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I) Exercice d’analyse conceptuelle
I) LA DISTINCTION DU NATUREL ET DU CULTUREL
A) LA CULTURE, UNE ANTI-NATURE
C) VERS UNE ARTICULATION DE LA NATURE ET DE LA
CULTURE
A) LA NEGATION DE L'EXISTENCE D'UNE NATURE
HUMAINE
B) L'AFFIRMATION D'UNE NATURE HUMAINE
THEMES DE RECHERCHES COMPLEMENTAIRES
EXERCICE DE CONTROLE DE COMPREHENSION DE
LA FICHE
Objectifs
méthodologiques : apprentissage de la méthode globale
de l'explication de texte (travail de préparation + rédaction) en vue du devoir
n° 1.
1) Construisez plusieurs phrases utilisant les mots : nature et naturel, et dégagez-en les sens;
2) Nature s’oppose à artifice, à convention, règle. A travers ces oppositions, dégagez le sens que prend le mot nature;
3) L’homme parle de la nature et aussi de sa nature. Présentez cette distinction;
4) Qu’entend-on par culture ?
1) * Naturel
® “cela est naturel” (ce qui est conforme à la nature, au cours habituel et normal des choses).
® “rester naturel en toutes circonstances” (ce qui est conforme à la nature profonde d’un individu, et exempt d’affection, de recherche).
® “il est d’un naturel peu aimable” : ensemble des caractères qu’une personne tient de naissance).
* Nature
® “nature humaine” ( ensemble des caractères propres à l’homme).
® “l’habitude est une seconde nature” ( ensemble des caractères innés d’un individu, par opposition à ce qui est acquis par la coutume, la vie en société, la civilisation).
2) - Nature « Artifice ® la nature est ce qui est inné, spontané, voire brut, pur, inaltéré. L’artifice, au contraire, concerne tout ce qui est produit par la technique, l’activité humaine finalisée, et non par la nature.
- Nature « Convention ® une convention est ce qui résulte d’un accord réciproque, d’un consensus, d’une règle acceptée, d’une décision humaine. La nature, par opposition, est tout ce qui ne relève pas d’une décision humaine et qui, de ce fait, est indépendant de la volonté.
- Nature « Règle ® si l’on entend par règle un modèle, une norme décrivant ce qui doit être, et par rapport à laquelle sont formulés les jugements de valeur, la nature désigne l’ordre du fait, de la réalité, tout ce qui est étranger aux valeurs de l’homme (les animaux, les végétaux, etc.).
3) - L’expression “la nature” désigne tout ce qui, dans l’univers, se produit spontanément, sans intervention de l’homme, mais aussi l’ensemble des choses perçues, visibles, en tant que milieu où vit l’homme (environnement).
- L’expression “sa nature” signifie l’ensemble des éléments innés d’un individu (caractère, tempérament).
1. On peut, à partir de là, distinguer trois significations principales du mot
"nature":
1. ce qui est donné par la naissance : ce qui est inné, c'est-à-dire ce qui se manifeste spontanément en un être à mesure qu'il croît; c'est aussi le tempérament, le caractère d'un individu. La nature, c'est donc, en un premier sens, une force productrice;
2. ce qui constitue un être : ce qui permet de le définir, de le rattacher à une espèce;
3. l'ordre des choses : l'ensemble de ce qui existe et qui ne résulte pas de l'initiative humaine (le ciel, la terre, les animaux, la mer, etc.).
4) La culture
2. Le terme "culture" vient du latin Cultus : action de cultiver, d'entourer.
3. La culture désigne, en premier lieu, la culture du sol : une terre cultivée, par opposition à la terre non cultivée, a été travaillée, transformée par l'homme; la culture est à la fois ce travail et le produit de ce travail.
4. Par extension, "culture" désigne tout développement acquis par la pratique d'un
exercice et d'un entraînement (ex. : la culture physique). La
culture concerne aussi les soins donnés à l'esprit par l'éducation; quand
on parle de la culture, on entend ici les oeuvres de l'esprit – la science, le
droit, la médecine, les arts, etc. – et une personne "cultivée" est
celle qui possède des connaissances étendues dans ces domaines.
5. Il y a enfin la culture japonaise, américaine : le mot est ici voisin de
celui de civilisation : ensemble des productions matérielles (techniques,
monuments, oeuvres) et immatérielles (idées, croyances, lois, etc.) par
lesquelles l'homme surpasse son animalité primitive.
6. De tous ces sens, il faut retenir l'idée d'un effort intelligent et volontaire fait par
l'homme sur la nature pour en obtenir le rendement maximum et la conduire à son
point de perfection. Une origine naturelle (la terre, l'esprit,
l'animalité) a été dépassée par un travail qui a fini par la transformer radicalement.
Nature = départ, culture = arrivée, de sorte que la culture naît de la nature
(rien ne naît de rien) et la nie en la dépassant.
7. Les définitions données précédemment suggèrent que la nature et le naturel renvoient à ce qui est donné, spontané, voire inné, ce à quoi il suffit d’obéir et dont on peut se contenter, cela même qui reste tel qu’il est à travers le temps ou l’espace.
8. La culture et le culturel, au contraire, renvoient au domaine de l‘acquis, de ce qui est construit ou à construire, c’est-à-dire ce qui exige un effort d’invention et de finalisation.
9. Remarquons ensuite que les termes “nature” et “culture”se présentent d’emblée comme liés (l'intitulé du cours est " nature et culture "). Toute la difficulté semble alors résider dans le “et”, comme s’il n’existait rien de tel que “la” nature tout court, ou “la” culture.
10. Or, si la culture est le fait de l'homme, où finit la nature et où commence la culture ? Y a-t-il, de l'une à l'autre, continuité, développement de l'être premier, épanouissement, ou changement radical ?
11. Cette distinction, ou cette possible opposition, entre la nature et la culture, renvoie alors à une question fondamentale, qui apparaît comme étant d’emblée culturelle et historique : qu’est-ce que l’homme ? quelle est sa place dans la nature ? en quoi sommes-nous humains ? Autrement dit : qu'est-ce qu'un homme ? Qu'est-ce qu'être humain ? Et même que signifie être humain ? Comment le devient-on ?
12. L’homme a-t-il d'ailleurs une nature ? Et si oui, quelle est-elle (la violence, la compassion, la solidarité…) ?
13. Nous verrons que si nature et culture sont pensées simultanément ou contradictoirement, c’est peut-être que la nature est toujours celle d’une culture, qu’elle est toujours investie par les désirs humains, produite par les relations imaginaires et affectives que l’homme vit avec elle et, qu'à travers la réflexion sur le rapport entre la nature et la culture, c'est sur lui-même que l'homme tente de s'interroger.
- Dans cette 1ère partie, nous tenterons de nous demander quelle est la signification de la conjonction de coordination " et " de l'intitulé " nature et culture ". A-t-elle valeur d'opposition, de complémentarité, d'implication réciproque ? Y a-t-il un ou plusieurs critères permettant d'établir une ligne de démarcation entre l'ordre de la nature et celui de la culture ? Où finit la nature et où commence la culture.
- On peut d'abord envisager le rapport nature-culture en termes d'opposition, l'opposition se posant au bénéfice de la culture qui désigne une anti-nature, c'est-à-dire un ordre spécifiquement qui non seulement rompt radicalement avec celui de la nature mais le nie en quelque sorte en permanence. Ici, l'humanité est définie en rupture avec le monde animal et la culture constitue alors la seule nature de l'homme à proprement parler. La notion de nature sera envisagée ici comme ce qui est donné par la naissance, tout ce qui n'est pas le fruit de l'activité humaine. Nous envisagerons plus loin le deuxième sens de l'idée de la nature – l'essence – à travers la question de la nature humaine .
1.
La culture transcende la nature (texte de L.Strauss sur la
prohibition de l'inceste)
- Définissons l'ordre de la culture, en premier lieu, comme étant tout ce que l'homme ajoute à la nature, ordre irréductible qui ne saurait être dérivé de la nature ou calqué sur elle. Par la culture, l'homme projette, imagine, invente une réalité tout autre.
- Faisons remarquer qu'aucun peuple, fût-il le plus sauvage, le plus primitif, ne vit naturellement. Les peuples sans écriture ne vivent pas comme des animaux. De ce qu'ils sont proches de la nature, il ne faut pas conclure qu'ils vivent naturellement. A bien des égards, même si souvent leur technologie est extrêmement fruste, leurs croyances, leurs moeurs sont plus complexes que les nôtres.
- Pour les anthropologues et les sociologues, le terme culture sert à désigner l'ensemble des activités, des croyances, des pratiques communes à une société ou à un groupe social particulier. En 1871, l'anthropologue Tylor définit ainsi la culture : « un ensemble complexe incluant les savoirs, les croyances, l’art, les moeurs, le droit, les coutumes, ainsi que toute disposition ou usage acquis par l’homme en société ». Ici la culture correspond à un ensemble très vaste : elle couvre toutes les activités créées par l'homme, tout ce qui s'oppose à la nature ou n'est pas le fruit de la nature. De ce point de vue, tous les peuples ont une culture.
- Cette définition souligne deux dimensions essentielles de la culture : le fait culturel est universel et caractérise tout groupe social ; la culture est acquise et sa transmission fait partie intégrante du phénomène culturel.
- Universalité de la culture d’abord, en ce sens que tous les groupes humains quels qu’ils soient sont dotés d’une culture propre. Ce que dément le sens commun lorsqu’il envisage l’existence d’une nature humaine indépendante du contexte social. Ne dissertait-on pas, au XVIIIe siècle, sur les « Naturels », ces êtres désignés proches de la nature et dépourvus de culture ? Or, comme l’a montré Lucien Malson (in Les enfants sauvages), un enfant, un être humain privé d’environnement culturel ne retrouvera en aucun cas des comportements instinctifs.
- Si le fait culturel est universel et acquis, cela implique que nous aurions tous pu être des Bororo. Rien, dans la physiologie, ne nous prédispose à telle forme culturelle plutôt qu’une autre. Ainsi, même des actes élémentaires comme le sommeil, la respiration sont des faits sociaux et culturels. L’accomplissement des fonctions biologiques suppose un apprentissage, de sorte que si tous les hommes, par exemple, digèrent selon le même processus biologique, ils n’ont pas la même façon de manger, de boire, etc. Marcel Mauss parle de « techniques du corps » pour désigner « les façons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps » (Sociologie et anthropologie). Il y a technique parce qu’il y a transmission par la tradition. Lire, p 22 et 23 de la culture (Magnard) les textes de Mauss sur les techniques du sommeil et de la reproduction, et de Sapir sur la respiration comme fait culturel.
- En ce sens, l'homme est le seul animal à ne pas se contenter de ce que la nature lui donne. Partout, dans toutes les sociétés, l'homme lave son corps – premier don de la nature -, le vêt, l'orne, le maquille, le peint (les tatouages), le mutile (les mutilations sexuelles, les scarifications – cicatrices rituelles). Aucun animal ne fait cela : il se contente de vivre avec le corps que la nature lui a donné.
- De même, les animaux ont certes des langages mais ils ne parlent pas :
leurs cris ne sont pas décomposables en unités élémentaires (le mot "
étonnant ", par exemple, est décomposable en syllabes et en sons
minimaux), et ils ne peuvent être englobés dans des ensembles plus vastes (un
mot parlé peut faire partie d'une phrase, et une phrase d'un discours). Comme
le montre le linguiste André Martinet, la double articulation est la
caractéristique essentielle et spécifique du langage humain.
- Constamment travaillée par l'homme, la nature est de plus en plus lointaine : premiers grands défrichements au néolithique, domestication des animaux que l'homme élève jusqu'à produire maintenant des variétés qui n'eussent pas existé sans lui. Avec les actuelles manipulations génétiques, un nouveau palier est franchi : l'homme devient capable de produire artificiellement du vivant.
- De même ne peut-on paradoxalement revenir vers la nature qu’en compliquant l’artifice, en faisant appel au savoir - faire des spécialistes de cet artifice . Par exemple, les mets plus “naturels” ou “allégés” que nous impose la surveillance alimentaire de soi, ne sont pas moins que les autres industriellement élaborés, fabriqués, conservés. Ils sont dosés en protéines, vitamines, calories, entités naturelles certes, mais que la nature ne dose pas de la sorte ; ce sont donc autant de technologies de la santé (pharmaceutiques, hygiéniques, diététique, gymnastiques…).
- Le tableau ci-dessous montre l'opposition de deux mondes, où le destin de l'homme se joue.
|
Corps |
Alimentation |
Langage |
Terre |
Matière
|
Nature
|
Nudité
|
Crue |
Cris, chants |
Sauvage |
Brute |
Culture
|
Vêtements, parure, pratiques corporelles |
Cuite |
Paroles |
Cultivée |
Transformée, artificielle |
Domaines
culturels concernés |
Tissage, orfèvrerie, mode |
Poterie, métallurgie, cuisine |
Langage |
Métallurgie, agriculture |
Métallurgie, chimie |
- Comparons maintenant l'ordre et la loi de la nature à l'ordre et la loi de l'homme.
