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I) L’EXPERIENCE COMME OBSTACLE EPISTEMOLOGIQUE
A) LA CONNAISSANCE VRAIE EST LA CONTEMPLATION THEORIQUE
B) THEORIE ET METHODE (Descartes)
C) LE SAVOIR SCIENTIFIQUE COMME RUPTURE EPISTEMOLOGIQUE (Bachelard)
II) L’EXPERIENCE FONDE LA THEORIE
B) LA THEORIE VIENT DE L’EXPERIENCE (empirisme et positivisme)
C) LA THEORIE SE REDUIT A L’EXPERIENCE (le positivisme)
III) LA RELATION NECESSAIRE ENTRE THEORIE ET EXPERIENCE
B) LA DEMARCHE EXPERIEMNTALE : CRITIQUE DE L’INDUCTIVISME
THEMES DE RECHERCHES COMPLEMENTAIRES
EXERCICE DE COMPREHENSION DE LA FICHE DE TRAVAIL
- On oppose généralement la théorie, qui est assimilée à la vaine et futile abstraction, à l’expérience, qui renvoie au côté concret, à la vie, à la réalité dans ce qu’elle a de massif et d’exemplaire. En premier lieu, l’opposition de la théorie et de l’expérience semble recouper celle de l’abstrait et du concret.
- Quand on parle de l’abstrait ou de l’abstraction, ces termes ont d’emblée une connotation péjorative, en ce qu’ils évoquent le vague, l’invérifiable, ce qui ne présente aucun rapport avec la réalité. En ce sens, la théorie désignerait une idée éloignée de la réalité, une chimère. Le concret, au contraire, est valorisé en la personne de l’homme d’expérience ou de terrain, qui connaît réellement les choses pour les avoir vécues. En première approche, la théorie concerne donc l’ordre de l’abstraction entendue comme ce qui est éloigné et éloigne des faits, tandis que l’expérience est tout entière tournée vers la réalité matérielle et tangible, ce qui lui confère sérieux et crédibilité.
- Cette opposition commune de la théorie et de l’expérience, du concret et de l’abstrait, est-elle justifiée ?
- Par abstraction, il faut entendre l’opération de l’esprit qui permet, en les traitant séparément, de donner aux qualités des choses, aux relations qui les unissent, à la fois une existence stable et un nom. « La blancheur », par exemple, désigne une abstraction qui exprime la propriété des choses et qui fournit des critères de distinction, de regroupement et de comparaison. L’abstraction est, en réalité, constitutive de la pensée et du langage, et structure véritablement notre rapport à la réalité, contrairement à ce qu’établit le sens commun. On peut alors penser que par l’abstraction, le concret nous est donné et connu, si l’on entend par concret la réalité des êtres ou des objets tels qu’ils sont donnés dans l’expérience.
- Théorie vient du mot grec theoria qui signifie « vue intellectuelle », « contemplation », « attitude spéculative ». Au sens général du terme, la théorie est une connaissance spéculative, désintéressée, par opposition à la pratique, qui concerne l’action ou qui est orientée vers l’action.
- La notion de théorie a également une autre signification, épistémologique cette fois, puisque l’on parle de théorie scientifique, c’est-à-dire d’un ensemble organisé et cohérent d’idées, concernant un domaine particulier de connaissances, et intégrant un très grand nombre de faits et de lois autour de quelques principes fondamentaux.
- La notion d’expérience est elle-même polysémique : on parle de l’expérience pour signifier un ensemble de connaissances que l’on acquiert par le temps et l’usage (on dit de quelqu’un qu’il a de l’expérience, qu’il est un homme d’expérience). Le concept d’expérience désigne aussi la connaissance acquise par les sens, les données sensibles auxquelles l’esprit a affaire dans l’élaboration ou la validation de ses connaissances. Enfin, l’expérience, en son acception épistémologique, concerne l’action d’observer les faits en vue de vérifier une hypothèse, le terme étant alors synonyme d’expérimentation. Où l’on voit qu’« avoir une expérience » n’est pas la même chose que « faire une expérience ». Faire une expérience, en physique, en biologie, c’est expérimenter, prouver par les faits, interroger méthodiquement des phénomènes pour vérifier une hypothèse.
- En quoi les notions de théorie et d’expérience peuvent-elles faire l’objet d’une confrontation ?
- Si une théorie est une vue de l’esprit, si elle obéit à une intention de vérité, de connaissance, doit-elle pour y satisfaire s’appuyer sur l’expérience, sur les données du vécu ou de l’observation ? Ces données sensibles sont-elles un fondement, un critère, un simple matériau ou un obstacle pour la théorie ? La théorie doit-elle, au contraire, s’en détourner ou les dépasser ? L’expérience doit-elle être contredite ou dépassée ? Constitue-t-elle un obstacle fondamental à l’élaboration d’une authentique connaissance – la connaissance scientifique – ou bien est-elle un appui nécessaire à l’élaboration de cette connaissance rationnelle ?
- En clair, l’expérience est-elle la source exclusive de la connaissance ? Quelle correspondance, en somme, s’établit-il entre la théorie et l’expérience dans la constitution de la connaissance en général, du savoir scientifique en particulier ?
- Comment donc l’esprit connaît-il ? Qu’est-ce précisément que la connaissance ? La question des rapports entre la théorie et l’expérience nous renvoie du côté d’une réflexion sur le fondement de la connaissance. Qu’est un savoir véritable ? N’y a – t – il pas différents modes ou degrés de la connaissance ? Peut-on d’ailleurs définir un critère de démarcation au moyen duquel il serait loisible de reconnaître les connaissances véritables (la connaissance scientifique, par exemple) et leurs faux-semblants ? Que pouvons-nous au juste savoir ? Quelles sont les possibilités et les limites de notre faculté de connaître ?
- Ce qui est finalement en jeu, c’est la nature et la valeur même de la connaissance scientifique. Qu’est-ce qui spécifie la connaissance scientifique au regard d’autres formes de connaissance ? Le savoir scientifique est-il, en définitive, le modèle de la connaissance ?
-
On peut d’abord penser que, pour établir
une connaissance authentique, scientifique du réel, l’expérience constitue un obstacle fondamental
qu’il convient de dépasser, voire de briser. L’expérience désigne
alors le plus
bas degré de la connaissance et se voit dévalorisée au profit de la
théorie, de l’intelligible qui sont les seules voies d’accès au réel. Dans
cette perspective, c’est la théorie qui fonde la connaissance, soit en ce
qu’elle permet une rupture efficace avec l’expérience trompeuse, soit qu’elle
autorise un accès ou un retour à cette même expérience qu’elle transfigure,
intellectualise en quelque sorte, en raison des exigences de la connaissance. La théorie désigne
alors un mode de connaissance authentique permettant de dépasser l’expérience
première.
- Un telle conception, fondée sur le primat de la théorie sur l’expérience, est inaugurée par Platon et caractérise le courant dit idéaliste ou rationaliste. Par la critique de la connaissance sensible, Platon entend dépasser la conception sophistique du savoir réduit à la sensation et à l’opinion (« L’homme est la mesure de toute chose » affirme Protagoras). Cette conception aboutit, selon Platon, à un subjectivisme extrême (promotion du sujet par rapport à l’objet, du particulier et du relatif par rapport à l’universel) et à un relativisme sceptique (incapacité de parvenir à une connaissance certaine).
