'on pensait ou que l'on découvre ce qu'il fallait penser. Et du reste, dans tous les cas, on ne ferait sans doute rien si on savait tout à l'avance, si tout était prévu. Le passage à l'acte serait vain, n'ajouterait rien à l'idée, serait une pure perte de temps et d'énergie.

 

4. La règle du beau et le génie.

- Une nouvelle idée apparaît : celle de beau. Le beau en art n'est pas de l'ordre du projet, il n'est pas représentable sous la forme d'une idée ou pensable comme fruit d'un projet. Le beau n'est pas prévu, il est découvert par l'artiste, il apparaît comme malgré lui.

 

- Tout ce qui dans l'œuvre n'est pas beau est de l'ordre de l'artisanat, tandis que tout ce qui en elle est beau est de l'ordre de l'art au sens étroit. Ce qui fait que l'œuvre est œuvre d'art, sa beauté donc pour Alain, est impossible à prévoir, à préméditer. Alain associe donc d'un côté : œuvre d'art, beauté et imprévisibilité ou non-préméditation et, de l'autre, œuvre de l'art, absence de beauté et projet, antériorité complète de l'idée sur la chose qui ne déborde pas l'idée.

- C'est pourquoi il peut dire que la règle du beau est prise dans l'œuvre, c'est-à-dire qu'elle n'est pas dans la tête de l'artiste, mais dans l'œuvre elle-même puisqu'elle n'était pas prévue par l'artiste. C'est cette immanence de la règle à l'œuvre qui explique son caractère intransmissible, et donc l'impossibilité de refaire l'œuvre comme telle.

 

- Ce qui importe ici, c'est que Alain parle de règle : ce qui échappe à toute prévision, ce qui n'est pas prémédité, ce n'est pas n'importe quoi, c'est de l'ordre de la règle. Mais c'est une étrange règle : une règle, au sens technique de terme et non au sens moral, c'est une procédure qu'il faut connaître et suivre pour faire quelque chose, pour réaliser quelque chose. Elle est de l'ordre du moyen nécessaire. Or, ici, la règle n'est pas connue avant de faire, elle n'apparaît qu'après et encore de telle sorte qu'elle est inutilisable, inséparable de l'œuvre.

- On retrouve exactement le même type de pensée chez Kant : le génie est celui qui ne sait pas ce qu'il fait, mais sans pour autant faire n'importe quoi : il obéit dans son faire à des règles dont il n'a pas conscience et sans lesquelles il ne serait pas un génie.

- Que doit-on en conclure ? Qu'il existe entre l'artisan et l'artiste une différence telle que l'œuvre d'art se distingue de l'œuvre de l'art en cela qu'elle est irréductible à certaines règles, à certaines idées déterminées à l'avance. Une œuvre d'art est une œuvre dont rigoureusement on ne sait pas avant de commencer à la faire ni comment elle sera faite, par quels moyens, avec quels gestes, selon quels procédés, ni donc ce qu'elle sera exactement à la fin, une fois terminée. L'artiste n'a de son œuvre qu'une idée vague avant de la faire. C'est cette différence entre les pratiques qui distingue les artistes des artisans et donc les œuvres d'art des œuvres de l'art.

- L'artiste est donc celui qui, à la différence de l'artisan, ne sait pas exactement ce qu'il fait, sans pour autant faire n'importe quoi. La part d'imprévu qui entre dans la pratique ainsi que dans l'œuvre correspond pour Alain d'une part au génie et d'autre part au beau. Si l'artiste ne fait pas n'importe quoi sans savoir exactement ce qu'il fait, c'est parce qu'il est inspiré, parce qu'il a du génie. Et ce qui échappe à toute préméditation dans l'œuvre, ce qui en fait une œuvre d'art donc, c'est sa beauté.

 

- Mais la spontanéité créatrice, à l'égard de laquelle l'artiste est bien passif, comme un simple spectateur, est tamisée par ses jugements. Dire que l'artiste est spectateur de son œuvre, qu'il découvre ce qu'il fait en le faisant ne lui interdit pas d'être un spectateur qui juge, trie, élimine, corrige, combine, c'est-à-dire qui oriente en permanence l'activité créatrice en elle-même passionnée, désordonnée et brouillonne.

- Nous examinerons plus loin le problème de la création et du génie artistiques.

 

4) L’art et la technique : une relation complexe

 

- Le développement moderne de la technique brise les frontières quelque peu schématiques établies par Kant et nous oblige à envisager plus finement les relations complexes que l’art et la technique nouent ensemble.

 

4.1  - Des arts sans technique ?

 

-        Soulignons d’abord ce que nous avons déjà pressenti lors de la distinction opérée entre la chose, l’objet et l’oeuvre : l’union originaire des arts et des techniques. Le faire artistique, comme toute activité humaine, a une dimension « technique », impliquant règles et savoir-faire. Un art nouveau surgit lorsqu’apparaît une technique nouvelle : Van Eyck, inventeur de la peinture à l’huile, ouvre la peinture à une nouvelle dimension – la peinture de chevalet.

 

-        L’art contemporain (la musique, l’architecture, la danse, le cinéma) montre que la création n’est pas affranchie des contraintes techniques. Les grands créateurs sont souvent de grands techniciens. La création géniale passe nécessairement par l’apprentissage laborieux, l’entraînement, la répétition, l’initiation à une théorie, l’imitation des maîtres (tout génie est d’abord un imitateur ; on devient artiste d’abord en fréquentant les oeuvres d’art)…

 

-        La technique, on le voit, possède un pouvoir extraordinaire de renouveler, de révolutionner les moyens, les méthodes et les fins.

 

4.2  - Une technique sans art ?

 

-        On accuse souvent la technique contemporaine d’être froide, sans âme, dépourvue de toute valeur esthétique et promouvant une réalité où l’utilitaire et le fonctionnel deviennent les valeurs centrales. L’évanouissement de l’aspect artistique des techniques serait l’indice d’une déshumanisation du monde où l’utile supplanterait le beau. Qu’en est-il réellement ? Quel est le statut du fonctionnel ? Est-il une valeur technique ou une valeur esthétique ?

 

-        La catégorie du fonctionnel est d’abord une catégorie, voire une valeur, technique, dans la perspective de l’usager et du concepteur du produit. Il y a, dans le fonctionnel comme valeur, l’idée d’une épuration, d’une correction, d’un perfectionnement par dépouillement du superflu. Plénitude et perfection (l’objet est tout ce qu’il doit être et n’est rien que ce qu’il doit être), renoncement et ascèse, discipline sont alors les caractéristiques essentielles du fonctionnel.

 

-        Par là le fonctionnel accède à une valorisation  et désigne une catégorie marquée par la lisibilité de la fonction sur et dans l’objet. Le fuselage des avions, la carène des navires obtenus par de savants calculs sont des formes où se montre la finalité de l’artefact, où s’affiche la réussite. C’est par là que ces formes sont belles. Elles symbolisent en quelque sorte la bonne forme. Le bel instrument est celui qui correspond bien dans sa matière, sa forme, son dessein, à la fin pour laquelle il est fait.

 

-        Kant distinguait « beauté adhérente » et « beauté libre ». La « beauté adhérente » caractérise l’objet à la fois beau et utile (une belle maison, par exemple), par opposition à la « beauté libre » qui ne sert à rien et qui n’a pas d’autre fonction que le beau lui-même. La beauté adhérente, celle du fonctionnel, n’est pas une beauté de second ordre, une forme inférieure ou impure du beau.  Le fonctionnel est générateur de formes et de styles, il en vient à plaire, comme les beautés libres, sans concept et sans représentation d’une fin (cf. Chapitre consacré au beau et au jugement de goût).

 

-        Ainsi, « le fonctionnalisme élimine l’inutile, le vestige, et retrouve la valeur du simple, qu'il corrobore par une solidité accrue, une rapidité d'exécution et une rationalité d'usage valorisantes. On découvre, déjà au siècle dernier, que le produit de grande série peut avoir sa beauté, perceptible dans l'exacte correspondance de la chose à son concept, dans la rapide et peu coûteuse reproductibilité à l'infini et à l'identique… » (Jean-Pierre Séris, La technique, p 263).

 

-        L’esthétique industrielle, le design, tiennent compte des conditions nouvelles de la production en série et recherchent l’adaptation des formes et des fonctions dès le moment de la conception de l’objet manufacturé. Il s’agit là de la création délibérée et responsable « d'objets viables et beaux » (ibid.). Ainsi par le fonctionnel la technique communique-t-elle avec l’esthétique et développe-t-elle une expérience artistique qui lui est propre. Le beau fait alors bon ménage avec l’efficace.

 

4.3 - Art et technique aujourd’hui ?

 

-        L’époque moderne se caractérise par l’intrication croissante de l’art et de la technique. L’objet d’art est un objet productible et reproductible industriellement ; l’originalité de l’oeuvre est alors ébranlée.

 

-        La technique moderne crée de nouveaux modes d’expression artistique (cinéma, création graphique par ordinateur…) ou transforme les conditions mêmes de la création (utilisation, par exemple, de l’électronique, de l’informatique dans la musique). La distinction kantienne entre art libéral et technique s’affaiblit et empêche de comprendre l’originalité de l’art contemporain (la distinction kantienne conduirait ainsi à dénier le caractère d’oeuvre d’art à un film ; or le cinéma est à la fois art et industrie). En somme, l’oeuvre d’art moderne est technique tant dans son mode de production que dans reproductibilité et, parfois, dans sa finalité même (design, arts décoratifs, publicité…)

 

-        D’abord les nouvelles techniques suscitent des expériences artistiques, la création se faisant assister par la machine ou le programme (exemples de la photographie, du cinéma qui ont d’abord été considérés comme de « simples satellites mécaniques de la peinture ou du théâtre », qui se sont peu à peu émancipés de leurs modèles supposés et qui ont affirmé leur originalité artistique). Art assisté par ordinateur, manipulations électro-acoustiques… modifient les conditions mêmes de la création, de la conservation, de la reproduction des oeuvres, créent de nouveaux matériaux et instruments.

 

-        L’art contemporain se caractérise par le rôle fondamental de la médiation technique entre le créateur et la création. Dans l’art classique, dans la peinture notamment, existe un rapport étroit entre la main, la toile, les couleurs, la matière. Ce qu’on voit sur la toile reste le produit direct de l’action de la main du créateur. A l’inverse, dans la production d’images de synthèse, la main a disparu. C’est la machine qui se charge de matérialiser le concept.

 

-        Mais, comme nous l’avons vu, la technique ne joue pas simplement le rôle de médiation entre le créateur et l’objet artistique. Elle donne avant tout à l’art des formes, sa source d’inspiration, ses matériaux.

 

B) L’OEUVRE D’ART

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1)     Problématique

 

-        Si toute oeuvre de l’homme n’est pas une oeuvre d’art, parmi les oeuvres elles-mêmes on peut distinguer celles qui le sont plus que d’autres - les chefs d’oeuvre -, celles qui le sont aujourd’hui, ne le furent pas hier et ne le seront peut-être plus demain, et pour finir celles qui n’en sont pas du tout, parce qu’on leur dénie et la qualité d’oeuvres et le nom d’art.

 

-        Le Pont-Neuf est un ouvrage d’art, mais non une oeuvre d’art. La Joconde est un chef-d’oeuvre et pas seulement une oeuvre d ‘art. Quant aux musiques de variété, aux films commerciaux, aux romans de gare, on s’accorde généralement à dire qu’ils sont plutôt des produits de consommation que d’authentiques oeuvres d’art. Mais lorsque Marcel Duchamp dessine des moustaches à la Joconde ou expose un urinoir, lorsqu’en Extrême-Orient certaines pierres sont simplement encadrées, complétées , signées et ainsi élevées au rang de tableaux, les notions d’oeuvre, de chef-d’oeuvre et d’art perdent de leur évidence.

 

-        L’art moderne se caractérise, en effet, par son extrême variété et par le fait qu’il assimile progressivement tous les sujets et matériaux (texte de Lipovetsky n° 2 p 385, manuel de philo). Tout va être promu au rang d’oeuvre d’art : les objets ménagers, industriels, éphémères, etc. L’art rejoint la vie et descend dans la rue. Lipovetsky parle d’un “procès de désublimation des oeuvres” qui correspond à la culture de l’homo aequalis, à l’avènement d’une culture démocratique et égalitaire. Dès lors, la question se pose de savoir pourquoi ce terme d’”oeuvre d’art” exerce un attrait si puissant, au point d’être accolé à des oeuvres sans rapport avec lui.

 

-        Mais la question essentielle a trait aux critères de l’oeuvre d’art : qu’est-ce qui permet de reconnaître une oeuvre d’art ? Comment peut-on savoir que tel objet est une oeuvre d’art, et tel autre non ?

 

 

 

2) Les Critères de l’oeuvre d’art

 

-        L’oeuvre d’art existe simultanément sur trois plans : elle est tout à la fois une réalité matérielle et sensible, le résultat du projet d’un artiste, la source d’effets bien spécifiques. Elle est, en somme, une réalité singulière, créée par un artiste et provoquant des émotions et des jugements esthétiques. Quels sont alors les critères essentiels qui permettent de l’identifier ?

 

 

2.1 - L’apparence de la nature

 

-        Il semble d’abord qu’une oeuvre d’art partage les caractères essentiels de la nature: le propre de l’oeuvre d’art serait d’apparaître comme un “acte pur”, de paraître aller de soi et pour toujours.

 

-        Une oeuvre d’art ne se laisse pas décomposer en une forme et une matière, et offre toujours une unité incomparable. L’architecture, par exemple, qui est de tous les arts celui qui est soumis le plus aux contraintes matérielles, ne parvient à ses plus beaux résultats que si son art sait faire oublier ce contrôle sur les matériaux et réussit à conférer aux édifices l’apparence de libres individus. Même s’il n’y a pas d’oeuvre d‘art sans intention de produire quelque chose, en regardant un tableau de Brueghel, cette oeuvre semble excéder toute intention et s’offre plutôt comme origine que comme aboutissement.

 

-        Comme le signale Alain, si l’oeuvre n’est pas sans règles, si elle n’est pas pur désordre ou arbitraire, sa règle reste prise dans l’oeuvre. Chaque oeuvre est la création d’une règle au coup par coup; l’artiste la trouve au fur et à mesure, sans parvenir à se la représenter à lui-même. Selon Kant, contrairement au génie scientifique, le génie artistique ne peut rendre raison de son activité, ne peut expliquer comment il produit ses oeuvres.