- L'ordre et la loi de la nature sont objectifs, nécessaires, universels, voire éternels. L'ordre et la loi de l'homme, de la société humaine sont humains, artificiels ou conventionnels, contingents, particuliers, historiques.
- Une loi de la nature est l'expression d'un rapport constant entre des phénomènes. Exemple : E = mc 2 est l'expression d'un rapport entre l'énergie (E), la masse (m) et la vitesse de la lumière (c). Une loi humaine est l'expression d'une règle régissant des phénomènes sociaux. L'ordre de la nature est universel (en tout point le même) et nécessaire, l'ordre social est particulier à une histoire, à une culture.
- Les instincts des animaux déterminent des nécessités (la satisfaction des besoins), des possibilités (un phoque peut vivre dans l'eau et sur terre) et des impossibilités (un carnassier ne peut se mettre au régime végétarien). Les lois de la société humaine définissent des obligations, des autorisations et des interdits. On peut échapper à une obligation, la violer ou l'ignorer. Les animaux n'ont pas d'obligations : un oiseau migrateur n'est pas obligé de fuir vers le sud l'arrivée des grands froids, il est forcé de le faire, faute de quoi il meurt.
- De même, l'homme
ajoute à la simple possibilité physique, l'autorisation légale qu'on appelle un
droit (d'où,
en anglais, la distinction entre can
– la possibilité physique – et may –
l'autorisation). Or, les animaux ne jouissent d'aucun droit. La nature
en général n'est pas un sujet libre, un agent " susceptible d'agir avec la
réciprocité qu'on attend d'un alter ego juridique " (Ferry, La sagesse des modernes, p. 207). Et
'" c'est toujours pour les hommes qu'il y a du droit ". Les droits de
la nature sont, en réalité, des devoirs de l'homme envers l'homme, et notamment
envers les générations futures. Ce ne sont pas tant des devoirs envers la nature, qui impliqueraient
celle-ci comme partenaire responsable, mais des devoirs concernant
la nature.
- Enfin, à l'impossibilité correspond et s'oppose l'interdit humain : " Tu ne tueras point" n'est pas l'énoncé d'une impossibilité : sinon, à quoi bon le produire ? On n'interdit pas ce dont on sait à l'avance que cela ne sera pas fait. On interdit ce que, spontanément, en suivant ses tendances et désirs, l'être humain ferait. Ainsi, par l'interdit, l'homme s'élève-t-il au-dessus de son animalité.
NATURE |
CULTURE
|
Nécessité
|
Obligation |
Possibilité |
Autorisation |
Impossibilité |
Interdit |
- Exemple de la prohibition de l'inceste (texte de L. Strauss)
2. De l'animalité de l'homme ? (textes de Rousseau)
- Est-il légitime de comparer certains êtres humains à des animaux pour ce qu'ils sont ou pour ce qu'ils ont fait ? A-t-on jamais vu des animaux faire ce que l'on dit être bestial ? Non point.
- Paradoxalement,
c'est dans les actes réputés bestiaux, ceux qui s'éloignent le plus de ce que
nous tenons pour humain, que nous nous distinguons le plus des animaux, parce
qu'aucun animal n'est bestial au sens où nous l'entendons. Ces actes s'écartent
certes de ce qui est tenu pour humain, mais en aucun cas ils ne manifestent une
régression au stade de l'animalité, ils s'en éloignent au contraire le plus
fortement qui soit. Rien n'est plus humain qu'être inhumain. Ce que
l'on appelle inhumain
n'a rien d'une régression au stade de l'animalité, mais est une transgression des
normes que l'on applique aux humains, transgression qui en réalité
éloigne de l'animalité au moins autant que les normes communes.
- Luc ferry (in La sagesse des modernes) souligne que le mal radical est une des caractéristiques essentielles de l’homme. Ce mal radical que la nature ignore réside dans le fait, pour l’homme, de prendre le mal en tant que tel comme projet. Il n’existe rien, dans le monde animal, qui s’apparente à la torture, par exemple. Il existe à Gand, en Belgique, un musée de la torture qui laisse songeur. Les animaux commettent eux aussi des actes que l’on pourrait qualifier de cruels. Mais ce n’est pas le mal comme tel qu’ils visent, leur cruauté ne tenant qu’à l’indifférence qui est la leur à l’égard de la souffrance d’un autre; lorsqu’ils tuent, ils ne font qu’exercer au mieux un instinct qui les guide et les tient en laisse.
- L’être humain, lui, n’est pas indifférent : lorsqu’il torture gratuitement, il est en excès par rapport à tout logique naturelle. Exemple des miliciens serbes qui obligent un grand-père croate à manger le foie de son petit-fils, des Hutus qui coupent les membres de nourrissons vivants pour mieux caler leurs caisses de bière. C’est cet excès qu’on peut appeler, selon Luc Ferry, la liberté. En clair, les hommes sont trop méchants pour que cela soit naturel ! Si les hommes étaient entièrement liés à la nature, ils ne seraient ni méchants ni malheureux, ils seraient bêtes. Pour quelle raison?
- Selon la tradition
humaniste incarnée notamment par Rousseau et Kant et défendue actuellement par
Luc Ferry, ce mal radical renvoie à une faculté proprement humaine qui
constitue le critère essentiel séparant l'animalité de l'humanité : la liberté.
C'est ce que montrent ces deux textes de Rousseau extraits du Discours sur l'origine et les fondements de
l'inégalité parmi les hommes.
Exercice :
- Après avoir lu attentivement ces deux textes de Rousseau et dégagé, pour chacun d'eux, la problématique, la thèse et les idées principales, vous expliquerez ce qui, selon Rousseau, distingue l'homme de l'animal.
Texte n° 1 : " Je ne vois dans
tout homme...son âme "
- Dans ce texte
extrait de la première partie du Discours sur l'inégalité, Rousseau traite de
l'homme naturel qui diffère de l'homme civil. Il examine ce qui caractérise cet
être naturel. Rousseau se demande où se situe la ligne de partage entre l'homme
et l'animal. Il montre que l'homme se distingue de l'animal par la conscience de sa
liberté.
- Dans le premier paragraphe, il souligne que l'animal est une machine, tandis que l'homme est un agent libre. L'animal, dit Rousseau, est une "machine ingénieuse", c'est-à-dire une combinaison complexe d'organes pouvant exécuter des mouvements déterminés. Rousseau reprend ici à son compte la théorie cartésienne de l'animal-machine, même s'il s'en distingue quelque peu.
- Rappelons que pour Descartes, le sujet, le cogito, ne peut être le seul et unique pôle de sens; la nature est désinvestie de toute valorisation morale; le monde matériel est sans âme, sans vie, il est réduit aux seules dimensions de l'étendue et du mouvement. L'animal en fait partie : il ne parle pas; sa parole, quand elle a lieu par imitation, n'est pas un langage, mais l'effet d'une machinerie, sans âme ni signification.
- Les animaux sont donc des automates, réduits à un corps; ils sont dépourvus de pensée. La perfection de l'animal est d'un autre ordre que l'imperfection humaine. Si les actions de l'animal sont précises, elles restent néanmoins mécaniques. Faible polyvalence de l'humain par rapport à la spécialisation de l'animal.
- L'homme, au contraire, souligne Rousseau, est un " agent libre ", c'est-à-dire un être qui peut agir par un choix conscient et sans contrainte.
- Le deuxième paragraphe établit que l'animal agit par " instinct " et l'homme par un " acte de liberté ". L'instinct est un comportement inconscient, stéréotypé et préformé.
- Le troisième paragraphe opère une nuance très intéressante : il n'y a qu'une différence de degré, du point de vue de l'entendement, entre l'homme et l'animal. Ici Rousseau se sépare de Descartes et subit l'influence de Condillac. Comme les idées ont leur origine dans les sens, il faut admettre, quant à la pensée, qu'il n'y a qu'une différence de degré entre l'homme et l'animal. De l'animal à l'homme il y a continuité en ce que certaines idées leur sont communes.
- Les idées sont des impressions des sens : j'ai l'idée de ce que mes sens m'indiquent; ces idées sont des idées sensibles (le froid, la soif, la peur, etc.); ces idées sensibles sont déterminantes pour l'animal qui ne peut s'y soustraire. Du point de vue physique et de ses conséquences intellectuelles, l'homme est seulement plus perfectionné que l'animal : il a plus d'idées, elles sont plus complexes : différence de degré, non de nature.
- Ce qui sépare
totalement l'homme de l'animal, ce n'est pas l'entendement (faculté
intellectuelle, en rapport avec les idées et leur combinaison; les idées étant
de tout ce que l'animal se représente) mais la conscience de la liberté. C'est
l'opposition de l'instinct qui prévaut entre l'homme et l'animal. L'homme est
certes sensible comme tout animal. Mais en lui se manifeste une puissance non
naturelle, métaphysique : sa volonté, sa liberté. L'homme est cet être qui se dépasse lui-même.
1. Texte n° 2
(" Mais...âme ")
- Rousseau, dans ce texte, découvre une nouvelle faculté, propre à l'homme, la perfectibilité, qui s'oppose à la fixité de l'animal. La possibilité d'acquérir progressivement de nouvelles qualités et perfections, la faculté de dépasser le mécanisme et les bornes de l'instinct caractérisent l'homme. Cette perfectibilité rend d'ailleurs possible le langage.
- Le premier paragraphe : à la différence de l'animal, l'homme peut acquérir de nouvelles qualités.
- La perte de ces qualités ramènerait l'homme plus bas que la bête.
- Enfin, la capacité de se perfectionner est à l'origine de tous les maux. L'homme sort de l'état de nature et il perd ainsi le bonheur originel.
- Que l’homme est un être qui n’a pas d’essence, de nature, que la nature humaine n’existe pas.
- Commentaire
:
- Livré à lui-même, l'animal est prisonnier des déterminations qui programment ses comportements, alors que l'homme est indétermination, inventivité. L'animal est absent à lui-même : il fait mais il ne sait pas qu'il fait. L'homme contribue de lui-même, de sa propre volonté, à sa survie : il peut refuser de s'alimenter, de se soigner.
- C'est cette distance originaire entre son corps et lui-même, cet écart de soi à soi qui le rend présent à lui-même. Exemple que donne Rousseau : la nécessité naturelle s'impose uniformément et irrémédiablement au pigeon : que les circonstances changent et il ne peut assurer sa survie. L'homme, au contraire, est si peu programmé par la nature qu'il peut commettre des excès (boire, fumer, etc.), jusqu'à en mourir.
- Il y a bien sûr chez certains animaux une souplesse d'adaptation (cf. Texte de Bergson, devoir n° 1. Mais les acquisitions qui témoignent d'un début de plasticité (fabrication d'outils...) ne se transmettent pas d'une génération à l'autre : les sociétés animales n'ont pas d'histoire. Les écarts observés par rapport au déterminisme de la nature sont souvent le fruit d'un dressage initial : soumission animale, patience et ingéniosité de l'homme. La fin du deuxième paragraphe (" C'est ainsi que les hommes dissolus...se tait ") indique l'ambivalence du statut humain : l'homme est capable du meilleur comme du pire précisément parce qu'il est un être libre. C'est l'indétermination de la nature qui ouvre le chemin de la liberté et de l'éthique.
- Ce qui fait donc la plus grande différence entre l’homme et l’animal, c’est que l’homme se transforme et se perfectionne à l’infini, alors que l’animal ne peut pas dépasser ce que la nature a fait de lui (“[…] un animal est au bout de quelques mois ce qu’il sera toute sa vie, et son espèce au bout de mille ans ce qu’elle était la première année de ces mille ans”, Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité). Les animaux n'ont presque pas besoin d'éducation (l'espèce humaine qui, de toutes les espèces animales, connaît la période de juvénilisation la plus longue) : exemple des jeunes tortues qui trouvent spontanément, aussitôt sorties de l'oeuf, la direction de l'océan et savent immédiatement accomplir les mouvements qui leur permettent de marcher, de nager, de survivre.
- Au contraire, les sociétés humaines progressent, changent, sous l'effet d'une double historicité : celle de l'individu (l'éducation), celle de l'espèce (la politique).Ce qui fait l’identité des hommes, c’est qu’ils sont tous des hommes de culture. La nature de l’homme consiste alors, si l’on peut dire, à ne pas en avoir a priori. Nature absolument libre, l’homme peut se faire, se choisir, il n’a pas d’essence prédéfinie. C’est donc la liberté qui fait l’homme, ce pouvoir de choisir qui fait du sujet humain la cause première et volontaire de sa conduite, et en lequel résident la dignité et la responsabilité humaines. C’est cette ouverture permanente vers les possibles dont témoigne l’historicité humaine.