- Platon compare, dans La république (livre VII) le monde dans lequel nous vivons – le monde sensible - et que nous connaissons essentiellement par les sens, à une caverne dans laquelle les hommes sont prisonniers et ne peuvent regarder que devant eux, vers la paroi interne ouverte sur la lumière du jour. Comme les prisonniers ne peuvent tourner la tête, ils ne voient pas derrière eux le sentier étroit qui monte vers la lumière du jour, et en travers duquel on a élevé un muret qui le barre. Sur la hauteur, plus loin, un feu brille : les prisonniers voient projetés, sur la paroi interne, les ombres, les reflets, mais ils croient que les ombres sont les objets eux-mêmes.
- Cette allégorie de la caverne nous donne à voir un monde hiérarchisé.
- Le plus bas degré est l’image, simple représentation dans l’espace de quelque chose qui n’existe pas nécessairement, qui relève de l’imagination et dont les sophistes maîtrisent parfaitement la manipulation.
- Le degré suivant est l’expérience sensible, ce que nous appelons d’ordinaire « réalité » : tout ce qui relève du sensible, les choses visibles, tangibles, les apparences fugitives, inconsistantes, illusoires qui nous donnent confiance en ce que nous ne pouvons pas admettre qu’elles ne soient que des illusions. Sortir de la caverne, c’est précisément reconnaître le caractère illusoire de ce qu’on avait jusque-là pris pour certain.
- Au-dessus du monde sensible – monde de l’opinion, multiple, changeant, confus, incapable de fournir les fondements d’une connaissance nécessaire et universelle -, il faut, pour accéder au monde authentique – le monde intelligible – passer à l’étape supérieure, celle de l’Idée ou de l’hypothèse, celle des objets mathématiques. Ce monde intelligible, nous ne le connaissons que par la pensée qui nécessite une véritable conversion intellectuelle et, pour ainsi dire, existentielle.
- Quelles sont les caractéristiques de l’Idée ? Il s’agit d’une réalité non perçue par les sens, plus réelle pourtant que la réalité sensible. L’essence ou Idée est ce qui existe en soi, ce qui n’est lié à rien d’autre, ce qui est à la fois nécessaire, universel, immuable, intemporel. L’Idée correspond d’ailleurs à une exigence de l’esprit : les choses peuvent être autres qu’elles ne sont, mais une connaissance n’est digne de ce nom que si elle ne peut pas ne pas être ce qu’elle est.
- L’Idée, seule, possède la réalité véritable, paradoxe illustré dans le fameux exemple des trois lits au livre X de La république : le lit-idée, c’est-à-dire le lit idéal que l’artisan forge dans sa tête et à partir duquel il va concevoir le lit réel, a plus de réalité que le lit-objet. Si je demande, par exemple, comme le fait Platon à Hippias : « qu’est-ce que la beauté ? », je sollicite une définition et ne peux me contenter d’exemples, en invoquant la beauté des hommes, des femmes, de tel ou tel objet ; ces exemples – les objets beaux – présupposent la définition : si je dis qu’une femme est belle, c’est que j’ai bien une réponse implicite à la question « qu’est-ce que la beauté ? ». Il s’agit là de la beauté telle qu’elle est en elle-même, indépendamment des êtres singuliers, et non en tant qu’elle s’incarne ou se réfracte dans des objets divers.
- Ainsi l’expérience sensible représente-t-elle une réalité inconsistante : disons que si une chose est ce qu’elle cesse d’être, ou si elle cesse d’être ce qu’elle est, c’est qu’elle n’est pas vraiment. L’Etre véritable se caractérise, au contraire des choses sensibles, par la permanence et l’immutabilité, de sorte que l’Etre s’oppose au devenir. Cette opposition entre le monde sensible et le monde intelligible, entre l’Etre et le devenir, le temps et l’éternité, n’est rien d’autre finalement que l’opposition entre la connaissance sensible et la connaissance rationnelle.
- La connaissance sensible est la connaissance commune du vraisemblable, du probable ; elle représente une conviction appuyée sur la tradition et la confiance naïve en la vertu des sens et de l’enseignement commun. La science, au contraire, est la connaissance du nécessaire et de l’universel (ce qui est nécessaire appartient à tous).
- C’est au moyen du langage et de la raison que nous pouvons, dans l’échange et le dialogue, remonter à l’unité de l’essence : cette méthode est la dialectique, processus par lequel l’être s’élève par degrés des apparences sensibles aux réalités intelligibles, aux Idées. La connaissance suppose une conversion intellectuelle, un détournement des habitudes spontanées, elle est une ascension, une ascèse. Mais Platon n’explique pas, et ne peut le faire, le statut d’une théorie (question des procédures de validation des théories), la nature véritable du langage et de la connaissance.
- Dans Le discours de la méthode, Descartes fonde, dans la lignée de Platon, la démarche rationaliste. Le rationalisme répond au problème de l’origine de la connaissance en affirmant que tout ou partie de la connaissance dérive de la raison et que la réalité est accessible à la raison. Les principes de la science sont fournis par la raison indépendamment de l’expérience.
- Le doute est le commencement obligé de la philosophie. Avant de rechercher la vérité, il faut d’abord purger l’esprit de nos préjugés installés par les nourrices, les éducateurs et les opinions douteuses attachées aux sens. Il s’agit de faire table rase de toutes les illusions, de rejeter comme faux ce qui n’est que douteux. Doute méthodique et universel, mais provisoire.
- Dans Les méditations métaphysiques, Descartes progresse méthodiquement des illusions les plus naturelles à l’illusion la plus artificielle : l’hypothèse du malin génie. Ce travail, difficile, est indispensable au projet scientifique.
- D’abord les illusions des sens : les sens nous trompent parfois; je dois donc les tenir pour toujours trompeurs. Illusions ensuite concernant les choses éloignées, mais aussi celles dont on ne peut raisonnablement, d’un point de vue pratique, douter (“par exemple que je suis ici, assis auprès du feu, vêtu d’une robe de chambre, ayant ce papier entre les mains, et autres choses de cette nature. Et comment est-ce que je pourrais nier que ces mains et ce corps-ci soient à moi ?”). Les illusions du rêve aussi: les illusions du songe, jointes à l’impossibilité de distinguer nettement la veille d’avec le sommeil, m’obligent à tenir l’illusion des sens pour universelle.
- Ensuite les illusions portant sur les vérités mathématiques : Descartes forge pour les mathématiques, qui semblent échapper à l’illusion, l’hypothèse d’un Dieu trompeur qui m’aurait créé de façon que je me trompe lorsque j’additionne deux et trois. Exigence méthodologique de cette hypothèse car l’esprit résiste devant l’évidence mathématique. Mais la bonté divine s’accommode mal de cette hypothèse.
