COURS TL-ES-S - LA JUSTICE, LE DROIT

 

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INTRODUCTION

PLAN DU COURS

 

I) LE FONDEMENT DU DROIT

A) DROIT, FAIT ET DEVOIR

B) LE DROIT COMME FACTEUR EMERGEANT DE L’ORDRE SOCIAL

C) L’IDEE DE DROIT NATUREL ET LE CONTRAT SOCIAL

D) LES DROITS DE L’HOMME

 

II) LA JUSTICE, VERTU ET NORME DU DROIT

A) LES DIFFERENTES DEFINITIONS DE LA JUSTICE

B) EGALITE, INEGALITE ET LIBERTE

C) LA VERTU DE JUSTICE

 

III) LE DROIT ET LA VIOLENCE

A) L’OPPOSITION DU DROIT ET DE LA VIOLENCE

B) LE DROIT DE PUNIR

C) LA VIOLENCE LEGITIME : LA DESOBEISSANCE CIVILE

 

CONCLUSION GENERALE

 

SUJETS DE DISSERTATION

DEFINITIONS A CONNAITRE

LECTURES CONSEILLEES

EXERCICE DE CONTROLE DE COMPREHENSION DE LA FICHE

 

 

INTRODUCTION

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- Les deux notions de droit et de justice semblent inséparables, comme l’étymologie de justice le montre : jus désigne le droit; la justice est la vertu qui exige le respect du droit, sa défense, son extension ; elle est la volonté constante d’attribuer à chacun le Droit qui lui est dû. Autrement dit, être juste, c’est agir selon le droit. De même, la justice, dont la balance est l’objet et l’isntrument symbolique, évoque les idées d’égalité, de proportion, de compensation.

 

- Or, si l’on entend par droit l’ensemble des règles et des lois qui organisent la vie des hommes en société, la fonction du droit n’est pas tant d’assurer la justice que l’ordre. L’adjectif droit désigne ce qui n’est ni courbe ni tordu (son contraire est tort) et, au sens figuré, le mot a une portée morale : être droit, c’est être honnête, n’être pas retors, de sorte que la droiture, c’est l’honnêteté. On peut filer plus avant la métaphore : de même qu’une règle (l’instrument) permet de tracer droit, de même une règle sociale permet d’agir droitement.

 

- Le droit peut être défini à plusieurs niveaux :

 

·       comme droit subjectif, il exprime une exigence de la conscience, lorsqu’on fait état d’une légitimité pour réclamer un bien, un « dû ». Le droit subjectif signifie alors le pouvoir moral d’agir, de posséder ou d’exiger quelque chose. Ce pouvoir demeure, même si ce droit n’est pas encore inscrit dans un code objectif ou s’il n’est pas respecté par la société dominante;

 

·       comme droit objectif ou positif, le droit désigne les lois écrites, le code propre à une société donnée, variable selon  temps et lieux, c’est-à-dire l’ensemble des normes qui règlent la vie sociale et sont exprimées dans des lois, coutumières ou écrites. Le droit positif est appliqué par le pouvoir exécutif de l’Etat.

 

- Qu’il soit subjectif ou objectif, qu’il puisse même parfois être injuste ou illégitime (le droit définit la sphère du légal), le droit a toutefois toujours peu ou prou pour finalité de faire régner ou reconnaître une forme de justice sans laquelle l’ordre social n’est guère possible.

 

- Cette tension entre le droit et la justice se retrouve du reste dans la notion même de justice. En effet, la justice est le respect du droit sous sa forme subjective et objective ; elle se définit alors doublement en rapport au droit :

 

·       la justice objective renvoie au code établi et définit l’ensemble des pouvoirs d’agir considérés comme licites; en ce sens-là, être juste, c’est obéir aux lois ;

 

·       la justice morale qui concerne l’attitude d’un homme vis-à-vis de son prochain quant au respect de sa personne dans toutes ses dimensions (biens, dignité…); elle implique la valeur de réciprocité.

 

- Cette dimension subjective de la justice transparaît particulièrement dans l’expérience vécue où elle est souvent appréhendée comme un sentiment, une aspiration, réclamant une dimension d’idéal à la lumière de laquelle nous apprécions nos relations avec le monde et les autres. Surtout, l’expérience de l’injustice revêt une dimension quasi initiatique dans la découverte de la justice :  frustrations, comparaisons, attentes sont des conditions pour une conscience de l’idée de justice. « Les hommes ne connaîtraient pas le nom de justice si les choses injustes n’existaient pas » (Héraclite). C’est ce que décrit Rousseau, dans Les confessions, lorsqu’il fait de sa première expérience de l’injustice (il fut durement puni, enfant, d’un crime qu’il n’avait pas commis) un événement significatif pour toute sa vie. On peut également énumérer les situations d’injustice où notre indignation s’enflamme : les partages inégaux (donner plus à l’un qu’à l’autre), les promesses non tenues qui ébranlent la confiance dans la parole donnée, les punitions non proportionnées aux fautes commises ou les éloges attribués arbitrairement à d’autres.

 

- Bien que distincts, ces deux aspects – subjectifs et objectifs - de la justice sont liés : le Code et les juges sont censés avoir la mission de faire régner ce qui est juste ; la justice désigne non seulement la vertu morale de l’homme, mais aussi l’ensemble des procédures sociales par lesquelles on peut contraindre les individus à respecter, de bon ou de mauvais gré, les règles tenues pour justes par la communauté. Or ce n’est là qu’une présomption souvent démentie par les faits : la nécessité d’assurer la sécurité et l’ordre fait que le droit est souvent l’expression d’un ordre imposé par les plus forts. Il y a des lois justes et des lois injustes et c’est au nom de la justice morale qu’ont lieu des luttes pour améliorer les lois (exemple de la défense des sans logis en France).

 

- La justice apparaît ainsi toujours déchirée entre la révolte qui l’inspire et le pouvoir qui l’assure : contre l’injustice, on fait appel à la loi pour rétablir le droit bafoué; contre la loi injuste, on fait appel à la révolte.

 

- Le problème qui se pose au philosophe méditant sur ce hiatus entre la justice et le droit se situe à trois nouveaux d’analyse.

 

- Le premier niveau correspond à la question des fondements du droit et de la justice (première partie du cours) : sur quoi ces notions reposent-elles ? d’où viennent les lois ? les loix existantes suffisent-elles à faire régner la justice ou bien doivent-elles être évaluées en permanence à l’aune de normes transcendantes ?

 

- Le deuxième niveau concerne l’idée de justice proprement dite (deuxième partie du cours) : en quoi consiste cette vertu de justice dont le droit positif ne peut faire l’économie s’il veut être à l’origine de jugements justes et non simplement légaux ? renvoie-t-elle à un idéal, à un absolu que l’homme se propose sans jamais l’atteindre ? dans ce cas, que signifierait lutter pour une justice qui ne saurait être de ce monde ?

 

- La troisième partie de notre réflexion sur le droit et la justice sera consacrée au problème épineux du rapport entre le droit et la violence. Si le droit semble se définir par opposition à la violence, il semble toutefois ne pas pouvoir s’en passer tout à fait s’il veut, comme on le dit, avoir « force de loi » et ne pas rester lettre morte. Or, s’il est manifestement une violence légale (celle de la sanction pénale, par exemple, qui peut aller jusqu’à la peine de mort), une violence légitime est-elle concevable, qui serait au service du droit et de la justice ? Peut-on même envisager un droit, voire un devoir, de désobéissance civile à la loi, lorsque celle-ci bafoue la justice ?  

 

 

PLAN DU COURS

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I)                LE FONDEMENT DU DROIT

 

A)   DROIT, FAIT ET DEVOIR

 

1)     Le droit et le fait

2)     Le droit et ses composantes

 

2.1 – Les règles

2.2 – Les tribunaux

2.3 – Les moyens humains et matériels

 

3)     Le droit et le devoir

 

B)    LE DROIT COMME FACTEUR EMERGEANT DE L’ORDRE SOCIAL

 

1)     Le positivisme juridique

2)     Valeur et limites du positivisme juridique

 

C)   L’IDEE DE DROIT NATUREL ET LE CONTRAT SOCIAL

 

1)  Le droit divin

2)  Le droit naturel antique

3)     Le droit naturel moderne

 

3.1 – Présentation générale

3.2 – La notion de contrat social

3.3 – Thomas Hobbes

3.4 – Samuel von Pufendorf

3.5 – Rousseau

3.6 – Intérêt et actualité de la théorie du contrat social

 

4)     La critique libérale et l’émergence du couple société-Etat dans la théorie politique moderne

 

D)   LES DROITS DE L’HOMME

 

1)     Définition et fondement

2)     Droits civils, politiques et sociaux

3)     Critiques et défense des droits de l’homme

 

3.1 – Critiques des droits de l’homme

3.2 – Les limites de ces critiques. Défense des droits de l’homme

 

II)             LA JUSTICE, VERTU ET NORME DU DROIT

 

A)   LES DIFFERENTES DEFINITIONS DE LA JUSTICE

 

1)     La justice comme hiérarchie

2)     La justice comme égalité

 

2.1 – égalité et identité, égalité de droit et égalité de fait

2.2 – l’égalité métaphysique

2.3 – l’égalité juridique

2.4 – la justice distributive

2.5 – la justice corrective

2.6 – la justice commutative

 

B)    EGALITE ET LIBERTE

 

1)     L’égalité, un principe difficile

2)     Liberté et inégalités

3)     Une théorie moderne de la justice : John Rawls

 

3.1 – Le voile d’ignorance

3.2 – Les principes d’égale liberté et de différence

3.3 – Critique de la théorie de Rawls

 

C)   LA JUSTICE, VERTU CARDINALE

 

III)           LE DROIT ET LA VIOLENCE

 

A)   L’OPPOSITION DU DROIT ET DE LA VIOLENCE

 

1)     Force et violence

2)     Du droit du plus fort

 

B)    LE DROIT DE PUNIR

 

1)     La notion de peine

2)     La vengeance

3)     Les fonctions de la peine

 

3.1 – Fonctions sociales

3.2 – Fonctions individuelles

 

4)     Le problème de la peine de mort

 

4.1 – La justification de la peine capitale

4.2 – L’opposition à la peine de mort

 

C)   LA VIOLENCE LEGITIME : LA DESOBEISSANCE CIVILE

 

1)     Le devoir d’obéissance à la loI

2)     Désobéissance et révolte

 

2.1 – La notion de révolte

2.2 – La révolte, un droit et un devoir

2.3 – La révolte garante du droit

2.4 – La désobéissance civile

 

3)     Conclusion : la violence au service du droit

 

CONCLUSION GENERALE

 

 

I) LE FONDEMENT DU DROIT

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- Dans l’introduction, nous avons défini le droit comme un ensemble de règles établies dans une société (droit positif), de sorte que tout ce qui est conforme à ces règles est légal. Mais ces lois positives sont-elles toujours légitimes ? Au nom de quel principe peut-on décider de ce que la loi doit prescrire ou non ? Au nom de quel principe peut-on décider si une loi est juste ou non ? Faut-il admettre l’existence d’un droit naturel (idéal de justice), d’un ensemble de principes  moraux immanents à toute conscience humaine, qui serait le fondement des lois positives et au nom duquel nous jugerions de leur valeur ? Poser ce problème, c’est poser la question du fondement du droit et de la valeur objective de l’idée de justice. C’est aussi envisager la question du rapport entre le droit et la morale.

 

- La question des fondements du droit est une question de nature philosophique qui se distingue de la question des origines ou des sources du droit, qui est une question historique et juridique. Entendons par fondement ce à partir de quoi une chose est possible et par source ou origine le commencement d’une chose comme réelle. Sur quelle autorité en principe indiscutable le droit repose-t-il ? Ce fondement en autorité du droit s’appelle justement légitimité. Nous verrons qu’il y a essentiellement trois sources de légitimité possible : Dieu (théories de droit divin), la nature (droit naturel antique), le peuple (droit naturel moderne).

 

- En ce qui concerne le rapport entre le droit et la morale, il convient de préciser d’emblée que la morale renvoie à la volonté de l’individu et présente un caractère subjectif, ce qui ne veut pas dire arbitraire. Le droit se déploie dans un autre ordre : il est objectif et s’impose aux individus, quelles que soient leur volonté et leurs intentions (je peux être contre telle ou telle loi, il n’empêche que je suis tenu de lui obéir malgré tout). De fait, c’est précisément parce que les hommes  ne sont pas moraux que le droit est nécessaire. En outre, il existe des questions de droit qui peuvent apparaître moralement neutres en ce qu’elles ressortissent aux règles d’organisation sociale ou politique (la morale n’a rien à dire, par exemple, sur les règles à appliquer pour élire les députés, si bien sûr la juste représentativité des citoyens est garantie). Pour autant, le droit peut-il être pour lui-même sa propre référence et se passer tout à fait de la morale ?

 

 

 

A) DROIT, FAIT ET DEVOIR

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- Pour comprendre ce qui fonde le droit, il semble d’abord nécessaire d’établir un certain nombre de distinctions conceptuelles, afin de préciser les caractéristiques, ainsi que la sphère d’appartenance, du droit. Deux notions importantes apparaissent dans le sillage du droit : le fait et le devoir.

 

 

 

1)     LE DROIT ET LE FAIT

 

- La référence au droit suppose toujours la parole et relève d’abord du jugement : « Tu n’as pas le droit », « J’ai le droit ». Il s’agit, dans ces expressions, de comparer ce qui est à ce qui doit être. Le fait s’impose : produit par des causes, il est toujours explicable et son existence est incontestable. La force, par exemple, qui est de l’ordre du fait, a toujours une certaine forme d’autorité : “ça ne se discute pas”. Mais l’argument du droit consiste à contester le bien-fondé de ce qui cherche à s’imposer par sa seule présence.

 

- En ce sens, le droit se présente comme un absolu qui a valeur critique. Se référer au droit, c’est distinguer, au sein de la réalité de fait, ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas. Exemple d’Antigone qui s’insurge contre Créon. Le droit est une série d’énoncés normatifs: parce qu’un certain nombre de comportements observés ou possibles dans le cadre d’une société donnée ne sont pas acceptables, on a imaginé de normer les comportements par des règles de droit, ou règles juridiques, qui instituent des devoirs en prononçant l’interdiction de certains actes, ou l’obligation d’en adopter d’autres. Ainsi les systèmes juridiques se construisent sur la base d’un refus du fait brut, et notamment de la violence entre les particuliers, ou entre les groupes (une bande, un parti politique, un mouvement religieux, etc.).

 

- Si le droit est une norme idéale, il faut alors le distinguer des lois. Je peux être dans mon bon droit et en opposition avec la loi : mon acte me paraît légitime, en accord avec une norme idéale absolue, mais il n’est pas légal, conforme aux lois instituées. Si l’on ne pouvait pas distinguer le droit des lois, il serait impossible de réclamer des droits que la loi ne reconnaît pas. Le droit de publier  ses écrits, par exemple, existe même dans un pays qui pratique la censure de façon systématique. Le problème, qui sera étudié plus loin, étant de savoir d’où vient ce droit, ce qui le fonde.

 

- Ces droits idéaux, ou naturels (naturels en ce sens qu’ils ne sont pas institués), ne peuvent néanmoins être efficaces que s’ils sont reconnus par les lois positives, les lois instituées. Le droit, en effet, n’est pas invoqué uniquement pour porter un jugement de valeur sur un fait, mais aussi pour conformer la réalité à l’idée, à l’exigence, à la valeur (celle de justice, en l’occurrence). Le droit est ainsi la référence qui garantit la possibilité d’un acte.

 

2) LE DROIT ET SES COMPOSANTES

 

- Le droit apparaît comme le système des lois qui définit les droits et les obligations des sujets soumis à une même autorité étatique. Il est aussi la définition des conditions et procédures selon lesquelles les lois peuvent être appliquées. D’où trois composantes essentielles du droit :

 

2.1  - Les règles

 

- Il s’agit des lois ou coutumes  qui délimitent pour chacun le domaine du permis, de l’obligatoire et de l’interdit; ces lois s’organisent de façon hiérarchique et différenciée : certains types de règles l’emportent sur d’autres (une règle de droit international l’emporte sur une règle nationale, une règle appartenant à la constitution l’emporte sur les lois ordinaires…); division des règles quant à l’objet : droit administratif (il règle les rapports entre l’Etat et les citoyens), droit constitutionnel (il s’occupe de la validité des lois et des règles d’organisation du pouvoir), droit civil (il règle les conflits entre les citoyens), droit pénal (il concerne les délits et les peines), etc.

 

2.2  - Les tribunaux

 

- Institutions légales, officielles, compétentes pour arbitrer les litiges en fixant des dédommagements et en infligeant des peines conformément à ces règles. Un particulier dispose de la capacité de se plaindre, et de porter devant la justice un litige avec un particulier, ou avec la puissance publique.

 

- Il existe un accusateur public, représentant du pouvoir exécutif et défenseur des intérêts de la société (un procureur). Selon la nature de l’affaire, il convient de se tourner vers des tribunaux différents : tribunal d’instance (contraventions), tribunal de grande instance (les délits), les assises, où siège un jury populaire (crimes).

 

- Parmi les décisions de justice, on distinguera celles qui visent à la réparation matérielle d’un tort (versement d’une indemnisation), et celles qui obéissent à une finalité répressive (amende, emprisonnement). En plus de la loi, le droit comporte la série des décisions de justice, qui s’appuient sur une interprétation de la loi et forment la jurisprudence : une décision prise par un tribunal constitue un précédent qui engage le juge qui jugerait une affaire similaire, à rendre un verdict similaire (la jurisprudence, dans le droit français, se développe à partir des imprécisions inévitables de la loi).

 

- Enfin, l’institution judiciaire n’étant pas infaillible, il convient qu’un recours puisse être déposé contre une décision : en France, par exemple, il est possible de porter devant une cour d’appel une affaire jugée devant un tribunal , de même que la cour de cassation peut être saisie.

 

2.3  - Les moyens humains et matériels

 

- Ils permettent de faire appliquer effectivement les décisions judiciaires. L’acte fondateur du droit est l’intervention d’une tierce personne, le juge, entre les parties en conflit, afin de trancher le litige et d’ôter aux particuliers le pouvoir de se faire juges de leur propre cause (il n’est pas possible d’être “juge et partie”). Cela commence avec la fameuse loi du talion qui représente l’une des premières tentatives pour codifier la violence, pour en limiter les débordements : « (…) fracture pour fracture, oeil pour oeil, dent pour dent; selon la lésion qu’il aura faite à autrui, ainsi lui sera-t-il fait…Même législation vous régira, étrangers comme nationaux; car je suis l’Eternel, votre Dieu à tous » (Lévitique 24, 20-22).

 

- Pour imposer l’exécution de son arbitrage, le juge doit pouvoir disposer d’une force infiniment supérieure à celle d’un particulier, c’est-à-dire de la force de l’Etat (le problème de la nature de la violence légale et/ou légitime sera examinée dans la troisième partie du cours).

 

- Pour que sa position d’arbitre soit acceptée, il faut que le juge soit indépendant des parties en présence, c’est-à-dire impartial. Si ces trois conditions ne sont pas réunies, c’est le règne de la vengeance et de la violence à l’état brut. La fameuse loi du talion

 

- Pour une approche plus précise et plus détaillée de la justice, lire le document annexe sur le fonctionnement de la justice en France.

 

 

3) LE DROIT ET LE DEVOIR

 

- Le droit n’existe qu’à la condition que les individus obéissent à la loi : mon droit de circuler librement est corrélatif de mon devoir de respecter les conditions juridiques qui rendent cet acte possible pour moi et pour les autres (exemple, respect des normes de sécurité). Le droit est étroitement lié au devoir : je rends possible la relation de droit par mon attitude active d’obéissance et de respect des normes qui s’imposent à tous. Le devoir signifie ce qui est dû. En tant qu’individu, je dois à la cité le respect des lois qui garantissent mes droits. Le droit est ainsi associé à la justice entendue comme relation de réciprocité : il instaure une relation d’échange dans laquelle chacun peut être reconnu à la fois comme individu et comme membre du tout.

 

- On peut alors parler d’une réciprocité entre le devoir et le droit : ce qui est un droit pour moi correspond chez autrui à une obligation à mon égard. Et réciproquement, mes devoirs envers autrui sont la contrepartie de ses droits : par exemple, si je suis pris à parti dans un journal, j’ai le droit de me justifier en écrivant au directeur du journal (« le droit de réponse ») et le directeur du journal a le devoir d’insérer ma réponse dans un prochain numéro.

 

- Or, selon Auguste Comte, le devoir absorbe le droit : la notion de droit peut disparaître sans dommage, la notion de devoir suffisant : si tout le monde fait son devoir envers tout le monde, les droits de tous se trouveront garantis sans qu’il soit nécessaire d’en parler. Et il vaut mieux ne pas parler des droits : chacun ayant un sentiment très vif de ses droits et en leur, il réclamera en leur nom volontiers plus qu’il ne lui est dû. Notion de droit comme alibi honorable de l’égoïsme. Il vaut bien mieux qu’on me parle de mes devoirs envers autrui et qu’on fasse le silence sur mes droits, de peur de fournir des arguments à des revendications individualistes ruineuses pour l’ordre social. La notion de droit, selon Comte, n’a eu d’utilité qu’à une certaine époque de l’histoire où l’individu, au  nom du droit, a lutté contre l’oppression.

 

- De même, le risque existe que la priorité donnée au « droit à » (droit au travail, au plaisir, à la paresse…) conduise à une véritable aliénation : ce n’est plus l’individu qui a une dette envers l’Etat, c’est l’inverse; l’individu, en position de créancier, n’a qu’à attendre qu’on lui fournisse son dû. La puissance tutélaire d’un Etat qui a confisqué la liberté politique au profit de la consommation s’accommode très bien de ce type de droit.

 

- C’est ce que souligne Tocqueville dans De la démocratie en Amérique. En effet, les hommes de la modernité ne sont plus menacés par un excès d’inégalité : l’heure est à l’égalité (thème de l’égalité de droit : tous les citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs). Or, selon Tocqueville, nous nous orientons vers une égalité de fait : les hommes « semblables et égaux » ne se distinguent plus par leurs aptitudes ou leurs ressources; ils n’ont plus rien à attendre les uns des autres. L’égalité entraîne paradoxalement la dissolution du lien social parce qu’elle anéantit la complémentarité et renvoie chacun à lui-même. Les individus n’ont plus le sentiment de participer à un dessein collectif. La consommation leur tient lieu d’idéal politique. Leur seule préoccupation est d’accroître leur bien-être sans conflit. Ainsi, par un accord implicite, tous abandonnent leur liberté politique à un pouvoir organisateur, prestataire de services à chacun.

- Le pouvoir mis en place de la sorte a ce privilège de prendre en charge les comportements sans rencontrer de résistance parce que chacun se complaît dans la dépendance. Il n’use pas non plus du discours : il n’a plus besoin de convaincre puisque personne ne perd de temps dans les débats d’idées; il est acquis pour tous que le pouvoir doit gérer la vie de la société pour permettre l’égalité de jouissance            . Cette neutralité est cependant le moyen d’une forme de violence très réelle : le pouvoir n’est pas reconnu comme tel par les individus qui forment des mondes clos; non identifié, il ne peut être ni légitimé ni contesté. Tocqueville montre donc que la mort du politique, la mort des idéologies, l’individualisme qui en est la source seraient les vraies menaces contre la liberté.

 

- Mais s’il peut être périlleux de trop mettre l’accent sur l’exigence des droits, il ne l’est pas moins d’oublier les droits au profit des devoirs. Il s’avère souvent indispensable de réclamer justice lorsque les autres ne nous donnent pas tout ce qui nous est dû. La personne humaine étant une valeur de premier plan, nous avons le devoir de défendre notre droit. Nécessaire réciprocité des droits et des devoirs. La notion de droit, en effet, enveloppe nécessairement la représentation d’une communauté de personnes, la conscience de la solidarité de chaque personne avec les autres personnes. Kant définit ainsi le droit comme l’a ”ensemble des conditions qui permettent à la liberté de chacun de s’accorder avec la liberté de tous”.

 

Conclusion

 

- Au total, le droit définit, pour les individus d’une société, un ensemble d’obligations contraignantes. Il a pour fonction de faire régner l’ordre dans la société et d’établir entre les membres d’une société des rapports de justice. Il a aussi pour finalité de garantir à chaque membre de la société un minimum de liberté et de la protéger contre les empiétements des autres sur la sienne. Il faut, dès lors, distinguer le fait du droit, le droit apparaissant comme une norme idéale qui fonde et justifie un acte, mais aussi un ensemble de règles définissant ce qui est permis et illicite. Il faut alors revenir sur la distinction entre le légitime et le légal et se demander ce qui fonde réellement le droit.

 

 

B) LE DROIT COMME FACTEUR EMERGEANT DE L’ORDRE SOCIAL

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- Peut-on résorber le droit dans le droit positif ? Si tel est le cas, comment est-il possible de dire qu’une loi est injuste ? Quelles sont alors les sources de légitimité du droit ?

 

1) LE POSITIVISME JURIDIQUE

 

- La question est la suivante : la justice se définit-elle essentiellement comme pure légalité ?

 

- Comme légalité, la justice est de fait : en ce sens, « toutes les actions prescrites par la loi sont justes » (Aristote, Ethique à Nicomaque). Il n’y a de cité, et de justice, possibles que si le juge est tenu de respecter la loi davantage que ses propres convictions morales ou politiques. Le fait de la loi (la légalité) importe plus que sa valeur (la légitimité). C’est l’autorité qui fait la loi.

 

- Sous l’appellation de « positivisme juridique », on groupe essentiellement deux écoles de pensée qui ont en commun de nier qu’il existe derrière la forme positive du droit une justice supérieure capable de la juger : le positivisme volontariste, qui remonte aux sophistes et surtout à Hobbes, et qui a eu un grand succès lors de la constitution des Codes au moment de la Révolution française (Codes Napoléon), mais qui s’est effondré après la première guerre mondiale; le positivisme juridique proprement dit.

 

- Pour le positivisme volontariste, une entité justice est inutile derrière le droit positif, celui-ci étant considéré comme émanant de la volonté d’un souverain ou d’une assemblée qui reçoivent leur légitimité d’un pacte social. C’est l’autorité qui fait la loi ici. Chez les sophistes, mais aussi chez Hume et les humanistes, le motif juste qui est à l’origine de l’acte juste est tiré de l’artifice d’une convention (voir l’argument de Calliclès dans Gorgias de Platon : explication rédigée de ce texte de platon dans la rubrique « corrigés » du site internet « Xphilo »). L’acte juste sera celui que la loi, décidée par convention, détermine à accomplir. La convention exprime en quelque sorte une compensation des carences de la nature humaine par le législateur.

 

- La résorption du juste dans le légal est l’ambition de l’époque révolutionnaire, d’un rationalisme universaliste correspondant à la volonté de rompre avec la pluralité particulariste (symbolisant l’arbitraire féodal) pour faire régner la raison exprimée par des lois.

 

- Le positivisme juridique proprement dit est notamment représenté par Hans Kelsen et sa Théorie pure du droit. Il s’agit de définir un statut autonome du droit à l’égard de la morale. Le droit doit être étudié comme un ensemble de règles cohérentes, et non à travers les justifications qui peuvent être données de ces règles. La conséquence est un relativisme éthique : puisque le droit n’a pas à être justifié, on doit considérer tout système juridique, s’il est cohérent, pour ce qu’il est et non pour ce qu’il devrait être; les valeurs sont relatives à un système juridique donné, il n’appartient pas au droit de les discuter. La science du droit doit considérer que tous les systèmes juridiques se valent et qu’aucune valeur n’est supérieure aux autres. Le choix de la valeur est un arbitraire de la décision qui varie selon l’histoire, le moment, sans qu’on puisse le discuter scientifiquement.

 

- Dans cette perspective, il n’y a dès lors pas de sens à opposer la morale à la loi. Je ne peux me soustraire aux lois au nom de la moralité, il n’existe pas de position transcendante au régime de la légalité. Alors que la règle morale est un impératif catégorique et autonome commandant sans conditions cf. Kant), la règle juridique est un impératif hypothétique et hétéronome dont le respect nécessite la force coercitive de l’Etat.