 

-        Ainsi une oeuvre se révèle-t-elle être une oeuvre d‘art si son originalité est exemplaire et si elle a l’apparence de la nature. Le destin d’une oeuvre d’art n’est pas tant de servir de modèle au goût, ou de règle aux écoles, que d’éveiller par son exemplarité les aptitudes créatrices d’un autre génie. L’oeuvre d’art a l’apparence de la nature, au sens où elle paraît se produire elle-même.

 

 

2.2 – La Finalité sans fin

 

-        Un objet technique sert de moyen pour une fin extérieure qui est sa fonction, son utilité : un style sert à l’écriture. Le sens d’une activité technique est sn utilité (finalité extrinsèque), le sens d’une activité artistique est sa finalité intrinsèque : faire de la musique pour faire de la musique. Une oeuvre d’art ne sert qu’à être ce qu’elle est.

 

-        En ce sens, ce qui caractérise l’oeuvre d’art, c’est que la forme est le véritable contenu.

 

-        La forme n’est pas le contenu extérieur de l’oeuvre, mais l’agencement des parties et des signes propres au domaine auquel elle appartient. Chaque art possède ses moyens de création et une façon propre de s’exprimer : la musique est la mise en rythme des sons, la sculpture est l’organisation de la matière en volumes, la photographie se caractérise par le cadrage et la lumière, la danse par les gestes et le rythme du corps, la poésie par le pouvoir évocateur des mots assemblés en un certain ordre, etc.

 

-        Une oeuvre produit et exprime un contenu qui n’est pas ce qui est représenté ou évoqué - paysage, histoire, sentiment -, mais la signification présente dans la forme esthétique : aussi important que soit le thème apparent d’une oeuvre, c’est seulement par sa manière et par ses moyens spécifiques que l’oeuvre d’art produit une signification et une émotion : le peintre Maurice Denis rappelle qu’un « tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblé ».

 

-        Les sensations et les émotions éprouvées par l’artiste doivent d’abord se métamorphoser en matériau et en signes d’un langage particulier. Cézanne indique même la façon dont un peintre doit reproduire les sensations que la nature lui a inspirées : «  il faut traiter la nature par le cylindre, la sphère et le cône, le tout mis en perspective ».

 

-        Exemple de l’art abstrait qui naît dans les années 1910 : il ne s’agit plus de restituer le monde visible, mais de promouvoir la création individuelle et originale qui puise son existence dans l’instant et qui obéit à une « nécessité intérieure » (Kandinsky). Art qui se concentre sur la couleur, la forme, la composition. Art souvent marqué par les gestes et qui intègre, dans l’élaboration de l’oeuvre, le hasard. Exemple de Jakson Pollack (1912-1956) dans son tableau “Nimber 3” (1949).

 

-        Une oeuvre d’art présente ainsi une cohésion, une unité organique si puissante qu’elle renvoie toujours à elle-même. Toute oeuvre se retire du monde, se mire en elle-même, et montre pourtant quelque chose comme un monde, enseigne à voir d’une manière nouvelle notre univers quotidien. Face à une oeuvre d’art, il faut d’abord la regarder ou l’écouter avec attention. Il faut attendre qu’elle nous parle, abandonner toute prétention à un sens préétabli ou à une compréhension immédiate. Puis nécessité de la décrire, de fixer dans les mots ce qu’elle exprime ou semble exprimer. Analyse de la technicité, de l’ambiance, référence à l’histoire de l’art, etc.

 

-        Si l’oeuvre d’art est une réalité spécifique et autonome, qu’est-ce qui distingue ce qui est de ce qui n’est pas une oeuvre d ‘art ? Un objet peut être une oeuvre d’art à certains moments et non à d’autres : c’est en vertu du fait qu’un objet fonctionne comme symbole d’une certaine manière qu’il peut devenir une oeuvre d’art. La pierre n’est pas une oeuvre d ‘art tant qu’elle est sur la route, elle peut l’être, exposée dans un musée d’art; sur la route elle ne remplit pas de fonctions symboliques; dans le musée d’art, elle symbolise certaines de ses propriétés, - propriétés de forme, de couleur, de texture.

 

-        Symbolique veut dire que les signes et les formes sensibles de l’oeuvre d’art sont porteurs d’une signification qui lui est propre, qu’elle crée. De même, un Rembrandt peut cesser de fonctionner comme oeuvre d ‘art si on l’utilise pour remplacer une fenêtre cassée.

 

- Les choses ne fonctionnent comme oeuvres d’art que lorsque leur fonctionnement est symbolique, expressif : une oeuvre peut être symbolique et ne rien représenter, ne pas être figurative, comme dans la peinture abstraite; une peinture abstraite qui ne représente rien peut exprimer, symboliser un sentiment, une émotion, une idée. Une oeuvre d’art, même libre de représentation et d’expression, est un symbole, même si ce qu’elle symbolise, ce ne sont pas des choses, des gens ou de sentiments, mais certaines structures de formes, de couleur, de texture.    

 

 

2.3 – La beauté ?

 

-        Outre l’apparence de la nature et la fonction symbolique, l'œuvre d‘art semble également se caractériser par la production d’une valeur, la beauté. Or, la beauté est-elle le critère de l’oeuvre d’art ?

 

-        A l’époque classique, un artiste cherchait à traduire le beauté dans son oeuvre, de sorte que la beauté paraissait être l’objet même de l’art. A contrario, la laideur était au domaine esthétique ce que le péché estd ans le domaine moral, ou l’erreur dans le domaine logique : une figure du mal (valeur du Kalos Kagathos chez les Grecs).

 

-        Or, la beauté n’a été un objet d’intention explicite chez les artistes que pendant un temps limité de l’histoire de l’art (esthétique classique). Depuis le romantisme, l’art a gagné à lui le laid, le grotesque, le terrible, le bizarre et montré que le beau pouvait se trouver partout, et pas seulement dans la beauté. La beauté est liée essentiellement à l’harmonie classique, tandis que le beau est plus large et peut englober la laideur. Exemples de Goya qui peint d’horribles petites vieilles.

 

-        Par ailleurs, la beauté n’a pas seulement un sens esthétique. Elle peut renvoyer à une idée d’adaptation fonctionnelle de réussite (belle occasion,  beau succès), de supériorité (beau talent, beau sentiment), de bienséance (il n’est pas beau de se ronger les ongles), de calme et de clair (beau temps), etc. De sorte qu’un objet peut être beau, esthétique, sans être une oeuvre d’art (un chapeau, une voiture, une femme).

 

-        Qui plus est, il existe manifestement quantité de choses belles dans la nature. Il est d’ailleurs caractéristique que la laideur naturelle commence avec la vie (crapaud, araignée, hippopotame) ; une étoile, un désert, un rocher ne peuvent être laids parce que, sous le concept de laideur, nous pensons l’idée d’une inadaptation fonctionnelle qu’un paysage ou un fragment d’univers ne saurait connaître.

 

 

-        La beauté ne semble donc pas constituer un critère pertinent de l’oeuvre d’art.

 

 

2.4 – La singularité

 

-        Autre critère de l’oeuvre d’art : la singularité. L’oeuvre d’art tient dans son caractère unique, irremplaçable. C’est notamment ce qui permet d’expliquer pourquoi certaines toiles de grands maîtres atteignent des sommes d’argent exorbitantes dans les salles de vente : il n’y a pas plus rare que ce qui n’existe qu’en un seul exemplaire.

 

-        Le beau est rare. Quand on dit d’une chose qu’elle est belle, on veut dire notamment qu’elle n’est pas quelconque. En ce sens, le contraire de l’oeuvre d’art et du beau est la banalité. De sorte que l’oeuvre d’art se définit par l’originalité, par opposition à la banalité : un art original est celui qui assure par sa force la condition d’une poursuite possible ; un artiste est avant tout un inventeur qu rend impossible tout retour à une manière de faire antérieure. Et c’est précisément ce qui fait que l’esthétique ne peut devenir une science : s’il n’y a de science que du général, comme le pense Aristote, l’art n’est fait que de singularités, il est une suite d’exceptions.

 

-        Cette singularité inhérente à l’art se détermine comme style : grâce au style, une identité esthétique est reconnue ; quelques notes, quelques vers suffisent au connaisseur pour reconnaître tel ou tel artiste. Cette identité que constitue le style ne va pas sans la différence qui la fonde : une forme n’a de style que dans ce qui la pose en soi et l’oppose aux autres ; elle peut s’inscrire partout : dans les mots, les vêtemnts, la vie (on parle de « style de vie »).

 

-        Distinguons le style de ses formes dégradées : la manière (ensemble de savoir-faire qui n’a pu se hisser jusqu’au style, qui peut contribuer à faire une mode, mais pas un art), le procédé (ensemble de recettes : au lieu d’inventer, on se contente d’appliquer des règles, un style mort, stéréotypé).

 

 

CONCLUSION :

 

-        Nous sommes donc en possession de quatre critères essentiels qui permettent de différencier une oeuvre d’art d’un objet quelconque ou d’un objet technique : le primat de la forme sur le contenu, la singlarité, la finalité intrinsèque, l’apparence de la nature. Il faut la réunion de ces critères pour être en présence d’une oeuvre d’art.

 

-        Qu’est alors une oeuvre d’art ?

 

-        Une oeuvre d’art est une réalité matérielle et sensible dont la forme est le véritable contenu, qui s’affranchit de l’utile et d’une fin déterminée à l’avance, et qui est elle-même son propre modèle. L’oeuvre d’art est une originalité exemplaire qui a l’apparence de la spontanéité de la nature. Elle est le produit d’un travail destiné à la sensibilité, dans lequel le style vaut pour lui-même. Comment, dès lors, comprendre la création artistique, c’est-à-dire le processus lent, complexe et en partie mystérieux d’élaboration et de production d’une oeuvre d’art ?

 

II) LA CREATION ARTISTIQUE

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-        L’oeuvre d‘art suscite exégèses, commentaires, explications, justifications ; notre époque est friande des traitements analytiques démultipliés concernant les productions artistiques. Or, peut-on réellement expliquer les oeuvres d’art, si expliquer consiste à ramener le nouveau à l’ancien, l’inconnu au familier ? Le mystère de l'œuvre d’art ne s’oppose-t-il pas à toute tentative d’explication ? Certaines conditions de son intelligibilité ne peuvent-elles être mises au jour et nous ouvrir un accès à la compréhension des oeuvres ?

 

A) MYSTERE DE L'ŒUVRE D’ART : LA QUESTION DU GENIE (texte de Kant)

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-        L’oeuvre d’art ne se distingue-t-elle pas fondamentalement des autres productions humaines par le fait qu’elle est de droit inexplicable ? Une oeuvre d’art authentique ne doit-elle pas paraître naturelle, effacer les traces de sa production et échapper ainsi à toute analyse de ce qui la constitue ?

 

-        Partons d’abord de l’expérience esthétique la plus commune qui est souvent bouleversante : ravissement, étonnement, admiration qui nous laissent impuissants par rapport à l’émotion et au plaisir éprouvés. C’est là que s’enracine pour une part la sacralisation de l’oeuvre d’art. L’oeuvre d’art se présente donc comme une énigme que nous avons envie certes de déchiffrer mais qui semble irréductible.

 

-        Dans la Critique de la faculté de juger, Kant montre que l'œuvre d’art échappe à toute appréhension de type causal. Si expliquer c’est remonter d’un effet aux causes selon le modèle scientifique et technique, alors l’oeuvre d’art demeure effectivement inexplicable. D’après Kant, la différence qui sépare l’oeuvre d’art de toute production artisanale, technique ou scientifique réside dans le fait que les règles de production artisanales, techniques ou scientifiques sont clairement formulables, énonçables et donc explicites ; leur mise en oeuvre, les étapes nécessaires de leur production peuvent être décomposées et, à ce titre, réitérées et reproduites : ainsi peut-on fabriquer plusieurs objets de façon artisanale, même s’ils ne sont pas parfaitement identiques, et refaire une expérience scientifique ou démontrer plusieurs fois un théorème pour l’expliquer.

 

-        L’oeuvre d’art, au contraire, semble échapper à ce mode d’appréhension analytique et utilitaire : « Seules les choses dont la connaissance la plus complète ne suffit pas à donner l’habileté à les produire appartiennent à l’art » (Kant, op.cit., par.43). Il ne suffit pas, en effet, de savoir pour pouvoir passer à l’éxécution. L’oeuvre d’art n’est pas conceptuelle, elle n’est pas analysablze en ce sens ; il est difficilement d’expliquer comment il est possible de tirer la règle de l’oeuvre d’art réalisée.

 

-        Texte

 

"   On voit par là que le génie : 1° est un talent, qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée ; il ne s'agit pas d'une aptitude à ce qui peut être appris d'après une règle quelconque ; il s'ensuit que l'originalité doit être sa première propriété ; 2° que l'absurde aussi pouvant être original, ses produits doivent en même temps être des modèles, c'est-à-dire exemplaires et par conséquent, que sans avoir été eux-mêmes engendrés par l'imitation, ils doivent toutefois servir aux autres de mesure ou de règle du jugement ; 3° qu'il ne peut décrire lui-même ou exposer scientifiquement comment il réalise son produit, et qu'au contraire c'est en tant que nature qu'il donne la règle ; c'est pourquoi le créateur d'un produit qu'il doit à son génie, ne sait pas lui-même comment se trouvent en lui les idées qui s'y rapportent et il n'est pas en son pouvoir ni de concevoir à volonté ou suivant un plan de telles idées, ni de les communiquer aux autres des préceptes, qui les mettaient à même de réaliser des produites semblables. (…) 4° que la nature par le génie ne prescrit pas de règle à la science, mais à l'art ; et que cela n'est le cas que s'il s'agit des Beaux-arts. "

 

KANT, § 46 de la Critique de la faculté de juger.

 

Commentaire:

-        Dans ce texte, Kant souligne que le génie se caractérise par l’originalité, l’exemplarité et l’incapacité à indiquer scientifiquement comment il réalise son oeuvre. En cela, l’oeuvre d’art est semblable à la nature.