- L’hypothèse du malin génie qui rend illusoire aussi bien les choses extérieures que les vérités mathématiques. Comble du doute atteint avec ce “grand trompeur” : “Je me considérerai moi-même comme n’ayant point de mains, point d’yeux, point de chair, point de sang, comme n’ayant aucun sens, mais croyant faussement avoir toutes ces choses”.
- Une seule chose peut échapper à ce doute radical : c’est le fait que, doutant de tout, et aussi trompé que je puisse l’être, aussi longtemps que je doute, je pense, et que tant que je pense, je suis une chose qui pense. Je doute, je pense, j’existe, telle est l’évidence indubitable qui réside dans l’acte même de douter. Grâce au cogito, je peux avoir une connaissance vraie.
- Descartes affirme l’égalité de droit de tous les esprits : « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée… » (Discours de la méthode). La raison, c’est-à-dire la faculté de bien juger, de distinguer le vrai du faux, est également répartie chez tous les homes mais ces derniers n’en usent pas tous correctement. Ce mauvais usage de la raison rend la méthode absolument nécessaire pour la recherche de la vérité. Cette méthode n’est rien sans l’exercice du doute, lequel n’est point sceptique, mais provisoire et constructif. Le doute est nécessaire pour parvenir à l’évidence, à l’indubitable, signes de la vérité. C’est dire que l’on ne peut accéder directement à la vérité : les recherches désordonnées, faites au hasard, ne conduisent que rarement à la vérité ; une recherche sans méthode aveugle l’esprit, de sorte qu’une méthode rationnelle conduit efficacement vers la connaissance.
- Cette méthode incarne à la fois un ensemble de moyens et un idéal de la démarche rationaliste qui coïncident tout à fait avec la posture philosophique et sans doute l’esprit démocratique. La méthode désigne une attitude rationnelle, une observation scrupuleuse de règles indiquant la marche à suivre pour aboutir à un résultat positif ; il s’agit d’un déroulement transparent et maîtrisé permettant de conjurer l’irrationnel ou l’inconnu d’une expérience ou d’une recherche. La méthode n’est rien d’autre que le travail de l’esprit permettant d’économiser l’énergie humaine et de progresser de manière féconde et certaine.
- Comment, dès lors, bien user de la raison ? Descartes définit quatre préceptes qui sont inspirés du raisonnement et de la démonstration mathématiques :
1. la règle d’évidence qui consiste à ne jamais rien recevoir comme vrai qui ne soit connu clairement et distinctement, et dont on ne puisse douter. Nous devons suspendre le jugement et ne recevoir pour vrai que ce qui est évident, c’est-à-dire clair et distinct. Une idée claire est celle qui est présente et manifeste à un esprit attentif ; une idée distincte est celle qui est tellement précise et différente de toutes les autres qu’elle ne saurait être confondue avec l’idée confuse. Cette règle d’évidence permet d’éviter la « précipitation » (défaut consistant à juger avant la complète évidence) et la « prévention » (persistance de jugements irréfléchis provenant de notre enfance) ;
2. la règle d’analyse : il s’agit de « diviser chacune des difficultés…en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre ». Devant un énoncé difficile et complexe, procédons en divisant les difficultés en autant de parcelles qu’il semble utile et efforçons-nous de résoudre chaque problème partiel. L’action de délier et de résoudre un tout en ses parties se révèle un des meilleurs procédés ;
3. la règle d’ordre : conduire par ordre nos pensées en allant du plus simple au plus complexe ; l’esprit reconstitue le complexe en partant du plus simple et introduit de l’ordre là où il n’y en a pas. Cette règle fait appel à la déduction, c’est-à-dire à l’enchaînement des propositions, ainsi qu’à la synthèse, opération intellectuelle procédant à partir des éléments simples jusqu’aux conséquences, en réunifiant progressivement ces idées simples.
4. la règle du dénombrement : faire une énumération complète des données du problème étudié. Par le dénombrement, s’effectue une recherche systématique de la totalité des notions mises en jeu.
- Au total, cette méthode est une invitation à penser par soi-même, à forger personnellement des jugements rigoureux selon l’ordre des raisons. Elle désigne un processus rationnel d’acquisition de l’ordre logique, un mode de progression du simple au complexe. La théorie n’informe l’expérience que si elle est méthodiquement organisée. Avec Descartes, la raison devient le moyen et l’idéal de la science et c’est l’esprit, par ses procédures cohérentes, qui est donateur de sens et d’intelligibilité. Ce rationalisme est sous-tendu par un réalisme puisque le monde obéit à des lois simples, réductibles aux mathématiques et connaissables par le seul raisonnement logique. La théorie est le fruit de la raison qui part à la découverte et à la conquête de la nature. Cette conception rationaliste va profondément marquer la modernité.
- On distingue depuis Platon, nous l’avons vu, la connaissance scientifique - connaissance rationnelle ayant pour finalité la vérité et constituant la connaissance authentique - de la connaissance commune ou opinion. Qu’est-ce qui distingue ces deux modes de connaissance ? La connaissance commune est-elle, pour la connaissance scientifique, un point d’appui ou un obstacle ?
- La connaissance commune se fonde avant tout sur l’opinion qui a pour caractère d’être anonyme et sans responsable initial repérable, et sur la perception. Ce qui l’intéresse n’est pas tant l’ensemble des lois impliquées par les phénomènes qu’une explication simple et globale de ce qu’elle perçoit du monde. Comme le montre Platon, la connaissance commune se satisfait des apparences et est pétrie d’illusions, de préjugés, de connaissances évidentes et non vérifiées ou fondées. Elle cherche avant tout la stabilité, la certitude durable, le conformisme, et se montre réservée à l’égard de l’esprit critique. Elle se contente d’allusions à l’expérience commune dont les enseignements sont d’abord singuliers ou personnels, mais se trouvent admis comme exemplaires ou rapidement généralisables.
- Tout autre est la connaissance scientifique entendue comme connaissance objective qui établit entre les phénomènes des rapports universels et nécessaires (lois) autorisant la prévision de résultats dont on est capable de maîtriser expérimentalement ou de dégager par l’observation la cause. Il s’agit d’une connaissance qui consiste en énoncés (lois) ou en systèmes d’énoncés (théories) qui doivent répondre à la fois à des critères de validité (cohérence interne de l’énoncé ou du système d’énoncés) et de vérité (adéquation entre l’énoncé et les faits). Ces critères doivent être indépendants de toute appréciation subjective.
- Selon Auguste Comte, la connaissance scientifique ne consiste pas tant à se demander pourquoi les phénomènes se produisent (ce qui entraîne vers une recherche théologique ou métaphysique des causes premières ou finales) qu’à chercher à comprendre comment ils ont lieu. La science répond d’abord à un besoin d’explication de la nature, cherche à découvrir des lois qui se situent au-delà des phénomènes et n’apparaissent jamais directement (aucune feuille ne nous donne en tombant une illustration immédiate de la loi de la chute des corps). La connaissance scientifique, élaborant ces lois, s’intéresse à des phénomènes universels. Elle doit travailler, par conséquent, sur des faits reconstruits : elle ne s’élabore pas à partir des données de la perception ordinaire, qu’elle considère par principe comme trompeuses ou insignifiantes, comme l’ont établi Platon et Descartes et tout le courant rationaliste.