- Et c'est parce qu'il est libre, qu'il n'est prisonnier d'aucun code naturel ou historique déterminé, que l'être humain est un être moral. Il faut pouvoir s'écarter du réel pour le juger bon ou mauvais, de même qu'il faut pouvoir se distancier de ses appartenances naturelles ou historiques pour acquérir ce que l'on nomme " l'esprit critique ". Comment pourrait-on d'ailleurs imputer à un être humain de bonne sou de mauvaises actions s'il n'était libre de ses choix (la liberté est au fondement de la responsabilité).
- Où l'on voit que la liberté est la faculté de s'écarter de soi en même temps que du monde ou des contextes particuliers dans lesquels on est englué (les droits de l'homme considèrent qu'un être humain est respectable indépendamment de ses appartenances communautaires à une langue, une nation, une race, une religion). A l'animal, même le plus doué (les singes bonobos), manque la relation au sens et à l'universel qui permet de se faire comprendre, de comprendre autrui, de se distancier de soi afin de s'intéresser à l'autre suffisamment en profondeur pour lui imputer des intentions, prendre plaisir à partager des expériences ou des connaissances avec lui. Faute de décentrement, le sens de la réciprocité fait défaut à l'animal.
- Et c'est justement aussi pour cette raison que l'on ne saurait parler de droits des animaux. En effet, lorsque nous parlons de droits de l'homme, par exemple, nous incluons dans cet ensemble un certain nombre de devoirs d'assistance envers les autres. Au-delà de l'action proprement humanitaire, nous voyons des humains secourir des animaux, plaider en faveur de la cause des baleines. Or, l'on n'a jamais vu la réciproque sinon dans les mythes d'enfants élevés par des bêtes. Aucun animal sur terre ne se soucie du sort es Kurdes, des Kosovars, de l'humanité en général.
- C’est ce que soutient également Sartre dans L’existentialisme est un humanisme. L’homme n’a pas de nature, à la différence des objets ou des êtres inertes; il a une condition et une histoire, une histoire individuelle qui prend place dans une histoire collective. Or, tout ce qui a une histoire n’a pas de définition parce que tout ce qui a une histoire est en devenir et on ne peut définir que ce qui ne devient pas, ce qui est déterminé de telle sorte que quoi qu’il arrive, ce qui est ne devient pas, ou pas foncièrement, pas essentiellement. Exister , c’est toujours être ce qu’on n’est pas, et ne pas être ce qu’on est. Exemples du voyou (Jean Genet) et du mythe de l’éternel féminin (Simone de Beauvoir).
- Cette non-coïncidence de l’homme avec soi-même ou avec une situation (caractéristique de la conscience), Sartre l’appelle le néant. Je suis toujours séparé de moi-même par ce néant qui est la marque de la conscience. “L’existence précède l’essence ”: c’est par son choix que l’homme détermine son essence. En choisissant, il se choisit en quelque sorte lui-même dans ce choix. L’homme est entièrement libre dans toutes les circonstances et dans chacun de ses actes. La liberté est l’essence de notre existence.
3) Conclusion : la culture comme norme
- De tout cela il faut retenir l'idée que c'est par la culture que l'homme conquiert son humanité, en s'arrachant à la nature, en surmontant son simple statut biologique.
- Thème de l'éducation : On entend généralement par éducation le processus par lequel une ou plusieurs fonctions se développent, progressivement et graduellement, par l’exercice (ex : l’éducation de l’ouïe), mais aussi l’ensemble des opérations et des procédés par lesquels les adultes développent les facultés et qualités de l’enfant.
- Selon Kant, n’étant pas dirigé par l’instinct, l’homme doit conquérir par la culture ce que la nature lui a refusé; étant par nature inachevé, déficient, il doit se construire lui-même, se donner ses propres lois, faire usage de sa propre raison et de sa liberté.
- Quels sont les différents éléments d’une éducation ? ses buts ? Kant explique que le but de l’éducation est de conduire l’homme à sa propre humanité et autonomie. L’éducation comporte deux aspects : la discipline (partie négative de l’éducation) doit habituer l’enfant à supporter la contrainte des lois; l’instruction (partie positive) consiste à former et à enrichir l’esprit par la transmission du savoir et par l’étude.
- L’éducation n’est pas uniquement l’apprentissage positif des normes ou des valeurs d’une société : elle est ce par quoi l’homme devient humain, cela même qui permet à l’individu d’atteindre le point de vue de l’universel. Qu’est-ce qu’une éducation réussie ? Celle qui, tout en habituant l’individu à se soumettre à la raison et à la contrainte légale, cultive en lui la liberté. Tout le problème de l'éducation est le suivant : comment orienter la discipline, l’acquisition des comportements fondamentaux, vers le libre exercice du jugement individuel, l’aptitude à discuter les décisions nécessaires ?
- En somme, si la culture est l'horizon final de l'humanité réalisée, en ce sens qu'elle est à la fois une action (l'acte de cultiver ou de se cultiver) et le résultats de cette action (la culture comme état, comme quand on dit de quelqu'un qu'il est cultivé), la culture ne se contente pas de se substituer à la nature, elle fait de la nature sa subordonnée, son instrument, en vue de sa propre réalisation. La culture est la norme vers laquelle l'homme doit tendre et faire tendre la nature.
14. La culture nous offre alors le paradoxe d'une nature de substitution, d'une nature construite.
- Si la notion de culture implique un certain travail exercé sur une nature donnée, une transformation de la nature susceptible de produire des propriétés nouvelles ou, tout au moins, de développer des qualités d’abord virtuelles, on peut envisager, dans un deuxième temps, cette transformation comme une perversion, c'est-à-dire finalement une dénaturation. La culture n'est plus tant l'idéal vers lequel tout un chacun doit tendre pour se réaliser qu'une dérive par rapport à l'équilibre originel. L'opposition de la nature et de la culture peut alors jouer cette fois en faveur de la nature qui devient une norme, tandis que la culture incarne l'ordre de l'artifice.
1) Le primat de l’inné sur l’acquis
- La biologie contemporaine, sous la forme notamment de la sociobiologie, nous invite à penser que l’homme est un élément parmi d’autres dans le règne de la nature et prétend trouver dans l’infrastructure génétique les motifs ultimes de nos comportements, voire de nos choix moraux et esthétiques.
- Contrairement à ce que pense Sartre, ce n’est pas l’existence qui précède l’essence mais le contraire. Comment un être vivant pourrait-il exister - agir, choisir, créer - sans être d’abord ceci ou cela - un corps, un cerveau, une essence génétiquement déterminée ? Il faut être d’abord pour exister ou pour choisir quoi que ce soit. De plus, s’il est vrai que l’homme n’a pas de nature, dans ce cas comment se fait-il que nous nous méfions des manipulations génétiques et que nous en appelions à la bioéthique ?
- La biologie nous enseigne, en effet, que l’homme a bien une essence, une nature: existent des traits communs à tous les êtres humains (le langage et les apprentissages, par exemple, dont nous sommes, selon J. Monod et F. Jacob, génétiquement programmés; la démesure, le fantasme, le délire qui sont, selon E. Morin, dans notre nature et que nous transformons en ordre, rationalisons; certaines émotions fondamentales…). Nous sommes hommes par nature : les possibilités exceptionnelles de l’espèce humaine proviennent de l’évolution naturelle des espèces; les comportements des animaux, comme l’expliquent les éthologues, sont souvent des ébauches des nôtres (ils sont capables de sensations, d’émotions et, chez certains d’entre eux, de comportements altruistes, érotiques, etc.).
- Ainsi, pour les sociobiologistes, le fond héréditaire de l’éthique et de la culture est-il plus fort que l’acquis dû aux multiples influences des divers milieux dans lesquels nous baignons en permanence. La culture et l’histoire sont considérées comme des prolongements de la nature. L’universalité de certains traits de l’être humain renvoie à l’idée de nature humaine : le biologiste Edward O.Wilson postule que des activités humaines généralement perçues comme d’origine culturelle sont en fait enracinées dans notre héritage génétique : l’altruisme, la formation des couples, la communication…
- Ainsi tous nos comportements, y compris ceux qui sont en apparence les plus “spirituels”, sont-ils le résultat de l’adaptation sélective de notre nature biologique au milieu qui nous entoure. La spécificité de l’humain est alors contestée au profit de l’affirmation d’une continuité parfaite des espèces.
- Une discipline comme la génétique des comportements, par exemple, entend dévoiler d’éventuels déterminismes dissimulés derrière nos modes de vie. De vastes entreprises de recherches sont consacrées aux origines de l’homosexualité, de l’intelligence, de l’agressivité, de l’alcoolisme, de la schizophrénie ou de la dépression.
- Par exemple, le 29 novembre 1996 paraissait dans la revue américiane Science une étude de Klaus Peter Lesch, professeur de neurobiologie à l’université de Würzburg, relatant une découverte : la mise au jour de l’origine génétique de certaines formes graves d’anxiété névrotique. Ces dernières seraient dues à de petites différences entre les gènes, semblables à celles qui expliquent la couleur des cheveux ou des yeux. Les biologistes parlent ainsi de familles de schizophrènes, de maniaco-dépressifs, etc.
- Mais ce type de recherche fait problème sur le plan éthique et philosophique.
- Dire qu’un comportement, quel qu’il soit, est déterminé par une origine génétique, n’est-ce pas se défausser sur la nature de ce que l’on considérait jadis appartenir à la sphère de la responsabilité humaine ? En 1965, des recherches menées sur une éventuelle origine génétique de l’agressivité avaient conduit certains chercheurs à émettre l’hypothèse d’un “chromosome du crime” (on avait trouvé, chez certains débiles mentaux ayant fait preuve de violence, une anomalie des chromosomes sexuels - XYY au lieu de XY). Des avocats s’empressèrent aussitôt de demander l’acquittement des criminels porteurs de cette particularité au motif qu’ils n’étaient pas responsables de leur lourde hérédité !
- De plus, prétendre que la schizophrénie, l’alcoolisme, la dépression seraient innées, n’est-ce pas revenir à l’idée ancienne qu’il existerait des déviants par nature, des familles de “tarés” ? Ces maladies ne sont-elles pas avant tout déterminées par l’histoire individuelle et familiale ? Ne va-t-on pas se mettre à examiner l’ADN d’un individu avant de le recruter, voire se mettre à tester les embryons pour éliminer ceux qui seraient manqués ?
1. L'homme et
l'animal : une différence de degré
- La thèse naturaliste ou matérialiste, contrairement à la perspective humaniste (Rousseau, Kant), tend à abolir l'idée d'une discontinuité radicale entre le monde de la nature et celui. La nature devient un absolu ; l’homme est le fruit d’un processus biologique d’hominisation (l’homo sapiens se distingue progressivement des espèces dont il dépend, et ce par mutations et sélection naturelle), et d’un processus historique d’humanisation (il se détache peu à peu de la nature par les règles, les interdits, le langage, la civilisation…). La distinction entre l’homme et l’animal n’est alors que quantitative – différence de degré et non de nature.
- Thèse utilitariste (Bentham, Henry Salt, Peter Singer): l'homme n'est pas le seul à posséder des droits, mais, avec lui, tous les êtres susceptibles de plaisirs et de peines.
- Dans son livre La libération animale, Peter Singer estime que c'est l'intérêt qui est le fondement du respect moral et le critère du sujet de droit. C'est la capacité à éprouver du plaisir ou de la peine qui qualifie la dignité d'un être et le constitue en personne juridique. D'où l'extension de la protection du droit à tous les êtres susceptibles de souffrir.
- Conséquence : l' " antispécisme ", doctrine hostile à toute hiérarchisation des espèces et prônant une égalité formelle de tous les êtres souffrants et jouissants. Certains êtres souffrant plus que d'autres, ils doivent être traités différemment. Par exemple, un humain condamné à mort souffrira plus qu'un animal placé dans la même situation (l'humain anticipe la situation). Conséquence également : la fin de l'anthropocentrisme (chrétien, cartésien); continuité entre l'homme et l'animal. Un chimpanzé, un chien, un cochon sains valent plus qu'un nourrisson débile qui ne pourra jamais atteindre le niveau d'intelligence d'un chien.
- Pour les mêmes raisons, Singer est pour l'euthanasie : pourquoi continuer à vivre si la somme des souffrances l'emporte sur celle des plaisirs ?
- On le voit, cette thèse utilitariste se différencie radicalement de la thèse humaniste héritée de Rousseau et de Kant : pour cette dernière, c'est la faculté de s'arracher aux intérêts (la liberté) qui définit la dignité et fait du seul être humain une personne juridique. C'est la liberté ou la bonne volonté, c'est-à-dire la capacité à agir de façon désintéressée, non égoïste, qui qualifie l'homme comme être moral.
2. La nature
comme modèle
- Question : la nature peut-elle constituer pour l'être humain un modèle ?