 

1. L'originalité

-        Que le génie soit un talent signifie qu'il est un don naturel. A savoir : une aptitude, une capacité de faire quelque chose, de produire, mais qui n'a pas été acquise par apprentissage, comme tous les savoir-faire. C'est un savoir-faire qui n'a pas été appris, qui est inné donc. C'est comme savoir-faire ou habileté qu'il faut entendre le mot règle ici. Les règles définissent des procédés, des manières de faire qui s'apprennent. Avoir du génie ou du talent, c'est donc être capable de faire quelque chose sans avoir appris à le faire.

 

-        Ce savoir-faire inné n'est pas un savoir-faire qu'on pourrait apprendre, que ceux qui n'en sont pas doués pourraient acquérir par apprentissage. Avoir du talent, c'est être capable de faire ce qu'aucun apprentissage ne permettrait de faire. Le génie toutefois ne dispense nullement celui qui en à de travailler et d'apprendre. Le talent ne permet pas de faire l'économie de l'apprentissage des règles d'un art puisqu'il ne permet pas de maîtriser de manière innée les règles qui s'enseignent : il permet de suivre des règles qui n'appartiennent pas (encore) à l'art et que personne ne connaît (encore).

 

-        Avoir du talent ou du génie n'est donc pas la même chose qu'être doué en ou pour quelque chose. Etre doué en ou pour quelque chose, c'est avoir des facilités dans un apprentissage : celui qui est doué est celui qui comprend vite, qui saisit immédiatement l'esprit des règles enseignées et qui est capable de les employer rapidement et avec aisance. Or, si être doué, c'est être capable d'apprendre vite les règles d'un art ou d'une science, cela n'a rien à voir avec la capacité de faire des choses selon des règles qui ne s'enseignent pas.

 

-        Le génie est donc défini par Kant comme la maîtrise innée de règles encore inconnues. Conséquences : les productions du génie sont originales puisqu'elles ne procèdent pas de règles connues et enseignées (original veut dire qui n'a pas d'équivalent, qui ne ressemble à rien de connu, qui est radicalement nouveau). Kant oppose ainsi l'imitation et le génie, la reproduction des choses connues et la création de choses originales.

 

-        Avoir du génie ou du talent, c'est donc être capable de faire quelque chose d'original, d'inouï, d'incomparable, sans avoir appris à le faire et en dehors des règles connues.

 

2.  L'exemplarité

-        Deuxième caractère du génie avec l’originalité : l’exemplarité. Le génie a ceci de paradoxal qu’il est à la fois original et exemplaire : original, parce qu’il ne peut naître de l’apprentissage de certaines règles; exemplaire, car ses oeuvres peuvent devenir des modèles qui serviront aux autres de règles de jugement tirée a posteriori. Les imitateurs ou les faussaires, et l’art académique en général, transforment en recette les modèles que le génie a fait surgir.

 

-        Il faut distinguer deux originalités : une qui est absurde, l'autre qui est exemplaire. Est absurde l'originalité d'une chose qui n'est que nouvelle, sans antécédent ; est exemplaire l'originalité d'une chose qui pourra servir de modèle dont s'inspireront les autres créateurs.

 

-        Les œuvres produites par le génie ne sont pas des imitations mais seront imitées et serviront à juger de la valeur des autres œuvres. L'exemplarité correspond donc à la valeur esthétique de l'œuvre, valeur qui lui vaudra d'être un exemple pour les autres.

 

-        Deux types de critères font la valeur d’une oeuvre d’art : la beauté de l'œuvre et sa puissance expressive ou représentative. Les œuvres géniales ont donc deux fonctions en tant qu'elles sont exemplaires : elles servent de modèles et fournissent des critères de jugements esthétiques. Elles introduisent de nouvelles pratiques artistiques et de nouvelles évaluations esthétiques. Elles offrent de nouvelles possibilités expressives, de nouvelles langues et invitent à avoir un autre regard, une autre écoute.

 

-        Le génie, c'est donc ce qui permet de faire des oeuvres originales et exemplaires, c'est-à-dire de faire des œuvres remarquables en l'absence de règles à suivre ou de modèles à imiter.

 

-        A noter que l'originalité d'une œuvre ne doit pas être confondue avec son unicité. Une œuvre peut être originale et exister en plusieurs exemplaires. L'originalité d'une œuvre d'art tient non pas à son caractère inimitable, mais à ce qu'elle n'est pas elle-même une imitation d'autre chose. L'original, c'est l'inimité et non l'inimitable.

 

-        Qu’en est-il aujourd’hui ? La disparition progressive de tout idéal esthétique, de toute norme esthétique a fait du nouveau comme tel un critère d'appréciation esthétique de premier ordre. Aujourd'hui, une des questions fondamentales des artistes comme des amateurs d'art est: "Est-ce que cela s'est déjà fait/vu ?" L'originalité prime sur l'exemplarité, ce qui explique qu'on pourra parfaitement tenir pour des œuvres d'art des objets dont la qualité principale est de n'avoir jamais été tentée, au risque qu'ils relèvent de ce que Kant appelle l'originalité absurde.

 

3. L’apparence de la nature

 

-        Selon Kant, l’art prend l’apparence de la nature, dans la mesure où sa finalité ne doit pas être manifestement intentionnelle. Le génie a ceci de commun avec la spontanéité de la nature qu’il est incapable de dire d’où lui viennent ses idées et comment il les trouve. Il y a une dimension inexprimable dans le génie artistique. Seuls les mauvais artistes connaissent par avance le produit de ce qu’ils vont faire, savent ce qu’ils vont réaliser avant de l’avoir effectivement réalisé. Les artistes sont “inconscients”, dans la mesure où “ils ne peuvent pas eux-mêmes concevoir la règle par laquelle ils doivent réaliser leur produit”.

 

-        Le génie est ce qui permet de bien faire, de réussir alors que rien n'indique ce qu'il faut faire pour bien faire et réussir. Il est au-delà des connaissances ou des règles de fabrication de quelque chose parce que ses gestes techniques à lui, ses manières de faire à lui, ses procédés ne sont pas conçus par celui qui les utilise, ne peuvent pas être explicités sous la forme d'une règle écrite ou verbale, sous la forme d'une procédure intégralement exposée, dite, donc transmissible.

 

-        Pour un peintre, le choix des couleurs obéit sans doute à quelques règles: on peut par exemple ne choisir que des couleurs primaires et si c'est le cas, on n'utilisera pas d'autres couleurs, ce serait comme une faute, une infraction à la règle. Ne pas savoir ce que l'on fait n'est pas la même chose que faire n'importe quoi. Le génie est celui qui sans savoir ce qu'il fait, le fait comme s'il le savait, c'est-à-dire le fait comme si ce qu'il fait obéit à des règles. Seulement, il ne sait pas quelles sont ces règles ni ne peut les connaître.

 

-        Le génie est de l'ordre du comme si : il travaille comme s'il suivait des règles puisqu'il ne fait pas n'importe quoi, seulement, c'est "comme si" puisque ces règles ne sont même pas aperçues par l'artiste. On ne peut que supposer leur existence. Les supposer parce que sans elles, il n'y aurait pas de différence entre le génie et le n'importe quoi. Or, il y en a. Les supposer parce qu'elles ne sont pas suivies de manière délibérée, conscientes.

 

-        Le talent est donc plus que l'habileté qui s'acquiert par imitation. Il est au-delà de l'apprentissage, mais n'est rien sans apprentissage non plus puisque l'artiste doit tout de même apprendre une technique. Le talent, c'est ce qui ne s'apprend pas parce que ce qu'il permet de faire, celui qui le fait est incapable de le comprendre, de l'expliquer et donc d'en rendre compte sous la forme de règles qui pourraient être apprises, c'est-à-dire imitées.

 

 

 

 

Conclusion :

 

-        L’oeuvre d’art semble donc en droit inexplicable; elle n’est ni conceptuelle ni analysable ; elle doit paraître naturelle. Le génie, opposé à l’esprit d’imitation, est un don naturel qui donne des règles à l’art. Mais cette conception ne tend-elle pas à effacer le dur labeur qui est à l'œuvre dans toute production géniale ? Sans un travail acharné, le don naturel ne reste-t-il pas pure puissance non actualisée ?

 

-        Cette définition du génie comme don est donc insatisfaisante. D’abord elle est négative en cela qu'elle ne dit pas ce que le génie est : les règles propres au génie ne sont pas apprises, ne sont pas conscientes et ne sont pas transmissibles. Ensuite cette définition fait du génie une sorte d’élu de la nature et le sacralise en quelque sorte. Enfin, expliquer la création artistique par le génie se heurte à une observation toute simple : tous les artistes, y compris ceux qu'on dit géniaux, ne font pas toujours de bonnes choses. Comment dès lors rendre compte de l'échec d'un génie s'il est un génie ?

 

 

B) LES CONDITIONS D’INTELLIGIBILITE DE L’OEUVRE : L'ŒUVRE D’ART COMME TRAVAIL (texte de Nietzsche)

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-        Le caractère inexplicable de l’oeuvre d’art peut s’amoindrir si l’on considère dans les oeuvres les traces de leur production. Regarder l’oeuvre d’art comme fruit d’un travail permet de pénéter au moins un peu dans le mystère de l’oeuvre. La liberté apparente de l'artiste qu'on met au compte de son talent a fait l'objet de toute une série de tentatives de réductions à des déterminations qui ne sont pas métaphysiques, mais psychologiques, sociologiques, historiques, physiologiques, politiques ou idéologiques…

 

-        On fait ainsi jouer à certains processus psychologiques, sociaux, historiques, physiologiques ou politiques, processus identifiables par les spécialistes et inaperçus pour l'artiste, le rôle qu'on fait jouer à la nature lorsqu'on parle du génie: donner des règles à l'activité apparemment libre de l'artiste et imposer ainsi des formes déterminées aux œuvres créées de telle sorte qu'en effet l'artiste ne sache rien de ce qu'il fait en réalité.

 

-        Ces substitutions permettent de donner des explications positives et non négatives que le génie ne donne pas, mais elle a aussi une fonction évaluatrice ou généalogique : la valeur des processus à l'origine de l'œuvre sert à déterminer la valeur de l'artiste et de l'œuvre. Mais quelle que soit cette origine, le génie s'en trouve remis en cause et l'artiste tenu pour génial désacralisé. Ce que ces tentatives d'explication rejettent, c'est l'élection de l'artiste, sa noblesse en quelque sorte. Donnons quelques exemples.

 

1) L’explication psychanalytique

 

-        Dans Introduction à la psychanalyse, Freud explique que l'artiste doit son activité créatrice à des mécanismes qui s'apparentent à ceux de la production des rêves : les œuvres d'art qu'il crée lui offrent des satisfactions substitutives semblables à celles des rêves éveillés ou non. Il aurait une grande aptitude à sublimer et une faible capacité de refoulement : il exprimerait ainsi ses désirs dans ses œuvres.

 

-        La création est une transposition des passions sur un plan supérieur, une sublimation. Selon Freud, la création artistique est une façon de rester enfant. On ne sort pas de l’enfance; grandir n’est pas renoncer à l’enfance, mais s’y substituer : devenir adulte, ce n’est que choisir son moyen de rester un enfant. Il y a trois formes de survivances, en nous, de l’enfance :

 

1.     La perversion

 

-        Déviation par rapport à l’acte sexuel “normal”, lorsque le plaisir sexuel est obtenu avec d’autres objets sexuels (homosexualité, pédophilie, zoophilie, etc.) ou lorsqu’il est subordonné à certaines conditions extrinsèques (fétichisme, voyeurisme, exhibitionnisme, sado-masochisme, etc.). La perversion est une régression à un stade en principe dépassé de la sexualité  infantile de la sexualité (qualifiée par Freud de “perverse polymorphe”). Le pervers est cet adulte qui n’a pas renoncé à ses jouissances d’enfant.

 

2. La névrose

 

-        La névrose est une affection psychique où les symptômes sont l’expression symbolique d’un conflit intrapsychique trouvant ses racines dans l’histoire infantile du sujet et constituant des compromis entre le désir et la tendance : névrose obsessionnelle, hystérie, névrose phobique. Les tendances perverses de l’enfance sont refoulées et ne s’extériorisent plus que sous la forme de symptômes morbides : les névrosés sont prisonniers de leur enfance.

 

3. La sublimation

 

-        La sublimation est une dérivation de la pulsion sexuelle vers des objets socialement dérivés : l’activité artistique et l’investigation intellectuelle. La sublimation fait la double économie de la névrose et de la perversion : les tendances infantiles ne sont ni refoulées (névrose) ni satisfaites (perversion) mais déplacées quant à leur but : l’homme qui sublime emporte son enfance avec lui, et investit ailleurs, en un autre lieu et à un autre niveau, l’énergie inapaisée de ses désirs infantiles (dans l’art, la morale, la science, la philosophie). Les tendances sexuelles se déplacent vers des buts non sexuels, de telle sorte que le désir trouve à se satisfaire, mais à un autre niveau et selon d’autres modalités.

 

-        Freud explique également que la création artistique est comparable au jeu et au fantasme : elle est à la fois maîtrise de l’absence et création d’une présence :

 

·       L’artiste, comme l’enfant qui joue, se crée un monde à lui, maîtrise l’absence, à l’instar du petit garçon qui ne cesse de jouer l’absence insupportable de sa mère pour la maîtriser et ne plus la subir. En ce sens, le travail artistique est proche du travail du deuil puisqu’il s’agit, par l’art, de supporter l’insupportable, de sorte que la souffrance peut devenir productive).

 

·       La création artistique ressemble au fantasme (rêve éveillé) : le fantasme est fils de l’insatisfaction; il relève, comme l’oeuvre d’art, de l’imagination éveillée et de ce que les adultes substituent aux jeux d’enfants auxquels ils ont dû renoncer. Le fantasme est un jeu d’adulte, un rêve éveillé.

 

-        Toutefois, dans la création d’une oeuvre, la fantaisie nous détourne certes de la réalité, mais ce détour devient un retour : l’art est « un chemin de retour qui conduit à la réalité » (Freud, Introduction à la psychanalyse). L’art est créateur, il produit des oeuvres, d’où l’obligation pour lui de compter avec le réel et de se rapprocher du travail ; l’art permet la réconciliation du principe de plaisir et du principe de réalité : l’artiste, joue, rêve, fantasme pour de vrai.