- L’observation scientifique implique le recours à des moyens d’observation sophistiqués dont l’existence elle-même est due à la mise en application technique de théories antérieures (cf. Cours “théorie et expérience” où ce point sera approfondi). La science met en oeuvre des concepts univoques, différents en cela des concepts linguistiques, qui tendent à n’avoir qu’un seul sens défini par le savant pour recouvrir un ensemble défini de phénomènes ou de relations.
- Cette définition de la science entraîne deux conséquences : la première est que la science étudie des phénomènes, des choses ou des faits définis, triés, classés par l’homme de science (la chimie, par exemple, n’étudie pas l’eau du robinet, ou l’eau de Vittel, mais un composé chimique H 2 O); la deuxième conséquence est que la science établit des relations universelles et nécessaires : elle ignore les cas particuliers et ne s’intéresse qu’aux phénomènes qui se produisent toujours dans des conditions déterminées.
- On peut penser le rapport entre la connaissance commune -l’opinion - et la science en termes de degrés. Il convient alors, à la manière de Spinoza, de distinguer trois genres de connaissance :
1. Le premier genre de connaissance, ou connaissance acquise par “ouï-dire” et “expérience vague”. C’est essentiellement la connaissance imaginative ou sensible qui est une connaissance centrée sur le corps propre et relative à sa constitution (c’est ainsi, par exemple, que nous percevons le soleil à portée de main; même un homme versé dans les sciences, qui connaît la vraie distance qui sépare le soleil de la terre, aura exactement la même image du soleil que l’homme le plus ignorant). C’est une connaissance confuse et mutilée qui saisit les choses comme des fragments discontinus de la réalité, sans les rapporter à l’ordre nécessaire des choses qui les rend intelligibles. Cette connaissance mutilée des choses est aussi connaissance mutilée de soi-même, car ignorants l’ordre nécessaire des choses, nous avons l’illusion d’être un “empire dans un empire”. C’est aussi la connaissance par “ouï-dire”, la connaissance transmise par le récit, par la tradition, sans être accompagnée de raisons, de critique. Ce premier genre de connaissance se manifeste par un comportement passionnel, superstitieux et fanatique.
2. Le deuxième genre de connaissance, ou connaissance discursive, ou Raison. Celui qui commence à s’instruire, qui apprend à définir et à déduire selon la méthode mathématique, rationnelle et qui peut, dès lors, s’affranchir des passions tristes. Elle s’acquiert comme une conviction née de raisonnements. Elle nous fait voir ce que doit être la chose, en vertu de la conclusion de notre raisonnement. Connaissance scientifique qui, par son objectivité, se rapproche de la connaissance que Dieu même a des choses.
3. Le troisième genre de connaissance, ou connaissance intuitive : celui qui voit chaque chose, chaque événement, comme découlant de la nature divine, c’est-à-dire de la nécessité naturelle. Il connaît toute chose dans sa singularité et son lien avec la totalité. Il n’est plus hanté par la crainte. Il éprouve la joie la plus haute. A ce stade “connaître” et “aimer” est une seule et même chose.
- On peut également penser le rapport entre la connaissance scientifique et l’opinion, à la façon de Bachelard dans La formation de l’esprit scientifique. La science ne peut exister qu’au prix d’une rupture épistémologique avec l’opinion qui “en droit a toujours tort”. L’élaboration du savoir sa fait en terme « d'obstacle épistémologique », concept qui désigne les lenteurs et les troubles internes à l’acte même de connaître. C’est dire qu’on « connaît contre une connaissance antérieure, en détruisant les connaissances mal faites, en surmontant ce qui, dans l’esprit même, fait obstacle à la spiritualisation » (Bachelard, op.cit.). La vérité peut alors être considéré comme un « véritable repentir intellectuel ».
- L’opinion est par nature indifférente à toute explication d’un phénomène qu’elle ne fait que constater; elle ne s’y intéresse d’ailleurs qu’en fonction de l’utilité qu’elle peut en retirer. De sorte que, pour la connaissance scientifique, l’opinion ne peut jamais proposer un point d’appui : elle constitue bien un “obstacle épistémologique”, c’est-à-dire une mentalité dont la constitution empêche ou freine l’apparition de l’attitude scientifique. Ensemble de représentations scientifiques ou non scientifiques empêchant une science donnée, à un moment donné, de poser correctement les problèmes, les « obstacles épistémologiques » résident à l’intérieur même de la pensée, dans les profondeurs inconscientes, culturelles, du psychisme
- La science s’oppose donc à l’opinion qui a, en droit, toujours tort, qui « pense mal » ou qui « ne pense pas » ; l’opinion est le premier obstacle à surmonter et à détruire. Bachelard parle de « rupture épistémologique » pour signifier l’acte intellectuel par lequel une science surmonte ses « obstacles épistémologiques » en remodelant ses principes explicatifs.
- Ce n’est donc qu’en rompant avec les approches de la connaissance commune, c’est-à-dire en se détournant de la perception et en mettant au point une démarche expérimentale posant à la nature des questions précises, que le rationalisme scientifique se met en place. Ce qui caractérise, en effet, l’esprit scientifique, c’est le sens du problème : « toute connaissance est une réponse à une question… ».
- La notion d’obstacle épistémologique évoquée ci-dessus peut être étudiée aussi bien dans le développement historique de la pensée scientifique que dans la pratique de l’éducation : comment un concept en a produit un autre et s’est lié avec un autre (problème de la formation des concepts scientifiques) ; comment les élèves eux-mêmes ne comprennent pas tel ou tel problème scientifique (problème de la psychologie de l’erreur, de l’ignorance ; notion parallèle d’obstacle pédagogique). La culture scientifique doit commencer par une « catharsis intellectuelle et affective » qui consiste à changer de culture expérimentale, à renverser les obstacles amoncelés par la vie quotidienne.
- Comme chez Platon, l’esprit scientifique suppose une conversion intellectuelle, une pédagogie de la rupture, une véritable « psychanalyse ». Ainsi l’expérimentation scientifique diffère-t-elle par nature de l’expérience première : les faits scientifiques sont construits à travers un réseau de médiations instrumentales et technologiques » (les instruments sont des réalisations techniques de théories) ; l’observation scientifique porte qui plus est sur des phénomènes qui sont les produits de tout le travail de rationalisation et d’abstraction de la science (la mathématisation notamment). Le réel scientifique n’est donc pas le réel de la perception : il est le résultat d’une épuration, d’une déconstruction des apparences, d’un monde de « pensées vérifiées ». Au total, « l’abstraction est la démarche normale et féconde de l’esprit scientifique » (Bachelard, op. cit.).
- Bachelard propose ainsi trois grandes périodes dans les différents âges de la pensée scientifique : l’état préscientifique (antiquité jusqu’au XVIIIe siècle), l’état scientifique (XIXe sicècle, début du XXe sicècle), le « nouvel esprit scientifique » (commence en 1905 avec la théorie de la relativité d’Einstein). Ces trois âges de la science correspondent peu ou prou aux trois états de la connaissance : l’état « concret » où la nature est glorifiée, l’état « concret-abstrait » où « l’esprit adjoint à l"expérience physique des schémas géométriques et s'appuie sur une philosophie de la simplicité », l’état « abstrait » où l’esprit se détache de l’expérience immédiate.