- Le modèle désigne une réalité dont l'existence sert de référence ou de mesure à d'autres réalités, considérées comme secondes. Il s'agit d'une forme idéale, d'une valeur à suivre. En quoi la nature pourrait-elle alors être considérée comme une valeur, une idée, une réalité en fonction desquelles des jugements pourraient être formulés sur la culture elle-même, cette dernière devant d'ailleurs se rapprocher, autant que faire se peut, de la culture ?
- La nature comme modèle : c'est d'abord le point de vue des sociétés anciennes et traditionnelles : la nature, définie comme le grand Tout qui englobe à la fois les êtres vivants et la société des hommes, est modèle d'organisation, de régularité (rythme des jours et des nuits, succession des générations qui recycle la mort en vie…), de rigueur hiérarchique (le sociétés animale), de beauté (cosmos = parure)…
- La nature ensuite offre ses matériaux et constitue un répertoire de toutes les formes : l'abondance et la variété des phénomènes physiques représentent une véritable panoplie où il semble que l'ingéniosité humaine n'a plus qu'à puiser. L'observation du monde animal et de la nature physique a suscité en l'homme des projets et des désirs qui ont été à l'origine de bon nombre d'inventions : l'homme a désiré voler comme un oiseau, nager comme un poisson…
- Idée de la bonté immanente de la nature : la nature, la terre sont vécues comme maternelles. La nostalgie de la nature signifie dans la psyché collective le désir inconscient de retourner au ventre maternel, désir qui met entre parenthèses le traumatisme de la naissance, que la culture et l'histoire représentent. Depuis les commencements de l'âge industriel l'homme a la nostalgie de la nature. L'homme moderne projette sur la nature toutes les qualités dont il croit la culture dépourvue : la beauté, la bonté, l'innocence, la pureté, la vérité, la liberté.
- Face au naturel et contre lui, il y a l'artificiel, le contraint, l'inquiétant, l'anormal, le monstrueux. Et lorsqu'on veut stigmatiser un crime ou un comportement, on dit qu'il est "contre nature". Ainsi l'homme moderne idéalise-t-il son origine, qu'il voit comme pureté ou perfection.
- Fantasme d'une nature qui reste pure en soi et vers laquelle l'homme se tourne lorsqu'il est insatisfait de ce qu'il vit. Par exemple, face aux réalités harassantes du travail et de la vie sociale, la nature représente aujourd'hui les plus fortes compensations : voir les vacances, les sports, les jeux qui prennent la nature à la fois pour décor et pour substrat; pour les cadres d'entreprise surmenés, de jeux de rôle ont lieu dans la nature.
- Paradoxalement, le sentiment, l'amour de la nature appartiennent au monde de la culture : le berger qui, jadis, gardait ses moutons dans la montagne aimait sans doute moins la nature que le citadin d'aujourd'hui pour lequel la nature n'est plus de l'ordre de la nécessité mais de la liberté.
- On retrouve ce fantasme dans un certain écologisme radical ou intégriste (cf les théories de Peter Singer).
- Quelles sont les limites de cette idée que la nature est un modèle ?
- Il s'agit d'abord d'une nature idéale, parfaite et donc introuvable. L'appel à un modèle naturel n'est que la construction abstraite et vide d'un envers du mal actuel (" illusion de rétroactivité " – Canguilhem, in Le normal et le pathologique). La nature est une idée qui a pour fonction de dénoncer le devenir comme une dégradation.
- L'ordre de la culture, comme nous l'avons vu, est tout ce que l'homme ajoute à la nature; il est donc irréductible à la nature et n'est pas calqué sur elle. Par exemple, le monde de l'art et celui de la nature sont des rivaux (cf. Oscar Wilde qui prétend que c'est la nature qui imite l'art et non le contraire). L'homme projette sur la nature ses désirs, ses angoisses, ses lois, ses rêves. Ainsi l'homme, à partir des techniques qu'il a lui-même inventées, croit retrouver ses propres techniques dans la nature. Mais, malgré son nom, l'avion (= latin avis) n'est pas un oiseau, il ne bat pas des ailes. Aucun poisson ne flotte comme un bateau, ni ne nage comme un sous-marin.
- Si l'on prend cette fois le terme modèle au sens axiologique (= valeur idéale), il n'y a dans la nature ni ordre, ni beauté, ni hiérarchie autres que celles que nous y projetons nous-mêmes. Qui plus est, il y a du mauvais dans la nature – la monstruosité, la maladie, la mort, etc. La nature ne constitue pas un modèle ni au sens de premier exemple, ni au sens de valeur idéale : en réalité, le naturel n'est ni bon ni mauvais en soi puisque ces valeurs n'ont de sens que par et pour l'être humain.
- Il peut y avoir un danger à ériger la nature en tant que norme. Tout ce qui échappe à la norme naturelle sera en effet décrit comme " anormal ". Par exemple, dans le domaine des moeurs, l'idée de nature comme norme sert à rejeter certains comportements comme anti-naturels; l'homosexualité sera ainsi rejetée comme étant contre nature sous le prétexte qu'elle n'assure pas la reproduction de l'espèce. Or, ce n'est pas au nom de la nature, mais au nom d'une certaine conception culturelle de la nature que telle ou telle pratique se voit condamnée. La norme naturelle devient alors une simple convention idéologique rétrograde qui sert de pur réactif.
- En ce sens, il y a danger lorsque la notion de nature cache l'exaltation du même et tend à désigner la culture de l'autre comme une déviation pathologique.
- L'opposition radicale de l'inné et de l'acquis apparaît, en réalité, insatisfaisante car la distinction entre l'inné et l'acquis, entre l'homme, être biologique, et l'homme, être social, apparaît quelque peu stérile. Il semble que, dans un sujet, la culture ne se superpose pas à la nature en restant distincte d'elle. Quelques faits l'attestent.
1. L'interaction
de l'inné et de l'acquis
- Nos comportements sont l’effet d’une
interaction complexe entre notre nature héréditaire et les milieux qui nous
entourent. L'inné n'a pas de sens sans l'acquis et
l'acquis n'a pas de sens sans l'inné.
- L'exemple des enfants sauvages montrent qu'on ne peut pas saisir la nature à l'état pur, en isolant, par exemple, un enfant à sa naissance. Il n'est en effet pas naturel de faire vivre un enfant dans un isolement absolu. Il a besoin de la présence et des soins de sa mère. Les comportements naturels demandent eux aussi du temps et une certaine maturation organique : la marche, par exemple.
- Les enfants sauvages sont des enfants qui depuis leur plus jeune âge ont vécu dans un abandon complet, dans la nature, loin des sociétés humaines, ou parmi les animaux.
- Exemple de Victor de l'Aveyron découvert en réalité dans le Tarn par des chasseurs alors qu'il était âge de 17 ans. Il fut l'objet d'une patiente éducation par Jean Itard, médecin-chef de l'Institution des sourds-muets à Paris au terme de laquelle Victor finit par perdre son allure bestiale, manger dans une assiette et prononcer quelques mots. Cette expérience est consignée dans un rapport de Jean Itard rédigé en 1807.
- Exemple, au XIXe siècle, de Gaspard Hauser enfermé dans un donjon à Nuremberg et privé de toute relation jusqu'à l'adolescence. Il put recevoir néanmoins des rudiments d'instruction.
- Exemple de
deux fillettes trouvées en Inde en 1920 qui avaient été élevées par des loups :
Amala, âgée d'un an et demi, et Kamala, âgée de 8 ans. Amala mourut à l'âge de
2 ans et demi et Kamala réussit à prononcer quelques mots et acquérir la
station droite. Elle mourut à 17 ans.
- Ces récits montrent tous que les enfants élevés par des animaux ou loin des hommes ne sont parvenus que très laborieusement à se tenir droit et à vivre en société. On ne peut pas les prendre comme témoins de l'état naturel de l'homme avant l'état de culture. Ils sont en tout cas la démonstration vivante de l'incapacité à s'humaniser hors du contact avec les hommes. Le développement humain n'est possible que par la vie sociale et l'éducation, l'accès à la culture n'étant pas une donnée génétique.
- Les psychologues nous enseignent aujourd'hui que les relations entre un être humain et le milieu environnant dans lequel il grandit contribuent de façon décisive au développement des fonctions psychiques et intellectuelles. Dans La construction du cerveau, Prochiantz explique que le système nerveux de l’homme se construit au fil d’une véritable histoire où les accidents de sa vie sociale viennent le marquer de façon décisive. Le neurobiologiste Jean Didier Vincent va même jusqu’à affirmer que “le cerveau est une histoire”.
- En somme, chaque homme serait une “totalité bio-psycho-sociologique” (Edgar Morin, Le paradigme perdu, La nature humaine), les comportements innés humains “sont tellement mêlés à l’acquis qu’il est difficile de faire la part de l’un et de l’autre” (Jacques Ruffié, De la biologie à la culture).
2) Le dialogue de la nature et de la
culture
- D'abord, aucun travail humain ne peut se passer des matériaux de base qui sont nécessairement naturels au départ. Les activités qui s'éloignent le plus de la nature en apparence – la manipulation génétique, la fabrication de matériaux synthétiques – partent nécessairement d'éléments naturels (les atomes, les gènes). Aucun travail humain ne peut se passer des matériaux de base qui sont nécessairement naturels au départ.
- La culture pénètre, transforme, voire parachève la nature : par un exemple, chez un enfant bien élevé, des conduites acquises, culturelles, deviennent spontanées, naturelles. Cf. l'analyse d'Aristote (Physique, Chapitre X, 192) : la technique est ce qui imite la nature, en la prolongeant, en la parachevant, en l'aidant à actualiser tout ce qu'elle ne peut actualiser par elle seule.
- Exemple du lit. Est naturel, selon Aristote, ce qui a son principe et sa finalité en soi-même. N'est pas naturel tout ce qui a son principe et sa finalité en dehors de soi-même. Il n'existe pas de lit sans artisan, sans le projet culturel de concevoir et d'utiliser ce lit : le lit a ainsi sa finalité en dehors de lui-même, il n'est donc pas un objet naturel. Mais le lit a quelque chose à voir avec la nature à la fois en lui-même (le bois est la nature, la cause matérielle du lit) et dans sa finalité (la cause finale) qui est dormir. Même dans l'objet artificiel, la nature n'est pas absente.
- La culture échappe à la nature en se soumettant à elle par le biais d'une ruse. Analyse de Hegel. La ruse consiste pour le sujet à faire travailler la nature à sa place, par l'intermédiaire des outils, de la technique. Il s'agit de différer la satisfaction d'un besoin pour mieux le satisfaire (exemple du renard de la fable de La Fontaine qui attend de flatter le corbeau pour récupérer le fromage). La culture se réalise ainsi par l'intermédiaire du dialogue technique avec la nature. On peut alors définir la culture comme l'" ensemble des façons dont on peut disposer techniquement de la nature " (Habermas, La technique et la science comme idéologie).
- Qui plus est, la culture fait elle-même partie de la nature : un être culturel, c’est un être naturel transformé. Il y a à la fois continuité biologique entre l’homme et la nature, et discontinuité historique que la culture, sans pour autant sortir de la nature, introduit. La culture fonctionne comme une “anti-nature” que la nature produit par l’évolution et qui la transforme par la civilisation. La discontinuité résulte alors de la continuité, la culture est un produit de la nature, de sorte que l’homme reste un animal, même “dénaturé”. L’homme est un être d’antinature parce qu’il y a, dans sa nature, quelque chose qui le prédispose à cela.
- Patrick Tort montre que la même sélection naturelle, qui élimine les moins aptes pour la vie, a aussi sélectionné la morale, qui refuse cette élimination. La morale constitue elle-même un avantage sélectif. Une humanité morale est plus apte à survivre qu’une humanité génétiquement incapable de se moraliser. Patrick Tort appelle cela l’effet réversif par quoi la nature produit la morale qui refuse ou transforme la nature. L’homme est cette espèce biologique (Homo sapiens) et sociale (l’humanité) qui se dresse contre la nature qui la produit et la contient. En somme, la nature produit cet être étrange, l’Homme, qui peut rompre avec la nature.
- Cette notion d’effet réversif permet de rendre compte de la liberté humaine. La liberté humaine est une marge d’indétermination, un pouvoir de choix, d’arrachement, de refus. Ce pouvoir est lui-même rendu possible par la nature, la sélection naturelle. Des individus jouissant d’une marge accrue d’indétermination, quoique génétiquement déterminée, auraient davantage de chances, dans la lutte pour la vie, de vaincre, de se reproduire, de s’adapter. De sorte que la liberté, comme la morale, serait un avantage sélectif : nous serions libres, et moraux, grâce à la nature.
- Il convient alors de distinguer, avec Sartre, situation et détermination.