 

- Le positivisme juridique considère donc que toute loi doit être respectée parce que c’est une loi, quel que soit le jugement moral qu’on peut porter sur elle. Selon les partisans du positivisme juridique, nous ne disposons pas des moyens de différencier ce qui est juste de ce qui est injuste (divergence des opinions à ce sujet, incapacité des hommes à s’accorder entre eux dans la représentation du juste et de l’injuste). Il faut alors renoncer à évaluer à évaluer le droit positif au nom d’une super-norme, la justice. Il n’y a donc pas de définition universelle de la justice. On appellera juste ce qui est contenu dans le droit positif, c’est-à-dire les lois établies. Une décision juste est ainsi celle qui applique les lois en vigueur.  Le droit positif ne se fonde que sur l’acte de son institution par une autorité compétente. En ce sens, légal et légitime sont assimilés.

 

- Le positivisme juridique se caractérise, en somme, par un légalisme extrême : le régime du droit est considéré comme une instance ultime. Pour le légaliste, tout ce qui n’est pas interdit est autorisé. A la légitimité naturelle ou morale du droit, Kelsen oppose une légitimité juridique fondée sur le seul respect de la loi. Cette théorie s’oppose notamment à celle de Rousseau qui, à la fin du Contrat social, distingue deux degrés dans le rapport de l’individu à la loi, le respect de la loi par l’individu étant une condition nécessaire mais non suffisante de la citoyenneté : le premier degré est le respect des lois; le second est l’amour de la loi. Le pire des crimes envers l’Etat est le respect sans amour de la loi.

 

2) VALEUR ET LIMITES DU POSITIVISME JURIDIQUE

 

- Cette conception positiviste a un double mérite.

 

- Elle soustrait d’abord l’idée de justice à des polémiques interminables et permet aux tribunaux d’opérer de façon efficace; elle assure chaque citoyen que son sort ne dépend pas des opinions de son juge, celui-ci devant se borner à appliquer la règle édictée par le législateur. La loi est la loi, qu’elle soit juste ou pas : aucune démocratie ne serait possible si l’on n’obéissait qu’aux lois qu’on approuve.

 

- Elle cherche ensuite à exclure du champ de la loi les aléas de la subjectivité, à unifier les obligations, à asseoir l’idée de Justice sur la clarté et l’universalité de la raison.

 

- Cette démarche s’expose toutefois à de nombreuses critiques.

 

- Le positivisme juridique tend à évacuer toute position critique quant au droit, à ne pas faire intervenir les valeurs dans la résolution des problèmes de justice auxquels sont confrontées les sociétés humaines. Rappelons que des juristes nazis ont cherché dans un tel légalisme des appuis à leurs thèses. Pensons également à ces fonctionnaires zélés dont le seul souci est d’appliquer de la façon la plus efficace possible des lois et des règlements, sur la légitimité desquelles ils estiment ne pas à avoir à s’interroger, comme si le fait de la légalité tenait lieu de raison.

 

- Or, après 1945, le choix fut fait de tenir rigueur aux accusés de s’être conformés à la loi nazie, d’adopter une position rejetant le légalisme et d’intégrer, dans la sphère juridique, des principes, des exigences valant au-dessus de tout droit positif. Les tribunaux condamnèrent les officiers allemands au nom de principes valant comme norme pour tous les Etats, à savoir les droits de l’Homme, consacrant la notion de crime contre l’humanité.

 

- S’il ne saurait y avoir de démocratie sans obéissance aux lois, aucune démocratie ne serait acceptable s’il fallait, par obéissance, renoncer à la justice ou tolérer l’intolérable. Lorsque les lois sont manifestement inhumaines, le sentiment de justice nous commande de leur désobéir : justice d’Antigone contre Créon, des résistants contre les lois de Vichy…  La conformité à la loi ne définit que la légalité; ce qui est légal n’est pas toujours légitime, c’est-à-dire conforme à ce qu’exige la conscience morale. Respecter les lois, leur obéir, les défendre, certes. Mais pas au prix de la justice, pas au prix de la vie d’un innocent ! La morale, la justice passent d’abord (la liberté de tous, la dignité de chacun, les droits de l’autre). Cette dimension morale de la justice sera approfondie dans la deuxième partie du cours consacrée à l’idée de justice.

 

- D’où, dans le droit moderne, la reconnaissance fondamentale d’un droit de la victime aux minorités qui possède une légitimité supérieure à toute autre légitimité, y compris celle de la Constitution. Est victime celui qui subit une transformation de ses conditions d’existence sans y consentir. Cette définition va plus loin que la notion strictement juridique de subir un dommage : elle fait intervenir le consentement, le préjudice subi, qui est plus éthique que légaliste. D’où l’importance des “circonstances atténuantes”, atténuant la responsabilité, marquant qu’il existe dans la société moderne des rôles, et que personne ne peut revendiquer d’être l’auteur radical de son acte. Des lois iniques sont alors des lois qui font des victimes. Les juges constitutionnels confèrent au droit de la victime et aux droits de l’homme une valeur quasi constitutionnelle. Impératif selon lequel “il ne doit pas y avoir de victime” et qui limite la liberté et le droit.

 

- Qui plus est, si l’on ne peut réduire le droit et la justice à la loi, le légitime au légal, c’est parce que la loi, étant par définition générale, ne peut prévoir tous les cas qui se présentent : le magistrat, au lieu d’appliquer mécaniquement un règlement, doit faire preuve d’équité : face à un cas qui n’a pas été prévu par la loi, il doit se demander dans quel esprit le législateur aurait tranché, s’il avait été confronté à cette situation.

 

- Aristote affirme ainsi que le juge est chargé de « corriger les effets de la loi » : la loi est trop générale et rigide, alors que les actions humaines sont marquées par la contingence et l’irrégularité. Adapter la loi, corriger la justice par l’équité engage la vertu de justice qui s’exprime par la conduite propre du juge : la prudence. Aristote résout le problème de l’adéquation du général au particulier par le moyen d’une vertu, la justice, et d’une conduite, la prudence du juge. C’est ce qu’on appelle la jurisprudence (l’autorité d’un ensemble de règles qui se dégagent des décisions des tribunaux). Le juge, dans ses sentences, ne se borne pas à mettre en relation le cas particulier dont il a à juger avec les principes généraux contenus dans le texte de la loi. La justice n’est pas uniquement ce que stipule la lettre de la loi. Le juge l’interprète et chacun attend de la loi qu’elle envisage les cas les plus particuliers.

 

- Ainsi, par fidélité à la justice, à l’esprit de la loi, la décision du juge doit-elle parfois aller à l’encontre de la lettre de la loi. Trop général, le texte de la loi n’est pas exempt d’ambiguïtés qui ne sont manifestes qu’en présence des cas d’espèce. Le législateur ne peut prévoir les difficultés résultant de l’évolution en tout domaine : pratique sociale, économique, connaissances, techniques, etc. C’est donc pour des raisons à la fois techniques - liées à la nature de la loi et du réel - et morales - l’exigence d’une meilleure justice - que l’application du droit comporte une jurisprudence.

 

Conclusion

 

- Il semble donc que la justice ne soit réductible ni au sentiment que nous en éprouvons, ni au droit positif, qui pourtant constitue le dépassement du sentiment de justice dans la loi stable et objective. Il n’est pas possible de résorber la notion de légitimité dans celle de légalité. La distinction ancienne entre légitimité et légalité est reconnue aujourd’hui par la législation même de la majorité des nations : celles-ci ont indirectement introduit dans leurs droits la reconnaissance du droit de résistance à l’oppression, en ratifiant la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Ce droit de résistance suppose que la légalité n’est pas en elle-même source d’obligation et que, pour l’être, elle doit respecter les droits de l’homme définis par cette Déclaration (voir la dernière partie du cours consacrée à cette question du droit de désobéissance civile).

 

 

C) L’IDEE DE DROIT NATUREL ET LE CONTRAT SOCIAL

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- Si le droit ne se réduit pas au respect des lois, cela revient à admettre qu’au-dessus des lois, du droit positif, il existe un droit supérieur qui doit l’emporter. Trois sources de légitimité vont être examinées : Dieu (théories de droit divin contre lesquelle les théories du droit naturel moderne se sont élevées), la nature (droit naturel antique), le peuple (droit naturel moderne). La question est alors de savoir d’où vient ce droit naturel, quel est son contenu ou son critère. Nous insisterons surtout sur le droit naturel moderne et sur les théories du contrat social que nous rencontrerons également dans les cours sur la liberté et l’Etat.

 

1)     LE DROIT DIVIN

 

- Dans la conception de droit divin (celle, par exemple, de la monarchie française de l’Ancien Régime) ou dans celle de nombreux peuples, Dieu est considéré comme la source et le fondement uniques du droit. Le pouvoir, en ses origines, se fonde dans le Sacré. Le Sacré, insufflant dans le pouvoir la permanence de la vie de l’Esprit, la pérennité d’une Essence éternelle, s’efforce d’enraciner le pouvoir dans la continuité et la durée

 

- La plupart des peuples anciens sont persuadés que leurs lois viennent d’une autorité surnaturelle ou transcendante : ancêtres et fondateurs mythiques, divinités diverses et innombrables, etc. Les Lois de Manou en Inde, la Torah chez les Juifs, la Bible chez les chrétiens, le Coran chez les musulmans sont censés être l’expression d’un ordre transcendant pris dans les deux sens de l’organisation et du commandement ; et ces textes considérés comme sacrés disent la loi.

 

- Exemple : Moïse reçoit de Dieu, sur le mont Sinaï, les Dix Commandements, gravés sur la pierre, - commandements qui sont la Loi fondamentale de son peuple. L’injonction « Tu ne tueras pas » relève ainsi d’un interdit divin. De sorte que la Loi est considérée comme divine et, à ce titre, elle est absolue, transcendante et éternelle.

 

- De même, l’Islam, à la fois religion et ordre social, propose une théorie du pouvoir et de l’autorité. L’Islam, nom de la religion prêchée par Mahomet, se fonde sur le Coran, le Livre Saint, la Parole de Dieu, le message révélé à Mahomet (570-632). Il s’agit, dans la pensée coranique, de rattacher le pouvoir à Dieu : « obéissez à Dieu, obéissez à l’envoyé ». D’où une problématique centrale, tout particulièrement dans le monde contemporain : en terre d’Islam, l’autorité doit-elle se relier au principe religieux ou se fonder laïquement ? Les réponses sont diverses : certains affirment le pouvoir dans une perception laïque, démontrent que l’Islam désigne un message purement religieux et ne doit surtout pas se mêler des affaires de la cité (le théologien égyptien Ali Abderraziq); d’autres, les intégristes contemporains, voient dans l’Islam l’unique source de l’autorité : s’impose l’idée de la souveraineté de Dieu sur terre; le clergé exercera une sorte de vice-royauté dans le monde (selon la tradition chiite, après la disparition du dernier imam , en 874, le monde est entré dans une période durant laquelle le pouvoir politique doit être dévolu aux théologiens).

 

- Dans les sociétés archaïques, le pouvoir se trouve sacralisé en profondeur. Chez les Mossi de la Haute-Volta, par exemple, le souverain symbolise tout l’univers et seule la force reçue de Dieu permet l’exercice de la domination. C’est une puissance sacrée qui confère la capacité de gouverner. De même, les Tiv, peuple du Nigeria, opèrent une liaison entre le swèm et le pouvoir : « tout pouvoir légitime requiert la possession du swèm, capacité d’être en accord avec l’essence de la création et d’en maintenir l’ordre; ce terme connote plus largement les notions de vérité, de bien, d’harmonie » (G. Balandier, in Anthropologie politique).

 

- Dans les sociétés historiques occidentales (la société française de l’Ancien régime, par exemple), le pouvoir procède de Dieu et s’enracine dans le Sacré. Le roi est, dans la monarchie de droit divin, le représentant de Dieu sur terre. Le fondement divin fournit au pouvoir une référence absolue et stable, face au devenir des choses. Dieu, immuable, se reflète dans le pouvoir et lui apporte une assise éternelle, comme nous le signale Bossuet : « La puissance de Dieu se fait sentir en un instant de l’extrémité du monde à l’autre : la puissance royale agit de même dans tout le royaume. Elle tient tout le royaume en état, comme Dieu y tient tout le monde. Que Dieu retire sa main, le monde retombera dans le néant : que l’autorité cesse dans le royaume, tout sera en confusion… ». L’Epître de Paul aux Romains, dans le Nouveau Testament, exprime, à l’origine, cette référence sacrée, cette vue faisant du Prince un ministre de Dieu : l’homme-roi est envoyé de Dieu, pour le bien de l’Etat, et toute autorité, transcendant les hommes, devient, dès lors, sacrée et absolue.

 

- La dimension religieuse a toutefois régressé. La laïcisation du pouvoir a, depuis la fin du XVIIIe siècle, contribué, en Occident, à faire se distendre la liaison entre le pouvoir et le Sacré. Dans nos sociétés contemporaines, de nouveaux fondements se substituent au Sacré. Le pouvoir va se légitimer et se fonder autrement, notamment, comme nous allons le voir, avec les théories modernes du droit naturel et du contrat social.

 

2) LE DROIT NATUREL ANTIQUE

 

- Outre le fondement métaphysique dans un ordre transcendant et sacré, le droit peut également s’enraciner dans un fondement philosophique. Si l’idée d’un droit naturel a permis, à l’époque moderne, d’évacuer Dieu en tant que source de la légitimité du droit et de saper ainsi les fondements théoriques de la théorie de droit divin, il convient toutefois de préciser que l’idée d’un droit naturel n’est pas nécessairement incompatible avec celle d’une légitimité transcendante : dans le cadre des trois grandes religions monothéistes – judaïsme, christianisme et islam -, Dieu est le créateur de la nature,d e sorte que tout ce qui est naturel vient de lui. Mais il est incontestable qu’en devenant naturel ou humain, le droit perd peu ou prou son caractère divin.

 

- Le droit naturel revêt d’abord la forme du droit naturel antique qui repose sur l’idée d’un droit fondamental respectant une règle de nature. L’idée de loi naturelle implique l’existence d’une règle de justice immuable, inscrite dans l’Univers à laquelle, indépendamment des lois positives, les hommes doivent, dans leurs rapports réciproques, se conformer.

 

- Cette loi de nature sous-entend qu’il existe un ordre objectif qui traverse le monde et qui inonde la conscience elle-même. Cette notion de nature est alors entendue au sens d’un étalon qui permet à la réflexion de transcender le réel, de dépasser la positivité des lois pour la juger à partir de la considération du meilleur régime (= juste). La nature est ainsi adoptée comme critère du juste, la norme étant l’ordre cosmique qui, indépendant du sujet, constitue une dimension de l’objectivité.

 

- L’ordre du monde est considéré, dans cette perspective, comme clos et circulaire, hiérarchisé, finalisé. Dès lors, est juste ce qui occupe la place qui lui revient, ce qui correspond à sa fin naturelle; l’injustice est une violence faite à la nature. Les lois positives doivent s’efforcer d’exprimer le plus adéquatement possible ce juste naturel à la fois objectif (inscrit dans la nature des choses) et transcendant (la nature est aussi une fin vers laquelle chaque chose doit tendre).

 

- Le droit est alors la science du partage, de la répartition consistant à attribuer à chacun ce qui lui revient. La justice est avant tout une justice distributive (cf. Deuxième partie du cours sur l’idée de justice) consistant à déterminer ce qui, en fonction de la hiérarchie naturelle du cosmos, revient à chacun. Aux inégaux doivent revenir des parts inégales si cette inégalité est fondée en nature. C’est ainsi qu’Aristote justifie l’esclavage en déclarant qu’il est fondé en nature et qu’il est normal (naturel) que les plus intelligents commandent aux moins intelligents, les hommes aux femmes, etc. L’inégalité est donc fondée en droit au sens où tous ne peuvent pas revendiquer le même droit : tout dépend de leur statut (place) déterminé par leur nature. Une constitution injuste est celle qui détermine les statuts sans tenir compte de la nature des êtres

 

- Ce n’est donc pas l’homme qui est la mesure de toute chose, comme le prétendait Protagoras, mais la nature. Le droit idéal ne renvoie pas à une revendication subjective rationalisée, mais à une description de la nature et des valeurs qui lui sont immanentes.  Il n’y a  pas de droits de l’homme dans l’Antiquité au sens où l’homme pris génériquement n’existe pas : il y a des Grecs et des Barbares, des citoyens et des métèques, des hommes et des femmes, des maîtres et des esclaves, mais pas d’hommes en général (pour la TL, voir, dans le cours « nature-culture », le chapitre conscré à l’histoire de la notion de genre humain). Le droit est relatif aux catégories « naturelles ».

 

3) LE DROIT NATUREL MODERNE

 

- Le développement qui suit est important et devra être lu avec un soin tout particulier. La question se retrouve dans les notions au programme suivantes : l’Etat, la liberté, le pouvoir (TL). On pourra également se reporter à l’explication du livre I du Contrat social de Rousseau mise en ligne sur le site internet « X-philo » (rubrique : « oeuvres au programme »). Les analyses qui suivent sont essentiellement empruntées à L. Ferry et A. Renaut, in Philosophie politique, Des droits de l’homme à l’idée républicaine, Tome 3.

 

3.1  Présentation générale

 

- Le droit naturel moderne apparaît essentiellement au XVIIe siècle avec les oeuvres de Grotius, Pufendorf, Hobbes. Les philosophes de l’âge classique appellent droit naturel l’ensemble des libertés,d es avantages, des possibilités d’action don’t l’homme bénéficie ou aurait bénéficié à l’état de nature (état hypothétique où l’homme est censé vivre avant la constitution de toute société). Par opposition au droit réel, positif, le droit naturel est le modèle à partir duquel la réalité présente est jugée;  alors que le droit positif est particulier et relatif à chaque société et à chaque époque, le droit naturel est universel ; alors que le droit positif est capricieux et relève de l’arbitraire des pouvoirs établis, le droit naturel est rationnel et absolu.

 

- Il ne s’agit plus les philosophes du droit naturel moderne de voir dans la nature un modèle du droit, mais d’établir que, imaginés sans société ni loi (l’état de nature), les hommes seraient obligés d’instaurer le droit. Ce n’est pas la nature, mais la raison qui institue le droit, précisément pour corriger la nature et pour combattre les excès des différents droits positifs.

 

- Cette conception suppose que l’homme apparaisse au sein de l’univers comme la valeur supérieure entre toutes et qu’émerge la subjectivité juridique (les droits subjectifs), d’origine chrétienne : avec Hobbes, le droit est définitivement considéré comme un attribut de l’individu; c’est avec l’apparition de la problématique moderne du Contrat social et de l’état de nature que la notion de légitimité devient inséparable de celle de subjectivité : seule est alors tenue pour légitime l’autorité qui a fait l’objet d’un contrat de la part des sujets qui lui sont soumis. La subjectivité (l’adhésion volontaire) est dès lors clairement posée comme l’origine idéale de toute légitimité.

 

- Selon Blandine Barret-Kriegel (in Les droits de l’homme et le droit naturel), l’apparition de cette conception moderne du droit a son origine dans la révolution que connaît l’idée de nature, au XVIIe siècle, après les travaux de Galilée, de Descartes et de Newton. Ce changement est expliqué notamment par Alexandre Koyré (in Du monde clos à l’univers infini) qui montre que l’infinitisation et la géométrisation de l’espace ont fait exploser la conception aristotélicienne d’un monde clos, hétérogène, inégalitaire.

 

- D’où le transfert, par les Modernes, du droit naturel dans la nature humaine : « prenant acte de ce que désormais le droit ne pouvait plus s’inscrire dans une perspective cosmologique, qu’il ne pouvait plus répondre à la nature des choses puisque celle-ci ne résonnait plus d’aucun devoir-être, d’aucune qualité, d’aucune finalité, ils auraient été acheminés à une autre perspective, antinaturaliste et subjectiviste qui les aurait incliner à insérer le droit dans la seule nature humaine, à l’encarter dans l’exigence immanente de la raison, à le sertir dans l’ego cogito » (B. Barret-Kriegel, op.cit.). C’est de cette subjectivisation de la pensée juridique que serait issue l’idée de droit de l’homme.

 

- On aboutit aussi à une séparation entre les faits et les valeurs : l’ordre du monde étant mécanique, il est ni juste ni injuste, il est tout simplement. Ce n’est pas dans la nature qu’il s’agira de déchiffrer un code des valeurs. La nature n’est plus normative.  Puisque la nature est devenue muette, et que seule la raison est en mesure de la comprendre en la reconstruisant à partir de principes qu’elle a elle-même posés, on procèdera en philosophie politique comme en physique : c’est rationnellement que l’on s’attachera à connaître la société et les principes qui fondent sa régulation. Le droit “naturel” moderne est donc un droit rationnel. L’homme n’est plus un être naturel mais un être de raison. C’est la « Droite Raison » qui ordonne la légitimité.

           

- C’est ce qu’affirme Descartes dans Le discours de la méthode : « le bon sens (= raison, capacité d distinguer le vrai du faux, entendement et non intelligence) est la chose du monde la mieux partagée », au sens où tous le possèdent à égalité. Le point de départ moderne considère donc l’homme dans sa généralité : des droits de l’homme sont possibles parce que l’homme existe.

 

3.2 – La notion de contrat social

 

- La notion de contrat renvoie d’abord à la sphère économique et juridique des relations entre des personnes privées. Puis, avec la dénomination de contrat social, cette notion prend un sens spécifiquement politique.

 

- Les premiers jalons de l’idée de contrat social remontent à l’Antiquité. Les sophistes sont les premiers à distinguer la nature et la loi (cf. Le discours de Calliclès dans Gorgias de Platon), cette distinction mettant en relief le caractère conventionnel et artificiel de la loi humaine, qui régit la cité, et permettant d’envisager les relations humaines dans l’état de nature. Cicéron souligne l’importance du lien juridique dans la constitution de la république. Il distingue la simple agrégation d’hommes et la notion de peuple, uni par un accord juridique et par l’intérêt commun.

 

- C’est dans le contexte des guerres de Religion qu’est apparue avec clarté la notion de contrat social. Elle est élaborée par les monarchomaques, ensemble d’écrivains politiques souvent protestants (Théodore de Bèze, par exemple) qui, pour des raisons d’ordre théologique et religieux, ont combattu l’absolutisme royal. Ces écrivains présentent le lien qui unit le roi et son peuple comme un engagement mutuel. Ce contrat entre le roi et le peuple est pensé sur un modèle théologique, à l’image de l’alliance biblique entre Dieu et son peuple. Le pacte social est censé garantir les peuples contre les excès de la tyrannie. Les monarchomaques ont contribué à fonder l’idée d’un droit de résistance légitime des peuples à l’égard des souverains tyranniques qui rompaient le contrat de gouvernement. Mais ces théoriciens ne voient pas dans le contrat la raison de la naissance des sociétés politiques et ne distinguent la souveraineté, source de la légitimité du pouvoir, et le gouvernement qui en est l’exercice.

 

- Avec l’école du droit naturel moderne, cette notion de contrat social va considérablement se développer. Le contrat social va remplir alors une double fonction : il désigne l’acte par lequel se constitue la société civile, ainsi que l’acte par lequel s’institue le gouvernement.

 

- Cette double problématique a conduit ces théoriciens à distinguer deux types de contrat : le pacte d’association par lequel se constitue la société, et le pacte de soumission par lequel le corps social se donne un chef. Les théories du contrat social sont fondées sur l’idée que la vie en société est le fruit d’une convention, et non la condition naturelle et originaire de l’homme.

 

- Aux XVII e et XVIII e siècles, la plupart des philosophes qui entendent penser la socialité humaine se réfèrent à l'hypothèse de l'état de nature. L'état de nature désigne d'abord un état, opposé à la vie civilisée, dans lequel vivrait un homme isolé et séparé de ses semblables. Il signifie ensuite ce qui s'oppose à la société civile : un état d'indépendance et non d'isolement ou de solitude. Etat donc dans lequel se trouvent les hommes avant l'institution du gouvernement civil, lorsqu'ils ne sont encore soumis à aucune autorité politique.

 

- Cette notion d'état de nature a un lien étroit avec la théorie contractuelle de l'Etat. Si l'état de nature est un état d'indépendance, nul n'est par nature soumis à l'autorité d'un autre, les hommes naissent libres et égaux. Hypothèse qui s'oppose notamment à la théorie du droit divin (cf. Supra). Si les hommes sont naturellement différents en force, en talent, en intelligence, ces différences ne confèrent pas pour autant le droit d'imposer aux autres sa volonté ou de les soumettre à son autorité. Ainsi nul n'a reçu de nature le droit de commander à autrui, de l'assujettir sans son aveu.

 

- Dès lors, le droit de commander, la souveraineté ne peuvent naître que d'une convention, d'un contrat par lequel les particuliers se dépouillent, en faveur d'un homme ou d'une assemblée, du droit naturel qu'ils ont de disposer pleinement de leur liberté et de leurs forces. La seule autorité légitime est celle qui est fondée sur le consentement de ceux qui y sont soumis. Toute autre autorité n'est qu'un abus et se ramène à la loi du plus fort.

 

- Il ne peut donc y avoir de société libre que si chacun accepte et intériorise le contrat qui le lie aux autres, sinon une partie de la population imposera sa loi; les théories du contrat social s'opposent à l'ordre politique traditionnel mais nient la possibilité d'une science de la société : les phénomènes sociaux deviennent en quelque sorte transparents si chacun accepte le mécanisme du contrat; de l'accord des volontés individuelles peut naître une société idéale. Dans cette perspective contractualiste, la cohésion sociale s'explique par un point fixe exogène (extérieur) : le souverain chez Hobbes, la volonté générale chez Rousseau (cf. Ci-dessous). Dans le modèle d'autorité fondé sur le contrat social, en cas de défaillance du souverain ou de la loi, il n'y a plus de société mais anarchie (guerre généralisée) et terreur.

 

3.3 - Thomas Hobbes (1588-1679)

 

- La philosophie politique va , à partir de Hobbes, s’attacher à comprendre le passage de l’état de nature à l’état de société.

 

- Qu’est l’homme à l’état de nature ? Il est entièrement libre au sens où sa liberté est strictement coextensive à sa force. Son droit de propriété est sans limites dans la mesure où il parvient à s’approprier tout ce qu’il désire. Liberté et propriété sont équivalentes pour tous : chacun ayant autant de droit sur tout que son voisin.

 

- En clair, la liberté et la propriété sans bornes ont pour conséquence l’insécurité totale : chaque individu craint pour sa vie. L’état de nature est un état de guerre perpétuelle de tous contre tous.

 

- Le passage à l’état de société est alors le fruit d’un calcul rationnel : mieux vaut limiter sa liberté si celle-ci, en retour, est protégée. C’est un contrat qui fonde la société : chaque contractant abandonne sa liberté et son droit à la propriété de toute chose à un tiers, en échange de la garantie par ce tiers de la sécurité de sa personne, si et seulement si tous le font en même temps. Le tiers constitué est l’Etat dont le pouvoir coercitif rend la société possible. Chacun s’engage ainsi à renoncer à toutes les prérogatives de sa liberté naturelle au profit d’un tiers – un homme ou une assemblée – auquel il reconnaîtra une entière souveraineté, à condition que l‘autre en fasse autant.

 

- Le souverain, bénéficiaire de ce pacte, n’est lié en aucune manière par les sujets et il dispose d’un pouvoir absolu sur eux. Le contrat n’est pas passé entre les sujets et le pouvoir souverain, mais entre tous les individus contraints de mettre fin à l’état de nature. Le pouvoir peut gouverner comme bon lui semble. S’il ne veut pas susciter révoltes et guerres civiles, le souverain doit néanmoins essayer d‘agir de manière raisonnable et ne pas se laisser guider par l’arbitraire de ses caprices. Son pouvoir est certes absolu mais il n'est pas sans conditions.

 

- Cette construction contractualiste permet d’évaluer le fait à la lumière du droit. Une société, aussi coercitive soit - elle, n’est légitime que si elle assure la sécurité de ses citoyens. Le droit fondamental que pose Hobbes est un droit rationnel : la sécurité, qui rend secondaires les revendications de liberté et de propriété. Le premier des droits de l’homme est donc celui qui rend la société possible et le pouvoir légitime. Un pouvoir qui supprime la liberté sans assurer la sécurité est un pouvoir despotique et l’équivalent d’un retour à l’état de nature.