- On doit donc considérer que la connaissance commune, non seulement a toujours tort du point de vue de la connaissance scientifique, mais aussi que sa façon d’avoir tort interdit toute transition vers la science. Bachelard montre bien que l’histoire des sciences est une perpétuelle rupture, une révolution permanente dans laquelle les idées viennent contredire d’autres idées, les faits d’autres faits. Il existe une progression des concepts et des théories qui s’effectue davantage par correction d’erreurs antérieures que par accumulation d’un savoir entièrement nouveau. La connaissance scientifique s’accompagne en permanence d’esprit critique.
Conclusion
- L’expérience est donc désavouée, chez Platon, au nom de la raison et de ses exigences tant intellectuelles que morales et politiques ; la réalité qui correspond au véritable savoir est celle d’un monde transcendant et séparé d’essences pures (les Idées). Le rationalisme cartésien assigne au doute, à l’attention et à la méthode la tâche de fonder la connaissance sur des bases solides et indubitables, de sorte que connaître, c’est à la fois douter et organiser méthodiquement la faculté naturelle de distinguer le vrai du faux. Pour Bachelard, enfin, la science se constitue en récusant l’expérience première de l’opinion et de la perception : le savoir et l’expérimentation scientifiques (bien distinguer ici expérience et expérimentation), loin d’être observations spontanées, sont les résultats d’une production à la fois rationnelle et technique (ce point sera développé dans la suite du cours).
- Pour Platon, en somme, le problème du rapport de la théorie et de l’expérience est posé par rapport à la question de l’Etre, dans une perspective réaliste, métaphysique et ontologique : la théorie est un rapport immédiat à l’Etre qui suppose une conversion spirituelle et existentielle (c’est le but de la philosophie !). Avec Descartes, l’interrogation se déplace vers une théorie de la connaissance et un examen des conditions de la science ; l’effort vers la vérité est alors fondé puisque la méthode permet d’ordonner le rapport de la volonté à l’entendement et de purifier l’esprit. Pour Bachelard, l’optique réaliste est elle-même un obstacle épistémologique et il s’agit de comprendre le rapport de la théorie et de l’expérience d’un point de vue génétique.
- Dans les trois cas justement, la question des procédures de validation des théories n’est pas posée. Or, quel est le statut d’une théorie ? Peut-il y avoir un contrôle expérimental des théories ? Comment les énoncés scientifiques sont-ils justifiés et validés ?
- L’expérience peut ainsi être réhabilitée si l’on s’interroge non plus sur les processus d’élaboration du savoir, comme c’était le cas chez Platon, Descartes et Bachelard, mais sur le problème des procédures de validation des théories, si l’on passe de la question du fait, de laquelle relève l’interrogation sur les processus psychogénétiques de la connaissance, à la question du droit, de laquelle dépend la réflexion sur les critères du vrai. Passer donc du problème de l’Etre à celui de la représentation et de la vérité. Avec l’empirisme et le positivisme, la sensibilité et l’expérience deviennent les seules sources possibles de la connaissance. Le problème se pose de savoir si les théories sont bel et bien des reflets de l’expérience. D’où vient la certitude que ce que nous apprenons de l’expérience correspond bien à la façon dont les choses se passent dans la réalité ?
1) Sceptiques
et sophistes : un point de départ commun
- Alors que pour Platon la science se conquiert contre l’illusion et la confiance naturelle accordée au sensible, grâce à l’instauration d’un arrière-monde intelligible, et par une véritable conversion spirituelle et existentielle que signe la philosophie, les sophistes et les sceptiques ont en commun le même point de départ : il n’existe qu’un seul monde, celui des apparences sensibles; c’est la sensation qui est vraie et la raison trompeuse; notre perception des choses ne nous permet pas une connaissance objective; l’illusion est partout car nous ne connaissons que des phénomènes; tout est relatif et la science est impossible.
- La science, la théorie se réduisent alors à l’expérience sensible tissée d’illusions, c’est-à-dire au phénomène (le phénomène est l’interaction du sujet et de l’objet : un oeil sain, par exemple, verra un objet blanc, un oeil atteint de jaunisse le verra jaune…), de sorte que notre savoir est toujours relatif à celui qui sait.
- Mais sceptiques et sophistes se distinguent sur deux points : les sophistes pensent que si l’illusion est universelle, il faut faire avec et déployer une science encyclopédique dans l’ordre des apparences (les sophistes s’instituent experts dans l’art des beaux discours). Les sceptiques pensent, au contraire, que le règne de l’universel doit nous faire suspendre notre jugement, douter et s’abstenir de tout dogmatisme.
1.1 Les sophistes
- Platon fait des sophistes des démagogues sans scrupules, d’habiles trompeurs, des commerçants du savoir vendant fort cher un art d’illusion. Or, en réalité, les sophistes ont développé une conception authentiquement philosophique : dans leur refus de toute transcendance et de toute acceptation a priori de la vérité, les sophistes annoncent la modernité.
- Selon Protagoras, “l’homme est la mesure de toutes choses”. La vérité est relative; le seul critère est l’utilité. Tout est vrai et tout est faux; la perception sensible est changeante, le raisonnement peut démontrer également une chose et son contraire. On aboutit ainsi à un universel relativisme : le sophiste est celui qui assume l’humaine condition en cultivant la maîtrise de l’illusion pour le salut des hommes et des cités.
- L’homme dont parle Protagoras n’est point l’individu particulier pris isolément, mais l’ensemble des citoyens qui composent la cité et dont l’individu lambda serait prudent d’écouter l’opinion. Protagoras cherche avant tout à enseigner la vertu du citoyen, d’un homme affranchi de toute transcendance, qui ne reconnaît de vérité que “convenue”, après en avoir publiquement débattu. Que rien ne soit absolument vrai ne signifie pas que rien n’est vrai. Simplement il est prudent d’éclairer son jugement à la lumière de ceux de ses concitoyens. La formule de Protagoras est donc un appel à débattre en vue de s’accorder, par contrat, sur ce qu’il convient de faire : le meilleur est celui du plus grand nombre. Le Bien se définit comme l’utile déterminé par convention. La quête d’un critère idéal du vrai et du faux est abandonnée : prévaut la norme pragmatique du meilleur et du pire. La sophistique travaille à l’élaboration d’un savoir-faire, d’une rhétorique qui rende possible une meilleure communication des hommes entre eux. Morale humaniste.
1.2 Les sceptiques
- Où les sophistes faisaient conquête, les sceptiques font retraite : les sophistes voient dans les arts de l’illusion (rhétorique et dialectique) le champ de la connaissance; les sceptiques y voient la nécessité de renoncer à toute connaissance.