- Une “situation” peut être aussi bien naturelle que sociale et historique. La situation est ce qui fait notre lot de départ (je suis né homme ou femme, dans telle classe sociale, dans tel pays, etc.). Il s’agit des données initiales sur lesquelles ma liberté n’a aucune prise. Mais ma liberté n’est pas anéantie par les situations plus ou moins contraignantes dans lesquelles je suis pris. C’est par rapport à ces situations que ma liberté, au contraire, se détermine.
- Ainsi la
responsabilité et la liberté humaines ne sont-elles pas niées parce que l’on
reconnaît la part de l’inné. Par exemple, s’il s’avérait qu’existent
d’éventuelles inégalités naturelles, cette découverte n’évacue pas la question
de savoir quelle devrait être l’attitude d’un démocrate face à cette
découverte. L’inégalité, fût-elle avérée, ne devant pas se traduire, pour le
démocrate, par l’attribution de privilèges juridiques ou politiques (la dignité
de l’être humain est une donnée morale et non matérielle). Nécessaire
distinction entre le fait et le droit ou la valeur, ce qui est et ce qui doit être.
3) Conclusion : ambiguïté et
complexité (document audiovisuel sur Edgar Morin, travail à partir d'un
questionnaire distribué aux élèves)
- Dans son livre Le paradigme perdu : la nature humaine, Edgar Morin parle de la " nature culturelle de l'homme ". L'homme a une "aptitude naturelle à la culture et l'aptitude culturelle à développer la nature humaine " (ibid., p. 99). "L'homme est un être culturel par nature parce qu'il est un être naturel par culture" (ibid.100). L'hominisation s'est faite selon une interaction entre trois processus : juvénilisation, cérébralisation, culturisation.
- Progrès de la "juvénilisation" : régression des comportements instinctuels, ouverture à l'environnement naturel et social, acquisition d'une grande plasticité. Progrès de la cérébralisation : développement des possibilités associatives du cerveau. Progrès de la "culturisation" : multiplication des informations, des connaissances, des règles d'organisation, des modèles de conduite. A partir d'un certain stade, "la complexité du cerveau et la complexité socioculturelle ne peuvent que s'emboîter l'une dans l'autre…"
- Documentaire sur Edgar Morin. La notion de complexité.
- Au total, nature et culture sont toujours déjà en l’homme et sont indiscernables. Ce qui fait dire à Merleau-Ponty, dans La phénoménologie de la perception, que l’homme se définit par le ”génie de l'équivoque”, par l’”échappement” (la conduite humaine n’est jamais strictement réductible à l’un des deux ordres) et qu’il s’avère donc proprement inclassable. Double appartenance, et en même temps double irréductibilité de l'homme à la nature et à la culture. Il n'y a pas de nature sans culture, ni de culture sans nature. L'homme est celui qui est où on ne l'attend pas. L'homme est proprement introuvable, inassignable. Il est inclassable, et c'est justement là que réside sa différence spécifique.
- L'ambiguïté qui règne entre la nature et la culture devient un trait constitutif de la définition de l'homme : l'homme est un être de détour. La ruse humaine consiste à échapper à toute caractérisation fixe et définitive.
- Où l'on voit que
l'enjeu profond de la distinction de la nature et de la culture repose dans la
question de la nature humaine vers laquelle nous devons nous tourner à présent.
- Dans la partie précédente, nous avons envisagé l'idée de nature tantôt comme ce qui, en un être, est inné, universel, spontané, tantôt comme la réalité physique, objective (la nature), tantôt comme cette réalité idéelle, voire idéale (la nature comme norme). En un second sens, la nature d'une chose, quelle qu'elle soit, c'est son essence, sa réalité intime. En fait, la question de la nature de l'homme est inséparable de celle de la place de l'homme dans la nature.
- L’expression “nature humaine” désigne généralement ce qui serait présent en tout homme, commun à tous les hommes , et qui correspondrait à un ensemble d’éléments et de comportements innés, héréditaires et spontanés.
- Cette expression fait d'abord problème en ce qu’elle suggère une identité invariable et un destin indépassable, car, par définition, “on n’échappe pas à sa nature”. Parler de nature humaine revient donc à postuler qu'il existe une définition de l'homme qui s'appliquerait à tous et à chacun d'entre eux.
- Or, lorsqu'on observe les hommes, ce qu'on voit, ce n'est pas l'identité, ce qu'ils ont de commun, mais des différences, une diversité qui semble ruiner l'idée même d'une nature humaine.
- Le problème est donc le suivant : d'un côté on parle de nature humaine, d'essence de l'homme et il semble que cette idée d'une définition de ce qu'est l'homme soit légitime. Mais de l'autre, il semble que cette idée soit vaine parce que les différences observables entre les individus sont telles qu'ils semblent n'avoir rien en commun.
- Qui plus est, au nom d'une certaine idée de l'homme et en raison de différences observables entre eux, on a pu refuser le statut d'homme à des êtres qui pourtant étaient des membres de l'espèce humaine (exemple des Noirs ou des Juifs). De même, lorsque nous disons de certains êtres humains qu'ils sont des bêtes en raison de leur violence ou de la monstruosité de leurs actes, n'est-ce pas leur refuser le statut d'homme ?
- En même temps, renoncer à l'idée de nature humaine revient à s'interdire de penser l'égalité fondamentale des hommes entre eux, au-delà de leur diversité. En effet, n'est-ce pas le concept de nature humaine qui permet de construire les autres comme semblables ? Et ne sommes-nous pas dans l'inhumain quand est rompue l'unité du genre humain au profit d'une classification hiérarchisée entre humains et non-humains? De sorte que la question " y a-t-il une nature humaine ? " revêt une dimension pratique, celle du rapport que nous devons avoir avec nos semblables
- Toute la difficulté consiste donc à fonder la nature humaine dans un critère qui ne doit exclure aucun homme.
- Si la nature humaine désigne un fond permanent
et commun à tous les hommes, par-delà les évidentes différences d'apparence
physique, de moeurs, de lois, cet universel peut être refusé, en premier lieu,
de trois façons : au nom de la singularité ethnique, au nom de la race,
au nom de la
culture.
1.
La singularité ethnique
- L'idée d'homme est restée ignorée de la plupart des civilisations passées. L'idée d'humanité n'est pas une idée éternelle. Sa constitution a exigée le contact avec d'autres peuples, ainsi qu'une problématisation explicite du rapport entre les peuples. C'est aussi une idée, comme on le verra, qui n'est jamais garantie, comme en témoignent les génocides
- D'abord les grecs et la distinction de l'être-grec et de l'être-barbare. Les Grecs se considèrent comme les " hommes ", les vrais, les excellents, incarnant l'humain dans sa perfection. Ils ont construit l'échelle d'une humanité sur laquelle on peut occuper les positions intermédiaires entre les civilisés et les non-civilisés.
- Le barbare est celui qui ne parle pas le grec ou qu'on le parle mal. " Barbare " vient de l'onomatopée bar-bar qui imite les bruits d'une langue incompréhensible aux oreilles qui l'entendent, à la façon du chant inarticulé des oiseaux : le barbare est celui qui s'exprime par onomatopées, dans une langue qu'on ne comprend pas. Du coup, le barbare est un homme mal fini, imparfait, inculte. Le barbare c'est donc l'étranger dont l'étrangeté provient de ce qu'il n'accède pas à la plénitude du langage.
- De même, l'esclave : il est humain, mais, comme les femmes, il a une nature propre qui le sépare des hommes libres. Le critère de la liberté est discriminant. L'esclave est par nature inapte à se diriger soi-même : incapable de liberté, il ne peut que se soumettre à autrui.
- Les sophistes commencent à ébranler le préjugé
déclarant naturels l'être du barbare et celui de l'esclave. Les sophistes
distinguent entre ce qui est par nature et ce qui est par convention. Comme les
différences ne sont pas naturelles, elles échappent au destin et peuvent être
réduites : " Par nature, nous sommes tous et en tout de naissance
identique, Grecs et barbares…Aucun de nous n'a été distingué à l'origine comme
barbare ou comme Grec : tous, nous respirons l'air par la bouche et par les
narines " (Antiphon, Fragments,
44 a B). Dès lors que l'esclave peut être affranchi et le barbare éduqué, ils
ne sont pas emprisonnés dans des essences fixées. C'est l'éducation, l'éducabilité de tout homme
qui fournit la clé du concept d'humanité. La perspective d'une
humanité universelle est ouverte avec les sophistes
- C'est véritablement avec les stoïciens que l'idée d'une unité du genre humain se constitue.
- Idée que le monde est gouverné par une raison divine. Une parcelle de cette raison se trouve en chaque homme : les hommes ne doivent pas se séparer en cités et en peuples car tous les hommes sont des concitoyens. La cosmopolis (la société universelle du genre humain) s'est substituée à la polis (cité). La différence entre Grecs et barbares, maîtres et esclaves s'évanouit. Tous sont appelés à la vertu, tous sont une parcelle du divin. Mais tous les hommes n'accèdent pas à la vertu, tous n'utilisent pas la raison : le sage stoïcien, malgré ses proclamations égalitaires, se sépare des insensés, mutilant ainsi l'unité du genre humain. La différence n'est plus de culture (Grecs-barbares), ni de condition (hommes-femmes, hommes libres-esclaves), mais de raison ou de perfection : entre les sages et les insensés. Tous les hommes possèdent par nature une forme de liberté, tous cependant ne préservent pas cette nature, tous ne font pas l'effort d'être raisonables.
-L'universalisme stoïcien, en somme, est celui d'une communauté essentiellement rationnelle.
- La différence est grande avec le christianisme qui ne considère pas avant tout l'individu comme un être raisonnable, mais comme un prochain, indépendamment de l'usage qu'il peut faire de sa raison. Les " simples " sont aussi mes frères, et aussi les méchants. Tous les hommes sont également les créatures de Dieu, ils sont égaux en tant que créatures : " Je me dois aux Grecs comme aux barbares, aux gens cultivés comme aux ignorants " (Saint Paul, Epître aux Romains, 1, 14).
- La cité nouvelle, celle du peuple de Dieu, intègre en son sein tout homme sans distinction d'appartenance religieuse, sociale, ethnique. L'Eglise est une nouvelle communauté universelle : les membres de cette Eglise sont membres du Corps du Christ, le Corps mystique. Cette Eglise n'est pas l'addition de sous-ensembles particuliers, c'est une création, image du Créateur.
- St Augustin oppose la Cité du pèlerinage et la cité d'oppression : chacun doit s'arracher à ses lieux, à son identité pour pérégriner dans le monde, vivre d'amour dans l'universelle charité. Pour St Augustin, le précepte juif de l'amour du prochain est défini comme la totalité des hommes : il n'est pas limité à l'immédiate proximité mais ouvert au plus lointain. Le prochain, c'est le semblable, l'autre que moi et l'autre moi. Ce n'est pas la parenté, le voisinage qui définit le prochain, c'est tout homme, c'est quiconque appartient au genre humain : " Tu es seul et tes proches sont nombreux. Comprends-le bien, en effet, ton prochain n'est pas seulement ton frère, ton parent, ton allié. Tout homme a pour prochain tous les hommes…Rien n'est si proche qu'un homme et un autre homme " (St Augustin, De disciplina Christiana, III, 3).
- Le prochain, en somme, c'est celui qui s'approche de l'homme dans la détresse et non pas celui qui est spontanément proche.
- La découverte de l'Amérique a été un moment essentielle dans la genèse de la notion de genre humain : rencontre de l'autre, révélation de l'existence d'hommes inconnus. Question de savoir si les Indiens étaient égaux et semblables aux chrétiens, différents d'eux ou inférieurs à eux.
- Les réponses vont du déni d'humanité à l'entière reconnaissance de leur humanité et au respect de leur différence. Mais, dans tous les cas, l'humanité est mesurée à l'aune de la de la religion chrétienne.
- Le 16 avril 1550, l'empereur Charles Quint décide de l'arrêt de toutes les conquêtes du Nouveau Monde. A vallodolid, en Espagne, en août 1550, deux contradicteurs, Bartolomé de Las Casas et Ginès de Sépulvéda s'affrontent sur la question : " Est-il licite à sa Majesté de faire la guerre aux Indiens avant de leur prêcher la foi ? ".
- Las Casa est un dominicain, évêque de Chiapas au Mexique, qui défend, au contraire de Sépulvéda et au nom précisément du christianisme, l'égalité des hommes. L'audace de Las Casas est de considérer que l'égale dignité de l'homme peut se fonder sur plusieurs formes de religion, et non sur la seule religion chrétienne. Les hommes peuvent être égaux sans avoir pour autant à être identiques; pour être égaux aux chrétiens, les Indiens n'ont pas à se convertir, ni à imiter les valeurs et les moeurs de l'Occident. L'originalité de Las Casa est d'amorcer une conception nouvelle du genre humain respectant les différences.
- Cette évolution du statut de l'autre, avec
laquelle la différence n'est pas nécessairement interprétée comme le signe
d'une infériorité, s'approfondit avec Montaigne, dans les Essais.