 

-        Freud considère que la névrose et l’art constituent deux solutions au même problème. Le véritable artiste serait celui qui, parmi les candidats à la névrose, est apte à donner à ses fantasmes, à ses rêves éveillés, la forme de l’universalité. Il conférerait à ceux-ci une valeur esthétique, une beauté, qu’originairement ils n’ont pas. Grâce à cette conduite de détour, l’artiste conquiert ce qu’il était dans l’incapacité d’obtenir de façon plus directe.

 

-        Mais Freud reconnaît lui-même que son analyse de type psychologique n'explique pas tout : que les œuvres d'art expriment des désirs n'explique pas comment l'artiste s’y prend pour que son oeuvre plaise aux autres qui n'ont pas nécessairement les mêmes désirs et produise un plaisir esthétique. C'est pourquoi il reconnaît à l'artiste un pouvoir mystérieux de représenter des désirs et des capacités d'embellissement qu'il n'explique pas.

 

2)     Marx

 

-        Selon Marx, la superstructure politique, juridique et idéologique d’une société donnée dépend en dernière analyse de la façon dont les hommes y travaillent. L’art, comme tout phénomène humain, dépend de l’infrastructure économique de la société dans laquelle il appartient : Marx explique, par exemple, que l’art grec suppose la mythologie grecque et l’arriération économique dont celle-ci constitue la compensation imaginaire. La création artistique correspondant à une transposition, plus ou moins inconsciente, voilée et mystifiée, des conflits de classes sociales à une époque donnée : l’art littéraire de Balzac décrit l’irrésistible ascension d’une bourgeoisie dénuée de scrupules aux dépens de la vieille aristocratie.

 

-        Mais Marx montre aussi qu’on ne peut pas réduire l’art à des déterminations historiques ou idéologiques : " Mais la difficulté n'est pas de comprendre que l'art grec et l'épopée sont liées à certaines formes du développement social. La difficulté, la voici : ils nous procurent encore une jouissance artistique, et à certains égards, ils servent de normes, ils nous sont un modèle inaccessible. " L’étude de l’infrastructure économique d’une société disparue peut rendre compte de l’idéologie qui y a dominé (les mythes, par exemple, dont s’est nourri Homère). Mais cette formation sociale appartenant au passé, cette idéologie nous paraît désormais désuète, elle ne nous parle plus, alors que son art, à l’inverse, demeure à nos yeux une source de plaisir.

 

-        Selon Marx, la fascination que l’art exerce encore sur nous tient à la nostalgie qu’on éprouve en présence des belles productions de « l’enfance historique de l’humanité ». Si on aime l'art grec, c'est pour les mêmes raisons que ce qui nous fait aimer notre enfance révolue : la naïveté, la fraîcheur…

 

-        En somme, Marx met bien en évidence les limites et les difficultés de l’explication historisante : on risque d’oublier que nous goûtons encore des oeuvres dont l’environnement historique nous est à jamais étranger, à trop vouloir donner le fin mot de l’oeuvre d’art. L’investigation historique ne peut certes manquer d’éclairer l’oeuvre d’art; mais elle ne saurait jamais démontrer que telle classe sociale devait nécessairement engendrer tel courant esthétique, et encore moins que tel courant esthétique devait fatalement prendre corps chez tel individu de génie et non chez tel autre.

 

3) Les limites de ces explications

 

-        Où l’on voit que ces explications, pour intéressantes et nécessaires qu’elles soient, laissent de côté l’essentiel, la valeur de l’oeuvre d’art. La psychanalyse ou l’explication matérialiste de l’art n’expliquent de l’art que ce qui en lui n’est pas artistique. On n’expliquera pas le génie de Rembrandt à partir de la Hollande de son époque : le dernier des petits maîtres hollandais reflète aussi son temps et n’est pas Rembrandt. L’art est une transfiguration des données (matériaux, sources de l’oeuvre) qui sont arrachées au monde de la vie et introduite dans un autre monde. La sensation, le désir, par exemple, ne deviennent matière esthétique qu’après avoir subi une purification, un dépouillement qui les libère des interprétations utilitaires de la vie courante.

 

4) Le génie, un grand travailleur (texte de Nietzsche)

 

" Les artistes ont quelque intérêt à ce qu'on croie à leurs intuitions subites, à leurs prétendues inspirations ; comme si l'idée de l'œuvre d'art, du poème, la pensée fondamentale d'une philosophie tombaient du ciel tel un rayon de la grâce. En vérité, l'imagination du bon artiste, ou penseur, ne cesse pas de produire, du bon, du médiocre et du mauvais, mais son jugement, extrêmement aiguisé et exercé, rejette, choisit, combine ; on voit ainsi aujourd'hui, par les Carnets de Beethoven, qu'il a composé ses plus magnifiques mélodies petit à petit, les tirant pour ainsi dire d'esquisses multiples. Quant à celui est moins sévère dans son choix et s'en remet volontiers à sa mémoire reproductrice, il pourra le cas échéant devenir un grand improvisateur ; mais c'est un bas niveau que celui de l'improvisation artistique au regard de l'idée choisie avec peine et sérieux pour une œuvre. Tous les grands hommes étaient de grands travailleurs, infatigables quand il s'agissait d'inventer, mais aussi de rejeter, de trier, de remanier, d'arranger." (Nietzsche. Humain, trop humain, §155).

 

Commentaire :

-        Ce texte remet en question l’idée naïve selon laquelle l’artiste serait doué de facultés surnaturelles. Nietzsche se demande si le génie est travail ou disposition innée, don ou labeur ? Quelle est la nature du génie ? Le philosophe montre que le jugement, l’idée, le travail, c’est-à-dire des opérations mentales conscientes, jouent un rôle prédominant dans la conception artistique. L’inspiration, le don inné sont des mythes commodes et utiles à l’artiste.

 

-        Trois étapes dans ce texte :

 

1.     « Les artistes…grâce » : Nietzsche expose le mythe de l’artsite créant sous l’effet de la grâce ; ce mythe, dit-il, est lié à l’intérêt de l’artiste.

2.     « En vérité…oeuvre » : décryptage du mythe : c’est le jugement qui trie et combine ; c’est l’idée, et non point la grâce ou le don, qui commande la grande oeuvre.

3.     « Tous…arranger » : conclusion : le travail fait le génie.

 

 

PREMIERE PARTIE (« Les artistes…grâce »)

 

-        La première partie du texte fait peser le soupçon nietzschéen sur l’artiste. Les artistes entretiennent le mythe du génie ou de l'inspiration parce qu'ils en tirent un bénéfice : celui de se faire passer pour des êtres à part, pour des élus de la nature. Entourer de mystère ses activités les rend plus nobles. De même, les exposer au regard du public les désacralise, voire déçoit. L’artiste a intérêt à ce que l’on privilégie la puissance de son « intuition », c’est-à-dire de sa faculté de voir immédiatement dans le réel, comme si l’inspiration était facteur essentiel de découvete.

 

-        Les hommes aiment bien ce qui se présente comme tout fait, achevé ; le travail, la création à l’oeuvre ne sont pas très agréables à saisir. Et nous avons vu que l’oeuvre d’art semble surgir spontanément, en effaçant la trace du travail qui la fait naître. C’est précisément en cela que consiste la grâce, puissance surnaturelle qui donne voir une légèreté, une aisance, une dextérité dissimulant les laborieux efforts de l’intellect et de la volonté.

 

 

DEUXIEME PARTIE (« En vérité…oeuvre »)

 

-        L’expression « en vérité » souligne que Nietzsche entend ici rétablir la vérité contre les mythes, les illusions, en dévoilant les ressorts cachés du discours.

 

-        Les grands artistes ne sont pas toujours bons : ils le seraient s'ils étaient inspirés comme ils le prétendent. Ils produisent de tout, y compris du mauvais. Alors qu'est-ce qui les distingue des artistes ratés ou des non artistes ? Leur jugement : ils sont exigeants dans leurs jugements, sévères avec ce qu'ils produisent.

 

-        Exemple des Carnets de Beethoven. Ils illustrent l'idée selon laquelle les œuvres d'art ne naissent pas sous l'empire d'une inspiration soudaine, mais par un travail de tri parmi des productions de toute nature. Cet exemple insiste aussi sur le caractère composite, combiné des œuvres : elles ne jaillissent pas d'une seule coulée.

 

-        C’est le jugement, en somme, qui répudie le mauvais et décide ; la grande oeuvre est le fruit de brouillons multiples, d’essais sans cesse répétés. Tandis que le vrai créateur rejette et choisit, l’artiste, l’improvisateur  est moins sévère avec ses propres productions. Il demeure au niveau de ce qui est compopsé sur-le-champ, sans préparation réelle, à la hâte.

 

-        D’un côté donc l’artiste médiocre qui multiplie les travaux rapides, qui se contente souvent d’imiter ; de l’autre le génie qui oeuvre sans cesse.

 

 

TROISIEME PARTIE (« Tous les grands hommes…arranger »)

 

-        Conclusion : les « grands hommes » - les génies, les héros, les grands pesneurs, les grands créateurs en général – ont d’abord été de « grands travailleurs », des individus inscrivant leurs fins dans le réel et fournissant, pour ce faire, un effort douloureux, une discipline de fer. Et c’est à double titre que leurs efforts se manifestent : d’abord pour créer quelque chose de neuf, pour « inventer » ; ensuite pour transformer, modifier les ouvrages de l’esprit par un nouveau travail (« remanier »).

 

-        L'artiste ne se distingue pas seulement par la sévérité de son jugement, il se distingue aussi par le volume de sa production : il travaille et produit beaucoup. L'artiste met toute son énergie dans la production et le tri.

 

-        En somme, Nietzsche soutient que l'artiste se distingue non pas par le génie mais à la fois par l'énergie avec laquelle il produit des choses de toute sorte de qualité et par la sévérité des jugements qu'il porte sur son travail. L'artiste n'est donc pas celui qui réussit tout ce qu'il fait sans savoir très bien pourquoi ni comment, mais celui qui produit beaucoup et qui est à l'égard de ce qu'il produit comme un spectateur exigeant triant, rejetant, combinant.

 

-        Au fond, Nietzsche ramène la création artistique à la passion et au goût : le goût trie, sélectionne parmi tout ce que l'énergie de la passion fait produire. Les œuvres d'art ne sont jamais produites que par ceux qui travaillent sans relâche, qui maîtrisent parfaitement plusieurs techniques, qui connaissent bien ce qui s'est fait dans leur art et qui réfléchissent beaucoup à ce qu'ils font.

- Manuscrits raturés, reprises incessantes sont donc au fondement de la création. Ce texte met à distance l’idée de l’artiste comme être supérieur. Seuls comptent le travail, l’activité, la puissance, la joie mêlée à la soufrance, le jugement éclairé par la culture. L’art prolonge en quelque sorte l’activité créatrice de la vie : il n’est pas un miracle mais un produit de l’élan dynamique.

 

-        On ne peut donc opposer, à la façon des romantiques, le génie et le labeur. Le génie, c’est l’intelligence active qui tend vers une direction unique. Il n’y a pas de miracle propre au génie. L’activité de l’artiste ressemble en cela à celle de l’inventeur, du savant, etc. Le génie est le grand travailleur qui ne cesse de mettre en forme des matériaux et d’observer.

 

 

CONCLUSION :

 

 

-        Peut-on donc expliquer les oeuvres d’art ?

 

-        Dans un premier temps, il semblait impossible d’expliquer une oeuvre d’art, son mode de production n’étant pas le même que celui des autres productions humaines. L’oeuvre d’art reste irréductible à une expression rationnelle qui, en voulant rendre compte de l’acte créateur, appauvrit ou néglige l’originalité irréductible de cet acte. Mais en considérant l’oeuvre comme le fruit d’un travail et de l’utilisation de contraintes, il apparaît finalement que nous pouvons expliquer les oeuvres, au moins en partie, même si cette étape indispensable n’est pas suffisante à leur compréhension.

 

-        En effet, expliquer n’est pas encore comprendre. Les oeuvres d’art ont certes besoin d’être expliquées, interprétées, décrites, décomposées puisqu’elles n’adviennent comme telles que par notre collaboration. Mais tout discours sur elles, toute explication demeurent inachevés. Le propre de l’oeuvre d’art, c’est, semble-t-il, d’être inépuisable et lorsque son secret nous résiste, l’oeuvre nous renvoie alors à une absence, à un manque, à un vide, qu’elle nous invite à combler par l’imagination. La transcendance à laquelle les oeuvres d’art renvoient, elles ne la signifient que dans la distance.

 

 

III) L’ART ET LA REALITE

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-        Quel rapport l’art entretient-il avec la réalité ? Nous dit-il la vérité sur l’être ou bien travestit-il la réalité en nous faisant prendre l’illusion pour la réalité ? Que nous livre la représentation artistique sur la réalité ? Si le réel est déjà là, pourquoi en élaborer un double ? Pourquoi, en clair, produire une oeuvre fictive quand on dispose du vrai, émettre une copie quand on détient l’original ? Pascal a-t-il raison d’affirmer : « Quelle vanité que la peinture qui force l’admiration pour la ressemblance des objets dont on n'admire point les originaux » (Pensées, 34) ? Y a-t-il finalement quelque chose dans l’art de plus que dans la réalité ? Et si oui, qu’y a-t-il précisément ?

 

 

A) L’ART COMME DEGRADATION DE LA REALITE

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-        Idée ici qu’il n’y a rien dans l’art de plus que dans la réalité ; l’art est une recomposition, voire une dégradation de la réalité.

 

1)     L’art, recomposition de la réalité

 

-        Comment pourrait-il y a voir plus dans l’art que dans la réalité ? L’art est d’abord un moment du réel, il fait partie du réel,dans lequel toute oeuvre occupe une place, a une certaine histoire, voire une valeur pécuniaire. Pour qu’il y ait plus dans l’art que dans la réalité, il faudrait donner à la création humaine une positivité qui égale celle de la création divine. Nous avons, à travers la question du génie, à quelles difficultés cette conception menait.

 

-        L’art n’est que recomposition de divers éléments du réel, formes, couleurs, etc., avec lesquels l’imagination peut jouer à l’envi et se livrer à des compositions inédites et originales. Idée que l’imagination recompose les éléments du réel , les assemble à sa guise, sans rienvéritablement créer. C’est ce que montre Descartes dans la première des Méditattions métaphysiques : l’art, même quand il représente des êtres que la réalité ne nous permettra jamais de rencontrer, ne peut rien avoir de plus en lui que dans la réalité. Eemple du Tableau de Jérôme Bosch, Le jardin des délices.