- Le fondateur de l’école sceptique est Pyrrhon (365-275), contemporain d’Aristote. Le scepticisme soutient que la représentation des sens est toujours vraie et que c’est la raison qui est trompeuse. Pour se garder de l’illusion, il faut se contenter de décrire le phénomène tel qu’il apparaît et suspendre tout jugement de vérité (époché). Seul le dogmatisme est facteur d’illusion et d’erreurs en affirmant plus qu’il ne sait. Les sceptiques conjurent toute illusion en renonçant à connaître les choses en soi. C’est sagesse de suspendre son jugement, plutôt que d’affirmer ce dont on peut craindre le démenti.
- Les arguments de Pyrrhon peuvent être regroupés sous cinq titres ou tropes :
· la contradiction des opinions : on peut toujours penser à propos d’une même chose le contraire de ce qu’un autre pense; les opinions sont contingentes; le réel est changement, apparence pure.
· la régression à l’infini : si la vérité existe, elle ne peut être acceptée sans preuve; or, si j’apporte une preuve, je dois prouver ma preuve; pour prouver la moindre chose, il faudrait tout prouver; pour connaître un seul objet, encore faudrait-il connaître son rapport à l’ensemble de l’univers.
· la nécessité d’accepter des postulats invérifiables : dans l’impuissance où nous sommes de remonter de preuve en preuve à l’infini, nous sommes contraints d’accepter sans démonstration un point de départ qui est une simple supposition. La vérité n’est jamais garantie.
· toute opinion est relative : ni nos sensations ni nos jugements ne sont en mesure de dire le vrai, ni d’ailleurs le faux. Je peux toujours soutenir que le miel que je goûte m’apparaît doux, mais rien ne permet d’affirmer qu’il l’est réellement. Dans l’ignorance du bien, on ne peut jamais que faire pour le mieux. Le plus sage semble alors de suivre la coutume, de faire comme tout le monde : chacun en sait assez pour vivre au jour le jour.
3) Le relativisme
- Platon interprète la formule de Protagoras « l’homme est la mesure de toute chose » comme l’expression même du subjectivisme, du degré zéro de la pensée (“chacun voit midi à sa porte”, “à chacun sa vérité”, “des goûts et des couleurs”…). S’il n’y a point de référence qui permette de décider entre deux opinions contradictoires, rien n’est décisif, tout peut être dit, donc n’importe quoi ; je peux dire n’importe quoi puisque je laisse aux autres la même liberté ; ce qui compte ce que je l’emporte par séduction, tromperie. Dès lors, puisque toutes les opinions militent pour la vérité, les plus folles et les plus dangereuses seront mises sur le même plan que les plus raisonnables. La tolérance universelle risque d’aboutir à la plus grande violence.
- Si la science se ramène à la sensation, la théorie, assimilée au vide de la pensée, disparaît au profit de l’expérience. On aboutit ainsi à une réduction de la réalité à l’apparence, de la science à l’opinion. L’existence de chaque chose se ramène à l’être pour quelqu’un ; la vérité n’est plus que relative à quelqu’un. La réalité n’est rien d’autre que ce qui est appréhendé par les sens et l’intellect humain et tout ce qui est appréhendé par l’homme est réalité.
- Platon montre aussi que la portée du relativisme sophistique et sceptique n’est pas limitée à la connaissance : en politique, il débouche sur un opportunisme, en morale sur un laxisme. (Cf. Texte de Platon, in Gorgias, l’argument de Calliclès).
- L’empirisme est une conception philosophique selon laquelle toute connaissance vient de l’expérience. Il s’agit de fonder dans l’expérience la connaissance et la certitude, de partir de l’observation des phénomènes et d’en rechercher les relations causales par induction.
1) L’origine
de nos connaissances
- Pour l’empirisme, le monde existe tel qu’il nous est donné par l’intermédiaire des sens : ce que je perçois est, en quelque sorte, une copie de la réalité. Rien n’existe alors pour les sens qui ne soit d’abord donné dans les sens, ces derniers n’étant que portes et fenêtres ouvertes sur le dehors. A la différence de Descartes selon lequel l’homme a en son esprit des idées innées (idées nées avec nous, inscrites en nous par Dieu : le rationalisme cartésien ne peut rendre compte de la connaissance de la réalité que par l’intermédiaire de Dieu finalement), les empiristes pensent l’homme comme le produit d’une histoire et non comme pourvu d’une nature a priori (avant toute expérience).
- L’esprit humain est, en effet, comme une table rase, pur miroir de la réalité extérieure. L’homme ne tire de lui-même aucune idée : il est ce qu’il est par l’expérience qu’il fait, et pense ce qu’il pense par réflexion sur les opérations de son esprit à partir des impressions faites sur nos sens par les objets extérieurs. Ainsi toutes nos idées viennent-elles de l’expérience : toutes nos connaissances sont acquises soit par la perception du monde extérieur, soit par la perception de l’activité de notre esprit. Locke dit que nous avons en notre esprit des idées comme la blancheur, la douceur, l’homme, etc. Comme l’esprit est du “ papier blanc, vierge de tout caractère, sans aucune idée “, notre connaissance se fonde sur notre observation appliquée aux objets externes ou aux opérations internes de notre esprit.
- Nous avons des organes des sens par lesquels nous accédons au monde extérieur, c’est-à-dire percevons. Ces organes des sens donnent naissance à des sensations. La perception est constituée de sensations. Comme la connaissance vient de l’expérience et que l’expérience est faite de sensations, les sensations sont donc, selon les empiristes, l’origine de nos connaissances : nous avons d’abord des sensations et ces sensations composent nos idées, nos représentations.
- Or, il se trouve que, dans l’objet, les qualités sensibles sont étroitement mêlées, de sorte que je n’aperçois pas aisément de distinction entre elles (j’éprouve, par exemple, indistinctement la froideur et la dureté de la glace). Mais ce mélange est de fait et ne correspond pas à une unité qui précéderait la diversité des qualités sensibles. L’objet n’est qu’une collection de sensations . Il n’y a rien d’autre dans l’objet que ce qui affecte les sens, la perception se confondant avec les sensations.
- La sensation est d’abord un vécu, un état. Locke postule l’existence d’une réalité extérieure qui serait la cause de nos sensations par l’entremise de nos organes des sens (par exemple, la chaleur que nous éprouvons renvoie à une existence réelle hors de l’esprit). Berkeley, au contraire, montre que cela n’a aucun sens de poser un monde extérieur distinct de nos perceptions sensibles : la chaleur, la douleur ne sont rien d’autre que notre sensation. La réalité que nous percevons comme une réalité n’est rien d’autre que la perception que nous en avons. Par exemple, la chaleur que nous éprouvons n’est ni plus ni moins réelle que la douleur qu’elle devient lorsque son intensité augmente : la chaleur n’est rien d’autre que notre sensation. Cela signifie, non pas que la réalité n’existe pas, mais que cette réalité que nous percevons n’est rien d’autre que la perception que nous en avons.
2) La
causalité
- Si l’expérience est le fondement de la connaissance, quelle est alors la nature de cette évidence qui nous assure de la réalité d’un fait au-delà du témoignage actuel des sens et qui nous fait dire qu’il y a une connexion entre le fait présent et ce qu’on en infère (la certitude, par exemple, que le soleil se lèvera demain ) ?