- D'abord Montaigne remet en question l'irréductibilité du genre humain : l'idée de genre humain n'est acceptée que dans la mesure où elle n'implique pas une différence radicale par rapport à l'animalité. Les hommes doivent plutôt être rapprochés des bêtes que des dieux. Quelque différence qu'on trouve de l'animal à l'homme, elle ne signifiera pas que le premier soit inférieur au second.
- D'un autre côté, constate Montaigne, il y a entre les hommes diversité : " il y a plus de distance de tel homme à tel homme qu'il n'y a de tel homme à telle beste " (Montaigne, Essais, I, XLII, " De 'inégalité qui est entre nous "). Cette diversité est sans doute le seul critère véritable propre à l'humanité : le genre humain comporte presque autant de sortes d'hommes qu'il y a d'espèces animales. Mais pas plus entre les hommes qu'entre l'homme et l'animal, la différence ne doit être appréhendée en termes de supériorité ou d'infériorité.
- D'où le regard favorable dont le sauvage devient l'objet : nécessaire suspension du jugement moral par la mise entre parenthèses des valeurs liées à sa propre tradition.. Le sauvage n'est pas un barbare, ni le barbare un sauvage. Le sauvage est celui qui est resté proche de la " naïveté originelle ", alors que le barbare est celui qui commet des actes cruels. Les massacres des guerres de Religion sont d'une barbarie comparable au cannibalisme. Tous les peuples sont également susceptibles de se montrer barbares. Le concept de barbare est déplacé avec Montaigne pour qualifier des comportements plutôt que des cultures.
- Le concept moderne d'unité du genre humain atteint son apogée avec le siècle des Lumières. La Révolution française, en proclamant les droits de l'homme, a fourni une identité unique au genre humain, par-delà les appartenances particulières : " Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits " (article 1 de la déclaration de 1789). Les droits de l'homme ne sont pas ceux du seul citoyen : même les étrangers, les apatrides, au titre de leur appartenance à l'humanité, sont sujets de droits en tant qu'êtres raisonnables et libres. L'homme est au-dessus du citoyen, l'universel au-dessus du particulier, le genre humain au-dessus de la nation. L'unité du genre humain est liée à l'égalité de tous les hommes. Il s'agit là d'une idée, d'un idéal, d'une tâche à réaliser dans l'histoire.
- Conclusion : l'élaboration de l'idée de genre humain est liée à la difficulté d'éradiquer la croyance en une répartition naturelle des humains sur une échelle. Elle témoigne surtout de la force et de l'universalité du préjugé ethnocentriste qui consiste à ériger les valeurs propres à la société à laquelle j’appartiens en valeur universelle et à rejeter les normes et les valeurs d’une société ou d’un groupe culturel en tant qu’elles sont différentes des siennes propres. L’ethnocentriste croit que ses valeurs sont les valeurs.
- Selon Lévi-strauss (Race et histoire), chaque société a toujours tendu à confondre “sa” propre civilisation avec “la” civilisation, allant jusqu’à rejeter en dehors de l’humanité les hommes qui relevaient d’autres cultures. C'est ce que nous a révélé la genèse de l'idée de genre humain.
- Cet ethnocentrisme est une attitude universelle qui n’est pas l’apanage des sociétés occidentales. De nombreuses sociétés traditionnelles limitent le statut d’être humain aux seuls membres du groupe et s’autodésignent par des termes qui signifient les « hommes », les « bons », les « excellents ». Les tribus voisines seront désignées par des vocables péjoratifs, voire exclues du genre humain. Les Esquimaux, par exemple, se nomment eux-mêmes Inuits – et ce mot signifie simplement homme dans leur langue; ce terme sous-entend que les autres, s'ils existent, ne sont pas des hommes. Lévi-Strauss évoque l’attitude symétrique des Espagnols et des Indiens après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb ; les Espagnols désignaient des commissions de religieux pour déterminer si les Indiens avaient ou non une âme, étaient authentiquement des hommes (cf. Supra, la conférence de Valladolid). De leur côté, les Indiens observaient longuement les cadavres de leurs ennemis pour vérifier s’ils étaient soumis comme ceux des « hommes » à la putréfaction.
- Cette constante tient sans doute à l’une des fonctions essentielles de la stigmatisation d’autrui, où l’on rejette pour mieux définir et identifier son propre groupe, en posant la limite entre soi et les autres. L'ethnocentrisme est le prix à payer de l’identité. Selon les théoriciens de la sociobiologie, l’ethnocentrisme remplit une fonction positive : il favorise les attitudes et les conduites altruistes à l’intérieur du groupe d’appartenance. Les liens de groupe ne sont qu’une extension des liens du sang, l’ethnicité n’est qu’une extension des liens de parenté. L’ethnocentrisme est alors interprété comme une attitude retenue par la sélection naturelle et représente un avantage sélectif pour les groupes humains.
2) La race
- A la différence de l'ethnocentrisme qui exprime le besoin d'un autre à nier pour être, le racisme repose non plus sur une réalité objective (l'ethnie, le peuple), mais sur un fantasme (la "race").
- Le racisme est une théorie ou doctrine selon laquelle il existe une hiérarchie entre les “races”, et la volonté de préserver la “race supérieure” de tout croisement. Il est fondé sur l'affirmation de la supériorité d’une “race” ou d’un “peuple” et sur la justification, à partir de cet axiome, de son droit à dominer les autres groupes, ou “races”, tenus pour inférieurs.
- On entend par “race”, au sens biologique du terme, l’ensemble des traits caractéristiques héréditaires communs distinguant un type particulier au sein d’une espèce. Il s'agit donc de groupes ayant des caractères biologiques analogues qui se transmettent en vertu des lois de l’hérédité (couleur de la peau, morphologie du crâne, etc.). Le racisme explique les différences culturelles par des différences naturelles, biologiques.
- Tzvetan Todorov, dans Nous et les autres, propose de distinguer le racisme (comportement fait de haine et de mépris à l’égard de personnes ayant des caractéristiques physiques bien définies, et différentes des nôtres) et le racialisme (doctrine, idéologie concernant les races humaines). Racisme et racialisme ne se trouvent pas nécessairement présents en même temps.
- Pour Pierre André Taguieff, il n’y a pas un racisme, mais au moins deux variantes typiques dont les logiques sont opposées :
1. Racisme de “domination” : ethnocentrique, inégalitaire, prétendant justifier l’assimilation, la domination, l’exploitation (le colonialisme en général);
2. racisme “différentialiste” : met l’accent sur la “différence” entre les races; obéit à une logique d’extermination systématique de l’autre (ex: nazisme).
- A noter la constitution d’un nouveau racisme « soft » (« néoracisme ») adapté à l’âge de l’antiracisme et à l’époque postnazie caractérisée par un consensus de base sur le rejet du racisme. Le nouveau racisme (celui du Front national, par exemple) s’est progressivement reformulé comme un culturalisme et un différentialisme, prenant ainsi à revers l’argumentation antiraciste centrée sur la récusation du biologisme et de l’inégalitarisme : « Le principe de la métamorphose idéologique récente du racisme réside précisément dans le déplacement de l"inégalité biologique entre les races vers l"absolutisation de la différence entre les cultures » (Taguieff, Le racisme, p 53).
- Il s’agit ici d’un retournement des valeurs du relativisme culturel : déplacement de la « race » vers la « culture » et affirmation de l’incommensurabilité radicale des cultures ; affirmation de l’inassimilabilité des cultures. La figure de rhétorique essentielle de ce "racisme soft" est l’euphémisme (on ne dit plus : « les bougnoules à la mer » mais « il faut organiser le retour chez eux des immigrés du tiers-monde »).
- La vision anthropologique du racisme tend à attribuer ce phénomène à la nature humaine et à faire du racisme une des composantes de l’ethnocentrisme, attitude universelle, comme nous l’avons vu précédemment. Stephen Jay Gould pense que les préjugés raciaux sont omniprésents dans l’histoire, qu’ils sont ancrés dans la nature humaine et qu’ils ne se distinguent pas de l’ethnocentrisme et de la xénophobie. En ce sens, l’ethnocentrisme, prix à payer de l’identité culturelle conduisant à déshumaniser l’autre, constituerait un protoracisme. Dans cette perspective, le racisme peut être défini comme une extension abusive de la préférence endogroupale.
- Mais on peut penser que l’emploi du mot racisme ne se justifie que pour caractériser un phénomène idéologique et sociopolitique apparu Europe et aux Amériques à l’âge moderne. Dès lors, le racisme ne doit pas être considéré comme un rejeton de l’ethnocentrisme ou d’un instinct primordial – instinct d’autoconservation ou d’autodéfense du groupe -, mais comme un produit de la modernité. C’est notamment la thèse que soutient P.-A. Taguieff . Il y a, selon lui, trois modes essentiels d'émergence du racisme moderne.
1. La théorie
modernitaire restreinte
- Le racisme est ici le successeur immédiat de l’activité de classification des « races humaines » qui s’est poursuivie au cours du XVIIIe siècle (Linné, Buffon, Blumenbach, etc.). En ce sens, il n’est de racisme que sur la base du concept moderne de « race humaine », dans le cadre de la pensée classificatoire des naturalistes du XVIIIe siècle en Europe.
- Les caractéristiques du racisme sont alors les suivantes : mise en corrélation des caractères physiques et des caractères mentaux, supposés fixes et héréditaires ; imbrication du biologique et du culturel ; naturalisation des différences entre les humains (équation « une race-une civilisation ») : les différences culturelles sont perçues comme des différences naturelles.
2.
La théorie modernitaire ultrarestreinte
- Selon certains auteurs, comme Lévi-Strauss, on ne peut parler de racisme stricto sensu que dans les cas où l’on repère l’affirmation d’un rapport causal entre race et culture, race et intelligence. Le racisme ici est réduit à la doctrine explicite du déterminisme racial des aptitudes, voire des attitudes et des conduites, censée donner un fondement scientifique à la thèse de « l"inégalité des races humaines ».
- Cette définition du racisme concerne des théories qui ont jalonné les XIXe et XXe siècles. La pensée raciste se réduit alors à un noyau dur, l’axiome de l’inégalité des races humaines. Théories de Gobineau, Vacher de Lapouge, etc. Les hommes étant d’inégale valeur en raison de leur appartenance naturelle à des races de valeur inégale, il convient par conséquent des les traiter de façon inégale.
3. La théorie modernitaire élargie
- Une définition plus élargie du racisme permet de repérer certaines figures de celui-ci qui sont apparues indépendamment des classifications naturalistes des « races humaines » et avant elles. Ces formes préracialistes du racisme s’incarnent dans trois modèles de protoracisme apparus aux débuts de l’âge occidental moderne. Le mythe du « sang pur » dans l’Espagne et le Portugal des XVe et XVIe siècles ; les légitimations européennes de l’esclavagisme et de l’exploitation coloniale des « peuples de couleur » ; la doctrine aristocratique française dite des « deux races » (« race » = « lignée », « lignage »).
- Le mythe de la pureté du sang se rencontre dans ces trois types de protoracisme et est inséparable de la hantise de la perte de pureté par des mésalliances ou des métissages, censés produire souillure ou dégradation irrémédiable. Au coeur du racisme, il y a donc une « mixophobie », une peur du mélange des « races », des lignées.
- Selon Taguieff, « la théorie modernitaire élargie paraît donc la plus conforme à la réalité historique » (op.cit., p 43). Le racisme classificatoire des XVIIIe et XIXe siècles ne seraient pas à l’origine du racisme moderne, « même s'il lui a fourni des habillages scientifiques…» (ibid.).
3) L'histoire et la culture
- Autre manière de nier la nature humaine au nom cette fois de l'histoire et de la culture : il n'y a pas de nature humaine universelle, identique en tout temps et en tout lieu; ce qui fait l'homme, ce n'est pas un ensemble de caractère a priori, mais une série d'acquis historiquement produits et culturellement déterminés.
- On peut reprendre toute la première partie du cours et, notamment, la thèse rousseauiste concernant la liberté comme critère de distinction de l'homme et de l'animal. Idée que la culture est une anti-nature. Le propre de la nature humaine est de nier ce qu'il y a de naturel en elle.
- Thèse de Sartre : il n'y a pas de nature humaine mais seulement une condition humaine, définissable par quelques traits universels (les nécessités de la mort, le langage, etc.). Cette condition universelle est comme un cadre vide que l'existence doit remplir. La condition de l'homme est de ne pas avoir de nature au sens d'une définition a priori et définitive. Seule la mort, en métamorphosant la vie en destin, nous permet de dire d'un homme : il a été ainsi.
- Mais la négation de la nature humaine n'est - elle pas, en réalité, " une tarte à la crème philosophique " ? Ne faut-il pas être avant que d'exister ? Qui plus est, cette négation n'aboutit-elle pas à l'impossibilité de penser l'unité et l'égalité du genre humain ? Renoncer à l'unité de l'espèce humaine, n'est-ce pas finalement dangereux ?