 

2)     La mimésis

 

-        Platon montre que l’art est une dégradation de la réalité dans son attachement à des apparences des copies de la réalité. L’art est une dégradation au carré, il copie les apparences des copies e la réalité que sont les productions de l’artisan.

 

-        En effet, pour Platon l’imitation ou mimésis est la condition incontournable de toute production, artisanale ou artistique. D’un autre côté, il met en garde contre une imitation qui se rallierait exclusivement à la fidélité aux apparences.

 

-        Platon s’interroge fondamentalement sur le rang qu’occupe l’art à l’intérieur de la connaissance et sur le rapport de l’image illusoire avec la réalité dont elle est l’image. Les choses visibles sont le reflet des Formes dont elles sont des images imparfaites. Platon divise l’art de production en deux : une production divine et une production humaine.

 

-        La production divine suppose un démiurge qui produit la nature et les réalités naturelles. La production humaine fait pendant à cette production divine : de toute réalité, il y a une imitation. La mimétique, dans l’ordre de la production humaine, se divise elle-même en art de copier (les copies sont des imitations qui reproduisent exactement les proportions et les couleurs du modèle) et en art de faire des simulacres : les simulacres ne sont pas des copies et sont destinés, quand la copie est impossible en raison de la grandeur de l’objet, à donner l’illusion de celui-ci, de sorte que cet art du simulacre, dont la peinture est l’exemple le plus manifeste, peut être appelé un art de tromperie.

 

-        L’artiste, en effet, n’est qu’un faiseur de simulacres. Dans la République (livre X, 597 e), Platon compare l’oeuvre de Dieu, celle de l’artisan relativement à la production d’un objet d’usage, comme le lit. Il y a d’abord « le lit en soi » ou l’Idée du lit (le lit-type), le lit matériel étant réalisé sur le modèle du lit en soi dont il n’est qu’une copie, avec tout ce qui distingue la copie de l’original. Quant au peintre et à sa tâche de représentation du lit, il n’est qu’un « imitateur de ce dont les autres sont des ouvriers ». Le statut négatif de l’artiste renvoie donc à une vision hiérarchisée de la réalité et de la production, depuis l’archétype jusqu’à la représentation de l’objet.

 

-        Platon ne condamne pas, en réalité, les arts en tant que tels, mais l’illusionnisme de l’art de son époque, dans lequel il voit une conception strictement humaniste, relativiste, proche des sophistes, qui fait du regard du spectateur la mesure de la beauté et de la vérité.

 

-        L’art grec du Vème siècle se caractérise, en effet, par un art du trompe-l’oeil capable de donner au spectateur l’illusion de la profondeur. Ainsi Zeuxis, inventeur probable de la peinture sur chevalet, aurait peint des raisins à l’apparence si naturelle qu’ils auraient trompé les pigeons qui seraient venus les picorer. Platon condamne cet art moderne dont l’essence est l’imitation pour plusieurs raisons : ce type d’art possède une affinité avec la sophistique et désigne un art d’assouvissement et non un art du beau ; la manie de la ressemblance qui va jusqu’au trompe-l’oeil a quelque chose de servile ; la technique de l’illusion est une sorte de mensonge organisé ; l’irréel finit par prendre le pas sur le réel.

 

-        Jusqu’au milieu du XIXe siècle, l’art, et notamment l’art pictural occidental, comporte une part délibérée d’illusionnisme. Depuis la Renaissance, le premier impératif qui s’impose au peintre réside en ce qu’il doit s’efforcer de représenter sur une surface plane, à deux dimensions, ce qui dans la réalité en comporte trois : c’est bien à obtenir l’illusion de la profondeur que vise l’étude des lois de la perspective linéaire : “La première tâche du peintre, c’est de faire en sorte qu’une surface plane ait l’apparence d’un corps dressé et saillant par rapport à cette surface…” (Léonard de Vinci).

 

-        De même, l’architecte Alberti (1404-1472) déclare : « La fonction du peintre consiste à circonscrire et à peindre sur un panneau ou un mur donnés, au moyen de lignes et de couleurs, la surface visible de toute espèce de corps , de sorte que, vu à une certaine distance et sous un certain angle, tout ce qui sera représenté apparaisse en relief et ait exactement l’apparence du corps même ». A partir des années 1740 ( sous l’influence de Mantegna, notamment), et surtout pendant le seizième siècle, les peintres maniéristes italiens useront, et abuseront parfois, de procédés artificieux, de trucs illusionnistes, destinés à surprendre, sinon même à tromper le spectateur : faux escaliers, faux paysages peints derrière de fausses colonnes, art du trompe-l’oeil, etc.

 

3) L’art, une modélisation du réel

 

-        Or, selon Platon, la fonction de l’art consiste à modéliser le réel pour mieux le révéler. L’art ne doit pas être une imitation servile de l’apparence. La volonté de faire prendre la copie pour le modèle qui caractérise le réalisme consiste à renoncer à l’évocation de la structure profonde des choses. Le réalisme, l’illusionnisme, le trompe-l’oeil aplatissent la réalité, la réduisent à la superficie de l’apparence.

 

-        L’art doit proposer au regard des esquisses d’organisation du monde susceptibles de mieux nous le faire comprendre, ce qui explique son engouement pour l’art mystérieux de l’Egypte. Ainsi, dans l’art authentique, la copie doit-elle être irréductible au modèle. Il y a toujours une distance. Platon demande donc à l’art authentique de sublimer l’apparence qu’il est obligé d’emprunter, de se constituer comme voie authentique vers l’être, c’est-à-dire vers la vérité profonde du réel apparent.

 

-        En ce qui concerne cette fois le rapport entre l’art et la vérité, même si l’on admet que l’art est mensonger, en ce sens qu’il constitue une représentation illusoire ou trompeuse de la réalité (exemples du trompe-l’oeil en peinture et de la fiction en littérature), le mensonge peut être au service de la vérité. Dans cette perspective, l’art prend le détour de l’apparence, crée un autre monde pour en même temps révéler une vérité, le vrai étant, paradoxalement, rendu présent sur le mode de l’absence.

 

-        C’est ce que nous enseigne Platon dans son allégorie de la caverne (République, VII) : le prisonnier ne se retourne pas brusquement vers la lumière ; pour se défaire de l’illusion première, qui consiste à prendre les ombres projetées sur la paroi de la caverne pour la réalité elle-même, il faut traverser peu à peu les apparences, il convient que le prisonnier ait conscience de l’existence d’une lumière accessible au-delà des apparences illusoires. L’art peut précisément jouer ce rôle d’intermédiaire. En lisant un roman, par exemple, le lecteur est conscient de la fiction. C’est le désir de dépasser l’état de divertissement qui lui fera percevoir un « message » mettant en lumière, par l’intermédiaire de l’art, ce que l’immédiateté de la vie ne nous permet pas de percevoir.

 

-        Si l’art est le règne de l’apparence, il ne l’est qu’à un premier degré seulement. Pour déceler le vrai, il est nécessaire d’interpréter l’oeuvre, de la réfléchir, de la laisser retentir en nous. Dans le processus artistique, le paraître est au service de l’être. L’art est cette réalité paradoxale qui « ment » pour dire le vrai, qui médiatise le réel pour le donner à voir.

 

 

Conclusion :

 

-        Certes, il semble qu’il n’y ait pas plus dans l’art que dans la réalité : l’artiste crée toujours à partir d’éléments empruntés au réel qu’il recompose à sa façon ; l’art apparaît comme une perte, une dégradation de la réalité, de sorte que Pascal semble effectivement avoir raison lorsqu’il affirme : « Quelle vanité que la peinture qui force l’admiration pour la ressemblance des objets dont on n'admire point les originaux » (Pensées, 34). Plutôt que l’art qui nous éloigne du réel, la philosophie et la science semblent préférables, qui nous permettent de réfléchir le réel, de l’habiter en quelque sorte, de l’affronter en tout cas. L’opposition de l’art et du réel semble donc bénéficier au réel lui-même.

 

-        Pourtant, l’art révèle et parachève une réalité en friche, il prend le détour de l’apparence, de l’illusion pour mieux nous aider à accéder à l’être profond des choses. En ce sens, il y a peut-être plus dans l’art que dans la réalité et nous sommes alors renvoyés à la puissance de création de l’artiste qui non seulement transfigure la réalité mais invente un univers plus riche que le monde dit réel.

 

 

B) L’ART, TRANSFIGURATION DU REEL

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- L’opposition de l’art et du réel ne bénéficie-t-elle pas finalement à l’art qui incarne la liberté créatrice par excellence ? N’est-ce pas pour échapper à une réalité par trop pauvre et décevante que l’art prend tout sens et sa valeur ? L’art n’est-il pas une transfiguration du réel ?

 

1)     Principe de plaisir et principe de réalité

 

-        Revenons sur ce que dit Freud à propos de l’artiste et de l’art. Selon Freud, l’artiste est celui qui ne reconnaît pas qu’il doit se plier au principe de réalité comme nous le faisons tous, en négociant avec le principe de plaisir.

 

-        Il y a dans l’art, en effet, l’expression des limites de notre monde réel, dans lequel nous devons travailler, nous plier aux contraintes de la réalité ; l’art nous offre la possibilité de les dépasser et de les exprimer. L’art exprime notre insatisfaction vis-à-vis d’un monde trop étriqué, dans lequel nous pouvons nous sentir enfermés. Mais en même temps, l’artiste retrouve une réalité que nous partageons tous dans le mouvement même par lequel il la fuit. S’il y a plus dans l’art que dans la réalité, c’est précisément ce que l’artiste y met en se détournant d’une réalité qu’il considère être trop pauvre.

 

-        Thème de l’artiste maudit parce qu’il se désintéresse de la possession des richesses et des valeurs de c emonde. L’artiste crée un monde propre, dans lequel les lois ne son tpas imposées objectivement (exemple des lois naturelles) mais édictées dans la liberté. Cela se solde par un départ de ce monde pour des mondes hallucinatoires : « Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens » (Rimbaud, Lettre à Paul Demeny du 15 mai 1871). Il y a dans l’art un courage qu’il n’y a pas dans la réalité, le courage de larguer toutes les amarres pour des mondes inconnus qui peuvent être dangereux et destructeurs (c’est le thème du Bateau ivre de Rimbaud). L’artiste est celui qui a le courage de partir d’un monde contraignant et de nous dire de loin ce que nous aurions vu si nous avions eu son courage.

 

-        En ce sens, l’artiste jouit d’une liberté absolue, ne serait-ce que parce que l’intérêt pour l’utile est écarté au profit du seul souci du beau. Il y a dans l’art autre chose que dans la réalité. L’art comme libréation face à l’utile qui nous obsède et nous assiège en ce monde.

 

2)     L’art, un monde en soi

 

-        Hegel, dans L’esthétique,  souligne que ce n’est pas dans l’acuité d’une ressemblance que réside le ressort essentiel de la jouissance esthétique. Evoquant quelques anecdotes remontant à la Grèce antique, il raille l’admiration qui s’attache à de mornes et serviles reproductions des objets sensibles : « Zeuxis peignait des raisins qui avaient une apparence tellement naturelle que des pigeons s’y trompaient et venaient les picorer…En présence de ces exemples, et d’autres du même genre, on devrait du moins comprendre qu’au lieu de louer des oeuvres d’art, parce qu’elles ont réussi à tromper des pigeons et des singes, on devrait plutôt blâmer ceux qui croient exalter la valeur d’une oeuvre d’art en faisant ressortir ces banales curiosités et en voyant dans celle-ci l’expression la plus élevée de l’art » (Hegel, Introduction à l’esthétique).

 

 

-        C’est donc limiter la mission de l’art que le réduire à une technique imitative. L’art ne peut pas rivaliser avec la nature, sinon il ressemble à « un ver faisant des efforts pour égaler un éléphant. »

 

-        En réalité, il n’y a pas de représentation qui soit pure imitation . Ainsi a-t-on pu penser, au XIXe siècle, que l’invention de la photographie libérerait la peinture de la fonction d’imitation de la réalité. Or, la vision photographique n’est pas la vision de l’oeil. Ce que l’on copie est une des manières d’être dont l’objet apparaît à l’oeil normal en fonction de la distance, de l’angle, de l’éclairage, des instruments utilisés, etc. Il n’existe pas d’oeil innocent : l’oeil choisit, rejette, organise, distingue, classe, construit. L’oeil saisit et fabrique plutôt qu’il ne reflète. Même à un très grand degré de perfection mimétique (le cinéma, par exemple), aucune image n’est une restitution véritable du réel : l’image est d’abord un objet technique qui a une histoire et qui cristallise des conceptions philosophiques, scientifiques, religieuses, imaginaires du monde. Tout ce qui est perçu est déjà plus ou moins interprété. L’imitation est la mise en évidence de traits sélectionnés par un interprète dans un donné déjà en perspective.

 

-        Ainsi, selon Hegel, l’art métamorphose, transfigure la réalité. L’homme contemple dans l’oeuvre d’art son humanité, son esprit, sa liberté. Même l’art réaliste qui prétend reproduire la nature n’est pas une copie de la nature; même l’impression, l’illusion de réalité ne peut être donnée par l’art que grâce à des procédés qui tournent le dos au réel.

 

-        L’idée que l’art est un monde en soi a d’abord été développée par les impressionnistes (Manet, Pissarro, Sisley, etc. ) qui montrent que la peinture existe indépendamment de l’objet, qu’elle a sa propre valeur expressive et plastique . Ces découvertes ouvrent la voie à d’autres peintres : Cézanne procède à une décomposition analytique du monde avant de former un monde pictural neuf fonctionnant selon ses propres lois internes ; Paul Gauguin joue sur le pouvoir émotif et le contenu symbolique de la couleur et de la forme : « Ne copiez pas trop d’après nature; l’oeuvre d ‘art est une abstraction ».