- La connaissance que j’ai de la relation de cause à effet se réfère à des sensations successives que j’ai éprouvées et que j’ai conservées dans ma mémoire ; je les relie par un lien qui n’est autre que l’habitude que j’ai de voir à chaque fois tel événement suivre tel autre. Ce lien de cause à effet est contingent : il aurait très bien pu être autre et ne pouvait pas être prévu avant toute expérience sensible ; le lien de causalité est a posteriori, c’est-à-dire tiré de l’expérience par la sensation d’abord, ensuite par l’habitude qui relie le sensations
- Hume développe cet argument dans l’exemple des boules de billard. Ce que je perçois lors du choc des boules, ce n’est pas que le mouvement de l’une est cause du mouvement de l’autre. En décomposant les faits, en effet, je vois d’abord la boule A en mouvement vers la boule B immobile, ensuite le choc des deux boules, enfin la boule A immobile et la boule B en mouvement. Si j’ai déjà vu cette succession des trois situations, je peux la prévoir : le joueur expérimenté est d’ailleurs celui dont l’habitude permet cette prévision ; cette dernière n’est qu’une référence au passé, et rien n’assure qu’autre chose ne puisse pas se produire. En somme, c’est parce que j’ai toujours vu le mouvement B suivre le mouvement de A que je crois qu’il en sera toujours ainsi.
- L’esprit ne peut donc établir entre les choses que des relations probables, qui peuvent être confirmées par une observation répétée, mais dont nous ne pouvons jamais être assurés qu’elles sont universelles et nécessaires.
3)
La méthode et le raisonnement inductifs
- L’induction est la démarche favorite des empiristes : il s’agit de tirer une conclusion générale d’un inventaire si possible exhaustif de faits observés. Idée que l’observation - la sensation - est le point de départ de la connaissance : l’expérience, pour les empiristes, est à la fois l’origine de notre connaissance, mais aussi ce qui la justifie.
- La science commence par l’observation. Le scientifique doit rendre compte fidèlement de ce qu’il vit, entend, en accord avec la situation qu’il observe, et doit être dénué de tout préjugé. Or, si la science est fondée sur l’expérience, par quels procédés passe-t-on des énoncés singuliers résultant de l’observation (“le papier du tournesol vire au rouge lorsqu’il est plongé dans l’acide”) aux énoncés universels, constitutifs du savoir scientifique (“l’acide fait virer au rouge le papier de tournesol”)? Les empiristes définissent un certain nombre de critères :
· le nombre d ‘énoncés d’observation formant la base de l’expérimentation doit être élevé;
· les observations doivent être répétées dans une grande variété de conditions;
· aucun énoncé d’observation accepté ne doit entrer en conflit avec la loi universelle qui en est dérivée.
- Ainsi la science se fonde-t-elle sur le principe de l’induction : si un grand nombre de A ont été observés dans des circonstances très variées, et si l’on observe que tous les A sans exception possèdent la propriété B, alors tous les A ont la propriété B. Une fois en possession de lois et de théories universelles, le scientifique pourra en tirer différentes conséquences et prédictions : si la généralisation théorique T est vraie, alors on peut s’attendre dans certaines conditions à la production d’un événement E; si la prédiction est démentie, la loi ou théorie ne se vérifie pas. Le moment de la généralisation est inductif; la phase de prédiction / vérification est déductive.
- Quelle est la méthode de l’induction ? D’abord l’observation (collection des faits et hypothèses préalables), puis la formulation des lois et théories (généralisation des faits observés), enfin le retour à l’expérience par des prédictions (vérification de la théorie), phase déductive.
- D’abord l’observation : l’enregistrement neutre, passif, d’informations fournies par le sens ; la collection des faits et des hypothèses préalables ;
- Puis la formulation des lois et théories : l’observation conduit le scientifique à penser qu’il existe un ordre de l’univers, des séquences ordonnées ; généralisation des faits observés : lorsqu’on fait chauffer de l’eau, elle finit toujours par bouillir, le jour succède à la nuit, la chaleur dilate certains matériaux, etc.
- Formulation d’hypothèses explicatives destinées à rendre raison des phénomènes observés.
- Le retour à l’expérience par des prédictions (vérification de la théorie), phase déductive.
- Pour les empiristes, l’hypothèse est suggérée par les faits : il suffit de voir comment les faits s’enchaînent les uns aux autres. Il suffit au savant, selon Stuart Mill, d’observer que le phénomène A est toujours suivi du phénomène B, que A est la cause de B (méthode de concordance), de noter que le phénomène B se produit toujours quand le phénomène A est apparu et ne se produit jamais quand le phénomène A ne se montre pas (méthode des différences), que les relations entre les phénomènes se révéleront quand on observe que l’un variant, l’autre varie corrélativement (méthode des variations concomitantes).
- Les théories scientifiques sont les reflets des données observables; l’expérience est la vérification des théories; les progrès de la science relèvent de l’accumulation de faits découverts et ajoutés les uns aux autres. Or, cette conception de la science n’est - elle pas contestable ? L’induction permet-elle véritablement de rendre compte de la démarche expérimentale, c’est-à-dire de procédures de validation des théories ?
4)
Conclusion sur
l’empirisme : le risque de scepticisme
- Si l’on ne peut justifier l’induction et la causalité, il semble que la connaissance n’ait pas de fondement certain. Ainsi, selon Hume, la part la plus étendue de notre pouvoir se résout en termes de croyance : la causalité, consistant dans la représentation d’un lien nécessaire entre la cause et l’effet, se ramène à une banale association d’idées en fonction de l’habitude. Si je n’avais jamais observé la conjonction entre le soleil et la chaleur, la perception du soleil n’aurait jamais entraîné l’attente de la seconde. D’où un scepticisme mitigé, garde-fou contre le dogmatisme, c’est-à-dire une trop grande confiance dans le pouvoir de la raison ; il est utile de connaître la fragilité de nos connaissances, mêmes celles qui, comme le principe de causalité, nous paraissent le mieux assurées.
- Alors que le réalisme cartésien se fonde sur une identité entre la nature et la raison, le courant positiviste estime qu’il n’existe dans la nature aucun ordre que celui qu’un être rationnel peut lui donner. Le positivisme prend ses racines dans l’empirisme du XVIII e siècle et dans la pensée d’Auguste Comte au XIX e siècle. Mais, alors que l’empirisme ne reconnaît, à l’origine de la connaissance, que la sensation, c’est-à-dire le résultat direct de l’expérience, le courant positiviste estime que le savant construit des modèles mathématiques qui s’efforcent d’inclure et de relier entre elles les données expérimentales.
- Idée que les modèles finissent par se substituer à la réalité (Bernard d’Espagnat, dans A la recherche du réel, parle du « pythagorisme du positivisme » puisque, comme l’avait établi Pythagore au VI e siècle avant notre ère, les nombres et les rapports numériques constituent l’essence des choses). L’ambition de la science est alors limitée à une pure et simple description des phénomènes, à l’opposé de la métaphysique, qui s’intéresse à tout ce qui dépasse le domaine de l’expérience et ne peut, de ce fait, être objet de la connaissance scientifique (pour Kant, Dieu, l’âme, le monde) : « Toute question se rapportant au monde extérieur qui ne se fonde pas en quelque manière sur une expérience, une observation, est déclarée absurde et rejetée comme telle. C’est pourquoi le positivisme ne laisse aucune place à la métaphysique » (Max Planck).