 

3.4 - Samuel von Pufendorf (1632-1694)

 

- Un autre théoricien, Pufendorf, reproche à Hobbes de faire la théorie du despotisme. Aussi propose-t-il de distinguer deux pactes : le pacte d’association (les hommes décident de s’associer à l’unanimité, chacun choisit librement de faire partie de l’Etat, nul ne peut y être contraint ; de ce pacte résulte une société et doit s’accompagner d’un décret par lequel on règle la forme du gouvernement, lequel suppose la simple majorité des voix), le pacte de gouvernement qui a pour objet de « conférer le pouvoir de gouverner la société ». Ce deuxième contrat, le plus important, lie le souverain et les citoyens par une promesse réciproque (fidèle obéissance au souverain, engagement à veiller au bien public).

 

3.5 - Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)

 

- Rousseau va s’opposer à Hobbes tout en demeurant dans la tradition du droit naturel. Comme Hobbes, il pensera la société par rapport à l’état de nature ; mais contre Hobbes, il refusera de considérer la sécurité comme la fin essentielle du pacte social. Son schéma théorique n’est pas le même. Paradoxalement, Rousseau inverse le jeu de valeurs du système hobbésien : l’état de nature est bon, mais l’homme s’en est éloigné pour des raisons difficiles à reconstituer (« un funeste hasard » (2° discours), et la société s’est constituée sur un contrat usurpé où les contractants ont été abusés. Ce contrat n’est pas légitime. Il s’agit donc de repenser la légitimité d’un contrat qui incarnerait la raison d’être de la société : le pacte social.

 

- Contrairement à Hobbes, Rousseau pense que dans l'état de nature (la situation hypothétique de l'homme hors de la société, avant d’avoir été façonné par la société), l'homme n'est pas en guerre permanente contre ses semblables. Dans son état primitif, l'homme est un être solitaire qui se suffit à lui-même. L'état de nature n'est ni une guerre générale (thèse de Hobbes), ni une vie sociable (thèse d'Aristote), mais un état de dispersion et d'isolement. L’homme vit naturellement solitaire, sans contacts autres qu’occasionnels avec ses semblables.

 

- Les désirs de l'homme naturel sont bornés aux besoins physiques, nécessaires, ses forces sont proportionnées à ses besoins et il peut de ce fait se passer de l'existence de ses semblables. L’homme naturel n’est en fait qu’un animal parmi d’autres. L’homme se distingue seulement des autres vivants par sa perfectibilité, c’est-à-dire sa faculté de se perfectionner, d’acquérir de nouvelles idées et de nouveaux comportements (pour la TL, cf. Cours « nature-culture »).

 

- La sociabilité n'est donc pas une inclination naturelle, elle a été instituée par les hommes eux-mêmes. Sous sa forme primitive, la sociabilité se ramène au sentiment de la pitié qui tient lieu de sociabilité dans l'état de nature, qui en est comme le fondement. C'est par la pitié que nous prenons conscience de l'identité de nature qui nous unit aux autres hommes.

 

- Les deux seuls sentiments que l'on peut prêter en effet à l'homme à l'état de nature sont l'amour de soi et la pitié : l’amour de soi est le simple instinct de conservation, le souci qu’on a de soi-même, de sa propre conservation, indispensable à tout être; il est antérieur aux attitudes morales; sans lui aucune survie n'est possible. La pitié, « répugnance innée à voir souffrir son semblable », qui tient lieu de lois, de moeurs et de vertu, parce que l'homme naturel obéit à sa sensibilité et que c'est par sa sensibilité pour des êtres sensibles qu'il éprouve de la pitié.

 

- L'erreur de Hobbes est d'avoir transposé dans l'état de nature ce qui caractérise l'état de société. « Il 'y a point de guerre entre les hommes, il n'y en a qu'entre les Etats » (Discours sur l'inégalité). Ne pas confondre la guerre avec une querelle quelconque ou une simple vengeance. L'état de guerre ne peut avoir lieu entre les particuliers avant l'établissement de la propriété et la constitution des sociétés civiles. La guerre n'a lieu qu'entre les Etats.

 

- Alors que pour Hobbes l'orgueil est la cause principale de la guerre naturelle de chacun contre tous, selon Rousseau, la plupart des passions sont d'origine sociale. Ce qui caractérise l'état primitif de l'homme, c'est le calme des passions : un état d'isolement ne constitue pas un climat favorable au développement des passions Le tort de Hobbes, en donnant l'orgueil pour cause de l'état de guerre, est d'avoir pris pour un sentiment naturel ce qui n'est qu'une passion factice, née de la vie en société.

 

- L'orgueil n'est donc pas une passion primitive et ne doit pas être confondu avec l'amour de soi-même, l'instinct de conservation. L’amour-propre, ou la vanité, est un sentiment qui n’existe qu’en société et qui consiste à nous comparer aux autres, à nous juger supérieurs à eux et à les vouloir inférieurs. La société attise les passions, le désir d’être admiré et préféré aux autres, d’être supérieur et plus riche. Voilà pourquoi, dès qu’ils vivent en société, les hommes deviennent jaloux, envieux, méchants.

 

- Dans l’état de société, ce n’est pas la sécurité qu’il faut sauvegarder (contre Hobbes) mais la liberté. Et de passer de naturelle à civile, la liberté ne doit rien perdre. Cette liberté conservée dans la société, c’est la liberté rationnelle (qui s’oppose à la liberté désirante) - liberté qui se pense dans la réciprocité.

 

- Le pacte social crée une volonté générale qui est le fondement de la souveraineté. Cette volonté générale ne doit pas être confondue avec la volonté de tous. La volonté de tous est la dérive négative de la volonté générale : c’est la domination des passions du grand nombre. Seule la volonté générale peut créer l’unanimité alors que la volonté de tous devient vite la dictature du plus grand nombre. La théorie rousseauiste de la volonté générale mène à son terme le droit naturel moderne en élucidant les conditions sous lesquelles seul le peuple peut être regardé comme souverain, c’est-à-dire comme sujet véritable, auteur de toute légitimité politique. Nul ne saurait être légitimement contraint par une autorité qui n’ait au préalable obtenu en quelque façon son assentiment. Cette idée sert de critère pour distinguer en droit le juste et l’injuste tant au niveau individuel qu’au niveau politique

- Comme l’ont montré Tocqueville (in La démocratie en Amérique) et Louis Dumont (in Homo Aequilis), la logique de la modernité est la logique de l’individualisme : nous pensons la politique à partir de ce qui constitue l’essence de l’individualisme, à savoir la liberté conçue comme faculté d’autodétermination. Tout ce qui fait obstacle à cette liberté est perçu comme moralement intolérable. Il en va de la souveraineté du peuple comme de la liberté de l’individu : de même qu’un individu privé de sa liberté - par exemple un esclave - n’est plus un individu mais tend à s’identifier à une chose (« renoncer à sa liberté, dit Rousseau, c’est renoncer à sa qualité d’homme »), de même un peuple qui cesserait d’être souverain perdrait sa qualité de peuple pour ne former qu’une simple agrégation.

 

- En faisant cette différence majeure entre volonté générale (rationnelle) et volonté de tous (passions), Rousseau pose les fondements d’une pensée de l’Etat de droit. Hobbes légitime l’Etat en tant que tel, mais les droits de l’homme sont quasiment inexistants puisque seule la sécurité compte. Rousseau, par contre, permet de penser l’Etat comme ce qui peut garantir les droits de chacun contre la dictature éventuelle de la majorité.

 

- Rousseau, dans Le contrat social, repousse les diverses théories qui dissocient pacte d’association et pacte de gouvernement. Dans Le discours sur l’inégalité, Rousseau décrit le pacte d’association, dont l’utilité est de mettre fin à l’état de guerre, comme un pseudo-contrat social, une duperie des riches qui veulent rendre légitimes leurs usurpations et institutionnaliser l’inégalité, permettant au fort d’asservir le faible. Le pacte de gouvernement, au contraire, est un vrai contrat. Rousseau se propose, non plus d’interroger l’origine des sociétés existantes, mais le fondement légitime de l’autorité civile.

 

- Le pacte d’association n’est pas un pacte de soumission. Contrairement à Hobbes pour qui le contrat signifie que les individus se dessaisissent de leurs pouvoirs et les transfèrent à un seul et même souverain, le contrat rousseauiste n’engage pas les individus entre eux, mais ceux-ci avec le corps politique dont ils vont être membres.

 

- La condition fondamentale de légitimité du droit et du pouvoir qui l’institue, c’est sa conformité à la volonté générale. La souveraineté, en effet, n’est rien d’autre que « l’exercice de la volonté générale ». Il faut entendre par là, non l’addition de volontés particulières aveuglées par des intérêts privés, mais la recherche de l’intérêt général. La volonté générale n’est pas la volonté de tous. Elle n’est pas l’unanimité, ni la majorité (la majorité n’a pas toujours raison). La volonté générale, qui dit le droit, la loi, n’est pas une somme d’opinions communes, mais une intégration harmonieuse, une mise en accord de points de vue différents ayant une visée identique (l’intérêt général). La volonté générale est l’essence du peuple en tant que sujet produisant l’autorité légale. Seule la démocratie directe semble susceptible de ne pas trahir a priori la volonté générale.

 

- S’il remplit ces conditions, le droit pourra user de la force (droit pénal) comme d’un instrument de respect des lois, c’est-à-dire de liberté. Car, contrairement à la morale, qui repose sur la seule autorité de la conscience, le droit est nécessairement contraignant.

 

- Selon Kant, interprétant Rousseau, la volonté générale devient une « Idée régulatrice », c’est-à-dire un idéal, sans doute irréalisable, mais dont on suppose qu’il est l’horizon ultime de l’histoire. L’apport principal du Contrat social de Rousseau réside dans l’élaboration d’une définition du peuple comme individualité libre. A noter que le droit naturel moderne a fourni le fondement philosophique de la notion générale des droits de l’homme puisque l’individualité libre est le fondement et la limite de l’autorité.

 

3.6 - Intérêt et actualité de la théorie du contrat social

 

- Nous avons vu que l’idée de contrat renvoie à un difficile problème : comment concevoir l’Etat de telle manière que l’homme puisse être pensé comme libre ? Comment, en somme, conjuguer la liberté de l’homme avec l’obéissance à la loi, sans laquelle il n’y a pas de vie sociale paisible ? Comment intégrer dans la communauté politique les libertés individuelles, sans que cette intégration se fasse de façon inégalitaire, les uns jouissant de droits dont les autres sont privés ?

 

- Le contrat social de Rousseau n’est ni descriptif ni explicatif, mais normatif. Il s’agit de déduire a priori les fondements de l’autorité légitime, en distinguant le droit du fait. Ainsi Rousseau a-t-il montré qu’on ne peut penser sans contradiction l’idée d’une servitude volontaire, que l’ordre de fait n’a pas de légitimité naturelle mais qu’il est fondé sur des conventions, qu’il est du coup impossible de concevoir un droit d’esclavage et de fonder par là même le droit sur la force. De sorte qu’on n’est obligé d’obéir qu’aux puissances légitimes.

 

- Les trois finalités de la vie en société sont la sécurité des personnes, celle des biens (garantie de la propriété), ainsi que la liberté. La société issue du pacte social n’est pas une simple association d’individus, unis en vue de la préservation de leurs intérêts égoïstes. La société est une communauté de citoyens qui sont tous membres du corps social et qui ont en vue le bien commun. La notion de corps, nous l’avons vu, a un sens organique. Le pacte social n’est pas un pacte d’aliénation, par les individus, de leur liberté au profit de quelque entité politique que ce soit. La liberté est inaliénable ; elle est à la fois le fondement et la finalité de la communauté politique.

 

- Dans le contrat social, en effet, les associés échangent leur liberté naturelle contre la liberté civile fondée sur la loi. Le pacte social préserve la liberté des contractants car c’est avec eux-mêmes qu’ils contractent, et non avec un autre. Chaque membre de la société à venir contracte avec lui-même dans la mesure où il est déjà membre du corps social en formation, du tout dont il fait déjà partie. Rousseau distingue donc l’homme en tant qu’il est un individu privé, avec ses intérêts égoïstes, et le citoyen, sujet et membre de l’Etat, qui n’obéit qu’à l’intérêt commun et à la volonté générale.

 

- Le lien social n’est donc pas autre chose que ce qui forme le bien commun et qui constitue la volonté générale qui est souveraine et à laquelle nul ne saurait échapper. Celui qui désobéit à la volonté générale se place de lui-même en dehors du corps politique et rompt le pacte. Il doit être exclu de la cité et  sera contraint, « on le forcera à être libre ». Si être libre, c’est n’obéir qu’à soi-même, ce n’est rien d ‘autre qu’agir conformément à ce que la raison dicte. Dès le moment où, en vertu de la réciprocité du pacte, tous concourent à égalité à la formation de la volonté générale, il est dès lors raisonnable de vouloir que tous obéissent à cette volonté générale, quelle que soit l’opinion particulière que chacun puisse avoir sur telle ou telle question.

 

- La puissance légitime est celle par laquelle un peuple se forme comme tel. La démocratie, c’est-à-dire l’organisation autonome du peuple décidant de son propre destin, est alors l’essence même de toute organisation politique légitime à l’aune de laquelle doivent être jugés les régimes politiques de fait, ce qui légitime par ailleurs le soulèvement du peuple contre les régimes tyranniques (ce point sera repris et développé dans le cours sur l’Etat).

 

- Rousseau n’invite pas à l’unanimisme mais à désinvestir le champ de la discussion politique de sa charge passionnelle. L’application de la loi du plus grand nombre est préférable au triomphe au triomphe de ma propre position contre la majorité. Si mon opinion particulière est minoritaire, je dois me plier à la majorité parce que ma véritable liberté ne réside jamais dans le fait de faire valoir ma propre opinion mais dans l’idée que c’est la loi majoritaire qui doit gouverner. De plus, le contrat rousseauiste rend possible et présuppose un impératif catégorique et fait entrer l’homme dans la moralité ; la détermination des principes de l’action politique repose sur un principe d’universalisation qui est la condition de la stabilité du contrat.

 

- La formule clé de la philosophie politique de Rousseau est finalement l’amour de la loi parce que l’homme libre est celui qui obéit à des lois et non aux ordres et aux prescriptions d’un autre homme. Enthousiasme de Rousseau pour « la force et la dignité de la loi ».

 

- Le contractualisme reste encore d’actualité, malgré son éclipse au XIXe siècle et la critique de la théorie rousseauiste. John Rawls, par exemple, en tentant d’articuler le problème de la liberté politique et de la justice sociale, tente de définir les conditions d’une organisation sociale acceptable par tout individu raisonnable, placé, non plus dans un état de nature, mais sous le « voile d'ignorance ». Chez Rawls , le contrat social ne consiste pas seulement dans l’acceptation d’un pouvoir commun capable d’assurer la cohésion sociale, mais aussi dans un accord central sur les principes de répartition des positions économiques et sociales. Le contrat social est donc une idée régulatrice, à la manière kantienne, mais Rawls essaie de lui donner un contenu social concret en posant la question du partage équitable des avantages économiques et sociaux.

 

- Un deuxième aspect du renouveau du contractualisme concerne les relations internationales. Dans la version classique du contrat, l’état de guerre, à l’intérieur de l’espace géographique et humain concerné, est aboli, mais il persiste dans les relations internationales. Or, les organisations internationales apparaissent comme des constructions conventionnelles dans lesquelles chaque Etat limite volontairement sa souveraineté en vue d’assurer une plus grande stabilité pour tous. Les penseurs du contrat sont à nouveau revisités, vu la difficulté d’articuler le niveau de la nation et le niveau des organisations supranationales, comme le montrent les problèmes de la construction européenne, par exemple.

 

4) LES CRITIQUES DU CONTRAT SOCIAL ET L’EMERGENCE DU COUPLE SOCIETE-ETAT DANS LA THEORIE POLITIQUE MODERNEL

 

 

- Les libéraux, les contre-révolutionnaires, les anarchistes verront en Rousseau le théoricien de la terreur jacobine. Proudhon (père de l'anarchisme) : « C'est à lui surtout qu'il faut rapporter la grande déviation de 1793 ». On assiste à une multiplication des critiques de la notion de contrat social (Burke, de Maistre – courant contre-révolutionnaire, Constant – courant libéral, etc.) au nom le plus souvent de l’écart entre la démarche théorique des contractualistes et l’expérience historique qui ne donne pas d’exemples pratiques d’association civile. Les théories contractualistes sont accusées d’irréalisme et de confusion entre l’Etat et la société civile. Par là, la notion de contrat reviendrait à appliquer un acte de droit privé à un domaine qui n’est pas le sien.

 

- Autre point épineux de la doctrine de Rousseau : le problème de l’égalité. Dans le Discours sur l’origine de l’inégalité, Rousseau a établi qu’il n’existe aucune inégalité naturelle légitime et que l’inégalité n’est que le résultat d’un premier état social, non contractuel. Pour que le contrat fonctionne, il faut que les inégalités de fortune, de position hiérarchqiue soient, sinon abolies, du moins sévèrement limitées. Or, loin d’être un précurseur des théories socialistes, Rousseau conçoit l’organisation économique sur le modèle de l’initiative individuelle et de la propriété privée des moyens de production. La république rousseauiste est une république des producteurs libres. Dans une telle république, la vertu civique doit être plus forte que les appétits égoïstes et les besoins doivent être limités. Une telle position est-elle possible pratiquement ?

 

- Mais le reproche majeur fait à Rousseau est que le contrat social n’est qu’une construction logique abstraite sans rapport avec la vie réelle des peuples. Le contrat social suppose à son origine la participation effective de tous les citoyens. Le modèle de Rousseau est celui d’une démocratie directe dans laquelle le peuple lui-même, et non ses représentants, exerce le pouvoir (souvenir de la démocratie athénienne). Le contrat rousseauiste ne pourrait valoir pour les grandes nations modernes et pour les unions de nations.

 

- Mais Rousseau lui-même laisse ouvertes d’autres possibilités. Il y a, en effet, d’un côté la loi fondamentale – la constitution – qui définit les termes du contrat, laquelle doit être le produit de la réunion de toutes les volontés. Il y a aussi, d’un autre côté, les lois courantes, dont la décision peut être laissée aux représentants élus du peuple, qui agissent, entre deux élections, comme ses mandataires. Il est donc possible, à partir de la matrice rousseauiste, de construire une théorie de la démocratie parlementaire représentative. Le problème de la démocratie directe est déplacé vers le problème des modalités pratiques d’exercice de la démocratie directe (référendum, par exemple) et de contrôle des représentants par le peuple.

 

- Autour de la Révolution française apparaît l’idée selon laquelle la société civile aurait une consistance propre, une existence indépendante de son institution par une quelconque volonté. Critique libérale de Rousseau, telle qu’elle se manifeste chez Constant notamment. Pensée libérale de l’autonomie du social qui rend possible la distinction des droits-libertés (antiétatiques) et des droits-créances (impliquant l’intervention de l’Etat), comme nous le verrons dans la dernière partie du cours sur les droits de l’homme.

 

- L’opposition Constant-Rousseau se cristallise autour de quelques grands thèmes :

 

·       L’idée de volonté générale, c’est-à-dire d’une maîtrise de la société par l’homme (notion de souveraineté du peuple) crée les conditions de possibilité d’une dictature nouvelle : la volonté du peuple étant le seul et unique principe de légitimité, il suffit qu’elle soit détournée à leur profit par une assemblée ou un homme pour qu’ils se voient investis d’un pouvoir illimité.

 

·       La réalité des sociétés modernes possède une consistance propre, elles n’existent pas grâce au pouvoir politique, mais c’est ce pouvoir politique qui existe par elles : ce n’est pas grâce aux lois que les individus entrent e relation entre eux, mais ce sont les lois qui sont l’expression de relations qui leur préexistent. D’où la séparation entre la société et l’Etat.

 

- Dès lors, sur fond d’une adhésion commune aux présupposés subjectivistes du droit naturel moderne, trois modèles de théorie politique se mettent en place au XIXe siècle autour du couple central société-Etat, trois types de discours qui rebondissent sur le problème des droits de l’homme :

 

1.     la réduction de la société à l’Etat (projet d’un socialisme étatique, que certains qualifient de totalitaire, au sein duquel l’Etat est l’instance qui organise, contrôle et absorbe la société);

2.     la réduction de l’Etat à la société (projet anarchiste d’une suppression totale de l’Etat au profit d’une société harmonieuse);

3.     la coïncidence entre la société et l’Etat est impossible (projet libéral).

 

- Ces trois modèles politiques sous-tendent trois types de discours sur les différents types de droits de l’homme, comme nous allons le voir dans la partie suivante :

 

1.     un discours libéral (les droits de l’homme sont réduits aux seuls droits-libertés et constituent les fondements d’une limitation de l’Etat);

2.     un discours socialiste d’inspiration marxiste qui fait des droits-créances, et de l’intervention étatique, un préalable à la réalisation des droits-libertés (qui sont considérés comme secondaires);

3.     un discours anarchiste qui dénonce ces deux types de droits en tant qu’ils supposent en quelque façon l’Etat.

 

 

D) LES DROITS DE L’HOMME

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1)     DEFINITION ET FONDEMENT

 

- Les droits de l’homme sont les droits de l’individu dans son rapport à la société et à l’Etat. Parler de droits de l’homme suppose :

 

1.     que le concept d’homme ait un sens; qu’il y ait donc un homme générique, comme le christianisme l’a rendu possible (concept d’universalité); pour comprendre la genèse de l’idée de genre humain, voir le cours « nature-culture » (site internet ou cours des TL) ;

 

2.     que l’homme soit l’individu, c’est-à-dire qu’il soit pensable hors de la société (état de nature) comme préalable et condition de la société. L’individu n’est pas un produit de la société au sens où il n’existerait que par elle ; c’est plutôt elle qui est la résultante de l’association des individus. La conscience de soi individuelle est première et l’autonomie qui en découle doit être sauvegardée dans la forme sociale qui est seconde ;

 

3.     que les individus soient égaux ; comme l’a bien repéré Rousseau, la nature ne produit que des différences mais pas d’inégalités. Les inégalités sont sociales, c’est-à-dire postérieures à l’association. L’égalité en droits relève de la nature même de l’institution de la société ;

 

4.     que la souveraineté soit l’émanation de l’association et qu’elle découle de la volonté générale et non de la volonté de tous. La démocratie ne doit pas être confondue avec n’importe quelle sorte de dictature plébéienne : elle repose avant tout sur un Etat de droit qui respecte tous les individus et pas seulement la majorité ;

 

5.     que la plus grande liberté possible comprise comme coexistence des libertés des individus soit le but de l’Etat de droit. La limite de cette liberté est d’une part la liberté d’autrui, d’autre part l’utilité publique (paiement de l’impôt, expropriation), mais cette utilité doit toujours être compensée et justifiée par l’intérêt général d’après une loi. La limite absolue (jamais prise en compte comme droit individuel) est la sécurité extérieure et donc la mobilisation en cas de guerre.

 

- Les droits de l’homme sont des droits naturels qui n’existent qu’en société. Ils sont antérieurs en droit à la société mais irréalisables en fait hors d’un Etat de droit. Les droits de l’homme n’existent que comme droits du citoyens. Comme Hobbes l’a théorisé, le droit n’existe pas à l’état de nature. L’état de nature est une fiction théorique qui permet de penser la société comme contrat passé entre individus qui veulent vivre en commun sans pour autant perdre leur statut de contractants donc d’hommes libres. Les droits sont dits “naturels” parce qu’ils sont fondamentaux, c’est-à-dire qu’ils servent de fondements légitimes aux sociétés. Ils permettent de résoudre le problème de légitimité de tout régime politique commençant.

 

- Fondés sur une conception universaliste et égalitaire de l’homme, les droits de l’homme fournissent, dans les Etats où ils servent de référence, un critère pour juger de ce qui, dans un programme politique, un projet de loi, dans l’organisation même de la communauté, n’est pas conforme à ses principes fondateurs. Ils définissent donc des règles générales et des principes de justice pour l’organisation pratique des pouvoirs publics. Les droits de l’homme font en outre partie du droit positif, ils ont une valeur constitutionnelle et constituent une référence ultime qui permet d’apprécier la constitutionnalité des lois : la constitution française, par exemple, commence par une déclaration des droits que garantit la nation. Mais qu’est-ce qui fonde ces droits et leur assure une solidité, une fiabilité universelle ? Autrement dit, les droits de l’homme constituent-ils une évidence ou un problème ?

 

- La doctrine des droits de l’homme est issue du droit naturel moderne. Nous avons vu que l’Ecole moderne du droit naturel est fondée sur des théories individualistes et contractualistes : l’Etat est fondé sur un contrat social; sa finalité est d’assurer à chacun la sécurité et les moyens de rechercher son propre bonheur. Cette théorie est à la base de la conception des droits de l’homme, conçus comme un moyen de protéger les individus contre les empiétements de l’Etat. Elle est une théorie des libertés à l’égard de l’Etat.

 

- Les droits de l’homme apparaissent comme une unité, découlant d’une idée de l’homme, et comme une pluralité, une liste de droits, dont l’Etat doit assurer la réalité. L’article 1 de la Déclaration française de 1789 fait de la liberté l’essence de l’homme, liberté qui est un titre à avoir des droits : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ». L’article 2 précise que la fonction de toute « association politique » est la « conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression ». C’est parce que ces droits appartiennent à la nature de l’homme qu’ils sont “imprescriptibles” (qui n’est pas susceptible de prescription, la prescription étant le délai au terme duquel on ne peut plus poursuivre l’exécution d’une obligation ou la répression d’une infraction) et “inaliénables” (Préambule). Ils s’imposent à toute autorité politique quelle qu’elle soit.

 

- Selon Rousseau et Kant, ces droits sont fondés sur la liberté et la raisonnabilité de l’homme : la liberté est l’unique droit inné que possède l’individu, elle est la condition d’acquisition de tous les autres droits : il n’y a de droits (propriété, libre communication, etc.) que pour un être libre; l’homme se définit comme un être raisonnable, perfectible, de sorte que le droit naturel repose sur la conscience qu’a l’individu de sa propre nature d’être raisonnable.

 

- Pour Kant, cette conscience est une conscience morale : conscience d’un devoir, celui de respecter en autrui comme en soi-même la liberté et la dignité de l’être raisonnable; l’individu se reconnaît un devoir de soumettre ses intérêts purement égoïstes à la loi de la raison en lui; et cette loi lui enjoint de ne rien vouloir qui ne soit admissible et acceptable par tous. A l’égard d’autrui, ce devoir est un devoir de respect absolu de la personne humaine (toujours considérer autrui comme une fin en soi). Les droits de l’homme sont fondés, en nature, dans le sentiment qu’a l’individu de sa propre dignité. Ils reposent également sur le principe d’égalité, dans la mesure où ils sont fondés sur la relation de personne à personne : autrui a des droits parce qu’ils est mon égal en tant que personne, et ses droits sont les miens parce que je suis son égal.

 

- Les droits de l’homme sont ainsi définis de manière différente, suivant l’extension qu’on donnera à ce principe d’égalité : les droits civils et politiques, appelés également droits-libertés, exigent, en effet, que tous les citoyens jouissent des mêmes libertés; les droits sociaux, ou droits-créances, exigent la réduction de l’inégalité des situations.

 

2)     DROITS CIVILS, POLITIQUES ET SOCIAUX

 

- La première déclaration des droits de l’homme de 1789 consiste essentiellement en « droits à faire quelque chose » : liberté de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, liberté d’opinion, liberté de pratiquer la religion de son choix, etc. Il s’agit de droits civils et politiques, ou droits-libertés, définissant pour l’individu des possibilités intellectuelles (liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de culte…) ou physiques (liberté du travail, liberté du commerce, liberté de réunion…).

 

- La révolution de 1848 inaugure une ère nouvelle en posant, pour la première fois, la question des droits sociaux ou droits-créances: volonté d’apporter un complément  aux principes de 1789 rendu nécessaire par la révolution industrielle et l’apparition du problème de la condition ouvrière. Double influence du marxisme et du catholicisme social. L’Etat va se proclamer responsable sinon du bonheur, du moins du mieux-être de tous les citoyens, envers qui il se reconnaît des devoirs.