 

-        Au XXème siècle, l’abstraction est le renoncement à une reproduction réaliste et figurative (oeuvres de Kandinsky, de Mondrian). Il s’agit, par exemple, de faire du tableau un écran et un détecteur d’émotions artistiques; l’effet naît de la composition et non plus de l’objet; la couleur et la forme sont devenues les éléments déterminants. L’art contemporain insiste sur la spécificité du langage plastique : la peinture a un langage propre, celui de la couleur, du geste, de la construction. L’oeuvre d’art renvoie à elle-même, toute oeuvre se retire du monde et montre quelque chose comme un monde qui lui est propre et qui produit du sens. L’oeil doit en quelque sorte se laver pour arriver à regarder l’oeuvre avec un regard propre et neuf.

 

-        De même, la beauté de l’oeuvre n’est pas celle de la nature : nous ne prêtons de la beauté à un chaudron dans une cuisine, à une vache dans un pré ou à un coucher de soleil, qu’à partir de notre culture artistique. D’humbles ustensiles de cuisine nous donneront une émotion esthétique parce qu’ils nous suggéreront une toile de Chardin. Ce sont les oeuvres d’art qui nous apprennent à goûter certaines réalités de la nature auxquelles nous serions indifférents.

-        Oscar Wilde va même jusqu’à affirmer que la nature est notre création, que « Les choses sont parce que nous les voyons, et ce que nous voyons, et comment nous le voyons, dépend des arts qui nous ont influencés. Regarder une chose et la voir sont deux actes très différents. On ne voit quelque chose que si l’on en voit la beauté…A présent, les gens voient des brouillards, non parce qu’il y en a, mais parce que des poètes et des peintres leur ont enseigné la mystérieuse beauté de ce effets…Ils n’existèrent qu’au jour où l’art les inventa » (Le déclin du message).

 

-        S’il y a manifestement plus et autre chose dans l’art que dans la réalité, tout semble opposer radicalement l’odre de la réalité et celui de l’art. Or, cette opposition est-elle pertinente ?

 

3)     Au-delà de l’opposition avec la réalité (texte de Bergson)

 

-        L’opposition de l’art et de la réalité ne vaut que si l’on définie la réalité comme le règne de l’efficace, de l’utile. Or, l’art nous dit ce que la réalité ne nous dira jamais d’elle-même, à savoir qu’elle ne se réduit justement pas à l’utile. A propos du tableau de VanGogh représentant des souliers de paysans, Heidegger explique que là où ne voyons dans l’objet familier que la paire de chaussures qui s’épuisent dans leur utilité, Van Gogh nous donne à voir ces mêmes souliers portant en eux la vie du paysan, son labeur, sa fatigue, ses attentes, la patience de ses pas.

 

-        Aussi ne faut-il pas tant dire qu’il y a plus dans l’art que dans la réalité ; l’art révèle ce que la réalité n’a pas pour vocation de donner d’elle-même. Il y a dans ce que nous nommons réalité une obsession de l’utile, de la répétition, du quotidien qui nous met justement à distance de la réalité profonde des choses. L’artiste nous permet de retrouver le monde, la réalité profonde des choses. Il y a dans l’art une manifestation de ce qu’est le monde, de ce qu’est l’homme. Du coup, l’art est cette réalité que nous cherchons.

 

-        Exemple des ready-made de Marcel Duchamp : des objets utiles, communs sont placés dans l’enceinte du musée pour montrer qu’il n’y a pas l’art d’un côté et la réalité de l’autre mais que l’art et la réalité sont l’un dans l’autre ; l’art est dans le monde, l’art est au monde ; l’objet peut entrer au musée, la réalité peut entrer au musée, le monde de l’art est un monde réel.

 

 

-        Texte de Bergson

 

 

« Qu’est-ce que l’artiste ? C’est un homme qui voit mieux que les autres, car il regarde la réalité nue et sans voile. Voir avec des yeux de peintre, c’est voir mieux que le commun des mortels. Lorsque nous regardons un objet, d’habitude, nous ne le voyons pas ; parce que ce que nous voyons, ce sont des signes conventionnels qui nous permettent de reconnaître l’objet et de le distinguer pratiquement d’un autre, pour la commodité de la vie. Mais celui qui mettra le feu à toutes ces conventions, celui qui méprisera l’usage pratique et les commodités de la vie et s’efforcera de voir directement la réalité même, sans rien interposer entre elle et lui, celui-là sera un artiste. «  (Henri Bergson, « Conférence de Madrid sur l’âme humaine », in Mélanges, P.U.F.

Questions

 

 

-        Dans ce texte Bergson se demande si l’artiste est celui qui voit mieux que les autres. Ce texte tente de définir la nature de l’artiste et le sens profod de l’art. Bergson se place ici sur le terrain du rapport à la vérité. Contrairement à Platon qui ne voyait en l’artiste qu’un illusionniste, un imitateur expert dans la production de trompe-l’oeil, Bergson soutien une thèse opposée : l’artiste est précisément un homme qui voit mieux que les autres et qui « regarde la réalité nue et sans voile ».

 

1.     Quelle différence l’auteur établit-il entre « voir » et « regarder » ?

 

-        Bergson nous explique que lorsque nous regardons un objet « nous ne le voyons pas ». Regarder n’est pas la même chose que voir. Voir, c’est voir des conventions interposées entre l’objet et nous, c’est percevoir uen chose à travers un écran qui nous masque la présence la plus authentique.

 

 

2.     Quelle est la nature de ces conventions interposées entre l’objet et nous ? Pourquoi sont-elles nécessaires ?

 

-        Or, quelles sont ces conventions ? Bergson vise les mots de notre langage qui sont interposés, comme des étiquettes le sont sur des produits de consommation, entre les objets et nous. Les mots nous procurent cette « commodité » : celle de la communication, laquelle rend l’échange plus facile, le travail plus aisé, une meilleure satisfaction des besoins. Dans un autre texte (Le rire), Bergson explique que « vivre, c’est n’accepter des objets que l’impression utile pour y répondre par des réactions appropriées ».

 

-        En clair, ce que nous regardons du monde extérieur est ce que nos sens en extraient pour éclairer notre conduite en vue de satisfaire nos besoins. Nous écartons en quelque sorte de l’objet tout ce qui ne correspond pas à son utilité. Les mots renvoient à un sens, ils englobent une définition  que nous avons toujours à l’esprit quand nous regardons le monde. Cette définition est le concept de l’objet, objet qui se résume à une formule qui porte sur sa fonction, à laquelle il est réduit.

 

-        Exemple du tableau de Van Gogh de 1886 « Souvenirs avec lacets ». Nous ne voyons pas autre chose qu’une paire de semelles recouvertes de cuir pour servir à chausser des pieds. Le concept qui est associé au mot « chaussures » et qui les réduit à leur fonction la plus générale, convient à toutes les paires de chaussures, et nous empêche de voir cette paire-ci dans sa singularité. Ce sont donc bien ces conventions – les mots, leurs concepts – qui constituent ce voile dont parle Bergson.

 

-        Nous ne voyons pas ce qui est mais ce que nous avons appris à voir. La réalité n’est guère autre chose que nos perceptions passées à travers les filtres de notre conditionnement. Nous voyons les choses selon ce que nous sommes et non telles qu’elles sont. Par exemple, les artistes de l’antiquité avaient l’habitude de dessiner des cils aux paupières inférieures des chevaux, les chevaux n’ont pas de cils à la paupière inférieure ; ces artistes en voyainet parce qu’ils étaient accoutumés à en voir aux paupières des êtres humains.

 

 

3.     De quelle manière l’artiste peut-il « mettre le feu » à toutes ces conventions ?

 

-        Seul l’artiste est capable de « mettre le feu à toutes ces conventions », en portant sur le monde un oeil qui n’est justement pas celui de la consommation ou de l’utilitaire. Son regard est désintéressé, il redécouvre les êtres et les objets dans leur mystère et leur plénitude. Il s’agit des réalités naturelles comme des objets techniques.  Lorsque le peintre, par exemple, représente, sous forme de « natures mortes », des aliments, des fruits, il oublie ce qu’ils signifient pour nos yeux de consommateurs et les regarde pour eux-mêmes. La contemplation se substitue à l’intérêt.

 

4.     Quel type de regard l’art nous amène-t-il à poser sur le monde ?

 

 

-        Le regard de l’artiste est un « voir » plus profond, plus entier. Il repose sur le mépris de « l’usage pratique et des commodités de la vie ». Cette conversion du regard peut seule nous amener à pénéter la réalité de la manière la plus intense.

 

-        L’artiste nous libère du familier, il nous donne des yeux neufs grâce auxquels nous découvrons des aspects de la réalité dont nous n’aurions pas rêvé, aspects qui en fait n’étaient pas là avant que l’artiste les ait créés par sa vision. Nous ne voyons plus une montagne, une coupe de fruits du même oeil que nos ancêtres parce que Cézanne nous a montré comment lui les voyairt et nous a enseigné une nouvelle façon de voir ces choses.

 

-        Matisse raconte une anecdote : une dame visitait un jour son atelier et, après avoir examiné la toile qui se trouvait sur le chevalet du maître, elle lui déclara : « vous avez fait le bras de cette jeune fille beaucoup trop long ». Matisse répliqua alors : « C n’est pas une jeune fille, madame, c’est un tableau ».

 

 

 

Conclusion :

 

- L’art n’a donc pas pour mission d’imiter ou de copier la nature, la réalité : langage spécifique, l’art transfigure la réalité, la spiritualise et constitue un monde en soi, une réalité autonome dont la forme exprime concrètement la signification ; il travaille ainsi toujours à modifier et à enrichir notre façon de percevoir et de ressentir le monde. Enfin, comme activité qui témoigne du génie, l’art est à la fois original et exemplaire, il constitue une forme originale de connaissance non intellectuelle, un pouvoir créateur de l’imagination. Il y a bel bien une réalité de l’art, plus réelle peut-être que la réalité de la réalité et qui nous ouvre un monde dont les frontières sont reculées. Mais l’art est aussi la rencontre entre la sensibilité de l’artiste et celle du spectateur. Elle est source d’effets bien spécifiques, de jugements particuliers et, surtout, elle est porteuse de valeurs dont il convient d’identifier la nature. D’où la question du jugement esthétique sur laquelle nous allons maintenant nous pencher et achever notre réflexion sur l’art.

 

 

IV) LE JUGEMENT ESTHETIQUE

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-        Le jugement esthétique ou jugeent de goût est le jugement qui porte sur l’oeuvre d’art. En effet, face à une oeuvre d‘art, nous ne nous contentons pas de sentir, nous percevons, évaluons, nous portons un jugement. De quelle nature est ce jugement ? A quelles lois obéit-il ? Existe-t-il un Beau objectif que nous n’aurions plus qu’à reconnaître ? Ou bien faut-il donner raison au dicton « des goûts et des couleurs, on ne dispute pas » ? Le beauté est-elle affaire de raison, le gôut résidant dans la percepton de rapports déterminés (mesure, ordre, règle, harmonie) ? Ou bien est-elle affaire de sentiment ?

 

 

A) L’IDEE DE BEAU : OBJECTIVITE ET SUBJECTIVITE

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-        Les variations du goût et des modes artistiques ne doivent pas cacher que certaines oeuvres semblent incarner un type éternel de beauté. Existeraient alors des valeurs esthétiques auxquelles correspondraient des normes fondamentales de la beauté. Mais qu’est-ce que la beauté ? On parle, en effet, de “beau paysage”, de “belle femme”, de “belle peinture”, etc.

 

1) Définitions

 

-        L’idée de beau est polysémique, elle s’entend à la fois dans un sens relevant de l’esthétique et un sens relevant de la morale : on parle d’une belle action, d’un beau geste, d’un beau tableau, d’une belle musique.

 

-        Le Beau désigne ainsi une norme d’appréciation du jugement esthétique qui s’applique aussi bien aux objets naturels qu’aux objets de l’art. Le beau, comme catégorie esthétique, est défini par l’harmonie, l’équilibre, la juste mesure, bien qu’à notre époque le sens de l’oeuvre d’art soit considéré comme plus important que sa beauté.

 

-        La beauté est la qualité de ce qui est beau. Le beau et la beauté appartiennent à des registres différents : le beau appartient au vocabulaire eshétique et philosophique ; il est un concept déjà élaboré pour lequel on est amené à chercher une définition, des critères, un fondement. Le terme de beauté est d’usage plus courant, il a une extension plus large : il désigne une qualité sensible immédiatement perceptible qui suscite une réaction d’admiration, d’enthousiasme antérieure à toute réflexion.

 

-        L’idée de beau est étroitement associée à l’idée de forme, à la figure spatiale d’un obet, avec ce qu’un objet a de géométrique. La beauté, entendue comme le caractère de ce qui est beau, est la perfection formelle ou plastique, ce qui n’a pas besoin d’être “retouché”, ce à quoi il n’y a rien à ôter ni rien à ajouter. A contrario, la laideur est toujours associée aux notions d’informe ou de difforme, de sorte que l’idée de beau est en rapport à l’espace et à la géométrie.

-        Mais cette notion de forme est insuffisante à définir l’idée du Beau. En effet, une forme est dite belle, notamment en architecture ou en sculpture, lorsque la loi qui a présidé à sa construction est immédiatement perceptible au regard : la symétrie lui permet d’apparaître d’emblée comme une totalité organique, se détachant nettement du fond.

 

-        En ce sens, l’idée de beau implique à la fois l’idée de complexité et de simplicité, ce qui explique que la forme du cercle ou de la sphère soit considérée come le symbole de la perfection formelle ; l’idée de beau, la forme du cercle se rapprochent du concept de totalité organique où la symétrie et la proportion permettent de réunir la simplicité e la complexité, c’est-à-dire de réaliser l’unité de l’un et du multiple.

 

-        L’idée de beau implique un achèvement, c’est-à-dire l’intégration d’un contenu dans une forme, la disparition de toute marque d’inachèvement dans une totalité organique où toutes les potentialités s’accomplissent, où la multiplicité du contenu s’accomplit dans l’unité de la forme.

 

2) L’objectivité du beau

 

-        Si l’on définit la beauté comme le caractère de tout ce qui est beau, dans cette définition, le Beau et la Beauté sont indissociables de la réalité qualifiée de belle (elle est dans cette chose); la beauté du paysage est dans le paysage; la beauté d’une femme est inséparable de cette femme. Cette beauté-réalité semble consister en des qualités de proportion, en une harmonie de la forme.