- De quel point de vue peut-on parler de nature humaine ? Que recouvre exactement cette idée ? Et, surtout, quelle est sa fonction ? Réalité, fait ou exigence ?
1) Le point de vue scientifique
- Si la science ne peut pas nous dire ce qui doit être et par là même fonder éthique et politique, elle peut toutefois nous renseigner sur ce qu'est biologiquement l'être humain. Du point de vue biologique, nature en l'homme et nature de l'homme se rejoignent.
- Contrairement à la théorie raciste, la science nous enseigne d'abord l'unité génétique et phylogénétique du genre humain. Il y a beaucoup plus de points communs que de différences entre les deux types physiques les plus éloignés l'un de l'autre – par exemple un Norvégien et un Papou. Tous les hommes appartiennent à un même genre (Homo) et à une même espèce (Sapiens). Au sein de cette espèce, les hommes forment tous une même variété (sapiens). Le nom scientifique de l'homme moderne est Homo sapiens sapiens. Notre arrière-grand-oncle, l'Homme de Néanderthal, était Homo sapeins neandertalis. Il appartenait au même genre et à la même espèce que nous, mais à une variété différente.
- Ainsi, plus de 99 % des gènes constituant le patrimoine biologique d'un individu sont communs à tous les hommes. Une race est une variété génétiquement pure. Comme dans la nature, les individus de variétés différentes ont tendance à se croiser, de sorte que les races n'existent véritablement que chez les animaux domestiques. Et c'est l'homme qui d'ailleurs a créé et maintenu des races de chats, de chiens, de chevaux, de lapins, etc. Parler de races humaines est donc une aberration.
- Il existe certes des types physiques (taille, forme du visage, couleur de la peau, etc.), mais leur variété extrême, liée au métissage des peuples et des individus, rend tout classement scientifique impossible. Quant aux peuples, leur existence est le résultat de leur histoire, et non de leur prétendue nature. Le sang juif, noir ou arabe n'existe pas – il n'y a que des groupes sanguins et des facteurs rhésus.
- Où l'on voit que l'idée de nature humaine ne saurait, au regard de la science, justifier le rejet, l'exploitation, la hiérarchisation des êtres humains. Elle peut au contraire donner un fondement puissant à l'idée d'une unité du genre humain, laquelle rend possible l'idée d'une égalité du genre humain, même si la science, encore une fois, dit ce qui est et non ce qui doit être.
- En tout cas, l'anéantissement de l'humanité en l'homme est une des formes de la barbarie, de l'inhumain. Le raciste ne reconnaît d'ailleurs pas l'humanité de l'autre, d'abord parce qu'il ne reconnaît pas la sienne propre. Exemple de ce chef de camp S.S. qui disait à son chien-loup, à propos d'un détenu : " Homme, attaque ce chien ".
2) Le point de vue philosophique
- Idée que la nature humaine est à accomplir dans la communauté des hommes, qu'elle n'est pas accomplie mais qu'il est du devoir des hommes de la mener à son point d'achèvement.
- En effet, depuis les grecs, c'est dans la raison et la rationalité qu'est fondée la nature humaine. La raison est ce par quoi les hommes se réunissent et ce par quoi un dialogue est toujours possible entre eux. La raison, par l'intermédiaire du langage, est précisément ce qui permet aux hommes de se rencontrer et de se reconnaître dans une discussion commune.
- Exemple de l'esclave du Ménon de Platon qui, bien qu'esclave, discute avec des hommes qui sont des Grecs et des philosophes. Il est capable de retrouver des vérités mathématiques qu'il n'a pas apprises mais dont son âme retrouve le souvenir sous la suite des questions que lui pose Socrate. Entre l'esclave et le philosophe, existence d'une même nature.
- Le développement des qualités de l'homme est rendu possible par son insertion dans une communauté politique. S'il y a une nature humaine, c'est une nature que l'individu seul ne saurait réaliser. Pour l'accomplissement de cette nature, l'individu a besoin des autres membres de la communauté. De sorte que la nature humaine est politique et ne se déploie que dans le rapport aux autres.
- On peut retenir l'idée que la nature humaine est à accomplir, qu'elle ne nous est pas donnée comme sa nature est donnée à l'animal dans une sorte de perfection. La nature humaine est cela même que l'homme doit conquérir dans et par l'éducation, pour ce qui regarde l'individu, et dans le devenir historique, pour ce qui concerne l'espèce humaine. Différence donc entre une nature animale peu ou prou statique (elle a déjà plus ou moins tout donné à l'animal), et une nature humaine qui se manifeste dans un dynamisme que l'homme se réapproprie.
- De ce point de vue là, la nature est davantage ce qui pose un problème à l'homme que la calme évidence de la nature de l'animal. La nature humaine n'est pas de l'ordre du donné mais de l'ordre du devenir que l'homme se réapproprie pour accomplir ce qu'il est appelé à être. Il y a une nature humaine mais elle est à distance. Elle n'est pas tant ce qui est donné a priori, de toute éternité, mais cela même qu'il convient de réaliser. Notre nature est d'être historique.
- Dans Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, Kant explique que la tâche suprême que la nature poursuit à travers l'homme est l’institution d’une société gouvernée par le droit. La justice, comme idéal du droit, reste le fil directeur qui permet de juger l’histoire. Ce n’est que dans la société que l’homme peut être éduqué et s’élever au sein d’un Etat.
- Selon Kant, les passions elles-mêmes poussent les hommes à accepter une règle de vie commune qui limite leur liberté (les passions exacerbées jettent les hommes dans un état de détresse) . Contraints et forcés, les hommes s’unissent et se soumettent à la contrainte des lois ; à l’intérieur de ces limites, ils peuvent assouvir leurs ambitions, se discipliner et se cultiver.
- La métaphore de l’arbre et de la forêt permet d’expliquer par quel mécanisme la nature produit les progrès de la culture et du droit. De même que les arbres, lorsqu’ils sont côte à côte, sont mécaniquement amenés à s’élever, de la même façon, les hommes isolés ne peuvent développer leurs dispositions naturelles, la vie en société impose les règles du droit, elle discipline les hommes, comme la forêt permet le développement des arbres auxquels elle donne leur rectitude. Kant se représente le progrès du droit comme l’effet d’un mécanisme naturel qui, par un jeu d’un équilibre des forces, règle la vie commune des hommes. La nature réalise sans nous une société où elle nous prépare à la liberté.
- Où l'on voit que l'idée de nature humaine incarne un concept régulateur, un idéal de la raison et non un fait démontrable en tant que tel.
3) Conclusion : la nature humaine, un
concept régulateur
- La nature humaine, dans sa prétention à l'universalité, renvoie à l'idée d'une égalité fondamentale des hommes, d'une homogénéité de l'humanité au-delà de la diversité constatable. Le concept de nature humaine est un concept qui mène à poser les hommes comme égaux, quelles que soient leurs différences et qui ne doivent pas devenir des différences.
- Dès lors, la reconnaissance de l’égalité des cultures ne doit être qu’une précaution méthodologique. L’unité du genre humain relève d’une exigence morale fondamentale qui est nécessaire contre l’exclusion, l’oppression, le sous-développement ou la misère. Selon Tzvetan Todorov, l’universalité est un instrument d’analyse, un « principe régulateur permettant la confrontation féconde des différences ». Ce qui est universel, c’est notre appartenance biologique à la même espèce, c’est la liberté ou la perfectibilité, de sorte qu’il convient de reconnaître à la fois l’unité fondamentale du genre humain et la pluralité des cultures.
- Universalité de certains principes éthiques dont la validité n’est pas limitée au domaine d’une culture donnée. Ces principes, ces normes sont posés comme transcendants, dès lors qu’ils sont définis, non comme un fait, mais comme un idéal dont il faut sans cesse se rapprocher. Les droits de l’homme ne sont pas une culture; ils définissent les principes formels qui permettent de juger des cultures, à commencer par la nôtre. Ils permettent de déterminer ce qui n’est pas acceptable, ils définissent les critères qui permettent de juger.
- La nature humaine est donc davantage ce que nous devons poser en pensée pour comprendre l'égalité fondamentale des hommes. C'est un concept régulateur de notre rapport à autrui, de notre rapport à l'étranger, qui confirme que, quelle que soit son étrangeté, cette étrangeté que nous constations dans sa langue, dans ses coutumes, dans sa représentation du monde, l'autre est un alter ego.
- L’écologie
- Le rapport entre l’homme et l’animal
- L’hominisation
- Le racisme
I) DISTINCTION DU NATUREL ET DU CULTUREL
- L’homme n’est - il qu’une espèce naturelle ?
- La notion de nature humaine peut-elle être dangereuse ?
- Le statut social de la femme et celui de l’homme sont-ils fixés par leur nature
biologique ?
-
Les inégalités sociales ont-elles une
origine naturelle ou sociale ?
II)
ETHNOCENTRISME ET RELATIVISME CULTUREL
- Peut-on dire d’une civilisation qu’elle est supérieure à une autre ?
- Peut-on juger la culture à laquelle on appartient ?
- La pluralité des cultures est-elle un obstacle à l’unité du genre humain ?
- Peut-on parler à bon droit d’hommes “sans culture” ?
III)
NATURE ET NORME
- La nature est-elle un modèle ?
- Tout ce qui est naturel est-il normal ?
- Ce qui est naturel a-t-il nécessairement une valeur ?
-
Qu’est-ce qu’un homme civilisé ?
- Ne pas confondre la nature en général et la nature d’une chose.
- L’expression « la nature » désigne tout ce que l’homme n’a pas fait, l’ensemble de tout ce qui existe (règnes minéral, végétal et animal) en tant qu’il obéit à des lois ;
- « La nature d"un être ou d"une chose » concerne l’ensemble des caractères ou propriétés définissant un être (l’essence). On entend également par là tout ce qui, dans un être, est inné, par opposition à ce qui est acquis.
- L’inné : ce qui est possédé dès la naissance, qui appartient à la nature d’un être.
- L’acquis : ce qui résulte de l’apprentissage, de l’expérience, de l’éducation.
- Ne pas confondre génétique et inné : les comportement innés sont, la plupart du temps, d’origine génétique, mais il peut arriver qu’ils soient le fruit de l’influence environnementale in utero (par exemple, l’alcoolisme maternel grave peut entraîner chez le foetus le « syndrôme alcoolique foetal », qui se traduit notamment par une débilité mentale irréversible).
- Ne pas confondre génétique et héréditaire : un trait héréditaire est non seulement génétique, mais également transmissible d’une génération à l’autre. Un trait génétique n’est pas forcément héréditaire (la trisomie 21, ou mongolisme, est une maladie génétique due à un nombre anormal de chromosomes, mais elle n’est pas héréditaire).
- Le naturel : ce qui vient de la nature sans avoir été altéré (ex : l’eau de source), par opposition à l’artificiel dont le résultat est dû à une intervention de l’homme (ex : le sucre synthétique).
- Ce qui dépend d’une décision humaine est dit conventionnel (ex : l’âge de la puberté est naturel, celui de la majorité légale est conventionnel).
- Ne pas confondre naturel et normal : est normal ce qui est conforme soit à la moyenne, soit à la norme ou à la règle considérée comme valable. Une norme est une règle ou un modèle décrivant ce qui doit être et par rapport auxquels sont formulés des jugements de valeur. Le naturel ne définit ni le normal ni le pervers. Les normes sociales relatives à l’usage du corps, ou aux comportements sexuels, par exemple, sont conventionnels et ne prennent pas pour seul objectif la reproduction de l’espèce ; les comportements sexuels qui ne contribuent pas à la reproduction de l’espèce (la masturbation, l’homosexualité, etc.) ne sauraient donc être qualifiés de dénaturés ou de contre-nature.
-
La nature humaine : ce qui
serait présent à tout homme, commun à tous les hommes, abstraction faite de
déterminations contingentes.
- La culture : au sens courant, la formation spirituelle ayant élevé le goût, l’intelligence et la personnalité à la dimension de l’universel. Au sens sociologique, la culture est un ensemble complexe incluant connaissances, techniques, traditions, et caractérisant une société ou un groupe donné (il n’y a donc pas de sociétés humaines sans culture).
- La civilisation : ensemble des caractéristiques sociales, économiques, techniques, religieuses, etc., d’une société (ex : la civilisation chinoise). Au sens moral, impliquant un jugement de valeur, la civilisation est la conquête spirituelle de l’homme par lui-même, par opposition aux énergies qui seraient purement animales ou « barbares ».
- La barbarie : état de ce qui n’est pas civilisé. Ce terme exprime un point de vue ethnocentrique.
- Le sauvage : celui qui serait à l’état de nature, primitif, qui procéderait en dehors des règles.