 

- Ces droits sociaux vont être inscrits dans les Constitutions, notamment après 1945 : déclaration soviétique des “droits du peuple travailleur et exploité” (1918) ; mention, dans la Constitution de l’URSS stalinienne (1936), des “droits économiques et sociaux” (droits au travail, au repos, à l’instruction, etc.); en France, c’est dans le Préambule de la Constitution de 1946 que les droits-libertés sont complétés par la proclamation des droits sociaux (“droit d’obtenir un emploi”, “droit de défendre son emploi par l’action syndicale”, droit de grève, etc.); Déclaration universelle des droits de l’homme, adoptée le 10 décembre 1948 par l’Assemblée générale des Nations Unies (droits-libertés des art. 3 à 21, droits économiques et sociaux des art.22 à 27 : droits à la sécurité sociale; au travail, droit au repos, droit à un niveau de vie suffisant, etc.).

 

- Ces droits sociaux signifient que chacun peut exiger de l’Etat qu’il lui donne l’instruction, un travail, la possibilité d’avoir des soins de qualité, etc. On peut penser le lien entre les droits-libertés, ou droits formels, et les droits-créances comme le passage de la reconnaissance formelle de la liberté à la liberté effective dans l’Etat. Mais ces droits peuvent aussi entrer en contradiction et déboucher sur deux conceptions opposées de l’Etat.

 

- En effet, l’apparition, à côté des droits-libertés, des droits-créances, a introduit d’importantes modifications dans la conception des rapports entre société et Etat. Les droits civils et politiques participent d’une théorie des limites de l’Etat, conçu comme devant se borner à garantir aux citoyens le maximum de possibilités d’action compatibles avec l’existence d’une société; les drois civils sont des libertés que l’Etat garantit à tout homme, qu’il soit citoyen ou non : égalité devant la loi, sécurité, protection contre l’arbitraire du pouvoir, propriété, liberté de conscience et d’opinion; les droits politiques confèrent un pouvoir à l’individu considéré comme citoyen : participation à l’éléboration de la loi, droit de consentir à l’impôt. Ces droits permettent de défendre la liberté individuelle à l’égard de l’Etat.

 

- Cette conception s’articule sur la représentation d’un Etat minimum se bornant à protéger l’autonomie des citoyens. Les droits sociaux impliquent au contraire que l’on attende de l’Etat la capacité de fournir des services, d’intervenir dans la sphère sociale, notamment pour assurer une meilleure répartition des richesses et corriger les inégalités Þ Etat-Providence capable de contribuer, par des prestations positives, à la naissance de cette “sécurité matérielle” garantie à chacun.

 

- De là un clivage entre la tradition libérale et la tradition socialiste : la perspective libérale souligne le danger de toute politique qui se préoccupe de faire le bonheur des hommes; refus des droits-créances, idée que l’affirmation des droits sociaux est un premier pas en direction d’un Etat tentaculaire, sinon totalitaire. La perspective socialiste qui insiste sur les droits sociaux, et n’attache qu’une importance relative aux droits-libertés considérés comme des droits purement formels; valeurs de la justice sociale privilégiées.

 

- Pourtant, il n’y a pas d’opposition entre les droits civils et politiques, et les droits sociaux, et ce pour trois raisons (nous reprendrons ici l’analyse de P. Canivez, in Eduquer le citoyen ?) :

 

1.     Fondement moral des droits de l’homme : reconnaître à autrui la qualité de sujet, c’est lui reconnaître ipso facto le droit à l’éducation ; l’un des droits fondamentaux de tout homme, avec la liberté, est d’avoir les moyens intellectuels de la liberté. Or, l’éducation, si l’on veut qu’elle soit efficace, suppose les droits sociaux, c’est-à-dire un minimum d’aisance matérielle.

 

2.     Le problème n’est peut-être pas de défendre l’individu contre l’Etat, dans la perspective libérale, condamnant ainsi les droits sociaux, mais de défendre l’Etat de droit qui doit intervenir pour garantir l’éducation et l’instruction de tous. L’intervention de l’Etat dans la vie sociale fait partie des garanties du respect des droits de l’homme. Dès lors, le respect des droits de l’homme se confond avec la revendication de l’Etat de droit. Les droits de l’homme sont à la fois une idée morale et une conception politique : ils définissent une certaine conception de l’Etat, fondée sur le respect inconditionnel de la personne ; il s’agit de pousser l’Etat à s’organiser en vue d’un respect toujours plus grand de l’égalité des individus en tant que sujets;

 

3.     Passé un certain degré de développement, un Etat qui veut rester puissant ne peut pas se permettre de nier les droits de l’homme : ces derniers sont la condition fondamentale de la participation active des citoyens à l‘effort collectif; intégrer les individus dans la société, en liant les droits sociaux à un travail qui, pour être performant, doit être perçu comme un intérêt. Ici le respect des droits de l’homme  répond à une nécessité sociale et à un calcul politique (rappelons que ce point a été développé par Kant à propos de la possibilité de la paix mondiale, in Idée d’une histoire universelle…).

 

 

3)     CRITIQUES ET DEFENSE DES DROITS DE L’HOMME

 

3.1 – Critiques des droits de l’homme

 

- Loin d’être une évidence, les droits de l’homme ont été et sont toujours contestés. Venues d’horizons divers, on peut grouper ces critiques en trois catégories :

 

1.     Critiques traditionalistes et naturalistes 

 

- Les doctrines racistes ou fascistes notamment. La déclaration des droits de l’homme est un artifice humain qui contredit les hiérarchies naturelles et sape le principe d‘autorité nécessaire à la cohésion sociale.

 

2.     Critiques du formalisme des droits de l’homme

 

- Des courants très divers constituent ce courant critique qui reproche aux droits de l’homme leur abstraction. L’homme est toujours le produit d’une histoire, et cette histoire n’est pas universalisable. D’une part, l’homme en général n’existe pas : il n’existe que des peuples qui ont des traditions et des histoires spécifiques ; d’autre part, le droit ne peut être que positif, c’est-à-dire relever d’une certaine dynamique nationale, d’un certain esprit qui n’est jamais transposable. Enfin, chaque pays est à un moment de son histoire, et ne peut prétendre faire table rase du passé et tout reconstruire brutalement. L’idée de droits anhistoriques d’un homme général et donc abstrait serait une pure fiction intellectuelle déconnectée de la réalité. Fiction dangereuse puisqu’elle n’envisage pas les devoirs que chacun a envers la communauté à laquelle il appartient.

 

- C’est notamment la critique qu’adressent Marx et les anarchistes aux droits de l’homme. Les droits de l’homme sont purement formels et sont vides de tout contenu effectif. Ils sont un des éléments de l’idéologie dominante et tendent à entretenir la fiction de l’universel que prétend incarner l’Etat bourgeois.

 

- Ces droits redéfinissent l’homme comme “homme égoïste” et “séparé de la communauté” ; l’homme devient une “monade isolée, repliée sur elle-même”. La liberté est à comprendre comme indépendance, c’est-à-dire séparation, repliement sur la propriété dont la sûreté est également assimilée à un droit. Les droits de l’homme sont en fait ceux du propriétaire. Cette nouvelle conception de l’homme correspond à la spécificité du mode de production capitaliste en tant qu’il se différencie du mode précédent. Les droits de l’homme ne sont pas transcendants à l’histoire mais en sont un produit ponctuel appelés à être dépassé.

 

- En conséquence,  ces droits ont beau prétendre valoir pour tous, ils ne valent que pour ceux qui possèdent quelque chose. Quel sens peut bien avoir le droit à la sûreté et à la propriété quand on ne possède rien et que l’égalité n’est que formelle ?

 

- La distinction de la société et de l’Etat, de l’homme et du citoyen, sur laquelle reposerait l’idéologie des droits de l’homme est contestée. Marx condamne, dans la société bourgeoise, l’autonomisation de la société civile par rapport à l’Etat qui s’exprime notamment par la séparation des droits de l’homme et des droits du citoyen. La distinction de l’homme et du citoyen n’a lieu en réalité que pour garantir plus sûrement le libre jeu des intérêts privés qui continuent de régir les relations entre les hommes. La société bourgeoise reste, malgré la générosité de ses intentions affichées, une société égoïste, orientée vers le profit privé et fondée sur des rapports de force qui tendent à isoler les individus les uns des autres. Il s’agit pour Marx de soumettre la société civile au principe de l’intérêt commun dont l’Etat prétend se faire l’instrument, de réintégrer le civil dans le politique, la société dans l’Etat, permettant ainsi la disparition de l’Etat comme sphère distincte de la société.

 

- La position libérale entend, au contraire, protéger la distinction entre société et Etat, ce pour quoi la référence aux droits de l’homme doit être mobilisée. En effet, la valorisation de la division entre société et Etat implique la présence insistante, dans la tradition libérale, d’un discours sur les droits de l’homme, ces derniers étant considérés comme des limites capables de prévenir les risques d’une confusion totalitaire entre le civil et le politique. Mais référence aux seuls et authentiques droits de l’homme qui sont les droits-libertés. Refus de l’idée de justice sociale considérée comme inégalitaire.

 

3.     Critique relativiste

 

- Cette critique relativiste, la plus redoutable et inexpugnable, est dirigée contre l’universalité des droits de l’homme.  Ces droits renvoient à une certaine conception de l’homme qui est née en occident et qui ne vaudrait que pour ceux qui appartiennent à cette culture.

 

- Le relativisme est une doctrine très séduisante et fort utile, qui fonde le principe de la tolérance et du respect des autres, comme l’a si bien montré Montaigne dans Les Essais.

 

- Le relativisme semble d’abord avoir de son côté les sciences humaines (l’ethnologie et la sociologie notamment) qui nous apprennent que les cultures sont diverses et spécifiques : la culture est considérée comme l’ensemble des pratiques, des croyances, des institutions qui font l’unité d’un peuple ou d’un groupe social.  Idée d’une relativité des cultures : elles sont toutes spécifiques, aucun critère ne permet de décider si l’une est supérieure à l’autre; les droits de l’homme sont l’expression d’une culture occidentale; il est donc illégitime d’en tirer argument pour condamner certaines pratiques qui ont un sens dans d’autres cultures. Ainsi la soumission de la femme dans certains pays, la pratique des mutilations sexuelles ne pourrait - elles être condamnées au nom des droits de l’homme puisque ce serait une sorte de « racisme culturel » que de dénoncer une culture différente qui possède ses valeurs propres. Le refus de l’ethnocentrisme empêche de juger; la compréhension de l’univers culturel impose d’accepter. Définition de la tolérance comme acceptation inconditionnelle des différences.

 

- La position relativiste est implicitement celle du positivisme juridique : la réduction du droit au fait, le refus d’une norme du droit – le droit naturel – s’appuient généralement sur le constat de la variabilité des systèmes de droit, suivant les Etats, les traditions nationales, les religions, etc. Vouloir ramener cette diversité à des principes communs, c’est se comporter de manière purement extérieure et manquer la compréhension de chaque système de droit positif.

 

- La question que pose la critique relativiste est de taille : l’idée de liberté et d’égalité entre individus est-elle universalisable ? Au nom de l’égalité entre les cultures, peut-on accepter ailleurs l’inacceptable chez soi (l’excision des filles, la soumission des femmes, le travail des enfants, l’esclavage, etc.) ? L’attitude morale contraint-elle à respecter les différences entre les cultures ou à dénoncer des violences qui restent immorales quand bien même elles seraient le produit d’une autre culture ? La compréhension de la culture de l’autre conduit-elle à l’acceptation de tout ou y a-t-il des valeurs transcendantes aux cultures et à leur relativisme ?

 

3.2 - Les limites de ces critiques. Défense des droits de l’homme

 

- Nous limiterons cette partie à la mise en évidence des dangers et paradoxes du relativisme qui semble être la position critique la plus difficile à infirmer.

 

- Le relativisme peut conduire à une position d’acceptation de l’ordre existant. Il peut même devenir, au nom de l’exotisme, un auxiliaire du sous-développement. Si l’on ne peut pas juger le droit, au nom de quoi va-t-on refuser des lois manifestement inacceptables ?

 

- Certes, la relativité des cultures est un fait. La compréhension d’une culture est un principe de non-violence et de tolérance. Mais la tolérance et l’acceptation des différences ne sont pas les seules valeurs morales. La liberté, le respect de la dignité humaine sont sans doute des valeurs bien plus fondamentales. Comprendre, connaître ne signifient pas accepter ; la connaissance ne saurait se substituer  au jugement, la science ne remplace pas la morale (comprendre les causes, les circonstances d’un crime n’implique pas de l’accepter, comme le montre le fonctionnement d’un procès judiciaire). Or, le relativisme aboutit justement à cette idée que le nazisme, l’intégrisme religieux sont compréhensibles et donc acceptables.

 

- Cette question du relativisme nous invite à réfléchir sur la signification de la tolérance puisque, sur le plan moral, c’est au nom de la tolérance que le relativisme prétend se justifier. Or, être tolérant, est-ce tout tolérer ? En réalité, même pour un esprit tolérant – et surtout pour lui ! – il y a de l’intolérable, de sorte que la tolérance sans limite paraît synonyme d’indifférence ou d’acceptation passive de tout. Donnons un exemple.

- Sur le plan politique, une mentalité tolérante, c’est-à-dire démocratique, ne risque-t-elle pas de se condamner à disparaître si elle admet comme tolérables les opinions et les actes qui cherchent à la contester ou à la détruire (faut-il accorder la liberté aux ennemis de la liberté ?) ? L’intolérance ne peut que se fortifier si elle ne rencontre pas d’obstacles (voir, en France, le débat sur les responsabilités quant à l’émergence politique et électorale des organisations d’extrême-droite). Etre tolérant ici, c’est ne reconnaître comme admissibles que les formes « faibles » de l’intolérance, capables de s’insérer dans un débat, et compatibles avec la démocratie et le respect de la personne humaine.

 

- Si l’on définit la tolérance comme le principe fondé sur l’égale liberté et dignité des convictions qui exige de ne pas contraindre une opinion lorsqu’elle est contraire à la sienne, la tolérance suppose la réciprocité. Lorsque celle-ci n’est pas établie, l’intolérable apparaît (camps d’extermination, génocides, tortures, etc.). La tolérance n’est pas synonyme d’un relativisme absolu des valeurs qui n’aboutit qu’à la disparition de toute exigence éthique. Si les comportements s’enracinent bel et bien dans des cultures différentes, cela ne signifie pas que tout doit être justifié. Doivent demeurer intolérables les pratiques qui mettent en cause l’intégrité de la personne humaine. La tolérance se veut du côté de la raison et de l’universalité.

 

- Il ne suffit donc pas de prendre en compte la relativité des cultures, il faut reconnaître également l’universalité de certains principes éthiques dont la validité n’est pas limitée au domaine d’une culture donnée. Ces principes, ces normes sont posés comme transcendants, dès lors qu’ils sont définis, non comme un fait, mais comme un idéal dont il faut sans cesse se rapprocher. De même, les sciences humaines ne peuvent rien démontrer contre une exigence de liberté puisqu’elles reposent elles-mêmes sur la certitude - ni démontrée ni démontrable - que la liberté et l’universalité sont possibles. Les sciences humaines ne peuvent nier la certitude de la liberté et le devoir de la préserver qu’en niant leur propre fondement.

 

- Il est dès lors possible de concilier la science et le droit : la compréhension scientifique n’implique pas l’approbation inconditionnelle. La relativité des cultures et les droits de l’homme ne se situent pas sur le même plan. Notre façon de vivre comporte, en effet, un certain arbitraire, de sorte qu’on peut la comparer avec d’autres modes d’existence. Mais les principes de jugement fondés sur le respect de la personne nous servent pour juger de notre propre façon de vivre. Le principe moral qui sert de critère fonde un jugement critique. Il ne définit pas un mode d’existence parmi d’autres. Il ne nous dit même pas quel mode d’existence il faut adopter (cela dépend de l’inventivité, des goûts propres à l’individu…).

 

- Ce principe critique définit ce qui, dans notre façon de vivre aussi bien que dans n’importe quelle autre, est inacceptable. Les droits de l’homme ne promettent rien : principes d’évaluation critique, ils permettent de déterminer ce qui n’est pas acceptable; ils ne fournissent aucun programme d’action; ils déterminent les critères qui permettent de juger. Ils reposent sur un critère comparable à celui de la loi qui prévoit, par exemple, des sanctions pour « non assistance à personne en danger » (Code pénal, art. 63). L’obligation d’assistance ne contient pas la promesse que tous les accidents seront sauvés. Mais on peut être condamné pour n’avoir rien tenté.

 

- Enfin, on peut remarquer qu’un accord, au moins formel, est possible sur la définition d’une éthique universelle, malgré la diversité des civilisations et la relativité des cultures. La Déclaration universelle de 1948, par exemple, a été adoptée à une quasi-unanimité (aucun Etat n’a voté contre, et huit seulement, contre quarante-huit, se sont abstenus), même si, bien évidemment, il y a une distance entre l’affirmation des principes et la réalité des pratiques. Les droits de l’homme, en somme, ne sont pas une culture; ils définissent les principes formels qui permettent de juger des cultures, à commencer par la nôtre.

 

Conclusion :

 

- Le droit désigne donc non seulement l’ensemble des lois existantes qui se forgent dans le temps et dans l’espace au gré des rapports de forces, mais aussi un principe évaluatif qui définit le légal et le légitime. L’idéal  étant que le légal et le légitime coïncident, sans pour autant que le légitime perde sa fonction évaluatrice et critique. Qu’il ait son fondement dans quelque ordre transcendant (Dieu) ou immanent (nature) ou dans la volonté consciente et raisonnable des hommes (les doctrines du contrat social), le droit a pour fonction de faire régner la justice et l’ordre dans la cité, en garantissant la coexistence des libertés. Si le droit et la justice ne s’épuisent pas dans le droit positif, on peut lire dans les droits de l’homme une incarnation authentique de l’exigence d’universalité et de distanciation critique par rapport à la sphère du fait. En ce sens, la justice est bel et bien la vertu et la norme du droit. La question du fondement du droit débouche alors sur celle de la nature de la justice.

 

 

II) LA JUSTICE, VERTU ET NORME DU DROIT

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- La justice se dit en deux sens : comme conformité au droit et comme égalité ou proportion. Nous jugeons injustes aussi bien l’écart trop criant des richesses que la transgression de la loi; le juste, au contraire, est celui qui ne viole ni la loi ni les intérêts légitimes d’autrui, ni le droit en général ni les droits des particuliers. La justice se joue donc tout entière dans ce double respect de la légalité, dans la cité, et de l’égalité entre individus. Mais ces deux sens, quoique liés (il est juste que les individus soient égaux devant la loi), n’en sont pas moins différents : la loi peut être injuste et il est alors juste de la combattre, de la violer.

 

- D’où le second sens de la justice, non plus la justice comme fait (la légalité), mais la justice comme valeur ou comme vertu (l’égalité, l’équité). Lorsque nous disons d’une décision de justice qu’elle est injuste, nous mesurons une réalité à l’aune d’une idée, d’un idéal. Que désigne exactement cette idée ? Comment la justice comme institution peut-elle être juste ?

 

A) LES DIFFERENTES DEFINITIONS DE LA JUSTICE

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- Il est possible de ranger toutes les conceptions de la justice en deux groupes : ou bien la justice est définie par la hiérarchie (c’est le cas des sociétés holistes), ou bien la justice est définie par l’égalité (c’est le cas des sociétés individualistes d’aujourd’hui). La notion d’égalité se donne elle-même à penser sous différents aspects.

 

1)     La justice comme hiérarchie   

- Les sociétés anciennes et primitives se conçoivent comme inégalitaires, l’ordre social étant souvent représenté comme homologue à l’ordre cosmique : le Tao en Chine, le Dharma en Inde, le cosmos  en Grèce désignent un ordre universel au sein duquel la société humaine constitue un microcosme. Dès lors, la justice est définie comme le respect de cet ordre, l’injustice comme sa transgression.

 

- On peut donner l’exemple de la conception aristotélicienne de l’esclavage : Aristote pense qu’il y a des esclaves par nature, comme il y a des hommes faits pour commander ; en voulant se révolter contre son sort, l’esclave commettrait une double injustice, d’abord en volant son maître (l’esclave est considéré comme la propriété de celui-ci), d’autre part en violant l’ordre social fondé sur l’esclavage.

 

- Dans une telle conception, la justice n’est que l’observation d’un ordre absolu, éternel, transcendant les individus et les consciences, ordre donc indépassable, de sorte que l’opposition entre le légal (ce qui est conforme aux lois positives) et le légitime (ce qui est conforme à la loi morale ou à celle, supérieure, de la raison) n’a pas lieu d’être : la réalité et la norme, que la conscience moderne distingue volontiers, se confondent et l’injustice découle précisément de la volonté de disjoindre l’être et le devoir-être.

 

- Il serait intéressant d’étudier de près le système des castes en Inde pour comprendre comment cette conception hiérarchique de la justice fonctionne réellement et à quel système de valeurs elle renvoie. La complexité de la question nécessiterait un cours spécifique. Aussi renvoyons-nous les élèves intéressés par ce thème aux ouvrages suivants : Le système des castes de Robert Delège (Puf, collection « Que sais-je ? », 1993) et Homo hierarchicus, le système des castes et ses implications de Louis Dumont (Tel Gallimard, 1966).

 

- On peut dégager à grands traits l’évolution de la conception de la justice.

 

- Chez les Anciens, comme nous l’avons signalé plus haut, la justice est liée à une conception aristocratique fondée sur la hiérarchie sociale : à chacun selon son rang dans la hiérarchie naturelle (selon Aristote, par exemple, la justice est la proportionnalité au mérite).

 

- Au XVIIIe siècle, apparaît une conception démocratique de la justice qui s’incarne notamment dans les différentes déclarations des droits de l’homme : idée que tous les hommes sont égaux en droit, même s’ils ne le sont pas en fait.

 

- Au XIXe siècle, une conception sociale de la justice émerge, en rapport avec la réflexion sociale sur la misère et le développement du mouvement socialiste.

 

- Aujourd’hui, l’évolution de la justice va dans le sens d’une individualisation, d’une intériorisation de la justice (on se prétend toujours plus facilement victime d’injustice, frustré, opprimé), d’une universalisation (quand un droit est revendiqué, il l’est pour tous : le droit de vote qui s’est étendu à tous les hommes, puis aux femmes, bientôt aux étrangers), d’une plus grande attention au réel concret (la question est davantage de définir les conditions d’application de la justice que son contenu).

 

2)     La justice comme égalité

 

- Le sentiment d’injustice naît souvent de l’expérience de l’inégalité dont un sujet est victime, expérience qui se traduit par un sentiment de révolte et une exigence impérieuse de justice. Si les sociétés modernes définissent la justice par l’égalité, que faut-il entendre exactement par égalité ?

 

2.1 – Egalité et identité, égalité de droit et égalité de fait

 

- Distinguons d’abord égalité et identité. Dire que les hommes sont égaux ne signifie pas qu’ils soient « pareils ». A ceux qui prétendent que l’égalité entre les hommes est impossible parce que les hommes sont différents, il convient de répondre que l’exigence d’égalité n’est pas un rêve naïf d’uniformisation des individus.

 

- Ne pas confondre non plus identité et ressemblance. L’identité désigne le caractère de ce qui reste tel qu’il est. Lorsqu’on dit de deux jumeaux qu’ils se ressemblant comme deux gouttes d’eau, ils ne sont pas identiques pour autant : deux jumeaux n’ont pas les mêmes cicatrices, ils n’on tpas mangé la même chose depuis leur naissance, etc. Il n’y a pas d’identité entre deux êtres humains, pas plus qu’entre deux grains de sable ou deux feuilles d’arbre. La réalité physique n’est faite que de différences (Leibniz appelle cela le principe des indiscernables).

 

- Moralité : s’il y a égalité possible parmi les hommes, ce ne peut être que sur le fond de leurs différences multiples. La différence implique donc l’idée d’égalité et ne l’exclut pas : c’est précisément parce que les individus sont différents que les hommes peuvent et doivent être égaux. Si les hommes étaient égaux, pourquoi voudrait-on l’égalité ?

 

- Les hommes sont certes inégaux de fait : inégalités de naissance, qui ne sont pas toutes des inégalités naturelles (l’inné peut être le résultat d’une longue histoire, voire de l’influence environnementale in utero : par exemple, l’alcoolisme maternel peut entraîner chez le foetus le « syndrôme alcoolique foetal », qui se traduit notamment par une débilité mentale irréversible) ; inégalités acquises, que la société creuse et démultiplie (inégalités de richesse, d’intelligence, etc.).

- De ce que les hommes sont inégaux, il ne s’ensuit donc pas qu’ils doivent le demeurer ; on ne justifie pas une valeur par un fait. Une différence ne peut être transformée en inégalité qu’à partir d’une mesure, d’un étalon, d’un critère qui sont fonction de celui qui les choisit (si je dis qu’un tel est supérieur à un autre, je dois dire en quoi, selon quel critère : intelligence, beauté, richesse, etc.).

 

- C’est l’esprit de la déclaration française des droits de l’homme de 1798 : si les hommes sont inégaux de fait, ils « naissent libres et égaux en droit » (article 1) des droits. La tâche que doit réaliser la civilisation, le droit, l’Etat est de supprimer ou de réduire autant que faire se peut cette inégalité. Même si la science venait donner raison au racisme et confirmait l’existence d’éventuelles inégalités naturelles, cette découverte n’évacuerait pas la question de savoir quelle devrait être l’attitude d’un démocrate face à cette découverte. L’inégalité, fût-elle avérée, ne devant pas se traduire, pour le démocrate, par l’attribution de privilèges juridiques ou politiques (la dignité de l’être humain est une donnée morale et non matérielle).

 

- Cette question du rapport entre egalité et inégalité sera aprofondie dans la partie suivante.

- Mais si les hommes doivent être égaux, que faut-il entendre par égalité ? Si l’on définit l’égalité comme le principe selon lequel les individus doivent être traités de la même façon, il convient de distinguer plusieurs formes d’égalités qui ne se recoupent pas nécessairement : l’égalité métaphysique, juridique, distributive, corrective, sociale et économique

 

2.2 – L’égalité métaphysique

 

- Ce type d’égalité émane des grandes religions – bouddhisme, christianisme et islam.

 

- Pour le Bouddha, en rupture avec la hiérarchie des castes de al société indienne, tout homme, quel qu’il soit, peut atteindre le nirvana et se libérer de la souffrance du désir. De même, pour les grandes religions révélées, tous les hommes sont frères puisqu’ils ont tous le même Père, Dieu créateur. Aux yeux de Dieu, aucun homme ne vaut a priori plus ou moins qu’un autre, seules comptent l’intensité de sa foi et la valeur de ses actes.

 

- Le christianisme considère avant tout l'individu comme un prochain, indépendamment de l'usage qu'il peut faire de sa raison. Les " simples " sont aussi mes frères, et aussi les méchants. Tous les hommes sont également les créatures de Dieu, ils sont égaux en tant que créatures : " Je me dois aux Grecs comme aux barbares, aux gens cultivés comme aux ignorants " (Saint Paul, Epître aux Romains, 1, 14).

 

- La cité nouvelle, celle du peuple de Dieu, intègre en son sein tout homme sans distinction d'appartenance religieuse, sociale, ethnique, sexuelle : " Vous n'êtes plus des étrangers ou des immigrés, vous êtes de la même cité que tout le peuple de Dieu " (Epître aux Ephésiens, II, 18-19). L'Eglise est une nouvelle communauté universelle : les membres de cette Eglise sont membres du Corps du Christ, le Corps mystique. Cette Eglise n'est pas l'addition de sous-ensembles particuliers, c'est une création, image du Créateur.