 

-        Dans l’antiquité grecque, le terme Cosmos désignait la belle parure, la coiffe des femmes, l’univers en tant qu’harmonieux et ordonné, de sorte que la beauté est la visibilité de l’ordre. Un temple, une statue étaient conçus comme beaux dès lors qu’ils manifestaient l’objective harmonie du cosmos. Les Grcs englobaient dans le Beau les autres grandes valeurs, morales, du Bien, et logiques, du Vrai. On retrouve cette conceptoon dans notre vocabulaire usuel : d’une jolie femme, on dit qu’elle est « bien » ou « pas mal », et l’on dira plus volontiers « c’est bien » à propos d’un livre ou d’un film appréciés, que « c’est beau ».

 

-        Pour l’idéal classique donc, il existe une beauté objective que l’artiste traduit par les moyens de son art ; le goût n’est pas une appréciation personnelle mais la reconnaissance objective de cette beauté.

 

-        Cette conception a été mise à mal par la découverte d’autres arts qui repposent sur de tout autres règles et exprimant de tout autres valeurs que les nôtres, et l’émergence de l’individualité comme critère et valeur essentiels. D’où l’idée d’une subjectivité du goût esthétique

 

3) La subjectivité du goût esthétique

 

-        Il semble que le goût échappe aux contraintes externes, aux déterminations du milieu. Le goût apparaît en effet comme l’expression intime de notre caractère, de sorte que le goût à proprement parler n’existe pas, il y a mon goût, irréductible singularité des individus. Par le goût s’affirme la iberté personnelle – valeur essentielle de la modernité. D’où la répugnance, au nom du respect et de la liberté d’autrui, à juger négativement le goût de l’autre sous le prétexte qu’il n’est pas le nôtre.

 

-        Dès lors, tout ce que je trouve beau, c'est tout ce qui me procure du plaisir ou une satisfaction du seul fait de regarder ou d'entendre quelque chose. Ce qui signifie que la beauté n'est pas dans la chose, mais en moi, c'est-à-dire dans l'effet agréable qu'a la contemplation de la chose sur moi. Le beau n'est plus un ensemble de qualités objectives, il est désormais un sentiment subjectif, un affect. Dans ces conditions, l'objet qui est perçu devient secondaire et les raisons ou les causes pour lesquelles un être est affecté par telle ou telle chose sont à chercher et à trouver non dans la chose, mais dans celui qui est affecté, son histoire, son état psychologique, son état de santé, son éducation…dans ce qu'il est de plus singulier donc. 

 

-        Dire qu'une chose est belle serait alors un abus de langage : elle n'est ni belle, ni laide : elle n'est l'une ou l'autre que pour quelqu'un et non en elle-même. On devrait dire que la chose plaît, qu'elle procure une satisfaction, qu'on le trouve belle, disant par là que ce propos n'engage que nous et ne dit rien de la chose. 

 

-        Cette thèse d'une pure relativité du jugement de goût semble réfutée par l'existence de certains objets qui font sinon l'unanimité du moins qui rassemblent beaucoup de sujets. Hume répond à cela en disant que la pure relativité de nos jugements de goût est nécessairement limitée en cela que nous avons en commun une certaine constitution physique qui nous incline à apprécier les mêmes choses, celles qui sont agréables à ce que nous avons de commun, notre corps. 

 

-        Ce qui est harmonieux pourrait plaire non pas simplement à l'esprit, mais procurer un plaisir physique lié à l'apaisement que provoquent des proportions harmonieuses. De même, la beauté qu'on prête aux êtres naturels n'est peut être pas liée à leur perfection objective, mais à cela que les êtres naturels trouvés beaux ont des traits qui exaltent la vie, ce qui ne peut que plaire aux êtres vivants que nous sommes. 
 
  

-        D’où l’affirmation selon laquelle des goûts et des couleurs on ne dispute. Alors qu’en mathématiques il semble possible de tout prouver ou de tout démontrer, qui peut prouver, en matière de goûts, fussent-ils artistiques, qu’il a raison d’aimer ce qu’il aime ? Et qui peut prouver que le musicien que l’autre préfère n’est qu’un mauvais musicien. En matière d’art, il n’y a, semble-t-il, ni tort ni raison parce qu’il n’y a pas de preuve possible. Comme le dirait Popper, les goûts sont proprement infalsifiables. De sorte que, au total, on aime ou l’on aime pas. C’est sans doute le point de vue le plus répandu.

 

Conclusion :

 

-        D’un côté donc, il semble que le beau, comme valeur, s’impose à nous et renvoie à des propriétés objectives de formes, d’harmonie, d’équilibre, de perfection. D’un autre côté, le beau semble être l’affaire d’une appréciation purement subjective qui, à ce titre, est incommunicable, indiscutable et subjective. Comment, dès lors, trancher entre la thèse « objectiviste » et la thèse « subjectiviste » ? L athèse de Kant permet de résoudre l’aporie

 

B) L’ANALYTIQUE DU BEAU

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-        Pour répondre à la question : « qu’est-ce que le Beau ? », il convient de nous interroger sur la nature du jugement esthétique. Le beau peut-il ne pas plaire ?  La question se pose notamment à partir de situations fréquentes de désaccords sur la beauté d’une chose, d’un paysage, d’une oeuvre. La question nous demande de dire s’il est plausible que le beau ne plaise pas du tout : il s’agit ici de l’indifférence à la beauté. Nous nous aiderons de l’analyse de Kant dans La critique de la faculté de juger où Kant répond à la question « qu’est-ce que le beau ?»

 

1)     Le Beau, le bon et l’agréable

 

-        Kant distingue trois types de satisfaction parmi ce qui peut procurer un plaisir : l'agréable, le bon et le beau. Ces trois choses ont en commun de nous procurer des satisfactions et c'est pourquoi il est courant de les confondre. Mais ce n'est pas parce qu'elles plaisent toutes les trois qu'elles sont semblables.  

 

-        L'agréable est une satisfaction dite pathologique : elle est liée à notre corps, à nos appétits, nos penchants, notre sensibilité. Ce qui est agréable est ce qui nous met en appétit, nous excite, réveille notre désir, autant de chose liées à notre corps, à ses besoins autant qu'à ses désirs. 

 

-        Le bon est lui aussi lié à cette faculté de désirer, mais la satisfaction qu'il procure est dite pure ou pratique, c'est-à-dire morale. Elle est liée à notre moralité, à ce que nous jugeons bon moralement, et, à ce titre, à ce que nous souhaitons ou désirons voir exister.  Aussi, lorsque nous disons d'un geste d'une grande générosité, d'une droiture qui nous émeut qu'il est beau, on se trompe : il n'est pas beau, il est bon et c'est en tant que tel qu'il nous touche : il est conforme à ce qui devrait toujours être fait et qui n'est pas si souvent fait.  Le bon est ce qu'on estime ou approuve. Le bon, une bonne action par exemple, procure du plaisir en cela que nous trouvons l'action estimable, en cela qu'elle a de la valeur, une valeur morale qui la rend touchante.  

 

-        La satisfaction que procure l'agréable et le bon est liée à l'existence de l'objet, alors que la satisfaction que procure le beau n'est liée qu'à la représentation de l'objet et non à son existence. Ce qui est trouvé beau serait toujours trouvé tel si cela n'existait pas, alors que ce qui est trouvé agréable ou bon ne peut procurer de satisfaction que si cela existe vraiment, c'est-à-dire que si on peut se le procurer, en tirer une satisfaction sensuelle effective ou souhaiter que cela se produise vraiment.

 

-        C'est pourquoi la satisfaction que procure le beau est dite contemplative : elle existe dans la pure et simple représentation de la chose : j'ai du plaisir à la regarder sans que ce plaisir soit en aucune manière lié à un désir de possession ou de consommation, j'ai du plaisir en la regardant purement et simplement. 
  

-        Exemple : la simple idée ou l'image ou la perception d'un éclair au chocolat, d'une charmante personne ne peuvent être agréables que si ces représentations éveillent ou s'accompagnent d'un désir et par conséquent que s'il est de l'ordre du possible de manger l'éclair au chocolat et de rencontrer cette charmante personne. Si ce n'est en aucune manière possible, ces représentations ne sont pas agréables, mais pénibles puisque mon désir sera frustré.

 

-        De même, l'idée ou l'image d'une bonne action ne procure aucune satisfaction en elle-même. Si je conçois une bonne action, alors parce qu'elle est bonne, elle doit devenir réalité, et c'est en cela qu'elle est désirable. Au contraire, l'idée de la bonne action qui n'a pas été accomplie causera de la mauvaise conscience. L'idée d'une bonne action ne remplace pas l'action.  

 

-        Le beau est le seul plaisir qui n'ait aucun rapport avec le désir : c'est ce qui plaît sans être désirable, donc qui pourrait plaire y compris si cela n'existait pas réellement. L'agréable est ce qui fait plaisir. C'est ce qui peut procurer une satisfaction sensuelle, ce qui est la promesse d'une telle satisfaction. Elle ne suppose pour exister que le corps et ses appétits.  Le beau plaît simplement. C'est ce qui fait simplement plaisir, c'est-à-dire qui procure une satisfaction indifférente à l'existence de l'objet. 

  

-         Contrairement à ce qui a lieu dans l’expérience de l’agréable ou du bon, aucun désir de consommation ne porte vers l’objet ; la satisfaction est contemplative, désintéressée, alors que la satisfaction produite par l’agréable est intéressée ; le plaisir que je ressens au spectacle de la beauté est gratuit. Dans la contemplation esthétique, je suis ravi, délivré de la tyrannie de mes désirs sensibles. L’expérience de la beauté effectue une dématérialisation du désir.

 

-        D’autre part, si l’agréable définit le beau, il est impossible de comprendre la « belle action » : il s’agit là de jugements de valeur d’où la sensation de plaisir peut être absente (« je reconnais que c’est beau mais…cela ne me fait ni chaud ni froid »). L’agréable n’est pas critère de beauté, d’autant moins que le jugement de beauté reste quand la sensation de plaisir est passée.

 

-        Du coup, le beau est « l’objet d’un jugement de goût désintéressé » : cette thèse condamne toutes les conceptions qui assignent à l’art une fonction utilitaire, un intérêt pratique, la satisfaction d’un désir ou d’un besoin (dans la contemplation authentique, les pommes peintes par Cézanne n’ont point pour finalité de donner envie de manger ou d’aiguiser l’appétit).

 

 

2) Le beau est ce qui plaît universellement sans concept

 

-        Ainsi Kant peut-il dire que le beau est ce qui plaît (il procure du plaisir et se reconnaît à cela) sans concept (il ne suppose aucune connaissance de l'objet, de son essence, et n'apprend rien sur lui non plus), objet d'une satisfaction désintéressée (il n'a aucun rapport avec les intérêts sensuels du corps ou moraux de notre raison, il n'est pas lié à la faculté de désirer, il est donc tout à fait indifférent à l'existence de l'objet beau). 

 

-        Il y a quelque chose dans le jugement de goût d’universel, de nécessaire et cependant d’irrationnel : celui qui juge est amené à attribuer à chacun une semblable satisfaction; bien que le jugement esthétique ne constitue pas une connaissance objective, il est cependant implicitement  considéré comme valable pour tous (« universalité subjective ») : « franchement, vous ne trouvez pas ça beau?» (on admettra parfaitement, en tout cas plus facilement, que quelqu’un aime les vins de Bordeaux et n’aime pas les vins de la Loire).

 

-        L’universalité du jugement de goût n’est qu’une prétention : on n’obtient jamais l’adhésion de fait de tous les hommes sur une oeuvre belle. Il s’agit d’une universalité de droit et non de fait. L’universalité du beau se reconnaît à ceci que l’oeuvre vraiment belle continue à trouver des admirateurs dans le public éclairé, même lorsque les conditions psychologiques, sociale de son éclosion sont dépassées (Homère, l’art égyptien, Maya, etc.).

 

-        Universelle en droit, la valeur esthétique est en même temps nécessaire : on ne peut pas ne pas reconnaître la supériorité de Vermeer sur tel petit maître hollandais. Mais cette universalité nécessaire par quoi je reconnais la valeur d’une oeuvre ne sauraient faire l’objet d’une démonstration rationnelle. Le beau s’éprouve, ne se prouve pas. La beauté d’une oeuvre ne se démontre pas par de froides raisons car le jugement de goût est singulier et subjectif, alors que les concepts sont généraux et objectifs. En ce sens, l’universalité esthétique se distingue de l’universalité logique.

 

 

  Conclusion :

 

-        Kant dépasse donc l’opposition entre la thèse objectiviste et la conception subjectiviste du beau : le beau n'est ni dans la chose elle-même, ni dans le sujet seulement, il est dans le rapport entre les deux, dans la relation entre le sujet et la représentation de l'objet.  La beauté est d’un autre ordre que la perfection. Le beau est subjectif, il est de l'ordre de la satisfaction subjective et non de l'ordre de caractéristiques objectives de l'objet trouvé beau. Mais il ne faut pas confondre, au sein des satisfactions subjectives, l'agréable et le beau : le beau n'est pas relatif aux penchants et inclinations subjectives et individuelles de chacun ; le beau est ce qui plaît de manière désintéressée, c'est-à-dire en l'absence de tout désir, de sorte que tout le monde peut trouver belles les mêmes choses puisque la beauté ne dépend pas de nos penchants subjectifs. Le jugement de goût exprime quelque chose d’universel, de nécessaire et cependant d’étranger au concept ; il témoigne de notre humanité en état de tension et de partage entre une sensibilité qui nous rive aux phénomènes et une raison qui hausse notre expérience au niveau de l’universel.

 

C) LA CULTURE DU GOUT

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-        Si, comme nous l’avons vu, le beau peut ne pas plaire en ce qu’il se différencie radicalement de l’agréable, c’est peut-être parce qu’il ne plaît pas toujours immédiatement et que la reconnaissance du beau suppose le goût, c’est-à-dire l’éducation, l’expérience, la maturation. Comme les autres facultés, le goût ne doit-il pas s’éduquer ?

1) Le devoir de discussion

 

-        L’idée que le beau est l’objet d’une satisfaction désintéressée nous conduit à affirmer, avec Kant, que le jugement entre dans l’expérience esthétique (« je ne trouve pas ça beau ») : non seulement je peux dire « ça ne me plaît pas », « je n’éprouve aucun plaisir », mais encore « je juge que ça n’est pas beau » et « je ne comprends pas que vous trouviez ça beau ».