- Ethnocentrisme : tendance à considérer le groupe socio-culturel auquel on appartient comme un centre, un modèle de référence, une norme, et à rejeter ainsi la diversité culturelle.
- Racisme : doctrine posant la réalité des races et affirmant la supériorité de certaines races sur d’autres. Ensemble de réactions, de comportements qui, consciemment ou non, s’accordent avec cette théorie.
- Universalisme : vision de l’humanité reposant sur l’affirmation d’une commune nature de tous les groupes humains et de la légitimation d’exigences universelles (ex : les droits de l’homme). Doctrine de l’unité fondamentale du genre humain, par-delà toutes les différences biologiques et culturelles. Morale fondée sur la détermination de valeurs et de normes transculturelles, universellement partagées ou partageables, c’est-à-dire communicables, et par là universalisables.
- Relativisme culturel : doctrine qui, contrairement à l’universalisme, insiste sur la différence de culture et de valeurs des sociétés, combat la tendance à juger des autres systèmes sociaux en vertu du nôtre et prône la tolérance. En ce sens, le relativisme refuse l’idée qu’il puisse y avoir des valeurs universelles.
- A. Comte-Sponville et Luc Ferry, La sagesse des modernes (chapitres 2 et 3), Robert Laffont.
- L. Ferry, - Le nouvel ordre écologique, Grasset
- L’homme-Dieu ou le sens de la vie, Grasset
- En collaboration avec J-D. Vincent, Qu'est-ce que l'homme ?, Odile Jacob (avril 2000).
- C. Lévi-Strauss, - Entretiens avec G. Charbonnier, Denoël
- Race et histoire, Denoël
- Tristes tropiques, Plon
- L. Malson, Les enfants sauvages, 10-18, UGE
- M. Mauss, Sociologie et anthropologie, chapitre VI, Les techniques du corps, PUF.
-
J. J Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les
hommes, Garnier-Flammarion
- P.-A. Taguieff, Le racisme, Dominos, Flammarion
- Revue « sciences humaines », n° 54 (octobre 1995, Inné/Acquis le grand débat), n° 77 (novembre 1997, Au coeur des cultures).
- Les notions clés de l’ethnologie, Analyses et textes, Cursus sociologie, Armand Colin.
1. Quels sont
les différents sens du mot " nature " ?
- L’expression « la nature » désigne tout ce que l’homme n’a pas fait, l’ensemble de tout ce qui existe (règnes minéral, végétal et animal) en tant qu’il obéit à des lois ;
- « La nature d"un être ou d"une chose » concerne l’ensemble des caractères ou propriétés définissant un être (l’essence). On entend également par là tout ce qui, dans un être, est inné, par opposition à ce qui est acquis.
- La nature humaine : ce qui serait présent à tout homme, commun à tous les hommes, abstraction faite de déterminations contingentes.
2. Qu'est-ce que la culture ?
-
La culture : au sens courant,
la formation spirituelle ayant élevé le goût, l’intelligence et la personnalité
à la dimension de l’universel. Au sens sociologique, la culture est un ensemble
complexe incluant connaissances, techniques, traditions, et caractérisant une
société ou un groupe donné (il n’y a donc pas de sociétés humaines sans
culture).
3. Quelles
sont les caractéristiques essentielles du fait culturel ?
- Le fait culturel est universel et caractérise tout groupe social ; la culture est acquise et sa transmission fait partie intégrante du phénomène culturel.
- Universalité de la culture d’abord, en ce sens que tous les groupes humains quels qu’ils soient sont dotés d’une culture propre. Ce que dément le sens commun lorsqu’il envisage l’existence d’une nature humaine indépendante du contexte social.
- Si le fait culturel est universel et acquis, cela implique que nous aurions tous pu être des Bororo. Rien, dans la physiologie, ne nous prédispose à telle forme culturelle plutôt qu’une autre. Ainsi, même des actes élémentaires comme le sommeil, la respiration sont des faits sociaux et culturels. L’accomplissement des fonctions biologiques suppose un apprentissage, de sorte que si tous les hommes, par exemple, digèrent selon le même processus biologique, ils n’ont pas la même façon de manger, de boire, etc. Marcel Mauss parle de « techniques du corps » pour désigner « les façons dont les hommes, société par société, d’une façon traditionnelle, savent se servir de leur corps » (Sociologie et anthropologie). Il y a technique parce qu’il y a transmission par la tradition.
4. Quel est le rôle de la prohibition de l'inceste ?
-
L'inceste est un rapport sexuel prohibé
socialement en raison d'un lien étroit de parenté entre deux individus de sexe différent.
La prohibition
de l'inceste est la démarche fondamentale en laquelle s'accomplit le passage de
la nature à la culture. L'interdit de l'inceste est la formulation
négative de la loi positive obligeant à l'échange. Exigence
d'ouverture à l'autre, exigence de maîtrise des pulsions instinctives,
l'interdit de l'inceste rappelle qu'il n'y a d'humanité que dans l'échange; la
sortie du cadre familial est la règle humaine qui ouvre à l'altérité.
5. Quel est,
selon Rousseau, le critère essentiel séparant l'homme de l'animal ?
- L'homme se distingue de l'animal par la conscience de sa liberté. La perfectibilité également, qui s'oppose à la fixité de l'animal, par laquelle l'homme peut acquérir progressivement de nouvelles qualités et perfections. Ce qui fait donc la plus grande différence entre l’homme et l’animal, c’est que l’homme se transforme et se perfectionne à l’infini, alors que l’animal ne peut pas dépasser ce que la nature a fait de lui. La liberté est la faculté de s'écarter de soi en même temps que du monde ou des contextes particuliers dans lesquels on est englué (les droits de l'homme considèrent qu'un être humain est respectable indépendamment de ses appartenances communautaires à une langue, une nation, une race, une religion). A l'animal, même le plus doué (les singes bonobos), manque la relation au sens et à l'universel qui permet de se faire comprendre, de comprendre autrui, de se distancier de soi afin de s'intéresser à l'autre suffisamment en profondeur pour lui imputer des intentions, prendre plaisir à partager des expériences ou des connaissances avec lui. Faute de décentrement, le sens de la réciprocité fait défaut à l'animal.
6. Qu'est-ce qui distingue la thèse utilitariste de la thèse humaniste héritée de Rousseau et de Kant concernant le rapport entre l'homme et l'animal ?
- La thèse naturaliste ou matérialiste, contrairement à la perspective humaniste (Rousseau, Kant), tend à abolir l'idée d'une discontinuité radicale entre le monde de la nature et celui. La nature devient un absolu. La distinction entre l’homme et l’animal n’est alors que quantitative – différence de degré et non de nature. La théorie de Peter Singer.
- La thèse utilitariste se différencie radicalement de la thèse humaniste héritée de Rousseau et de Kant : pour cette dernière, c'est la faculté de s'arracher aux intérêts (la liberté) qui définit la dignité et fait du seul être humain une personne juridique. C'est la liberté ou la bonne volonté, c'est-à-dire la capacité à agir de façon désintéressée, non égoïste, qui qualifie l'homme comme être moral.
7. En quoi
peut-on considérer la nature comme un modèle ?
- CF. Supra
8. Quelles
sont les limites du paradigme naturaliste ?
- Idem.
9. Que nous
enseigne l'exemple des enfants sauvages ?
- Que nos nos comportements sont l’effet d’une interaction complexe entre notre nature héréditaire et les milieux qui nous entourent. L'inné n'a pas de sens sans l'acquis et l'acquis n'a pas de sens sans l'inné. On ne peut pas saisir la nature à l'état pur, en isolant, par exemple, un enfant à sa naissance. On ne peut pas les prendre comme témoins de l'état naturel de l'homme avant l'état de culture. Ils sont en tout cas la démonstration vivante de l'incapacité à s'humaniser hors du contact avec les hommes. Le développement humain n'est possible que par la vie sociale et l'éducation, l'accès à la culture n'étant pas une donnée génétique.
10. Qu'est-ce que l'effet réversif ?
- Patrick Tort montre que la même sélection naturelle, qui élimine les moins aptes pour la vie, a aussi sélectionné la morale, qui refuse cette élimination. La morale constitue elle-même un avantage sélectif. Une humanité morale est plus apte à survivre qu’une humanité génétiquement incapable de se moraliser. Patrick Tort appelle cela l’effet réversif par quoi la nature produit la morale qui refuse ou transforme la nature. L’homme est cette espèce biologique (Homo sapiens) et sociale (l’humanité) qui se dresse contre la nature qui la produit et la contient. En somme, la nature produit cet être étrange, l’Homme, qui peut rompre avec la nature.
- Cette notion d’effet réversif permet de rendre compte de la liberté humaine. La liberté humaine est une marge d’indétermination, un pouvoir de choix, d’arrachement, de refus. Ce pouvoir est lui-même rendu possible par la nature, la sélection naturelle. Des individus jouissant d’une marge accrue d’indétermination, quoique génétiquement déterminée, auraient davantage de chances, dans la lutte pour la vie, de vaincre, de se reproduire, de s’adapter. De sorte que la liberté, comme la morale, serait un avantage sélectif : nous serions libres, et moraux, grâce à la nature.
11. Que faut-il entendre par "
juvénilisation de l'espèce humaine " ?
- Régression des comportements instinctuels, ouverture à l'environnement naturel et social, acquisition d'une grande plasticité.
12. Quelles catégories Edgar Morin propose-t-il
de substituer aux catégories classiques de la philosophie et de la science ?
13. Que faut-il entendre par " nature
humaine " ?
- L’expression “nature humaine” désigne généralement ce qui serait présent en tout homme, commun à tous les hommes , et qui correspondrait à un ensemble d’éléments et de comportements innés, héréditaires et spontanés. Mais le mot “nature” fait problème en ce qu’il suggère une identité invariable et un destin indépassable, car, par définition, “on n’échappe pas à sa nature”. Parler de nature humaine revient donc à postuler qu'il existe une définition de l'homme qui s'appliquerait à tous et à chacun d'entre eux.
14. Quelles sont les difficultés soulevées par
cette idée ?
- D'un côté on parle de nature humaine, d'essence de l'homme et il semble que cette idée d'une définition de ce qu'est l'homme soit légitime. Mais de l'autre, il semble que cette idée soit vaine parce que les différences observables entre les individus sont telles qu'ils semblent n'avoir rien en commun.
- Qui plus est, au nom d'une certaine idée de l'homme et en raison de différences observables entre eux, on a pu refuser le statut d'homme à des êtres qui pourtant étaient des membres de l'espèce humaine (exemple des Noirs ou des Juifs). De même, lorsque nous disons de certains êtres humains qu'ils sont des bêtes en raison de leur violence ou de la monstruosité de leurs actes, n'est-ce pas leur refuser le statut d'homme ?
- Savoir s'il existe une nature humaine et la définir n'a pas qu'un intérêt intellectuel, mais aussi moral. En effet, si certains hommes ne sont pas des hommes, il ne sera pas nécessaire de les traiter comme tels, c'est-à-dire avec le respect dû à l'homme en tant qu'homme ou en tant que personne.
15. Qu'est-ce que l'ethnocentrisme ?
D'où vient-il ?
- Le fait d'ériger les valeurs propres à la société à laquelle j’appartiens en valeur universelle et à rejeter les normes et les valeurs d’une société ou d’un groupe culturel en tant qu’elles sont différentes des siennes propres. L’ethnocentriste croit que ses valeurs sont les valeurs. Cet ethnocentrisme est une attitude universelle qui n’est pas l’apanage des sociétés occidentales. Cette constante tient sans doute à l’une des fonctions essentielles de la stigmatisation d’autrui, où l’on rejette pour mieux définir et identifier son propre groupe, en posant la limite entre soi et les autres. L'ethnocentrisme est le prix à payer de l’identité. Selon les théoriciens de la sociobiologie, l’ethnocentrisme remplit une fonction positive : il favorise les attitudes et les conduites altruistes à l’intérieur du groupe d’appartenance. Les liens de groupe ne sont qu’une extension des liens du sang, l’ethnicité n’est qu’une extension des liens de parenté. L’ethnocentrisme est alors interprété comme une attitude retenue par la sélection naturelle et représente un avantage sélectif pour les groupes humains.
16. En quoi l'idée de nature humaine est-elle un
concept régulateur ?
- L'idée de nature humaine incarne un concept régulateur, un idéal de la raison et non un fait démontrable en tant que tel. La nature humaine, dans sa prétention à l'universalité, renvoie à l'idée d'une égalité fondamentale des hommes, d'une homogénéité de l'humanité au-delà de la diversité constatable. La nature humaine est davantage ce que nous devons poser en pensée pour comprendre l'égalité fondamentale des hommes. C'est un concept régulateur de notre rapport à autrui, de notre rapport à l'étranger, qui confirme que, quelle que soit son étrangeté, cette étrangeté que nous constations dans sa langue, dans ses coutumes, dans sa représentation du monde, l'autre est un alter ego.
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