 

- St Augustin oppose la Cité du pèlerinage et la cité d'oppression : chacun doit s'arracher à ses lieux, à son identité pour pérégriner dans le monde, vivre d'amour dans l'universelle charité. Pour St Augustin, le précepte juif de l'amour du prochain est défini comme la totalité des hommes : il n'est pas limité à l'immédiate proximité mais ouvert au plus lointain. Le prochain, c'est le semblable, l'autre que moi et l'autre moi. Ce n'est pas la parenté, le voisinage qui définit le prochain, c'est tout homme, c'est quiconque appartient au genre humain : " Tu es seul et tes proches sont nombreux. Comprends-le bien, en effet, ton prochain n'est pas seulement ton frère, ton parent, ton allié. Tout homme a pour prochain tous les hommes…Rien n'est si proche qu'un homme et un autre homme " (St Augustin, De disciplina Christiana, III, 3).

 

- Le prochain, c'est celui qui s'approche de l'homme dans la détresse et non pas celui qui est spontanément proche. Faisons remarquer, au passage, que l'interprétation raciste ou nationaliste de la notion de prochain en termes de préférence due aux « Français de souche » (le célèbre « La France aux français ») est une lecture dévoyée et perverse de la notion biblique de prochain.

 

2.3– L’égalité juridique

 

- C’est celle qui est proclamée et garantie par l’article premier de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 : les hommes naissent et demeurent libres égaux en droits. Egalité de tous devant la loi qui garantit qu’un homme n’est pas jugé pour ce qu’il est mais pour ce qu’il fait et pour l’infraction qu’il a commise. Cette égalité juridique s’oppose à l’arbitraire et garantit que le ministre, le chef d’Etat ont les mêmes devoirs au regard de la loi que le citoyen de base. Les droits et les devoirs sont en théorie les mêmes pour tous. Et si tel n’est pas toujours le cas, il est possible de défendre ce principe devant les tribunaux et de déférer devant les tribunaux le ministre ou l’homme politique corrompu.

 

- Cette notion d’égalité juridique est précisément un des fondements de l’Etat de droit. Le citoyen peut faire valoir ses droits contre les prétentions et l’arbitraire du gouvernement ou de l’administration. Dans l’Etat autocratique, au contraire, le citoyen ne dispose d’aucun recours légal contre les actes de l’administration. Ce recours, dans un Etat de droit, existe soit devant les tribunaux ordinaires, soit devant des cours spéciales. Le citoyen peut obtenir du gouvernement ou de l’administration, si sa plainte aboutit, soit qu’une mesure illégale soit invalidée, soit qu’un tort soit redressé (dommages-intérêts, restitutions…). Le gouvernement et l’administration sont donc soumis au juge et les organes du gouvernement sont tenus d’exécuter les décisions judiciaires. Cela exclut les emprisonnements arbitraires, l'usage de la violence est limité.

 

2.4  – La justice distributive

 

- Aristote distingue trois formes de justice et d’égalité : la justice distributive qui concerne les rapports entre l’Etat et les citoyens pour la distribution des biens et des honneurs ; la justice corrective qui a trait aux torts et à leur réparation ; la justice commutative qui porte sur les contrats.

 

- Ce qui revient à chacun, est-ce exactement autant ? Il y a des cas où il serait injuste de réserver à tous le même traitement. L’égalité n’est pas tout. Est-il juste, le juge qui inflige à tous les accusés la même peine ? Le professeur qui attribuerait à tous les élèves la même note ?

 

- L’égalité est ici définie comme égalité de proportions. La justice distributive concerne essentiellement les biens de l’Etat, même si elle est également à l’oeuvre dans les relations interpersonnelles. Les récompenses doivent être proportionnées aux mérites. Dans une famille, par exemple, ce qui est juste, ce n’est pas de donner la même part d’argent de poche à chaque enfant, mais de les distribuer à proportion de l’âge et des besoins. Le bon candidat recevra la bonne note, le mauvais candidat la mauvaise note. Notion de mérite : si un salarié fournit un travail plus important ou de meilleure qualité, on peut envisager de lui donner un salaire supérieur; si un crime plus grave a été commis, la sanction doit être plus lourde. Le mérite  est la valeur morale, considérée en fonction des efforts déployés par le sujet pour surmonter des difficultés ou vaincre des obstacles. Ces efforts rendraient la personne estimable.

 

- Selon Aristote, toute société est forcée de définir des normes de classement si elle ne veut pas être injuste en traitant tous les hommes de la même manière, l’injustice étant de traiter également ce qui est inégal. On peut ainsi rapprocher la justice distributive d’Aristote des procédures par lesquelles les Etats modernes attribuent les emplois publics en proportion du mérite (par les diplômes, les concours, l’ancienneté, etc.), et non par des relations d’amitié (le « piston ») ou selon le bon vouloir des dirigeants.

 

2.5 – La justice corrective

 

- Cette question de la justice corrective sera approfondie dans le chapitre consacré à la sanction pénale et au problème général du rapport entre la force et le droit.

 

- La justice corrective relève de ce qu’on appelle aujourd’hui la justice pénale. C’est l’égalité arithmétique stricte qui l’emporte ici. La loi n’envisage que la nature de la faute, sans égard pour les personnes qu’elle met sur un pied d’égalité. Celui qui commet une injustice crée une inégalité. La justice rétablit alors la mesure en infligeant au fautif une peine qui compense négativement l’avantage que lui avait procuré la faute, et en donnant à la victime des indemnités qui compensent la perte causée par l’injustice.

 

- Ne pas confondre la justice corrective et la loi du talion. Cette dernière affirme que quand on subit le tort qu’on a fait, c’est pure justice. Or, dans les cas des torts faits à l’autorité, cette loi du talion est insuffisante : si quelqu’un frappe un magistrat, la simple réciprocité ne suffit pas, il doit y avoir une punition supplémentaire car, si un particulier frappe un magistrat, c’est la cité tout entière qui est lésée. Il convient d’autre part d’établir une différence entre faute volontaire et faute involontaire : l’homicide par imprudence n’est pas puni aussi sévèrement que l’assassinat.

 

- L’idée de la justice corrective comme balance des torts causés et des peines pose de nombreux problèmes :

 

·       répondre au mal par le mal, ce n’est pas annuler le mal : exécuter le condamné, dans le cas de la peine de mort, par exemple, ce n’est pas ressusciter la victime ;

 

·       il y a dissymétrie entre le tort que l’on fait et celui que l’on subit : « Mais si forcément il devait y avoir ou l'injustice commise ou l'injustice subie, je choisirais de la subir, plutôt que de la commettre », « le plus grand des maux est de commettre l'injustice » (Platon, Gorgias). Il vaut sans doute mieux subir que faire et il est plus grave d’avoir plus que d’avoir moins.

 

2.6 – La justice commutative

 

- C’est celle qui préside aux échanges, aux contrats (l’achat, la vente, par exemple). Son principe est la réciprocité ; elle doit respecter l’égalité entre les choses échangées, quelles que soient les différences des individus : un échange est juste lorsque les deux termes échangés ont la même valeur, lorsque chacun d’eux est échangeable contre un même troisième; deux quantités égales à une même troisième sont égales entre elles.

 

- Derrière cette équivalence des objets échangés, il y a égalité entre les sujets qui échangent, égalité non pas de fait, mais de droit. Symbole de la balance : la justice est la vertu de l’ordre équitable et de l’échange honnête. Règle d’or de la justice selon Alain : « dans tout contrat et dans tout échange, mets-toi à la place de l’autre, mais avec tout ce que tu sais, et, te supposant aussi libre des nécessités qu’un homme peut l’être, vois si, à sa place, tu approuverais cet échange ou ce contrat ».

- L’égalité est ici non pas de fait, mais de droit, entre les sujets qui échangent, malgré les inégalités de fait, ce qui suppose que ces sujets soient tous également informés et libres pour ce qui touche à leurs intérêts et aux conditions de l’échange. Par exemple, si l’on vend une maison, la justice est d’informer l’acquéreur éventuel de tout vice.

 

- Si la justice est l’égalité arithmétique ou proportionnelle, se pose alors le problème du rapport entre l’égalité et l’inégalité : les hommes sont égaux arithmétiquement dans certains domaines, tout en étant inégaux dans d’autres. La règle de l’égalité et de la proportionnalité sont insuffisantes pour dicter une décision juste car elles n’ont aucun contenu précis : la règle de l’égalité permet de dire que deux personnes qui ont commis le même vol doivent recevoir le même châtiment; mais elle ne nous dit rien sur la nature d’un juste châtiment du vol (amende, prison, peine capitale, etc.). De même, la règle de la proportionnalité énonce que les châtiments doivent être proportionnels à la gravité du délit. Mais on ne sait pas comment on doit mesurer cette gravité. Comment décidera-t-on si un salarié doit être rémunéré en fonction de ses mérites ou de ses besoins, de ses aptitudes ou de l’utilité des services qu’il rend ? Il y a l’égalité des droits ou des citoyens devant la justice d’un côté, l’inégalité des fortunes de l’autre et la rétribution selon le mérite. La question reste alors de déterminer les justes proportions.

 

B) EGALITE, INEGALITE ET LIBERTE

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- L’opposition qu’introduit Aristote entre l’économique, dirigé vers la satisfaction des besoins, et la chrématistique, activité immorale visant à la recherche de la richesse pour elle-même, reste d’une grande actualité : si les inégalités qui subsistent ne sont admissibles que selon certaines proportions (par exemple pour les inégalités entre les fortunes), quelles sont les inégalités justes ? Quelle dose d’inégalité la société peut-elle supporter sans que le lien social lui-même soit remis en cause ?

 

1)     L’égalité, un principe difficile

 

- On peut d’abord estimer que le principe aristotélicien d’égalité est un principe purement formel, abstrait, qui doit s’appliquer dans la pratique à des individus naturellement inégaux ou différents. D’où la difficulté de déterminer ce qu’est le mérite. Exemple : comment définir un salaire juste ?

 

- L’égalité conduit à l’uniformité. Elle risque de devenir un principe de nivellement conduisant soit au totalitarisme, soit à l’anarchie. Reproche libéral : l’égalité, si elle dépasse la seule égalité formelle des personnes devant la loi pour s’étendre à la société ou à l’économie, détruit l’émulation, source de progrès.

 

- L’égalité peut aussi s’opposer à la liberté. Les libéraux, par exemple, accusent le principe d’égalité de conduire à des incursions de l’Etat dans le droit de propriété et dans l’activité économique. L’égalité s’oppose ainsi à l’efficacité en ce qu’elle contredit la liberté, c’est-à-dire le plein développement des potentialités de chaque personne. Ainsi le contrôle étatique des activités économiques ou la redistribution de la richesse par l’impôt décourageraient l’activité économique, au nom de la lutte contre les inégalités.

 

- Si l’on entend par liberté l’indépendance, la capacité d’agir sans contraintes, de faire ce que l’on veut (il s’agit de la liberté physique, telle qu’elle est communément définie, liberté fruste et sans doute illusoire), tout semble effectiveemnt opposer la justice et la liberté : la justice ne condamne-t-elle pas parfois à la réclusion, c’est-à-dire à la privation de la liberté physique ? Les lois, en tant qu’elles sanctionnent, ne constituent-elles pas des obstacles majeurs à la liberté individuelle ?

 

- Or, la définition même de la justice implique, nous l’avons vu, une égalité de droit de tous devant la loi : la loi est censée concerner tous les membres de la société, sans distinction de classe, d’origine, d’opinion, etc. Il apparaît alors que, par principe, chacun doit être soumis à ce que dicte la loi, toute transgression de cette dernière devant être sanctionnée par la justice.

- Mais si chacun doit obéir à la loi, qu’en est-il de sa liberté ? Cette opposition entre la loi et la liberté n’est valable que si l’on pense que la liberté individuelle doit et peut régner sans contrainte. Le règne d’une telle liberté ne peut se réaliser que dans une existence isolée et a-sociale, c’est-à-dire finalement dans une situation où, comme l’a montré Hobbes, c’est l’arbitraire, la loi du plus fort, la guerre, l’injustice qui règnent. La solution passe alors par la constitution du corps politique, laquelle implique une redéfinition du concept de liberté.

 

- Mentionnons, entre autres auteurs, Rousseau qui, dans Le contrat social, établit que la vraie liberté, civile et politique, n’apparaît que par l’obéissance à la loi. Ce n’est qu’à partir d’une liberté ainsi conçue que la justice peut avoir un sens : elle devient possible puisque l’obéissance à la loi est la même chez tous les citoyens (elle instaure une égalité). Ce problème de l’articulation du droit et de la libeté sera repris et approfondi dans le cours sur la liberté. Nous ne le développons pas ici afin de ne pas allourdir ce cours.

 

2) Liberté et inégalités

 

- Les inégalités de pouvoir sont généralement justifiées de deux manières. On peut d’abord affirmer que les droits des individus ne concernent que la sphère privée, le pouvoir est une question technique dont l’administration doit être confiée aux spécialistes. On peut aussi renoncer à l’idée que tous les hommes sont égaux en dignité et qu’ils ont un droit égal à participer à la vie politique (cf. Les idéologies fascistes, racistes).

 

- De même l’inégalité des fortunes peut-elle être justifiée comme une des formes de l’égalité proportionnelle : ceux qui ont le plus de talent ou le plus de mérite reçoivent la juste récompense de leurs efforts. Mais pour qu’une telle assertion soit juste, il faudrait que chaque individu puisse, au départ, disposer des mêmes chances.

 

- A noter d’abord que l’opposition de la liberté à l’égalité ou à la justice (cf. Supra) au nom des différences revient à privilégier un certain type de différences, mesurable par la position dans la hiérarchie ou dans la fortune. Les deux principales inégalités qui menacent alors la justice sont les inégalités de pouvoir et de fortune.

 

- Rousseau, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, montre que la vraie raison des inégalités est d’ordre politique. Les inégalités sont nées d’une suite de hasards, d’accidents historiques et se sont maintenues par convention. Les inégalités, comme la propriété, ne résultent pas d’un ordre naturel ; elles se perpétuent par l’arbitraire social. Si, à l’état de nature, l’homme n’est ni bon, ni mauvais, ni maître, ni esclave, c’est la société qui fait les dominants et les dominés. Or, ce que la société fait, elle peut le défaire (c’est aussi le point de vie de Marx).

 

- Certes, une égalité absolue des conditions semble fort improbable. Mais une trop grande inégalité des conditions ne s’oppose-t-elle pas finalement à la liberté ? Que vaut la liberté de celui qui meurt de faim, vit dans une misère dégradante ? Une liberté qui laisse se développer l’inégalité des conditions, qui permet à celui qui possède une fortune immense de mettre à son service tous les pouvoirs (exemple des magnats de la presse qui contrôlent de facto l’information), d’imposer son intérêt particulier comme l’intérêt général, n’est - elle pas en contradiction avec elle-même ?

 

- Peut-être ne faut-il donc pas opposer égalité formelle et liberté effective.  C’est la thèse deHegel notamment. L’égalité absolue ne serait paradoxalement qu’un retour  à l’état de guerre. En effet, pour qu’existe une justice dans la société, il faut qu’il y ait un Etat, organisation introduisant des différences entre citoyens, gouvernants et gouvernés, entre ceux qui disposent de la force publique pour faire appliquer les lois et les citoyens ordinaires. Si l’on rejette ces différences, au nom d’une égalité absolue et de principe, on a une société dans laquelle il n’y a plus de possibilité de faire valoir la justice.

 

- D’autre part, l’égalité devant la loi suppose l’inégalité : la loi tient compte des différences des hommes pour être plus juste en transformant l’inégalité en égalité proportionnelle. Deux citoyens paieront la même somme d’impôts s’ils sont égaux en fortune et en revenus ; l’égalité devant la loi se traduira par la différence des contributions, reflétant la différence des moyens des contribuables.

 

- Il n’y a donc pas d’opposition entre liberté et égalité. La liberté est celle que donne la loi liant un droit et un devoir. Mon devoir envers l’Etat (payer des impôts, défendre la patrie, respecter les lois) est le revers de la protection que je puis exiger de la part de l’Etat pour le développement de mes aspirations et aptitudes personnelles. On peut alors affirmer, si l’on a une vision positive de l’Etat, que c’est seulement l’intervention de l’Etat qui peut empêcher les inégalités de se transformer en injustice.

 

- Au total, l’opposition entre liberté et égalité n’est pas satisfaisante et exige de reformuler la question de la justice en tentant de concilier la liberté et l’exigence d’égalité. A quelles conditions certaines inégalités sont-elles admissibles ? Comment concilier justice sociale et efficacité économique ? John Rawls, dans sa Théorie de la justice (1971), examine ces questions essentielles.

 

3) Une théorie moderne de la justice : John Rawls

 

- John Rawls s’intéresse aux principes qui président à la répartition adéquate des avantages sociaux et à l’attribution des droits et libertés. Ce qu’il formule dans cette oeuvre est la charte de la social-démocratie moderne. Il s’agit d’adopter une position équilibrée entre l’égalitarisme et le règne du marché pur et simple.

 

3.1 – Le voile d’ignorance

- Pour penser la justice comme équité et non comme simple légalité, pour déterminer les conditions théoriques qui permettent de définir les « inégalités justes »,  il faut mettre entre parenthèses les différences individuelles et l’attachement de chacun à ses intérêts égoïstes, c’est-à-dire libérer l’exigence de justice des trop particuliers. Il convient alors de recourir à une fiction: imaginer des hommes dans une “position originelle”, réunis pour choisir les principes et les règles devant guider la structure de la société et la répartition des biens essentiels (droits, libertés, richesses, etc.).

 

- Le voile d’ignorance est un schéma théorique qui pose la possibilité de déterminer les principes de justice par une libre délibération dans des circonstances précises. Ces circonstances sont les suivantes :  chacun ignorerait la place qui lui est réservée dans la société (“le voile d’ignorance”), sa position de classe, son statut social, son intelligence, sa force, etc. Grâce au “voile d’ignorance”, les personnes libres et égales ne tenteront pas d’utiliser à leur avantage les principes de justice, ce qui garantit du coup une procédure de délibération équitable puisque les parties en présence ne se décident pas en fonction de caractéristiques arbitraires. Il s’agit d’un rassemblement hypothétique d’égaux sans ego : le moi est injuste et l’on ne peut penser la justice qu’en mettant le moi hors  jeu; il s’agit de court-circuiter l’égoïsme. Ces individus opteraient donc, par hypothèse, pour l’organisation la meilleure pour tous, c’est-à-dire pour la solution qui serait la plus avantageuse globalement et qui ne sacrifierait aucune catégorie sociale

 

- Le voile d’ignorance est censé exclure tout marchandage, puisque je ne connais pas mes atouts. Sous le voile d’ignorance, chacun aurait intérêt à appliquer les stratégies issues de la théorie des jeux : maximiser ses chances en minimisant les risques ; comme je ne sais pas quelle sera ma situation, une fois levé le voile d’ignorance, j’ai tout intérêt à me prémunir par la meilleure égalité possible. Ainsi le voile d’ignorance définit-il la justice, non comme une norme a priori, mais à partir d’une procédure à suivre pour déterminer des propositions justes. En réalité, il s’agit de maximiser l’intérêt des plus défavorisés, de donner la priorité à la hausse des bas revenus.

 

3.2 – Les principes d’égale liberté et de différence

 

- Quels principes de justice vont émaner de la délibération de ces partenaires libres et égaux en situation hypothétique ? Quelles sont les inégalités justes ? A quelles conditions les inégalités sociales et économiques doivent satisfaire, étant entendu que ces dernières sont un fait avec lequel il faut composer ? Deux principes de justice seront élus :

 

1.     le premier principe (principe d’égale liberté) exige l’égalité des attributions des droits et des devoirs de base. Chaque personne a un droit égal à l’ensemble le plus étendu de libertés fondamentales, égales pour tous : “chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu de libertés de base égales pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres” (John Rawls). Ces libertés de base sont les libertés politiques (“droit de vote et d’occuper un poste public”); la liberté d’expression, de réunion, de pensée et conscience; liberté de la personne (“protection à l’égard de l’arrestation et de l’emprisonnement arbitraires”). Libertés qui doivent être égales pour tous. Ce premier principe, qui exprime l’engagement de Rawls en faveur du libéralisme, signifie que la liberté est le premier des biens et que la justice, conçue comme équité, est la répartition égale entre tous les hommes de cela même qui constitue leur valeur et leur dignité.

 

2.     le second principe (principe de différence) pose que les inégalités socio-économiques sont justes si elles produisent, en compensation, des avantages pour chacun, si elles bénéficient aux individus les moins favorisés. Il n’y a nulle injustice à ce qu’un petit nombre obtienne des avantages supérieurs à la moyenne, à condition que soit améliorée la situation des défavorisés: “les inégalités sociales et économiques doivent être organisées de façon à ce que, à la fois l’on puisse raisonnablement s’attendre à ce qu’elles soient à l’avantage de chacun et qu’elles soient attachées à des positions et à des fonctions ouvertes à tous” (John Rawls). Ce second principe concerne “la répartition de la richesse et des revenus”. Chacun doit bénéficier des inégalités économiques et sociales. Toute augmentation de l’avantage des plus favorisés est compensée par une diminution du désavantage des moins favorisés. D’autre part, il convient de s’attacher à des positions et à des fonctions ouvertes à tous selon une équitable égalité des chances.

 

- En somme, en vertu du principe de différence, les inégalités sociales sont acceptables si et seulement si elles sont raisonnablement avantageuses pour chacun (ces inégalités servent de stimulant à l’activité, elles augmentent les réserves totales de biens et de produits disponibles) et si elles sont attachées à des positions et des fonctions ouvertes à tous (principe de l’égalité des chances). Par exemple, le maintien d’une première classe dans le métro peut profiter à tous, si l’on décide d’en faciliter l’accès aux plus handicapés aux heures de pointe…

 

3.3 - Critique de la théorie de Rawls

 

- Cette théorie a été contestée à la fois par la « droite » et la « gauche », et renvoie à la fameuse question sociale qui généralement oppose une vision de type libéral à une approche socialiste ou social-démocrate.

 

- A « droite », on lui reproche de célébrer l’Etat-providence qualifié d’Etat-assistance (la théorie de Rawls insisterait sur la nécessité de prendre d’abord en compte l’intérêt des plus démunis). Problème de l’intervention de l’Etat pour corriger ou équilibrer les mécanismes ou les inégalités par le biais des impôts, par exemple. Cette intervention de l’Etat dans la vie économique compromettrait gravement les libertés individuelles, la liberté du marché notamment, et constituerait un obstacle au fonctionnement naturel de la société. Cette critique libérale repose, nous l’avons vu,  sur une opposition entre liberté et égalité et sur une conception « minimaliste » de l’Etat.

 

- A « gauche », au contraire,  on reproche à Rawls de légitimer le marché et le système économique libéral, en tentant de concilier l’inconciliable, savoir le marché, porteur d’inégalités économiques et de positions de pouvoirs au sein de la société (division de la société en classes sociales), et la liberté-égalité. Les plus radicaux insistent sur l’incompatibilité entre un régime de propriété privée des moyens de production fondé sur la recherche optimale du profit et le bien-être social.

 

 

 

C) LA VERTU DE JUSTICE

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- Outre sa dimension juridique, politique, sociale et économique, la justice désigne également une vertu, si l’on entend par vertu la dispositionhabituelle à accomplir le bien, à réaliser un acte moral. Elle est même considérée, dans la philosophie grecque, comme une vertu cardinale avec le courage, la tempérance et la prudence. La justice comme vertu serait cette capacité à faire rayonner en soi et hors de soi l’égalité et l’équité.

 

- L’esprit de justice se caractérise d’abord par la conscience du fait qu’il y a des choses à faire et des choses à ne pas faire dans la relation avec les autres : des obligations et des interdictions. Etre juste, c’est faire ce qu’on doit. A mes devoirs, correspondent les droits des autres. Etre juste, c’est aussi donner à chacun ce à quoi il a droit, ce qui lui revient.

 

- Ainsi, être juste, au sens moral du terme, c’est refuser de se mettre au-dessus des lois (la justice, même comme vertu, reste liée à la légalité) et des autres (par quoi elle reste liée à l’égalité). La justice repose sur le principe de l’égalité (« la loi doit être la même pour tous”) et celui de l’équité (“on doit offrir à chacun ce qui lui dû”).

 

- Définition d’André Comte-Sponville (Petit traité des grandes vertus) : «  Qu’est-ce qu’un juste? C’est quelqu’un qui met sa force au service du droit, et des droits, et qui, décrétant en lui l’égalité de tout homme avec tout autre, malgré les inégalités de fait ou de talents, qui sont innombrables, instaure un ordre qui n’existe pas mais sans lequel aucun ordre jamais ne saurait nous satisfaire ».

 

- Selon Platon, la justice est l’une des quatre vertus principales avec la tempérance, la prudence et le courage. La vertu est l’effort pour se bien conduire, l’habitude acquise de bien agir. Selon Aristote, l’homme juste est celui qui fait sans effort des actions justes, voire prend plaisir à pratiquer la justice, laquelle est pour lui comme une seconde nature. Pour étudier la justice, dit Aristote, il faut observer les actions des hommes justes : ce n’est pas la justice qui fait les justes, ce sont les justes qui font la justice.

 

- La justice n’est pourtant pas une vertu comme une autre : elle est l’horizon de toutes, toute valeur la suppose et toute humanité la requiert; elle est ce sans quoi les valeurs cesseraient d’en être (ce ne seraient plus qu’intérêts ou mobiles), ou ne vaudraient rien. « Si la justice disparaît, écrit Kant, c’est chose sans valeur que le fait que des hommes vivent sur la terre » (Doctrine du droit, II, 1) : s’il fallait, pour sauver l’humanité, condamner un innocent, torturer un enfant, l’humanité ne vaudrait pas la peine de vivre. La justice vaut plus et mieux que le bien-être ou l’efficacité; même l’humanité, même le bonheur, même l’amour, ne sauraient, sans la justice, valoir absolument : être injuste par amour, c’est faire de l’amour favoritisme ou partialité; être injuste pour son propre bonheur ou pour celui de l’humanité, c’est faire du bonheur égoïsme ou confort. Sans justice, en somme, il n’y aurait ni légitimité ni illégitimité.

 

- La justice est cette vertu par laquelle chacun tend à surmonter la tentation égoïste de se mettre plus haut que tout et à tout sacrifier à ses désirs et à ses intérêts. La justice est le contraire de l’égoïsme et de l’égocentrisme. En ce sens , elle est proche de l’altruisme et de l’amour. Si, comme nous l’avons aperçu, la justice est l’équité qui suppose l’intelligence, la prudence, le courage, la fidélité, la générosité, la tolérance, elle suppose aussi la miséricorde (« l’équité, c’est de pardonner au genre humain », Aristote) puisqu’il faut, pour que le jugement soit équitable, avoir surmonté la haine et la colère (d’où la distinction entre la sanction pénale, fondée sur la raison, et la vengeance dont le ressort est passionnel. Cf. infra).

 

- Mais les hommes ne paraissent pas très capables d’agir spontanément de façon juste, de sorte qu’il a paru indispensable de régler les comportements par des règles de droit, ou lois. Les faire respecter est l’affaire de la justice, dans le sens cette fois d’institution judiciaire (les tribunaux), fût-ce par l’utilisation de la contrainte, de la force.

 

 

 

Conclusion :

 

- L’idée de justice renvoie donc à l’exigence de réciprocité, d’équivalence entre ce que l’on prend et ce que l’on donne (justice commutative), d’égalité (selon laquelle les cas similaires doivent être traités de manière similaire), d’impartialité mais aussi de correction et de compensation (justice corrective). La justice, en somme, entant que norme et vertu du droit, se décline comme égalité et comme équité, avec toute la difficulté que nous avons aperçue à établir un critère du juste. La question de l’articulation du droit et de la justice rebondit avec le problème épineux de la violence qui, nous allons le voir, relance la thématique de la légitimité.

 

 

 

III) LE DROIT ET LA VIOLENCE

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- Le droit substitue le règne de la règle à l’incertitude des rapports de force. Une société n’est viable que si ses membres ont la conviction que personne ne pourra remettre en cause par la force ou par la ruse la répartition des rôles et des places, des biens et des charges, des obligations et des pouvoirs, et que seront garanties la stabilité, la régularité, la prévisibilité, la sécurité, sans lesquelles aucune entreprise ne peut aboutir. Pour que l’ordre ainsi établi puisse être accepté, il doit être juste et ne pas être avantageux uniquement qu’au puissant.