 

-        Kant conclut qu’en matière de goût, on ne peut disputer mais on peut discuter. Il reprend l’antique opposition entre la discussion – conflit d’opinions sans issue – et la dispute – conflit de pensées où la preuve est possible.

 

-        D’abord, il y a des goûts qui s’imposent à nous et qui ne viennent pas seulement du libre choix de chacun : Malraux fait remarquer que si les hommes s’accordent plus facilement sur la beauté des femmes que sur celle des tableaux, c’est parce qu’ils ont été presque tous amoureux et pas tous amateurs de peinture.

 

-        Comme il y a des obstacles épistémologiques en science qu empêchent l’esprit d’accéder à la vérité, il y a des obstacles esthétiques qui empêchent la sensibilité d’accéder à la beauté : l’ignorance est le principal de ces obstacles. Pour qu’un goût fût l’expression d’une liberté personnelle, il faudrait qu’il fût l’expression d’un choix : en l’occurrence, on aime non pas ce qu’on veut mais ce qu’on peut ; le choix a déjà été fait à la place du sujet (stéréotypes, préjugés, etc.). On n’aime pas spontanément l’art parce que l’art est difficile.

 

-        Le goût, en effet, est socialement déterminé ; nos goûts prétendus libres et personnels dépendent de notre âge, de notre sexe, de notre éducation, de notre niveau d’études, de la mode, de la publicité, etc.

 

-        Par ailleurs, si le goût est une affaire purement subjective, comment se fait-il que toutes les oeuvres n’ont pas d’égales chances d’être appréciées ? La hiérarchie n’est pas entre tel ou tel grand artiste mais entre tel grand artiste et tel artiste médiocre. Rien  voir avec la mode : c’est l’histoire qui se charge de faire le tri.

 

-        Le mot goût est inapproprié pour traduire le jugement et l’expérience esthétiques. Dans le goût proprement dit, il y a consommation d’un objet par un sujet. Or, l’expérience esthétique inverse le rapport de l’objet et du sujet : ce n’est plus l’objet qui entre dans le sujet mais le sujet qui se fond dans l’objet. Le mot de ravissement ou de contemplation est plus adéquat : être ravi, c’est être emporté, enlevé, arraché à la banalité de la vie quotidienne.

 

-        De même, les termes de sentiment ou d’émotion esthétiques ne sont pas non plus très pertinents : le sentiment et l’émotion sont purement singuliers, alors que face à la grande oeuvre on est comme hors de soi. On éprouve parfois une telle expérience de décentrement dans l’amour et le mysticisme.

 

2)     La médiation culturelle

 

-        L’artiste crée son oeuvre qui s’adresse à un public, lequel reçoit l’oeuvre tout autant qu’il la construit. Il y a à la fois un mouvement de réceptivité et de participation. Le public ne se contente pas de recevoir le message de l’artiste. La contemplation esthétique exige une activité créatrice de la part du spectateur. En effet, pour être réceptif à l’oeuvre, il faut faire l’effort de la comprendre et de l’interpréter ; c’est à cette condition que l’amateur d’art cesse d’être simplement passif car il participe à une valeur supérieure qui l’arrache à son propre univers.

 

-        Mais les oeuvres d’art ne nous parlent que si notre sensibilité et notre culture les forcent à parler ; la contemplation et le plaisir esthétique deviennent alors des recréations. L’acte créateur doit être compris, renouvelé par le spectateur : reconnaître la beauté, c’est la reproduire.

 

-        Certes, les jugements de goût varient selon les époques, les cultures, les catégories sociales (cf. La critique de Bourdieu). Mais il y aurait précipitation à en conclure que ces jugements de goût ne reposent sur rien d’objectif, et que le premier venu est aussi bon juge qu’un autre. Chacun est évidemment libre d’aimer ou de ne pas apprécier une oeuvre. Il n’empêche qu’un amateur averti peut mieux qu’un autre reconnaître en quoi la forme d’une oeuvre innove, réussit à exprimer quelque chose qu’aucune autre n’avait donné à ressentir avant elle.

 

-        Le goût, c’est-à-dire le plaisir que le public prendra à l’oeuvre, est une affaire culturelle, mais l’innovation formelle est, ou n’est pas, dans l’oeuvre. L’important pour chacun de nous est de goûter l’art par soi-même, chacun en fonction de sa personnalité. Encore faut-il s’en donner les moyens, les clefs, en sachant d’abord ce qu’il faut chercher dans l’oeuvre d’art. L’inculture ne favorise pas la spontanéité. Celui qui ne s’est pas initié aux langages de l’art, qui n’a jamais prêté attention à la musique, aux formes des arts plastiques, jamais comparé deux voix, deux tableaux, deux interprétations d’un même thème, celui-là a moins de chances qu’un autre d’entrer en relation personnelle avec une oeuvre.

 

-        Dès lors, si le beau ne plaît pas, c’est souvent que la capacité à le reconnaître a été négligée ou que les conditions de sa réceptivité ne sont pas réunies, la conscience étant tendue vers l’utile ou vers l’urgent (outre la culture, des conditions de réceptivité sont nécessaires ; disponibilité d’esprit, temps, etc.).

 

-        L’art nous désoriente souvent et remet en question l’universalité de la beauté de par les polémiques qu’il suscite. En effet, le génie donne ses règles à l’art, produit à travers des oeuvres de nouvelles règles que nul n’attendait et qui réclament de la part du public une adaptation ; les significatins de l’art sont complexes et l’expérience du beau suppose une démarche d’ouverture.

 

 

CONCLUSION

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-        Située au-delà de tout désir et liée à la contemplation spirituelle, l'œuvre d’art, comme le signale Hegel, satisfait les plus hautes aspirations spirituelles de l’homme : appréhender sa forme spirituelle dans le monde, se saisir, en tant qu’esprit, dans le réel et dans les choses, contempler son esprit, son humanité en dehors de lui-même. L’art est bien l’esprit se prenant pour objet. Dans le jugement et le sentiment esthétiques, c’est l’esprit qui se projette ou se retrouve dans les choses. La beauté peut être considérée comme la manifestation extérieure de l’intérieur, comme l’articulation de l’intelligible et du sensible, la « spiritualisation » de la matière, en même temps que la manifestation visible de l’invisible.

 

-        En rupture avec toute valeur d’usage, l’art nous fait pénétrer dans le royaume des fins, qui est la gratuité totale, désintéressée de l’être. Par la purification des sens, la dématérialisation du désir que la beauté inspire, l’expérience esthétique nous fait naître à la dimension suprasensible. Dès lors, comme l’a pressenti Platon, le Beau est le symbole du Bien, manifestant un ordre inconnaissable en soi mais exprimé par la plus haute vocation humaine.

 

-        L’art ne remplit donc pas seulement des fonctions magiques (le besoin de se rassurer, de dominer, de donner du sens aux grands mystères de l’existence), religieuses (croire, vénérer, aimer, etc.), psychologiques (s’évader du réel, l’embellir), il renvoie tout autant à un besoin de spiritualité, d’expression, à une quête du sens contre la mort et le néant. Comme le dit Malraux, « l’art est un anti-destin » par lequel l’homme peut résister à l’impermanence de toute chose. Si la postmodernité fait son deuil du sacré, de la vérité, de Dieu, elle ne saurait faire son deuil du Beau et de l’art, qui demeurent compagnons d’une vie vouée au non-sens et à l’absurde. L’art et le Beau jouissent ainsi d’un privilége incontestable.

 

THEMES DE RECHERCHES COMPLEMENTAIRES

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-        L’histoire de l’art en général et les grands styles ( impressionnisme, cubisme, art abstrait, etc.).

-        Le thème de la beauté.

 

 

SUJETS DE DISSERTATION

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Le jugement de beauté :

 

-        Existe-t-il un privilège de la beauté ?

-        Qu’est-ce que le Beau ?

-        Qu’est-ce que le mauvais goût ?

-        Peut-on nous reprocher une faute de goût ?

-        La beauté s’explique-t-elle ?

-        Le beau a-t-il partie liée avec le bien ?

-        Y a-t-il une beauté naturelle ?

-        Le Beau est-il ce qui ne sert à rien ?

 

Spécificité de l’art :

 

-        L’art peut-il s’enseigner ?

-        Le travail peut-il engendrer une oeuvre d’art ?

-        Le génie de l’artiste exclut-il tout apprentissage ?

 

Art et vérité :

 

-        La fin de l’art est-elle la vérité ?

-        L’oeuvre d’art nous met-elle en présence d’une vérité impossible à atteindre par d’autres voies ?

-        L’oeuvre d’art nous éloigne-t-elle ou nous rapproche-t-elle du réel ?

-        En quoi l’art peut-il considéré comme une chose sérieuse ?

-        L’art est-il une perception illusoire de la réalité ?

 

Art et nature :

 

-        Peut-on faire de la nature l’idéal de l’art ?

-        L’art a-t-il pour fonction d’imiter la nature ?

-        En quoi la beauté artistique est-elle supérieure à la beauté naturelle ?

 

Fonction de l’art :

 

-        Pourquoi des artistes ?

-        L’oeuvre d’art a-t-elle p our fonction de délivrer un message ?

-        Peut-on reprocher à une oeuvre d’art de « ne rien vouloir dire » ?

-        L’art n’a-t-il pour fin que le plaisir ?

 

 

DEFINITIONS A CONNAITRE

 

 

-        L’art :

 

·       sens général : désigne aussi bien la technique, le savoir-faire, que la création artistique, la recherche du beau. Au sens large, l’art désigne un ensemble de connaissances et de savoir-faire nécessaires à la maîtrise d’une pratique donnée (art médical, poétique, etc.). Art est ici synonyme de technique (« arts et métiers »).

 

·       Sens restreint : synonyme de beaux-arts (arts plastiques – architecture, sculpture, peinture ; arts musicaux ou rythmiques – musique, danse, posésie). Dans cette acception, l’art signifie l’ensemble des activités visant à la création d’oeuvres esthétiques. L’art se distingue des autres productions artificielles par le fait qu’il est désintéressé, libre de toute fonction utilitaire, et qu’il n’a pas d’autre but que lui-même.

 

-        Le Beau : ce qui suscite un plaisir désintéressé, produit par la contemplation et l’admiration d’un objet ou d’un être. Ce qui correspond à la perfection en son genre, obéit à certaines formes d’équilibre ou d’harmonie. Se distingue de ce qui est agréable, et qui procure un plaisir purement sensuel et particulier, de l’utile, du bon. Il peut arriver toutefois qu’un même objet soit à la fois beau et utile (une belle maison, par exemple) : on parle alors de « beauté adhérente », par opposition à la « beauté libre » qui ne sert à rien et qui n’a pas d’autre fonction que le beau lui-même (Kant) En ce sens, le beau est ce qui est digne de procurer à tous les hommes le même plaisir, né de la même perception de la même forme ; le beau est l’objet d’un jugement subjectif commun à tous les sujets.

 

-        La beauté : caractère de ce qui est beau pouvant s’appliquer aux choses, aux personnes ou aux oeuvres d’art.

 

-        Plaisir esthétique : plaisir spécifique et désintéressé que procure l’oeuvre d’art et le Beau. Ce plaisir est donné par la forme. L’adjectif « esthétique » signifie ce qui peut être senti comme beau.

 

-        Le goût : capacité de juger les formes, de percevoir le plaisir esthétique procuré par la forme de l’oeuvre d’art.

 

-        Forme : si le plaisir esthétique concerne la forme de l’oeuvre, la forme n’est pas le contour extérieur de l’oeuvre, mais l’agencement des parties et des signes propres au domaine auquel elle appartient.

 

 

 

LECTURES CONSEILLEES

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Lectures indispensables :

 

-        Aristote, Poétique

-        Platon, Phèdre, Le banquet, Hippias majeur

-        Hegel, Esthétique

-        Kant, Critique de la faculté de juger (l’Analytique du beau)

 

Lectures conseillées

 

-        Jean-Pierre Séris, La technique, « La technique, les arts et l’art » (pp. 245 à 279)

-        Kandinski, Du spirituel dans l’art

 

EXERCICE DE CONTROLE DE COMPREHENSION DE LA FICHE

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1.     Quels sont les différents sens du mot art ?

2.     Qu’entend-on aujourd’hui par art ?

3.     Distinguez : la chose, l’objet, l’oeuvre.

4.     Que faut-il entendre par art autonome ? Pourquoi suppose-t-il, selon Malraux, la « mort des dieux » ?

5.     Qu’est-ce qui différencie, selon Alain, l’artiste de l’artisan ?

6.     Qu’est-ce qui distingue l’art de la technique ?

7.     Le fonctionnel peut-il avoir une valeur esthétique ?

8.     Définissez : « beauté adhérente », « beauté libre ».

9.     Qu’est-ce qu’une oeuvre d’art ? Quelles en sont les caractéristiques essentielles ?

10.  Qu’entend-on par « forme » ?

11.  Que nous enseigne la psychanalyse sur la  création artistique ?

12.  Comment Marx conçoit-il l’art ?

13.  Quelles sont les limites des explications relatives à la création artistique ?

14.  Quelles sont, selon Kant, les caractéristiques du génie ?

15.  Quelles sont les limites de la conception kantienne du génie ?

16.  Comment Nietzschéen envisage-t-il la question du génie ?

17.  Peut-on finalement expliquer les oeuvres d’art ?

18.  Platon condamne-t-il absolument toutes les formes d’art ?

19.  Quelle est, d’après Platon, la fonction essentielle de l’art ?

20.  La fiction artistique peut-elle être au service de la vérité ?

21.  L’art doit-il imiter la nature ?

22.  En quoi peut-on dire que l’art est une transfiguration du réel ?

23.  A quel type de réalité l’art nous donne-t-il accès ?

24.  Quelle est, d’après Bergson, la fonction de l’art ?

25.  Qu’est-ce que le Beau ?

26.  Qu’entend-on par « jugement esthétique » ?

27.  Qu’est-ce qui distingue le Beau de l’agréable ?

28.  Le jugement de goût est-il un jugement logique ?

29.  Quelles sont les quatre qualités fondamentales du Beau selon Kant ?

30.  Que veut dire « jugement désintéressé » ?

31.  En quoi le jugement esthétique peut-il être considéré comme une « universalité subjective » ?

32.  Peut-on discuter des goûts et des couleurs ?

33.  Le goût se cultive-t-il ?

34.  En conclusion, que nous révèle l’art sur notre humanité ?

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