 

- Il existe pourtant une violence du droit, une violence légale, voire légitime, qui fonde le droit, qui débouche sur le droit. Il est, en effet, des cas où la violence semble se justifier (légitime violence, résistance à l’oppression, etc.. Mais s’il peut y avoir un droit à la violence, l’Etat n’en est-il pas le dépositaire ? Que faire alors dans le cas où l’Etat bafoue le droit, où le loi est injsute ? Comment donc envisager la dialectique du droit et de la violence ?

 

 

 

 

 

A) L’OPPOSITION DU DROIT ET DE LA VIOLENCE

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- Tout semble opposer le droit et la violence : le droit combat la violence, la violence est interdite et sanctionnée, la violence est un déni de droit, une violation de la loi. L’idée d’un droit de la violence, d’un droit à la violence semble donc contradictoire dans les termes.

 

1)     Force et violence

 

- Distinguons la violence de la force qui sont souvent confondues. La force, en son sens philosophique fondamental, est énergie, maîtrise de soi (exemple de la fermeté stoïcienne), principe de puissance et d’action, déploiement de la volonté souveraine. La violence désigne au contraire la puissance déchaînée, non maîtrisée par la raison et le discours, une puissance corrompue, à base de colère, par laquelle un sujet exerce une contrainte sur autrui, de telle sorte qu’il exécute et réalise ce qui est cependant contraire à sa volonté et à ses fins.

 

- A la différence de la force qui est maîtrise de la volonté, la violence refuse de convaincre par persuasion pour contraindre l’interlocuteur ; elle fait partie des moyens « durs » du pouvoir : « La violence est cette impatience dans le rapport avec autrui, qui désespère d’avoir raison par raison et choisit le moyen court pour forcer l’adhésion…La violence se situe à l’opposé de la force, car l’énergie qu’elle met en oeuvre n’est que l’énergie du désespoir » (G.Gusdorf, La vertu de force).

 

- La violence naît souvent d’un effort pour compenser un sentiment d’infériorité, effacer une frustration (la violence du coléreux), alors que la force est le pouvoir effectif d’exercer une action sur quelque chose ou sur quelqu’un. La force morale, par exemple, est une puissance souveraine, un principe d’action qui implique la maîtrise de soi. La violence apparaît alors comme l’expression d’une faiblesse secrète.

 

- Il faut aussi distinguer, selon Julien Freund (in Qu’est-ce que la politique ?), la force publique, dont dispose le pouvoir, et la violence : « dès que la force est contestée naît la violence ». Alors que la force contraint, la violence opprime : la violence consiste dans un emploi de la force pour nier l’autonomie, l’intégrité physique, voire la vie de l’autre. En ce sens, la violence est une contrainte physique ou morale tendant à faire réaliser par un individu ou un groupe ce qui est contraire à leur volonté.

 

- Si le droit a besoin de la force pour sanctionner les transgressions et pour avoir force de loi, il a ceci de caractéristique qu’il transforme essentiellement la nature de la force: le droit use de la force pour sanctionner une transgression et non comme motif des actions; la force est alors proportionnée et son usage est décrété par une puissance impartiale. Le droit suppose ainsi une puissance publique, supérieure aux rapports de force qui régissent inévitablement les rapports interindividuels. Qu’est-ce, en effet, qu’un droit dont le respect n’est pas assuré ? Comment assurer le respect du droit si les sujets de droit ne sont pas soumis à une autorité commune ? Si la loi ne s’applique pas à tous et si personne n’est en mesure de la faire respecter, on passe du droit à la force sans délai.

 

- Si la force est du côté du droit comme nous allons le voir par la suite, la violence est désordre, tandis que le droit a toujours pour fonction d’exprimer et de maintenir un certain ordre social, de garantir la paix et la sécurité civiles. La violence est du côté du fait, alors que le droit est de l’ordre de la valeur, du jugement, de la norme.

 

2)     Du droit du plus fort

 

- Mais cette distinction entre fait  et norme se brouille quand on fait mention du « droit du plus fort », en suggérant par là que celui qui dispose en fait d’une supériorité physique est en droit d’imposer sa loi à ceux sur qui il l’emporte (« le plus fort a toujours raison »). C’est au nom d’une telle conception qu’on a justifié, dans l’Antiquité, la fréquente réduction en esclavage des prisonniers de guerre. Or y a-t-il un droit du plus fort ? La thèse de Rousseau (in Contrat socia, I, 3) est la suivante : la force ne saurait à elle seule fonder l’autorité ; la supériorité physique ne peut créer aucun pouvoir durable. La fontaine, dans Le loup et l’agneau, n’a pas raison d’affirmer que « la raison du plus fort est toujours la meilleure ».

 

- Le raisonnement de Rousseau est le suivant : si la force ne fonde pas le droit, le droit suppose une soumission volontaire, une reconnaissance, un acte d’assentiment de l’esprit. Or la force, si elle peut me contraindre, ne m’oblige pas : elle n’implique pas que je me soumette à elle en esprit. Ma soumission est le fruit de ma faiblesse. Mais ce constat n’entraîne pas une reconnaissance légitime. L’obligation est une obéissance volontaire et légitime ; la soumission est le fait d’obéir à une puissance contre son gré ; l’autorité est le pouvoir légitime d’imposer l’obéissance, de commander à autrui (il s’agit ici d’une obéissance acceptée excluant la violence directe) ; l’obéissance est l’acte par lequel les individus se plient volontairement à la loi ou à l’ordre légitimes. La force est une puissance physique de l’ordre du fait, et non du droit, un principe de puissance corrompue, un impatience dans la relation à autrui.

 

- Le rapport nature / force / droit avait déjà été exposé par le sophiste Calliclès dans le Gorgias de Platon. La force fait droit parce qu’elle relève de la nature, alors que la convention est contre-nature : « le luxe, l’incontinence et la liberté, quand ils sont soutenus par la force, constituent la vertu et le bonheur ; le reste, toutes ces belles idées, ces conventions contraires à la nature, ne sont que niaiseries et néant » (Gorgias, 491-492). Tous ceux qui prétendent aller contre la nature au nom de la morale, dit Calliclès, ne font que masquer leur propre faiblesse : ce détour par la morale est une ruse des faibles contre les forts pour leur subtiliser le pouvoir.

 

- Or,  si la force prétend faire droit, c’est parce qu’elle ne peut plus se soutenir comme force. Le prétendu droit du plus fort est un subterfuge, un “sophisme” pour que le fort puisse se maintenir, alors qu’il n’est plus en mesure de la faire. Le problème du pouvoir instauré par la force est, en effet, la durée. Machiavel avait bien vu qu’il s’agissait là d’un problème de technique politique essentiel, puisqu’il s’assignait un double objet dans Le Prince (publié en 1532) : étudier la conquête du pouvoir et sa conservation.

 

- La force est une puissance physique. Comme telle, elle a des effets qui durent autant qu’elle. Mais le plus fort n’est jamais assez fort pour faire durer sa position par la force. Il a alors recours à une mystification, qui constitue la ruse politique par excellence : il dissimule le véritable état de fait (rapport de forces), et substitue à la force un fondement juridique. Toute l’opération consiste à entériner l’état de fait, à camoufler l’origine réelle du pouvoir, en lui donnant un fondement intemporel, de façon à garantir l’avenir.

 

- « Le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir… » La force a par nature un caractère instable : le plus fort exerce sa domination aussi longtemps qu’il ne rencontre pas un plus fort que lui; elle a donc besoin de l’artifice du droit pour dépasser cette caducité (faire croire que la soumission n’a pas pour motif la seule force physique mais la référence à un principe de légitimité).

 

- Il y a contradiction entre les termes “force” et “droit” : la force produit ses effets avec nécessité; céder à la force est un fait inévitable et prévisible, qui est contenu dans la force comme l’effet dans la cause. D’un fait on ne peut tirer une norme : obéir au plus fort n’est pas un devoir, c’est tout au plus une nécessité (sauf pour les têtes brûlées ou les kamikazes), et celui qui dispose d’une supériorité physique n’est pas en droit d’imposer quoi que ce soit. La relation au droit, à l’opposé, suppose une autorisation ou une injonction qui peut être ou non suivie d’effets : elle n’est efficace qu’en vertu de l’adhésion de la volonté et suppose donc la liberté du sujet. Mais aucune force ne peut se transformer en droit : la force étant une puissance physique, aucun effet moral (juridico-politique) ne peut en sortir. Céder à la force est donc une simple nécessité physique, non un devoir moral.

 

- Il ne faut donc pas obéir à la force par devoir : le devoir ne convient qu’envers le pouvoir légitime. Il n’y a pas plus d’obligation d’obéir à celui qui exerce un pouvoir par la force qu’à un brigand ; désobéir face à un tel homme est aussi légitime que de se soigner quand on souffre d’une maladie. Encore faut-il être en mesure de faire la différence entre un pouvoir fondé sur la force, mais qui s’est paré d’un discours de légitimité, et un pouvoir réellement légitime. Cela suppose la capacité d’analyser le discours politique de façon à le démystifier : cela suppose l’éducation .

 

- L’argument de Rousseau met bien en valeur la différence de nature existant entre le fait et le droit. La référence au droit suppose toujours la parole : elle relève d’abord du jugement : “Tu n’as pas le droit”; “J’ai le droit”. Il s’agit, dans ces expressions, de comparer ce qui est à ce qui doit être. Le fait s’impose: produit par des causes, il est toujours explicable et son existence est incontestable. La force, par exemple, qui est de l’ordre du fait, a toujours une certaine forme d’autorité : “ça ne se discute pas”. Mais l’argument du droit consiste à contester le bien-fondé de ce qui cherche à s’imposer par sa seule présence.

 

- Mais le droit n’est pas invoqué uniquement pour porter un jugement de valeur sur un fait, mais aussi pour conformer la réalité à l’idée, à l’exigence, à la valeur (celle de justice, en l’occurrence). Le droit est ainsi la référence qui garantit la possibilité d’un acte. Aussi le droit doit-il avoir une certaine efficacité, pour ne pas rester cantonner dans l’idéal : il doit avoir “force de loi”. Le droit a besoin de la force pour sanctionner les transgressions et pour avoir force de loi. En ce sens, la force est la violence légale et légitime, au service du droit et de la justice. Problème fondamental : faire en sorte que la justice soit forte et que la force soit juste.

 

- Nous sommes alors confrontés à un paradoxe : le droit exclut la force, la vengeance, la violence privée, il est du côte de la raison , de l’ordre, de la non violence, de la paix; il suppose pourtant la force s’il veut se faire respecter et s’incarner dans la réalité, c’est-à-dire dans la loi. La question du rapport entre la violence et le droit rebondit avec le problème du droit et de punir.

 

 

B) LE DROIT DE PUNIR

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- Si l’idée de droit équivaut à un désaveu de la violence, la violence est présente à la source même du droit, dans son exercice et notamment dans les sanctions prévues contre ceux qui violent le droit. Ainsi le droit pénal ne punit-il la violence des citoyens qu’en exerçant la violence à son tour. Mais le droit transforme la violence en force par un processus de rationalisation, de légalisation et de légitimation. On ne confondra donc pas sanction et vengeance, de même que la peine de mort ne saurait être assimilée à un seul assassinat de la part de l’Etat.  Certes, plus les lois sont justes et moins la contrainte est nécessaire. Mais le droit doit avoir force de loi s’il ne veut pas rester lettre morte et se réduire à une belle intention. La sanction semble alors justifiée par la possibilité permanente, inscrite dans la notion de loi elle-même, de la transgression, de la désobéissance, qui renvoient à l’égoïsme ou à la méchanceté de l’homme. Le problème est alors posé du droit de punir, de la violence pénale, de la sanction juste : pourquoi punir et de quelle manière ?

 

1)     La notion de peine

 

- « Le droit pénal englobe l’ensemble des sanctions pénales attachées à des attitudes ou manières déviantes précisément définies, comme le Droit est l’ensemble des sanctions civiles ou pénales attachées à des attitudes réprouvées par le groupe… » (F.J. Pansier, La peine et le droit, p.8). Selon Durkheim, la peine est « une réaction personnelle, d'intensité graduée, que la société exerce par l'intermédiaire d'un corps constitué sur ceux de ses membres qui ont violé certaines règles de conduite ». On parle ainsi de « déviance » pour qualifier toute attitude non conforme à la convention sociale.

 

- La peine ne prévient pas seulement des atteintes injustes à l’ordre social, elle est aussi censée protéger des punitions injustes. On peut penser la peine soit comme le fait d’affliger et de  punir (il ait sévir parce qu’une faute a été commise), soit comme la juste rétribution par la société d’une attitude déviante, en fonction du besoin de sécurité de l’ordre public. La doctrine de la rétribution se divise en rétribution morale et rétribution juridique. La rétribution morale désigne une exigence profonde que le mal soit rétribué par le mal, comme le bien doit être récompensé d'un bienfait. La doctrine de la rétribution juridique (Kant, Hegel) considère le délit comme rébellion de l’individu à la volonté de la loi, et de ce fait exige une réponse qui sera une réaffirmation de l’autorité étatique.

 

- Nous avons vu que la justice corrective, au sens aristotélicien, est la justice qui rétablit l’égalité violée par l’acte délictueux, c’est-à-dire contraire au droit. Or, cette définition apparaît insuffisante, dans la mesure où elle limite l’action du droit à la simple réparation des torts (le voleur doit rendre ce qu’il a volé ; si j’ai causé un tort, je dois indemniser la victime…) et tombe ainsi dans la loi du talion (le meurtrier doit être tué, le voleur doit avoir la main coupée, etc.)

 

- D’où la notion moderne de proportionnalité de la peine. Il s’agit d’établir une relation entre une série d’attitudes déviantes et les peines. Cette idée remonte sans doute à Platon qui, dans le Gorgias (523 a-524 a), décrit les hommes, à l’heure de la sentence finale, qui sont jugés et sanctionnés sur leur vie, leurs actes, leurs mérites, avec un strict respect du principe de la proportionnalité et de la personnalisation de la peine : non à tous la même peine, mais à chacun selon sa faute. Ce principe de proportionnalité a aujourd’hui valeur de principe constitutionnel ayant vocation à régir l’ensemble du droit pénal.

 

- Cette proportionnalité de la peine est elle-même fondée sur une hiérarchie des infractions selon le principe du degré de gravité. Ainsi le code pénal français distingue-t-il trois catégories d’infractions qui sont jugées par différentes juridictions compétentes  (du tribunal de police pour les infractions les moins graves – les contraventions – jusqu’à la cour d’assises pour les infractions les plus graves – les crimes) : contraventions, délits, crimes.

 

2)     La vengeance (texte de Hegel)

 

- La punition, envisagée comme sanction légale, voire légitime, est à distinguer de la vengeance, violence privée et illégale, en vertu du principe que la loi transforme la violence en force et que « nul n’a le droit de se faire justice soi-même ». Sur quoi cette distinction se fonde-t-elle ? C’est à cette question que le texte suivant de Hegel répond.

 

Texte de Hegel

 

 

« La vengeance se distingue de la punition en ce que l’une est une réparation obtenue par un acte de la partie lésée, tandis que l’autre est l’oeuvre d'un juge. C’est pourquoi il faut que la réparation soit effectuée à titre de punition, car, dans la vengeance, la passion joue son rôle et le droit se trouve ainsi troublé. De plus, la vengeance n’a pas la forme du droit, mais celle de l'arbitraire, car la partie lésée agit toujours par sentiment ou selon un mobile subjectif. Aussi bien le droit qui prend la forme de la vengeance constitue à son tour une nouvelle offense, n’est senti que comme conduite individuelle et provoque, inexpiablement, à l'infini, de nouvelles vengeances. »

 

1. La thèse de Hegel

 

- En tant qu’acte de droit, la punition s’oppose rigoureusement à la logique purement passionnelle de la vengeance. Ce texte justifie l’opposition de la vengeance et de la punition qui ne sont pas de même nature et qui renvoient à deux logiques différentes. La punition, comme acte de droit et réparation légale, n’a rien à voir avec la vengeance, fondée sur la logique passionnelle et rattachée à l’arbitraire.

 

2. Expressions

 

- « Un acte de la partie lésée » : une réaction de la victime qui, ayant subi un préjudice, veut obtenir réparation elle-même.

 

- « Le droit se trouve ainsi troublé » : le droit, défini comme ensemble de règles qui rend possible la cohésion et la concorde d’un groupe, ne peut s’affirmer que dans le silence des passions. Le droit est la détermination rationnelle des normes de la vie commune et requiert l’avènement, en chaque individu, de la raison.

 

- « Un mobile subjectif » : le mobile, c’est ce qui pousse à agir, à mettre en mouvement. Le mobile peut relever soit de l’affectivité, de la subjectivité, soit d’un examen réfléchi et rationnel. Est subjectif un mobile qui relève de la subjectivité, c’est-à-dire de l’affectivité propre à chaque homme, considéré dans la particularité de son existence et de ses réactions.

 

3. Commentaire

 

- Le précepte du droit est que « nul n’a le droit de se faire justice soi-même ». S’il peut sembler paradoxal d’interdire à la victime de l’agression toute riposte qui ne relève pas de la légitime défense, la fondation d’un Etat de droit est incompatible avec l’acceptation de la possibilité d’une telle riposte, qui conduirait à transformer l’ensemble de la société en un champ clos de luttes incessantes, de  « vendetta » (la vengeance entraîne des vengeances en chaîne et à l’infini). Pour que la punition soit normée par la seule loi, il faut qu’elle soit affranchie de toute passion.

 

- Pour conjurer la violence paroxystique et échapper à la loi du plus fort, il faut placer les rapports entre les hommes sous la juridiction d’un Etat de droit, où doit prévaloir la norme de ce qui doit être, conformément à une exigence de justice. Toute infraction, après avoir été dûment établie et caractérisée, doit être sanctionnée conformément à la loi , et non selon l’appréciation personnelle ou le désir de vengeance de la victime. Placer ainsi toute punition sur le plan de la loi, c’est lui assurer sa force et sa légitimité : nul n’en peut contester le principe ou l’application (sauf sur le plan et par les moyens du droit) dès lors qu’elle s’impose à tous de la même façon. Cette rationalisation de la violence par le droit aboutit historiquement à une rationalisation progressive des sociétés qui tendent à devenir de moins en moins violentes et à régler leurs différends par les dispositions rationnelles du droit.

 

- C’est ce que montre l’historien Jean-Claude Chesnais, dans Histoire de la violence : contrairement à ce que prétend la rumeur ambiante, nos sociétés ne sont pas menacées par une irrésistible ascension de la violence. L’idée d’une poussée continue de la grande criminalité est fausse : seules la petite et la moyenne délinquance ont augmenté. Le recul séculaire de la violence s’explique par l’émergence de la rationalité : érosion des institutions médiévales, mise en place de l’Etat moderne avec son appareil répressif (police, justice) et ses moules sociaux (l’école et l’armée); la lente disparition de la rareté (c’est la misère qui explique en partie la barbarie de certains crimes, comme le suggèrent les chroniques médiévales abondant en récits de famines qui dégénèrent en carnages anthropophagiques), la révolution démographique (diminution de la mortalité qui a abouti à une valorisation de la vie humaine). Les sociétés villageoises anciennes pratiquent la violence sanglante : elles ne connaissent d’autres formes d’expression que la vengeance privée.

 

- De même, Norbert Elias, dans La civilisation des moeurs, met-il lui aussi en évidence le déclin historique de la violence, dû, selon lui, à une tendance séculaire à la maîtrise des pulsions , qu’il nomme “civilisation des moeurs”, et à la monopolisation par l’Etat de la “violence légitime”. L’agressivité est, au fil des siècles, lentement maîtrisée, elle a été “affinée”, “civilisée”, comme toutes les autres pulsions sources de plaisir. C’est à peu près au XVe siècle que les moeurs commencent lentement à perdre de leur caractère pulsionnel.

- Dès lors, la punition légale ne peut plus relever d’une logique de la vengeance, quand bien même, comme l’a montré Michel Foucault (in Surveiller et punir), les dispositifs de sanction renverraient à des dispositifs de pouvoir, de contrôle, de quadrillage des individus et du corps social. Même si la réalité peut démentir cette distinction entre la punition et la vengeance (voir le film de Tavernier, Le juge et l’assassin), il convient de ne pas confondre le fait et le droit.

 

- Pour que la punition ne doive rien à la vengeance, deux conditions sont requises : il convient que les attentes légitimes de toute victime à l’égard de la loi soient prises en charge par celle-ci ; mais il faut aussi que la victime admette la nécessité d’un « traitement » juridique de la faute commise. La punition légale doit répondre à une exigence impersonnelle en son principe, dépourvue de toute dimension subjective ou particulière ; elle fait dépendre la réparation accordée à la victime non d’un ressentiment enclin naturellement à une réaction disproportionnée (que ne ferait-on pas à l’assassin pour venger la victime ? la vengeance a l’esprit fécond lorsqu’il s’agit d’imaginer maints raffinements pour faire souffrir l’assassin et le châtier !), mais d’un principe d’évaluation des dommages aussi objectif que possible.

 

- Certes, une telle conception se heurte à l’approche passionnelle et à l’opinion commune, ce qui rend la peine capitale tellement populaire. Le désir de vengeance, en effet, reflète la souffrance et la difficulté, pour la victime, de prendre ses distances. C’est pourquoi d’ailleurs la punition légale n’est souvent perçue que comme vengeance. Mais ce qui est compréhensible (comment ne pas partager la souffrance des parents dont on a tué l’enfant et comprendre leur volonté bien humaine de vengeance qui exprime, à sa façon, l’exigence de justice, c’est-à-dire ici de réparation ), sans être acceptable, lorsqu’il s‘agit de victimes sous l’emprise de la souffrance et de la passion immédiate, ne peut l’être de personnes qui sont en mesure de prendre leurs distances et de faire droit aux exigences de la raison. Il est ainsi abusif et illégitime d’étendre la clause, très précise et rigoureusement délimitée, de la légitime défense (Code pénal, articles 122-5 et 122-6), à un prétendu droit de se faire justice soi-même.

 

- Où l’on voit, en conclusion, que la punition ne saurait rien devoir à la vengeance, même lorsque la sanction pénale ressemble comme deux gouttes d’eau à la violence privée ou à une forme édulcorée et impersonnelle de vengeance, comme cela semble être le cas avec la peine capitale que d’aucuns pourraient qualifier d’assassinat légal et étatique. Avant d’examiner cette question de la peine capitale, demandons-nous quelles sont les principales fonctions qui sont généralement assignées à la sanction.

 

3)     Les fonctions de la peine

 

- La peine est censée remplir une double fonction sociale et individuelle :

 

3.1 - Fonctions sociales

 

- La neutralisation du sujet, sa mise hors de capacité de réitérer l’acte déviant. La peine a un rôle tranquillisant pour le corps social, elle est une « thérapeutique de l'exclusion » (F.J.Pansier, op.cit., p.38). La sanction éliminatrice est invoquée au nom de l’intérêt social d’éviter pour l’avenir délits et crimes.

 

- L’intimidation abstraite. Idée que la peine aurait un effet dissuasif sur les autres membres du corps social et en particulier sur les délinquants potentiels. Valeur d’exemple de la peine mise en évidence par Protagoras et par Sénèque : « Nemo prudens punit quia peccatur est, sed ne peccetur » (le sage ne punit pas parce qu’une faute fut commise, mais pour qu’il ne soit plus commis de faute). Il s’agit de faire un exemple, de décourager les imitateurs éventuels des crimes commis en leur montrant à quoi ils s’exposent (exemple de la peine de mort : dans certains pays, après l’exécution, on laissait le cadavre publiquement exposer plusieurs jours, afin de faire réfléchir et d’intimider). La peur du châtiment est censée constituer un mobile puissant capable de détourner du mal

 

- Le rétablissement de l’équilibre social : l’infraction commise a créé un trouble à l’ordre public ; la peine a pour fonction de rétablir l’équilibre rompu par l’infraction et tend à neutraliser toute tentation de réaction primaire de vengeance. Thèse défendue notamment par Hobbes : le droit de punir est consenti aux dirigeants afin de permettre de respecter l’engagement de sûreté publique et de paix sociale.

 

3.2 - Fonctions individuelles

 

- L’intimidation concrète : la peine, par la souffrance vécue qu’elle inflige, dissuade le condamné de commettre un  nouveau délit. Définition de la peine à mettre en relation avec la notion d’expiation conçue par les penseurs chrétiens. Assimilation entre le délit pénal et la faute religieuse.

 

- La rééducation qui peut passer par l’amendement moral (l’individu coupable doit expier le mal qu’il a commis par un autre mal de même ordre, ce qui suppose l’aveu de l’infraction et son repentir). La sanction rééducatrice, la plus satisfaisante sans doute, est celle qui est généralement adoptée de nos jours. Platon déjà remarquait que le coupable lui-même devrait réclamer le juge comme le malade réclame le médecin. Vertu expiatoire de la sanction : « Quelque injustice, petite ou grande, que quelqu’un ait commise, la loi l'amènera, par enseignement et par contrainte, soit à ne plus jamais la commettre à l’avenir, soit à la commettre beaucoup moins souvent » (Platon, Les lois, IX, 862 d). Vertu thérapeutique selon certains, notamment si le coupable est un malade.

 

- L’idéal reste la prévention : prévenir les délits et les crimes pour n’avoir pas à les punir. Nécessité d’une lutte acharnée contre les fléaux sociaux (chômage, misère, inégalités, etc.) qui engendrent les frustrations criminogènes. Le progrès social qui permet de réduire au minimum les sanctions pénales. Mais aussi la réalisation d’une véritable citoyenneté qui réduit la distance entre l’individu, la société et l’institution. Nécessité de la démocratie qui seule crée les conditions d’un véritable épanouissement personnel et collectif.

 

4)     Le problème de la peine de mort

 

- La question, encore controversée et souvent passionnelle, de la peine de mort, éclaire cette question du droit de punir et pose de nombreux problèmes – juridiques, politiques, moraux.  L’Etat a-t-il le droit de tuer au nom du droit ? Peut-on « venger » le crime illégal par le meurtre légal ? Le droit à la vie peut-il être transgressé au nom de la justice elle-même ? En clair, l’Etat, la société peuvent-ils exiger des individus le sacrifice de leur vie, soit parce qu’ils ont rompu le pacte social en violant la loi, soit parce que la raison d’Etat ou la sûreté nationale l’exigent ?

 

- Derrière ces questions se profile une conception implicite de la justice et de ses fonctions, comme nous l’avons montré précédemment : si la peine capitale participe d’une conception éliminatrice de la justice, la justice n’a-t-elle pas comme rôle essentiel de donner une nouvelle chance réparatrice à ceux qui ont violé ses lois ? Les partisans de la peine de mort partagent une définition « dure » de la justice qui doit avant tout protéger le corps social et éliminer les déviants, tandis que les opposants insistent davantage sur la mission éducatrice, voire protectrice (des coupables), de la sanction pénale qui doit être à la mesure de l’imperfection humaine.

 

- Le problème de la peine de mort renvoie donc à trois questions essentielles : la question de principe relative au droit de l’Etat face à la vie ; le problème de la responsabilité et de la liberté du criminel (sa responsabilité est-elle totale, absolue, indéniable ? est-on toujours certain, lorsqu’on exécute le criminel, de sa culpabilité ?); la question de la fonction de la peine. La question de la responsabilité et de la liberté étant d’une grande complexité dont l’examen nous obligerait à surcharger ce cours et à sortir du sujet, nous limiterons notre modeste réflexion sur la peine capitale aux deux premières questions.

 

 

4.1- La justification de la peine capitale

 

- Les plus grands philosophes ont justifié la possibilité, voire la nécessité, pour l’Etat de droit d’utiliser, comme châtiment suprême et irréversible, la peine de mort.

 

- Kant, par exemple, se pose la question suivante : « quel mode et quel degré de châtiment la justice publique doit-elle prendre pour mesure ? ». Le philosophe répond que c’est l’égalité et que « seule la loi du talion, mais bien entendu à la barre d'un tribunal (non pas par un jugement privé de ta part), peut fournir avec précision la qualité et la quantité de la peine… ». Cette idée repose sur le principe d’universalisation qui est au fondement du devoir moral authentique (impératif catégorique) selon Kant : la loi du talion affirme que « si tu voles, tu te voles toi-même », car celui qui vole rend incertaine la propriété de tous les autres et « se ravit donc à lui-même la sécurité que requiert toute propriété possible ».

 

- Kant applique ce principe au meurtre. Le seul châtiment possible est d’infliger la mort au coupable, « pourvu qu’elle soit exempte de tout mauvais traitements qui pourraient faire de l'humanité un objet d’horreur en la personne du condamné ». En infligeant la peine de mort au coupable, on le reconnaît en même temps comme sujet libre digne des égards du droit.

 

- Hegel prolonge le raisonnement de Kant en affirmant que la peine de mort est le droit du criminel, qu’elle est paradoxalement un acte de sa propre volonté. Le criminel proclame la violation de la loi comme son droit à lui. Son crime est la négation du droit et la peine est ainsi la négation de cette négation, et, par conséquent, une confirmation du droit que le criminel sollicite et qu’il s’impose à lui-même.

 

- Considérant que le malfaiteur a violé l’universalité de la loi et de la raison, il est normal que la raison lui fasse sentir le poids de son impératif par l’intransigeance de la sanction. C’est notamment la position de Rousseau dans Le contrat social :

          « Tout malfaiteur, attaquant le droit social, devient par ses forfaits rebelle et traître à la patrie, il  cesse d'en être membre en violant ses lois, et même il lui fait la guerre. Alors la conservation de l’Etat est incompatible avec la sienne, il faut qu’un des deux périsse, et quand on fait mourir le coupable, c’est moins comme citoyen que comme ennemi. » (livre II, chap. V)

 

- Rousseau discute la question de savoir si l’Etat a ou non le droit d’infliger la peine de mort à un citoyen, si la peine de mort peut être légitime. Il discute une objection, d’origine manifestement
religieuse, selon laquelle la vie étant un don de Dieu, quelque chose dont un particulier ne peut pas disposer, il est impossible de signer un contrat qui transmettrait au souverain un droit que les hommes n'ont pas. La peine de mort est ainsi justifiée par Rousseau au nom de la conservation du corps social et de la garantie de la vie des citoyens, même si la peine de mort doit rester exceptionnelle : « il n’y a point de méchant qu’on ne pût rendre bon à quelque chose. On n’a droit de faire mourir, même pour l'exemple, que celui qu’on ne peut conserver sans danger. » (Rousseau, ibid.)

 

- De la même façon, « c'est pour n'être pas la victime d'un assassin qu'on consent à mourir si on le devient ». Se mettre hors la loi, cela signifie se retirer du contrat, et se mettre en état de guerre contre l'Etat. Nous le  savons en signant le contrat, on ne peut à la fois se mettre hors la loi et demander la protection de la loi. Rousseau donne un critère parfaitement clair sur la légitimité de la peine de mort : on ne peut pas à la fois se mettre hors la loi et réclamer la protection de la loi, sortir du contrat et réclamer son exécution.  C'est le contrat ou la violence. Si on veut les bénéfices du contrat, il faut en payer le prix. L'exemple du terrorisme est sans doute le meilleur exemple de ce cas où la conservation de l'Etat est incompatible avec celle du malfaiteur, de cet état de guerre où l'Etat n'a plus affaire à un citoyen, mais à un ennemi.

- Une fois réglée la question de la légitimité de la peine de mort, Rousseau se pose la question de son opportunité puisque la peine de mort doit rester exceptionnelle. Rousseau avance deux idées:

1/ Il n'appartient pas au peuple de se prononcer sur l'opportunité de la peine de mort concernant tel ou tel procès en cours. L'opinion publique n'a pas à être consultée sur cette question (refus des sondages). La condamnation d'un criminel, étant un acte particulier, n'appartient pas au souverain, c'est à dire au peuple. C'est l'affaire des juges, et non des citoyens.

2/ La peine de mort ne peut être que rare. Si elle se multiplie, cela veut dire que de toute façon l'Etat est perdu. On croirait que Rousseau a vu les Etats-Unis d'aujourd'hui quand il écrit : « La fréquence des supplices est toujours un signe de faiblesse ou de paresse dans le gouvernement (...) Dans un Etat bien gouverné il y a peu de punitions, non parce qu'on faitbeaucoup de grâces, mais parce qu'il y a peu de criminels : la multitude des crimes en assure l'impunité lorsque l'Etat dépérit ».

 

- La position de Rousseau, parfaitement cohérente avec l’ensemble de la théorie du contrat social, est ambiguë sur certains points.  

 

- En effet, d’un côté l'Etat est investi du droit de faire mourir le criminel en vertu du droit et, plus précisément, du droit de guerre, dans la mesure où le criminel déclare la guerre à la société.  Mais, en même temps, dans les faits, il ne faudrait pas qu'il y ait de criminels. Qui plus est, tout criminel déclare-t-il forcément la guerre à l'Etat et à la société ? Peut-on mettre sur le même plan le droit commun et le "criminel politique" (Le terroriste peut être  un "politique" et non une simple crapule) ? En clair, l'ennemi d'un Etat est-il nécessairement un malfaiteur ?

4.2 - L’opposition à la peine de mort

 

- Si les arguments en faveur de la peine de mort des théoriciens du contrat social sont pertinents sur un plan politique et juridique, il nous semble que le problème de la peine capitale est irréductible à la seule perspective politique et qu’il convient de prendre en considération la dimension métaphysique et morale de la quuestion. Evoquons quelques-uns des arguments des opposants à la peine de mort.

 

-  Idée d’abord que la justice doit être avant tout éducatrice et non exterminatrice, voire protectrice des coupables. La mort est justement la suppression de tout amendement possible. La peine de mort est l’aveu indirect de la part de la société de son incapacité à corriger. Eliminer ceux que l’on estime irrécupérables, c’est toujours un constat d’échec qui atteint l’ensemble des membres d’une société. Le châtiment irréversible que représente la peine de mort prive la victime du droit d’obtenir une réparation légale pour une condamnation injustifiée, mais aussi le système judiciaire de la possibilité de corriger ses erreurs.

 

- La peine de mort est attentatoire à l’un des principes essentiels des droits de l’homme, le droit à la vie et au respect de l’intégrité et de la dignité humaines. C’est ce que proclame la Déclaration universelle des droits de l’homme : « nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. ». La peine de mort nie la valeur de la vie humaine et, en violant le droit à la vie, ôte tout fondement à la réalisation des droits de l’homme.

 

- La peine de mort n’a pas d’effet dissuasif. Aucune statistique probante ne peut établir que les pays ayant aboli la peine de mort aient connu une recrudescence de criminalité. « Faire un exemple, c’est toujours renoncer à la justice et tomber dans le terrorisme » (André Dumas, op.cit.). La justice, en cédant au motif de l’exemplarité, se fait le procureur de la vindicte, de la passion de vengeance, de la peur sociale. Le seul fait d’ailleurs que dans les pays où sévit encore la peine capitale les exécutions ne soient plus publiques, montre combien l’exemplarité doute d’elle-même.

 

- Au-delà de ces arguments inexpugnables, la question reste posée de savoir quelle est la sanction idéale, quel régime il convient d’accorder à la prison et si l’Etat est capable de déterminer exactement qui mérite la mort et la vie.

 

- Le problème de la responsabilité reste également à penser. Si la peine de mort est nécessairement légale, est-elle pour autant légitime, c’est-à-dire moralement acceptable ?  La peine de mort n’est - elle pas un châtiment fondé sur l’idée d’une responsabilité absolue de l’homme et sur cette illusion du libre-arbitre que dénonce Spinoza dans L’éthique ? Peut-on établir avec certitude, de manière absolue, la responsabilité et la culpabilité d’une personne ?

 

- L’argument de la liberté humaine peut a contrario servir contre la peine de mort elle-même. Si, comme l’établissent Rousseau et la tradition humaniste, la méchanceté humaine renvoie à cette faculté de liberté qui nous distingue des animaux (les hommes sont trop méchants pour que cela soit naturel !), la peine capitale ne nie-t-elle pas cette caractéristique humaine de l’excès, de la folie, du mal radical, en faisant du criminel un monstre à éliminer ?  N’instaure-t-elle pas alors implicitement une distinction radicale entre le normal et le pathologique ?

 

- Les partisans de la peine de mort éludent finalement ces questions fondamentales relatives à la responsabilité, à la nature de la déviance criminelle et de la méchanceté humaine en général, en choisissant le chemin le plus facile (l’élimination physique du problème que constitue le criminel).

 

 

C) LA VIOLENCE LEGITIME : LA DESOBEISSANCE CIVILE

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- Faut-il parfois désobéir aux lois, au nom notamment des droits de l’homme ? A-t-on le droit de contester le droit en utilisant la violence pour rétablir le droit ?  Cette question de la désobéissance relance la problématique du rapport entre le droit naturel et le droit positif, et revient à formuler d’une autre façon la question des droits de l’homme. Le mot « parfois » a ici toute son importance, dans la mesure où, comme nous allons le voir, il ne s’agit pas, loin s’en faut, de désobéir toujours ou systématiquement à la loi, faute de quoi celle-ci serait niée dans on principe même et, avec elle, la justice tout entière. Il va s’agir de montrer le caractère exceptionnel de la désobéissance, en soulignant le caractère nécessaire et respectable des lois.

 

- Si, comme le prétend Rousseau, la véritable liberté est l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite (l’autonomie), n’est - il pas des situations dans lesquelles ma liberté, et ma conscience,  m’appellent à la désobéissance, et m’en fasse même un devoir ? Deux cas justifieraient alors cette désobéissance, entendue non plus comme une simple insoumission rebelle ou marginale, mais comme une véritable vertu civique : lorsque les circonstances rendent la loi impossible à respecter ou lorsque la respectabilité de la loi est elle-même contestée. Cette réflexion sur la désobéissance va nous permettre de montrer qu’il existe une violence féconde qui  fonde ou forge le droit, une violence pour le droit à l’origine de la plupart des lois, des droits et des constitutions, - violence féconde et créatrice par opposition  à la violence stérile, gratuite et destructrice. Le droit ne peut progresser et s’effectuer que par des moyens qui le nient.

 

 

1)     Le devoir d’obéissance à la loi

 

- Comme nous l’avons vu au tout début de ce cours, l’homme juste est d‘abord celui qui obéit à la loi . La loi est par définition universelle, de sorte que tout individu a pour obligation de la respecter et de lui obéir. La loi politique ou juridique impose à tous la même conduite : si je prétends y échapper, je m’accorde alors une supériorité sur les autres, synonyme à nouveau d’inégalité. De même, en ce qui concerne la loi morale, Kant a montré qu’une action n’est morale que si elle est universalisable ; mon devoir m’ordonne de respecter la personne d’autrui parce que l’attitude contraire ne serait pas universalisable et serait immorale : j’entendrais ne pas respecter autrui, mais j’attendrais qu’il continue à me respecter. J’instaurerais ainsi une inégalité, une non-réciprocité.

- L’universalité de la loi, qu’elle soit morale ou juridique, instaure une égalité entre les hommes. Puisqu’il y a réciprocité des droits et des devoirs, tout devoir ressenti comme une contrainte est équilibré par un devoir systématique d’autrui à mon égard. L’obéissance à la loi paraît donc obligatoire. Le contraire serait synonyme d’inégalité et d’arbitraire : si n’importe quel citoyen ou homme d’Etat pouvait déroger à cette obéissance, ce serait le règne de l’injustice, voire de la violence. Or, la définition même de l’Etat de droit instaure une égalité de tous (y compris le gouvernant) devant la loi, autorise le citoyen à faire valoir son droit contre l’Etat ou l’administration, et à poursuivre devant les tribunaux compétents le ministre ou le chef d’Etat qui violerait le droit commun ou la constitution.

 

-        Texte de Kant n° 9 p 465 (manuel de philo de terminale).

 

- Kant conteste la légitimité d’un droit de résister à l’oppression : Kant doute que la conscience individuelle soit capable d’apprécier de quel côté se trouve le droit.

 

* thème : la résistance au pouvoir

 

* problème : Peut-on opposer la violence à la violence de l’Etat ? A - t - on le droit de contester - violemment ou non - le droit ? Y a-t-il un usage légitime de la violence au service du droit ou de la justice ? Jusqu’à quel point le droit de contester le droit peut-il être reconnu et par quelle instance ?

 

* thèse : “tout droit prétendu de faire infraction au droit ne peut-être qu’un non-sens”. On ne peut légitimement opposer la violence à la violence.

 

* plan du texte :

 

* ligne 1 à 4 : La révolte contre l’Etat est condamnable en ce qu’elle menace le fondement même de l’Etat.

 

* ligne 4 à 10 : Cette interdiction est valable en tout temps et en toutecirconstance ; elle ne souffre aucune restriction, même lorsque le chef d’Etat est un tyran. L’opposition de la violence à la violence est illégitime.

 

* ligne 10 à 24 : Justification de cette affirmation. Plusieurs arguments : on ne peut remettre en question une constitution ; personne ne pourrait décider si c’est le peuple qui a raison ou le chef de l’Etat, chacun étant à la fois juge et partie ; le droit d’enfreindre le droit est un non-sens, une contradiction dans les termes ; personne ne peut, en réalité, apporter des réponses raisonnables à ce problème de la légitimité du droit à l’insurrection.

 

* ligne 24 à 27 : conséquence. L’insurrection n’est pas un droit. Le chef de l’Etat ou le pouvoir législatif est la seule autorité qui détienne le droit.

 

- On trouve cette idée déjà exprimée chez Socrate qui se soumet à la loi lorsque celle-ci le condamne injustement au nom du respect de la loi (mieux vaut une loi injuste que pas de loi du tout).

 

- D'un strict point de vue juridique, il y a donc une impossibilité logique à autoriser la désobéissance et à faire de la révolte un droit. De ce point de vue-là, toute révolte est d'abord révolte contre le droit. La révolte ne peut être un droit car elle se situe toujours en dehors du droit. On peut bien résister mais on ne peut pas désobéir.

 

- Mais que vaudrait une résistance au droit, aux lois et au pouvoir qui ne soit pas aussi désobéissance ? La révolte n'est plus alors simplement résistance, comme nous l'avions d'abord cru, elle est aussi et surtout désobéissance. Pourtant, il est impossible pour une telle révolte d'être légale, c'est-à-dire autorisée par le droit positif. Pour rester cohérent avec cette logique du droit, il nous faudra trouver une forme de révolte qui soit non seulement acceptable moralement mais même prévue et autorisée par le droit positif.

2) Désobéissance et révolte

 

- La désobéissance à la loi s’exprime notamment sous la forme de la révolte. La révolte peut-elle être un droit, voire un devoir ? Si la désobéissance à la loi est l’autre nom de la violence, dans quelle mesure cette forme de violence possède-t-elle une légitimité ? La révolte peut-elle être finalement au service du droit et de la justice ?

 

2.1  – La notion de révolte

 

- La révolte se définit de prime abord comme une résistance au droit et à l'autorité. Le délinquant maladroit qui vole subrepticement un bien quelconque peut bien voir son geste comme un rejet de la société et de son ordre établi. Et ce vol est sa révolte. Pourtant peut-on croire qu'une telle révolte soit un droit ? S'il y a un droit à la révolte, il ne peut pas s'appliquer à toute forme de résistance à l'autorité. A quelle condition alors une révolte peut-elle être un droit ?

 

- Pour répondre à cette interrogation il nous faut réfléchir sur la nature du droit. En effet, le droit a pour première fonction de protéger ma personne et mes biens. Le droit est d'abord ce qui retient autrui de me tuer ou de me voler. Dans le Léviathan, Hobbes insiste sur ce fait, que si les hommes acceptent de se soumettre aux contraintes du droit et renoncent à une grande part de leur liberté naturelle, c'est avant tout parce que le droit et le pouvoir garantissent leur sécurité. Le but premier du droit est la sécurité des personnes. Le droit sert d'abord à me protéger.

 

- Mais quand ce même droit cherche à porter atteinte à ma personne, lorsqu'il met en danger ma vie, je ne suis plus tenu de lui obéir, ou plutôt, en suivant les mots de Hobbes, je garde la liberté de lui désobéir : " Si le souverain ordonne à un homme (même justement condamné) de se tuer, de se blesser, ou de se mutiler ; ou bien de ne pas résister à ceux qui l'attaquent ; ou bien de s'abstenir d'user de la nourriture, de l'air , des médicaments, ou de toute autre chose sans laquelle il ne peut vivre : cet homme a néanmoins la liberté de désobéir." (Léviathan, I, chap. XXI)

- Dès que la loi, le droit ou le pouvoir cherchent à me tuer, je peux me révolter, et cette révolte est légitime, car il est naturel de chercher à conserver sa vie. La légitimité de cette révolte tient dans le fait qu'il est dans l'ordre des choses naturelles de chercher à vivre. Tout être vivant a en lui comme un instinct de survie qui lui donne un droit de révolte contre tout pouvoir qui mettrait en danger sa vie.

 

-Toutefois, cette première idée est encore insuffisante. La résistance d'un seul, même quand elle est légitime, ne fait pas encore une révolte. L'idée de révolte semble sous-entendre un soulèvement massif. De sorte que la révolte est d'abord la révolte du peuple. Or, on n'imagine mal le peuple craindre pour sa vie. Le tyran peut tuer quelques opposants, non tout un peuple. Le peuple n'est jamais menacé dans son existence pour avoir un tel droit naturel de se révolter.

 

- Alors, à quelle condition un peuple tout entier peut-il se révolter, et se révolter légitimement ?

- Imaginons un peuple opprimé, soumis à la terreur qu'exerce un despote ou un tyran. Devant une telle scène, ce qui nous surprend c'est de le voir obéir. Nous sommes surpris du fait qu'il ne se révolte pas. Dans son Discours de la Servitude Volontaire, La Boétie traduit ainsi son étonnement  devant un tel spectacle : " Mais, ô bon Dieu! Que peut être cela ? comment dirons-nous que cela s'appelle ? quel malheur est celui-là ? quel vice, ou plutôt quel malheureux vice ? Voir un nombre infini de personnes non pas obéir, mais servir ; non pas être gouverné, mais tyrannisés; n'ayant ni bien ni parents, femmes ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux! Souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d'une armée, non pas d'un camp barbare contre lequel il faudrait défendre son sang et sa vie devant, mais d'un seul, d'un seul homme, et le plus souvent le plus lâche de la nation." (éd. GF, pp. 133 - 134).

 

- Si l'absence de révolte nous surprend, c'est qu'en fin de compte la révolte nous semble normale et légitime. Pourquoi la révolte contre toute forme de despotisme nous semble-t-elle légitime ? Parce que dans un tel régime les droits fondamentaux de l'homme ne sont pas respectés. Les hommes vivent dans la crainte et dans un état d'esclavage. Or, le pouvoir est là pour nous garantir la sécurité et la liberté. Ce sont là deux droits fondamentaux des hommes. Dès que le pouvoir porte atteinte à ces droits, il porte atteinte à la dignité humaine et prive les hommes de ce qui les fait hommes. Le peuple a un droit évident à la révolte. Et on peut dire que aussitôt que le peuple a droit à la liberté et à la sûreté, il a par là même droit à la révolte.

 

2.2  – La révolte, un droit et un devoir

 

- C'est en ce sens que la résistance à l'oppression apparaît dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyens du 26 août 1789, au côté des autres droits fondamentaux de l'homme: "Article 2 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression."

 

- En cela, nous pouvons dire que la révolte est un droit naturel, comme la liberté ou la sûreté. Non plus au sens où ces droits appartiendraient à l'ordre naturel des choses, mais au sens où ces droits appartiennent à la nature humaine, et sont le propre de l'homme. Bien plus, le droit à la révolte, compris comme droit naturel à la résistance à l'oppression, n'est pas un droit comme les autres. Ce droit de révolte est comme le garant de tous les autres droits fondamentaux de l'homme. Il est le droit qui nous assure que nos autres droits seront respectés. A cet égard, ce droit à la révolte a donc une importance capitale. Il est plus qu'un droit auquel nous pourrions avoir recours, il est une véritable obligation. Ce droit est en fait un devoir.

 

- La nouvelle rédaction des droits de l'homme du 24 juin 1793 porte trace de cette ambiguïté puisque le droit à la révolte n'est plus énoncé en même temps que les autres droits fondamentaux, mais apparaît au dernier article comme un devoir : "Article 35 : Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs." (Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 24 juin 1793)

 

- Ainsi, non seulement la révolte est un droit, elle est même un devoir. En cela, ce droit est fondamental, il est un droit naturel. C’est ce que montre Rousseau dans Du contrat social (I, IV, texte p.415, livre de TL)

 

 

* thème : la résistance à l’oppression

 

* problématique : l’homme a-t-il le droit de se révolter contre l’oppression ? L’homme peut-il renoncer à sa liberté ?

 

* thèse : renoncer à sa liberté , c’est renoncer à sa qualité d’homme. La résistance à l’oppression est à la fois un droit et un devoir.

 

* enjeu du texte : il y a une légitimité de la violence lorsque l’autorité de l’Etat est illégitime, c’est-à-dire opprime et bafoue la liberté. La violence peut et doit être au service du droit lorsque celui-ci est bafoué.

 

    * plan du texte :

 

-        Dans le premier paragraphe, Rousseau montre que le despote au pouvoir ne garantit pas même la paix civile. Le despote, par ses agissements, ne peut qu’attirer sur lui guerres et dissensions. La tranquillité n’est pas la liberté ou le bonheur. Rousseau vise ici Hobbes qui voit dans la tranquillité civile le plus grand bien et fonde sur cette convention la délégation de la liberté.

 

-        De la ligne 6 à 12, Rousseau explique que donner sa liberté sans contrepartie est un acte absurde. Il est inconcevable qu’un peuple se donne gratuitement, se dépouille du droit qu’il a de disposer de lui-même pour se soumettre à la domination d’un prince. Un peuple n’a rien à gagner à se soumettre à une autorité qu’il n’a pas choisie puisqu’il risque de subir l’injustice du monarque et d’être soumis à son bon plaisir.

 

-        La conséquence (ligne 12 à 16) est que l’homme ne peut renoncer à sa liberté, c’est-à-dire à sa qualité d’homme. La liberté est une qualité fondamentale de l’homme qu’il possède même à l’état de nature (liberté au sens politique d’être l’auteur des lois et au sens métaphysique comme perfectibilité).

 

* conclusion : on ne peut fonder l’autorité sur une convention d’aliénation. La résistance à l’oppression, dans le cas où l’Etat confisque la liberté, est un droit, mais surtout un devoir, une exigence morale. Un peuple qui subit l’oppression et qui ne se révolte pas est indigne.

 

- A noter que ce texte de Rousseau a eu une influence sur les différentes déclarations des droits de l’homme. La déclaration du 24 juin 1793, placée en préambule de la constitution de 1793, reconnaît le droit à l’insurrection, dans son article 35 : “quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs”.

 

2.3 – La révolte garante du droit

 

- S’il doit y avoir des limites au droit, le droit lui-même se doit de préciser quelles sont ces limites. Un droit qui se voudrait illimité serait le signe d'un pouvoir tyrannique et totalitaire. La question d'un possible droit de révolte doit donc se comprendre comme une interrogation sur les limites du droit, mais aussi de l'Etat et de l'autorité. Le droit de révolte, c'est d'abord le droit de s'opposer au droit. Quelles formes légales peut prendre cette opposition?

- La première limite au droit est le droit de partir de son pays. La première manière de manifester son désaccord avec les lois d'un pays, c'est de partir de ce pays. L'exil est la première forme de contestation d'un Etat de droit. A cet égard, il est significatif que la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 ne mentionne pas de droit de révolte, mais en contre-partie prend grand soin de définir un droit de circuler librement (article 13.1), un droit de quitter tout pays (article 13.2), ainsi qu'un droit d'asile (article 14.). Cette possibilité de s'exiler et de s'éloigner d'un régime que l'on considère injuste est une première forme de contestation du pouvoir. Et on peut tout à fait concevoir qu'un tel droit fasse partie du droit positif.

 

- Toutefois, ce droit de révolte, compris comme droit d'exil, reste peu efficace. Toute révolte aspire au changement. Or, ce n'est pas en s'éloignant de l'injustice qu'on la fait disparaître. Il nous faut donc penser un autre droit de révolte qui soit non violent mais pourtant qui soit de quelque efficacité pour changer un état de fait.

 

- On peut voir dans la liberté d'opinion et d'expression un tel droit. Par cette liberté d'opinion l'homme peut faire part de son désaccord avec une décision de justice. Il peut s'opposer non pas physiquement mais verbalement au pouvoir. La liberté d'opinion est une forme d'opposition qui ne prend pas la forme de la violence aveugle. De fait, elle est présente dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 : "Article 19. Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit."

- Pour autant, ce droit ne doit pas être compris comme un droit de dire n'importe quoi sous prétexte unique que c'est une opinion (la loi définit des limites à la liberté d'opinion, lorsque l'honneur, la dignité d'autrui sont menacés : exemples de la diffamation, du racisme). Cette liberté d'expression consiste à intervenir de manière éclairée et informée dans le débat publique, non pas pour dire ce que l'on pense mais pour critiquer.

- Le droit de révolte est fondamentalement un droit de critique éclairée. Il en résulte que ce droit de révolte est d'abord le droit des intellectuels. C'est le rôle des intellectuels d'intervenir dans le débat publique pour critiquer le pouvoir en faisant usage de leur savoir. C'est ce que montre Kant dans son opuscule Qu'est-ce que les Lumières ? Les Lumières sont précisément la sortie de l'état de dépendance dans lequel se trouve le peuple lorsqu'il se sert de sa raison pour éclairer et donc critiquer le pouvoir qui le gouverne. Ce travail est l'oeuvre exclusive des intellectuels.

- Mais si le droit à la révolte est avant tout le droit des intellectuels, n'est-ce pas faire de ce droit à la révolte un droit élitiste, voire un privilège ? Or, par définition, un privilège, avantage réservé àcertains, est le contraire d'un droit, ouvert à tous. N'y a-t-il pas une autre forme de droit à la révolte qui soit moins élitiste qu'un droit à la critique ?

 

2.4 – La désobéissance civile

 

- La désobéissance civile peut être définie comme un refus délibéré, public, d'obéissance à une loi jugée inique, dans le but d'amener le pouvoir politique à agir en vue de son abrogation. C'est un acte public, qui se distingue de la délinquance ordinaire en ce que l'acte illicite est revendiqué comme tel. En cela, la désobéissance civile ne relève pas précisément d'une stratégie de rupture : l'acteur de cette forme de résistance ne cherche pas à se soustraire à la sanction, qu'il va jusqu'à réclamer, en un acte d'allégeance aux fondements de la démocratie.

 

- Indépendamment de ses motivations, la désobéissance civile peut être considérée comme une provocation éthique. Le discours qui la sous-tend consiste à remettre en question la validité éthique d'une législation jugée " scélérate " et à articuler sa désobéissance sur une objection de conscience : on fait appel, selon les cas, à un dilemme de conscience, à un impératif catégorique ou l'on relève les contradictions entre la législation enfreinte et une législation supérieure : constitution, droits de l'homme, droit international etc.

 

- Il serait erroné de ne voir en la désobéissance civile qu'une manifestation d'anarchisme ou une stratégie de subversion concertée. Elle peut être menée aussi bien dans une perspective conservatrice (voire réactionnaire) que dans le cadre d'un mouvement émancipateur ou révolutionnaire. Le caractère provocateur et déstabilisant provient essentiellement du fait que l'action est ouvertement revendiquée comme illégale : le pouvoir judiciaire est mis en demeure d'agir à l'encontre de citoyens qui, en temps normal, ne peuvent être suspectés d'activités criminelles. Par ce biais et par l'entremise de l'opinion publique, le pouvoir exécutif subit une pression d'autant plus importante que l'action est médiatisée.

 

- Exemple du mouvement pacifiste et antinucléaire des années quatre-vingts : résistance non-violente tels que l'occupation de terrains militaires (Le camp militaire du Larzac, par exemple), le refus de payer une part des impôts, l'objection de conscience ou la désertion politique.

 

- La désobéissance civile, par delà la légitimité de ses motivations, questionne le politique en obligeant à repenser la relation entre l'Etat (et plus généralement entre le pouvoir institutionnalisé) et le peuple qu'il prétend servir. La question posée est celle de la légitimité morale d'une appropriation, par le citoyen, d'un pouvoir, celui de se soustraire à la loi, qui s'exercerait en dehors des procédures électorales classiques. L'argument essentiel de l'Etat étant que celui-ci ne peut garantir la sécurité et la liberté pour tous que s'il détient le monopole de la contrainte et peut seul, dans le cadre constitutionnel, définir la frontière entre le licite et l'illicite. Le citoyen a le droit et le pouvoir de désigner, par voie électorale, ses représentants, mais, en dehors de ce mécanisme représentatif, l'autorité de l'Etat est, dans les limites constitutionnelles, discrétionnaire.

 

- Alors que le délinquant cherche à s'extraire du champ légal en échappant aux conséquences juridiques de l'infraction, la désobéissance civile réclame, au contraire, le châtiment dans un geste paradoxal  de reconnaissance de la légitimité du pouvoir. Nous sommes ici loin des rebellions individuelles : la revendication publique de l'acte, la mise à disposition des autorités sont des composantes essentielles du caractère "civil" de cette désobéissance. Il y a donc un terrain commun, la reconnaissance commune de la légitimité du pouvoir, qui rend possible le maintien d'un dialogue entre le citoyen critique et l'Etat qui, tout en étant contraint de sévir (sous peine de perdre son autorité légitime), se voit amené à réexaminer les fondements de la législation critiquée.

 

- L'acte de désobéissance qui plus est, comme la plupart des actions non-violentes, est une théâtralisation médiatique du conflit qui prend à partie l'opinion publique. C'est en raison de cette médiatisation que la position sociale des intervenants prend son importance : de la part de " personnalités honorables " reconnues comme faisant partie d'une élite sociale, intellectuelle et morale, l'infraction prend un sens critique qui serait indécelable si elle n'était que le fait des véritables préjudiciés de la loi contestée.

 

- C'est donc moins dans le rapport de force entre les objecteurs et le pouvoir que dans l'espace médiatique et public de discussion que se joue l'issue du conflit. D'avance, le désobéissant se met hors jeu, en acceptant la sanction pénale, et renvoie la balle à l'opinion publique qui se voit contrainte de prendre position. Ce qui était rendu licite dans le cadre institutionnel se voit remis en question dans cet espace public que le politique, en démocratie, ne peut ignorer. Dès lors, les citoyens ne peuvent simplement s'en remettre aux élus et se voient amenés à réévaluer, de manière critique, la législation contestée. Le but des objecteurs est atteint : provoquer le débat public. Le but n'est pas d'échapper à la loi, mais de contraindre le corps social à débattre à nouveau de ce qui avait été décidé trop précipitamment.

 

- La désobéissance civile est donc avant tout un questionnement de la loi. La désobéissance civile engage l'épreuve de force sur le terrain du discours - sur la place publique en premier lieu (médias, manifestations, pétitions, etc.), au prétoire ensuite, théâtre où s'affronteront nécessairement les thèses adverses, puis dans les lieux de décision politique (assemblées diverses). Parce qu'une distance existe nécessairement entre le licite et le moral, la loi tire sa légitimité de la régularité des procédures mises en oeuvre lors de sa promulgation : une loi démocratique reste, par nature, licite, même si elle ne répond pas aux normes morales de certains citoyens. Pour donner un exemple concret, le divorce est récusé, sur le plan éthique, par la morale catholique; pourtant, il est prévu par le code civil, de sorte qu'une rupture du mariage constatée selon les procédures légales devient licite. Un juge ou un fonctionnaire, par exemple, ne pourrait se prévaloir de sa conscience catholique pour dénier à un couple divorcé le statut légal qui leur est dû.

 

- Dès lors, la désobéissance civile ne peut reposer uniquement sur la moralité de ses mobiles. Elle doit démontrer de manière argumentée que la loi critiquée enfreint les bases constitutionnelles ou éthiques de l'Etat lui-même et que cette désobéissance n'est, en fait, que l'obéissance à une législation supérieure, ou à une règle éthique que même l'Etat ne peut - sous peine de remettre en cause sa légitimité - enfreindre.

 

- La démocratie ne se résume pas seulement au droit de choisir ses représentants au sein du législatif et de l'exécutif, elle suppose en effet que soit laissé ouvert un espace autonome de discussion et de critique. D'où une exigence formulée par Habermas et Balibar, à propos de la désobéissance civile : qu'elle puisse être fondée en raison. Cette exigence maintient en fait la possibilité d'une négociation sur une base autre que celle d'un rapport de force, elle permet la discussion, par les acteurs sociaux, de la législation contestée sur une base qui puisse être partagée par l'ensemble des citoyens.

 

- Cette exigence de rationalité commune semble exclure du bénéfice de la légitimité les objections de conscience pour des motifs irrationnels. Comment pourrait-on fonder en raison un refus qui s’appuierait sur une conviction intime indémontrable et se référerait - pour juger la loi humaine - à un ordre divin qui ne saurait prétendre, de fait, à l'universalité au sein d'une société pluraliste ? L'objection religieuse est-elle condamnée pour autant à rester dans l'illégitimité ?

 

- Dans la pratique discursive, une loi ne pourra être contestée qu'en raison et qu'aux arguments de conscience intime devra s'ajouter des arguments admissibles, ou du moins pouvant être discutés, par tout un chacun, quelles que soient ses convictions. Mais cette exigence n'empêche nullement une société ouverte de chercher un modus vivendi pratique par une politique de tolérance, qui admettrait qu'existe, dans l'ordre du philosophique, une zone d’indécision dans laquelle la conscience individuelle serait souveraine. La clause de conscience, privée, s'intègre de droit dans la pratique sociale, en particulier en matière de bioéthique : il en est ainsi, pour donner un exemple, dans le cas de l'interruption de grossesse : nul médecin, nul infirmier, et a fortiori nulle femme, n'est contraint, en droit, de recourir à l’I.V.G. ou d'y participer. De même la plupart des états démocratiques admettent l'objection de conscience au service militaire ou à la pratique de la guerre.

 

- La désobéissance civile se différencie donc de l'objection individuelle de conscience, même si elle peut se conjuguer avec une telle attitude. Certes, dans la pratique, le droit légal à l'objection de conscience n'a été acquis qu'au terme d'actions de désobéissance civile, mais cette dernière ne répond pas aux besoins d'apaisement d'une conscience subjective, elle est un acte politique qui interpelle l'ensemble de la communauté. Et cette interpellation n'est possible que si un référent commun peut fonder l'argumentation critique.

 

- L'argument de la désobéissance civile est, dans la grande majorité des cas, d'ordre éthique. Il importe cependant de dégager le discours éthique de la subjectivité d'une conscience heurtée, animée de ressentiments ou du sentiment d'injustice, afin de lui donner une assise rationnelle : ce qui nous amènera à poser la question de l'universalité d'une injonction morale. Selon Habermas, une norme morale s'universalise à la faveur d'une discussion ouverte, argumentée, entre les acteurs sociaux concernés. Mais une telle discussion exige que l'on fasse abstraction des intérêts particuliers, susceptibles quant à eux, de biaiser l'argumentation.

 

- A cet égard, la désobéissance civile apparaît comme un instrument tactique permettant de contraindre le pouvoir au débat : en premier lieu, parce qu'elle est un acte public, mis en oeuvre par des personnalités reconnues comme représentatives de l'élite culturelle ou morale par les médias, qui, dans la logique de l'Etat de droit, doit nécessairement déboucher sur la confrontation judiciaire. Dans la mesure où elle est une remise en cause directe de l'exécutif, l'épreuve de force prendra nécessairement un tour politique, relançant - à la mesure de la vivacité de la résistance - le débat au sein des institutions parlementaires. Cependant, l'action ne vise pas seulement à exercer une contrainte morale sur le décideur politique, elle mobilise l'opinion publique et pose efficacement le problème au sein de la société civile. Elle oblige, en cela, à repenser les lois contestées en fonction du référent métajuridique mis en évidence par la désobéissance civile.

 

- Dans le cadre d'une société démocratique la désobéissance civile acquiert un statut paradoxal : elle se situe nécessairement en dehors du cadre légal, puisqu'elle est une violation délibérée de la loi, mais dans la mesure où elle exige l'application de la sanction pénale, elle reconnaît dans le même mouvement la légitimité du pouvoir judiciaire. Critiquant le législateur, elle se refuse à récuser, dans le même mouvement, l'exécutif - s'abstenant de poser la question de confiance au gouvernement - et le judiciaire. Ainsi la désobéissance civile se situe en marge du fonctionnement démocratique. On pourrait dire qu'elle est un coup de force où le citoyen s'autonomise face au législateur, mais cette insurrection se donne à elle-même des limites étroites, qui sont définies par la détermination de l'objecteur à subir la sanction pénale. Aussi l'intérêt privé, purement subjectif, du contrevenant est relégué au second plan, par rapport à l'exigence éthique, ou à l'intérêt collectif que présente une rectification des erreurs commises par le législatif.

 

- On distinguera la désobéissance civile des autres formes de résistance illégale qui peuvent survenir dans le cas où le pouvoir perdrait sa légitimité, en violant gravement la constitution, les engagements internationaux, le droit international ou les droits humains. Notre analyse de la désobéissance civile s'inscrit dans le cadre de l'Etat de droit (n’est pas discuté ici le problème de la légitimité d’une révolution – au sens marxiste du terme – qui sort du cadre de la désobéissance civile). Face à une dictature, la question des limites éthiques de l'action civique s'efface devant celle de la possibilité même d'une résistance : le choix éthique se restreint ici entre celui d'une résistance illégale, mais légitime, et celui de la collaboration, fût-elle passive. La désobéissance civile est une forme d'opposition "extra-légale", acceptable dans le cadre d'un Etat de droit, précisément en ce qu'elle se réfère aux fondements métajuridiques du droit - droit naturel, droits humains, raison historique - et qu'elle réaffirme la légitimité de l'Etat de droit, en reconnaissant la légitimité de la sanction.

 

- Ainsi on peut résumer les conditions éthiques d'une désobéissance civile acceptable en démocratie :

 

1.     Les motivations doivent prétendre à l'universalité ou du moins se référer à des valeurs universalisables.

 

2.     Pour cela, elles doivent être argumentées en raison, et répondre aux critères d'universalité, c'est- à - dire que non seulement la loi critiquée doit être contestable en raison mais que les conséquences de son abolition doivent répondre aux critères d'universalité exigés de toute norme éthique : les conséquences doivent pouvoir être librement supportées par l'ensemble de la communauté.

 

3.     Le citoyen engagé dans un acte de désobéissance civile doit, dans le cadre d'un Etat de droit, assumer les conséquences judiciaires de son acte.

- Ce dernier point distingue la désobéissance civile de l'infraction ordinaire ou de la rébellion politique caractérisée (et permet d'affirmer qu'en soi la désobéissance civile ne représente pas une menace pour la démocratie. Elle la préserve au contraire des dérives et de l'arbitraire du pouvoir).

 

- Soulignons, enfin, que la possibilité d'une critique éclairée du pouvoir repose sur l'accès à l'éducation (lire, à ce sujet, l’excellent livre de P.Canivez, Eduquer le citoyen). C'est l'éducation qui a pour but de former l'esprit critique et le discernement (rôle fondamental, à cet égard, de l'enseignement philosophique). C'est là un droit qui peut tout à fait être mis en place dans le droit positif lui-même sans être élitiste. L'éducation est ce qui rendra le peuple vigilant et sensible à l'injustice. Sans éducation, un peuple peut servir un tyran sans même se rendre compte de son sort. Mais sans éducation, un peuple peut tout aussi bien sombrer dans la guerre civile et dans la violence sans même y réfléchir.

 

- En fait l'éducation est le véritable droit à la révolte en ce qu'elle nous protège de deux excès : la servitude volontaire, dans l'acceptation résignée, et le chaos de la violence, dans la guerre civile (exemple de l’Irlande). Ce n'est donc pas un fait du hasard si l'un des derniers droits que mentionne la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948 n'est autre que le droit à l'éducation : "Article 26.1 Toute personne a droit à l'éducation." Lire, pour complément, le corrigé " L'Etat doit-il éduquer les citoyens ? "

3) Conclusion

 

- Au terme de cette analyse, il apparaît qu' il y a bel et bien un droit à la révolte, sous la forme notamment de la désobéissance civile.  Le droit à la révolte se résout finalement en un droit à la libre critique lorsque l'Etat ou la loi s'avèrent illégitimes. Le droit à la révolte est ainsi constitutif de l'esprit démocratique, il incarne une vertu civique par excellence définissant des garde-fous au pouvoir et obligeant ce dernier à travailler sans arrêt dans l'horizon du droit et de l'universel.

 

- Ce droit à la révolte participe alors du droit à l'éducation. C'est par l'éducation laïque à la liberté, en effet, que l'homme se rend capable de reconnaître et refuser l'injustice, sans pour autant n'avoir que la violence pour répondre à cette injustice. Le droit à la révolte est un droit naturel de l'homme  puisqu'il apparaît dans la déclaration des droits de l'homme. Mais il peut aussi prendre facilement corps dans le droit positif sans exposer la société aux tourments de la sédition. Une éducation ouverte à tous, laïque et gratuite, donne au droit de révolte une forme positive. De sorte que, en un sens, toute éducation est une éducation à la révolte. Il ne saurait y avoir de démocratie, en somme, sans un droit à la révolte et à l'éducation des citoyens.

 

- Dans cette perspective, si la désobéissance civile est une forme légitime de révolte, elle reste exceptionnelle, faute de quoi c’est à nouveau le règne de la violence et de l’arbitraire qui prévaut. La désobéissance légitime se justifie toujours par l’espoir d’un retour prochain du droit, de la loi, de la justice, c’est-à-dire d’un ordre incontestable substituant à la violence la force de la raison et de l’universel.

 

- On peut alors concevoir que c’est dans la protection des droits de l’homme et dans l’établissement d’une véritable démocratie  que le recours à la violence insurrectionnelle est évité, recours qui ne doit être érigé qu’en désespoir de cause, lorsque toutes les solutions juridiques ou politiques ont été épuisées. C’est d’ailleurs ce que proclame la déclaration universelle des droits de l’homme proclamée par l’assemblée générale des nations unies le 10 décembre 1948 : « considérant qu’il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression » (préambule).

 

- On peut aussi penser que même l’Etat démocratique est illégitime puisque la démocratie, selon les anarchistes, est une mystification idéologique destinée à occulter la nature de classe oppressive de tout Etat. Dès lors, la loi ne fait que valoriser des valeurs fausses ou aliénées ; le révolutionnaire doit se situer hors la loi s’il entend renverser l’ordre établi pour faire place à d’autres valeurs. Ce n’est plus alors la simple révolte ou désobéissance civile qui est prônée mais la révolution qui se situe au-delà de la légalité et qui revendique une légitimité d’un autre ordre.

 

- La désobéissance est alors justifiée au nom de principes transcendants considérés comme étant plus fondamentaux que ceux qui régissent le droit positif. Où l’on retrouve le conflit déjà aperçu entre le droit naturel et le droit positif. A noter que si le devoir authentique de l’individu peut être de désobéir à la loi, soit de manière exceptionnelle, lorsque la loi bafoue la justice, soit de façon permanente, si l’on conteste la légitimité de tout Etat, cette désobéissance est censée préparer un retour à une situation "normale" - antérieure ou radicalement nouvelle -, c’est-à-dire dans laquelle le même citoyen considère que son devoir est d’obéir à nouveau à une loi ou à un ordre politique redevenu respectable.

 

- Où l’on voit que cette question de la désobéissance, en tant qu’elle permet de penser la dialectique du droit et de la justice, est corrélative de la question politique du pouvoir et de l’Etat (cf.cours consacrés à ces notions).

 

 

 

CONCLUSION GENERALE

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- Lorsqu’il s’agit de juger d’après les lois existantes et le droit positif, nous avons affaire à un jugement de type juridique qui départage ce qui est conforme ou non à la légalité. Lorsqu’il s’agit de juger en fonction des droits de l’homme, le jugement porte sur la légitimité du droit positif lui-même en fonction d’une idée morale qui a son fondement, non dans la nature, mais dans la raison et la liberté humaines : celle de l’égalité des hommes en tant qu’être raisonnables. Il ne s’agit plus tant de juger d’après les lois que de juger des lois et des Constituions elles-mêmes. Nous avons affaire à un jugement critique qui fixe des exigences puisque le droit se distingue fondamentalement du fait.

 

- Ce jugement critique est un jugement formel qui ne permet pas de déduire quel doit être le contenu d’une législation. La critique permet de déterminer ce qui n’est pas conforme à son principe (l’égalité arithmétique et proportionnelle). En clair, les principes du droit naturel, tels qu’on peut en trouver une formulation dans la Déclaration universelle des droits de l’homme, énoncent les impératifs absolus qu’aucun droit particulier ne peut violer sans tomber dans l’injustice. Ils constituent le critère d’évaluation morale du droit existant et définissent un idéal de justice.

 

- La justice est donc une valeur et une exigence. Le souhaitable serait évidemment que lois et justice allassent dans le même sens. Lourde responsabilité , dans nos démocraties, pour le pouvoir législatif. Mais Aristote a montré que la justice ne saurait être tout entière contenue dans les dispositions nécessairement générales d’une législation, de sorte que c’est se méprendre que de rêver d ‘une législation absolument juste. La justice est bel et bien l’équité, égalité de droit, malgré les inégalités de fait et même, souvent, malgré celles qui naîtraient d’une trop mécanique et intransigeante application de la loi. S’il faut résister en permanence à l’injustice que chacun porte en soi, le combat pour la justice n’aura pas de fin.

 

 

 

SUJETS DE DISSERTATION

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1) Nature du droit

 

- Le droit n’est - il que l’expression d’un rapport de force ?

- Est-ce au peuple qu’il appartient de faire les lois ?

- Pourquoi écrit-on les lois ?

- Dans quel but les hommes se donne-t-il des lois ?

- A qui reconnaît-on des droits : à l’individu ou au citoyen ?

- Le droit a-t-il pour fin d’abolir la violence ?

- Est-ce la même chose de faire respecter la loi par la force que de fonder le droit sur la force ?

- Le droit peut-il échapper à l’histoire ?

- Une société sans droit est-elle concevable ?

- Quel sens donner au mot droit dans l’expression : “J’ai le droit de...” ?

- La nature a-t-elle des droits ?

- Le mot “loi” a-t-il le même sens selon qu’on parle des lois de la cité ou des lois de la nature ?

- Pourquoi obéir au lois ?

- Qu’est-ce que la force du droit ?

 

2) Droit et morale

 

- Ce qui est légal est-il nécessairement légitime ?

- Quand on se borne à exercer son droit, est-on pour autant en règle avec sa conscience ?

- La loi dit-elle ce qui est juste ?

- La loi n’est-elle juste que lorsqu’elle est justement appliquée ?

- Revendiquer ses droits, est-ce la même chose que défendre ses intérêts ?

- Pourquoi obéir aux lois ?

- Faut-il parfois désobéir aux lois ?

- La révolte peut-elle être un droit ?

- Peut-on en appeler à la conscience contre la loi ?

- Un citoyen peut-il se prévaloir d’un droit de résistance ?

- Pourquoi l’union du droit et de la force dans l’Etat pose-t-elle un problème ?

- Le droit peut-il garantir le liberté ?

- Comment décider qu’un acte est juste ?

- Les hommes peuvent-ils avoir des droits sans avoir des devoirs ?

 

3) Droit et liberté

 

- Obéir aux lois, est-ce être libre ?

- Avons-nous le droit de discuter le droit ?

 

4) Les droits de l’homme

 

- Quel est “l’homme” des droits de l’homme ?

- Peut-on concevoir les droits de l’homme indépendamment des droits des citoyens ?

- En quel sens peut-on parler des droits de l’homme ?

- On parle des droits de l’homme. Cette notion a-t-elle un fondement philosophique ?

- Pour quelle raison faut-il affirmer les droits de l’homme ?

- Les droits de l’homme : évidence ou problème ?

- Affirmer des droits de l’homme universels, est-ce méconnaître la diversité des cultures ?

- Le droit à la différence est-il sans limite ?

- Peut-on subordonner les Droits de l’homme à la raison d’Etat ?

 

 

DEFINITIONS A CONNAITRE

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- Le droit :

 

- Etymologie : latin directus, qui est en ligne droite

- Adjectif :

 

- qui est sans déviation (opposé à tordu, à courbe)

- qui suit un raisonnement correct (ex : une pensée droite)

- qui ne s’écarte pas d’une règle morale (ex : un homme droit)

 

- Nom :

 

- Un droit (avoir un droit) : usage objectif du droit défini comme ce qui est permis par une règle, par les lois en vigueur ; pouvoir qui résulte de la volonté du législateur  (= droit positif, c’est-à-dire réel, qui définit la sphère de la légalité). Ce droit peut être coutumier ou écrit (ensemble des lois : on distingue le droit privé (civil et commercial) du droit public (droit pénal, administratif et constitutionnel). Pour être réel, il doit s’appuyer sur une autorité chargée de le faire respecter. Ce droit est relatif à la législation d’un pays considéré et peut être très différent d’un pays à l’autre.

Le droit objectif peut se trouver en désaccord avec une revendication subjective. Si ce désaccord est marginal et seulement le fait de quelques individus, il est sans conséquence. Mais si ce désaccord est massif et que le sentiment général va contre le droit positif, alors la légalité est remise en cause au nom d’une légitimité.

 

- Le droit (avoir le droit) : le légitime, ce qui est conforme aux exigences de la morale, par opposition au fait, au réel; l’ensemble des droits régissant les rapports des hommes entre eux. Il s’agit d’un usage subjectif du droit entendu comme pouvoir moral de posséder, de faire ou d’exiger quelque chose conformément à une règle ou à ce qui est permis. Le fondement de cet usage repose sur le sentiment de ce qui est juste pour soi.

 

- Le droit naturel : ensemble de règles considérées comme appartenant à l’homme du fait de la nature ou de l’essence de celui-ci (ou de la nature en général), et ce indépendamment de toute législation, de tout droit positif. Droit dont aucune autorité politique, aucune loi ne peut priver l’homme (ex : les droits de l’homme).

 

- Le droit positif : ensemble de règles (lois, coutumes, usages) données et existant réellement dans une société; droit existant à un moment donné, tel qu’il a été établi par les autorités compétentes.

 

- Droits de l’homme : droits fondamentaux et inalénables qui appartiennent à tout homme du fait même qu’il est homme : égalité devant la loi, liberté de conscience, liberté d’expression, droit à la propriété, etc.

 

- Egalité civile : principe selon lequel tous les citoyens ont, l’égard des lois, les mêmes droits et les mêmes obligations.

 

- Equité : chez Aristote, forme de justice qu cherche à adapter la loi, dont la lettre est nécessairement générale, aux cas particuliers qui peuvent se rencontrer et que la loi n’a pas prévus. Elle s’efforce de traiter chacun, avec souplesse, sur un pied d’égalité.

 

- Etat de nature : fiction théorique d’un état préliminiare à la réunion des hommes en société civile. Dans l’étatd e nature tel que le décrit Rousseau, les hommes sont à la fois libres et égaux ; solitaires et pacifiques, ils ne se dirigent que d’après leurs sentiments (l’amour de soi, la pitié). Voir, pour approfondissemnt, le cours sur autrui.

 

- La justice :

 

- Etymologie : justicia, conformité avec le droit, sentiment d’équité.

 

- En tant que notion, la justice est d’abord la norme du droit, la notion de ce qui est dû.

 

- La justice est aussi une vertu par laquelle on respecte les droits des personnes en tant qu’elles sont considérées comme égales.

 

- Ensemble des institutions publiques et des personnes ayant pour fonction officielle d’appliquer les lois et le droit (pouvoir judiciaire).

- La justice commutative : celle qui règle les rapports entre personnes privées de façon que les échanges s’accomplissent selon une loi d’égalité arithmétique (égalité de proportion quant aux choses échangées).

 

- La justice distributive : celle qui concerne les rapports de la société avec ses membres et assure une répartition des biens et des charges publics proportionnelle aux mérites et capacités de chacun, y compris celle des récompenses et des échanges.

 

- Légal / légitime : est légal tout acte qui est conforme aux lois établies, au droit positif. Est légitime ce qui est conforme à l’équité, aux principes naturels du droit. Légitimité et légalité ne vont pas nécessaireemnt de pair : une loi est légale sans pour autant être nécessaireemnt légitime (exemple des lois despotiques ou racistes).

 

 

 

LECTURES CONSEILLEES

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-        Aristote, Ethique à Nicomaque, Garnier-Flammarion

-        Rousseau, Du contrat social, Gallimard

-        Hobbes, Léviathan, Sirey

-        Léo Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion

-        Luc Ferry, Philosophie politique, 1 et 3, PUF

-        Platon, La république, Garnier-Flammarion

-        John Rawls, Théorie de la justice, Seuil

-        Jean Imbert, La peine de mort, PUF, collection Que sais-je ?

-        La peine de mort dans le monde, quand l’Etat assassine, Amnesty international, 1989

-        Frédéric-Jérôme Pansier, La peine et le droit, PUF, collection Que sais-je ?

 

 

Les droits de l’homme

 

- P. Canivez, Eduquer le citoyen ? , Hatier, coll. Optiques (chap. 4 “L’éducation du jugement : le droit et les droits de l’homme”).

 

- L. Ferry et A. Renaut, Philosophie politique, T III, Des droits de l’homme à l’idée républicaine, PUF.

 

- Blandine Barret-Kriegel, Les droits de l’homme et le droit naturel, PUF

 

- Les constitutions de la France depuis 1789, Garnier-Flammarion.

 

- La déclaration universelle des droits de l’homme, Gallimard, coll. Folio.

 

- B. Binoche, Critiques des droits de l’homme, PUF, coll. Philosophies.

- L. Strauss, Droit naturel et histoire, Flammarion, coll. Champs.

 

- K. Marx, La question juive, 10/18.

 

-        H. Arendt : Essai sur la révolution, Gallimard, coll. Tel (chap. 4 “Première fondation : constitutio libertatis” et chap. 5 “Deuxième fondation : novus ordo saeclorum”).

 

 

 

EXERCICE DE CONTROLE DE COMPREHENSION DE LA FICHE

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1.     Droit et justice : définitions

2.     Qu’est-ce qui distingue le droit et le fait ?

3.     Comment penser la relation du droit et du devoir ?

4.     Qu’est-ce que le positivisme juridique ?

5.     Valeur et limites du positivisme juridique.

6.     Qu’est-ce que l’équité ?

7.     Définitions de l’égalité

8.     Distinguez : justices distributive, commutative, corrective

9.     Quelles critiques peut-on adresser au principe d’égalité ?

10.  Comment concevoir l’articulation égalité/liberté ?

11.  Que désigne le « voile d’ignorance » ?

12.  Quels sont, selon Rawls, les principes de justice rendant tolérables les inégalités ?

13.  Quelles sont les principales composantes du droit ?

14.  Distinguez légalité et légitimité

15.  Qu’est-ce que le droit divin ?

16.  Qu’est-ce que le droit positif ?

17.  Qu’est-ce que le droit naturel antique ?

18.  Sur quoi se fonde le droit naturel moderne ?

19.  Que nous enseignent les théories du contrat social ?

20.  Définissez la notion de droit de l’homme

21.  D’où vient cette notion et sur quoi se fonde-t-elle ?

22.  Quelle est la fonction des droits de l’homme ?

23.  Expliquez : droits civils et politiques, droits sociaux

24.  A quelles conceptions de l’Etat ces droits renvoient-ils ?

25.  La distinction entre droits civils et politiques, droits sociaux est-elle pertinente ?

26.  Exposez les principales critiques des droits de l’homme

27.  Quelles sont les limites du relativisme ?

28.  Le droit transforme-t-il la nature de la violence ?

29.  Quelles sont les caractéristiques de la sanction pénale ?

30.  Qu’est-ce qui distingue vengeance et punition ?

31.  Quelles sont les différentes fonctions de la peine ?

32.  Comment la peine de mort est-elle généralement justifiée ?

33.  Quels sont les arguments opposés ?

34.  Qu’est-ce qui justifierait le droit de désobéir à la loi ?

35.  Qu’est-ce que la désobéissance civile ?

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