- L’observation est l’unique matériau à partir duquel la science est construite. Le monde est la somme de nos perceptions, de sorte que n’ont aucun sens les énoncés sur la réalité qui ne sont pas vérifiables : tous les phénomènes du monde extérieur dont nous ne pouvons pas nous-mêmes contrôler la manifestation ou la présence sont remis en question.
- Si le monde est privé d’une existence autonome indépendante de l’observateur, la science ne consiste qu’à établir des relations entre les perceptions. Le positivisme montre l’impossibilité de séparer la réalité observée de l’observateur ou du système d’observation. Il s’en tient aux régularités observables : il n’y a de science que du vérifiable, de sorte que l’observation est l’unique fondement de la connaissance. Par observation, il faut entendre l’expérimentation, c’est-à-dire l’interrogation méthodique des phénomènes.
- Heisenberg, en physique quantique, a établi que nous ne pouvons observer la nature en soi : si j’essaie de localiser un électron, il me faut l’éclairer, le bombarder de photons, ce qui dévie sa trajectoire et altère sa vitesse ; les perturbations qu’entraînent les opérations de mesure deviennent comparables aux quantités à mesurer. L’objet quantique n’a plus alors d’existence indépendante du sujet qui l’observe. Ainsi, selon le dispositif expérimental grâce auquel on observe les particules élémentaires dont est composée la matière (photons, protons, neutrons, électrons…), ces particules ressemblent à des corpuscules ou à des ondes.
- Ce qui se passe dépend donc de notre manière de l’observer ou du fait que nous l’observons. Nous n’observons pas la nature en soi, mais la nature exposée à notre méthode d’investigation. Il est impossible de parler d ‘un phénomène tant que l’on s’abstient de décrire le dispositif expérimental utilisé pour étudier le phénomène. Prenons l’exemple de la propagation d’une particule dans l’espace : le phénomène est ici constitué par le dispositif émetteur, la particule, le milieu traversé, le dispositif récepteur. Il n’y a pas de réalité en dehors des phénomènes (absence de propriétés intrinsèques d’une particule) ; les choses sont en quelque sorte des inventions de l’homme.
- Le réalisme, nous l’avons vu, maintient l’identité entre le réel et la science, et s’assigne comme finalité la connaissance des lois objectives du monde. Kant va montrer que le réalisme mène au dogmatisme qui consiste à affirmer que l’on détient des certitudes (la connaissance du réel) avant d’avoir fait la critique de la faculté de connaître et qui se fonde sur l’illusion que la science est toujours achevée. Le positivisme et l’empirisme semblent mener au scepticisme : toutes les connaissances sont relatives, provisoires ; la science n’a d’autre fonction que de relier entre eux quelques phénomènes épars. Kant va justement tenter de concilier et de dépasser le réalisme et l’empirisme, c’est-à-dire le dogmatisme et le scepticisme.
- Les analyses développées précédemment analysent séparément la théorie et l’expérience, en privilégiant l’une au détriment de l’autre. Comment contester l’inductivisme sans renoncer à donner un fondement sûr à nos connaissances ? Comment échapper au scepticisme, sans pour autant tomber dans le dogmatisme ? Si l’expérience n’est pas un fondement sûr, n’est - elle pas, néanmoins, le seul guide possible faisant du savoir scientifique un savoir exemplaire ? Or, nous allons voir qu’on ne peut pas plus concevoir un rapport à la réalité empirique qui serait indépendant de toute construction rationnelle préalable, qu’une théorie qui se réduirait à son aspect formel, sans aucun souci de penser le réel.
1) Que pouvons-nous connaître ?
- Pour la TL, la pensée de Kant sera étudiée en profondeur à partir de Prolégomènes à toute métaphysique future…, la troisième oeuvre au programme pour l’oral du second groupe d’épreuves du baccaluréat.
- Kant, dans la préface de la Critique de la raison pure, montre que notre raison ne peut se borner à l’expérience : elle pose des questions métaphysiques (Dieu, l’âme, le monde). Le scepticisme est intenable : les mathématiques et la physique sont parvenues à des connaissances universelles et nécessaires; si la causalité n’est qu’une habitude, comment se fait-il que les lois découvertes par Galilée et Newton permettent de prévoir les phénomènes sans risque d’erreur . Nécessité de faire la critique de la raison par la raison, de discerner ce que la raison peut faire et ce qu’elle est incapable de faire.
- Selon Kant, nous ne connaissons la réalité qu’à travers les formes a priori de la sensibilité et de l’entendement :
1. La sensibilité désigne la capacité de recevoir des représentations grâce à la manière dont nous sommes affectés par les objets ; c’est au moyen de la sensibilité que les objets nous sont donnés ;
- Les objets qui nous sont donnés par la sensibilité ne peuvent être coordonnés dans l’intuition selon certains rapports que par une forme : la forme est la structure qui ordonne la matière ; la matière est le contenu divers de la sensation. La forme est a priori dans l’esprit : l’espace et le temps sont les formes a priori de la sensibilité : l’espace, forme du sens externe, permet d ‘ordonner les objets hors de nous ; le temps, forme du sens interne, permet à l’esprit de percevoir ses étapes intérieures.
- Avec la sensibilité, l’entendement est la seconde source de connaissance. L’entendement est le pouvoir de juger, d’organiser, sous la forme de catégories, nos représentations de la réalité.
- Autrement dit, la faculté de connaître de l’homme se fait par l’intermédiaire de sens, qui ne perçoivent que dans la dimension du temps et de l’espace, et de notre entendement, qui ne peut faire autrement que d’admettre l’antériorité de la cause par rapport à l’effet.
- Il est donc indifférent qu’il existe ou non une réalité indépendante de l’observation : cette réalité est certes supposée être la cause de nos perceptions et de notre connaissance, nous ne savons et ne pouvons rien savoir sur elle. L’idée d’une réalité en soi n’existe qu’à titre de présupposé logique : objet d’hypothèses, elle relève d’une foi indémontrable.
2) Les jugements analytiques et
synthétiques
- S’il ne peut y avoir de connaissance sans expérience, est-ce à dire que toute connaissance dérive de l’expérience ? L’expérience n’est qu’un matériau brut, un donné épars et chaotique. Elle ne peut nous fournir de connaissances universelles et nécessaires. Kant distingue ainsi deux sortes de connaissances : les connaissances a posteriori qui dérivent de l’expérience (par exemple, mesurer les angles d’un triangle avec un rapporteur), les connaissances a priori qui ne dérivent pas de l’expérience, qui la précèdent et qui en sont la condition (ces connaissances a priori sont nécessaires et universelles : lorsque je démontre, par exemple, que la somme des angles d ‘un triangle est égale à deux droits, je n’ai pas recours à l’expérience, à la mesure des angles avec un rapporteur.
- Il convient, à partir de là, de distinguer trois catégories de jugements : les jugements analytiques par lesquels on se contente d’expliciter un concept, d’analyser son contenu; ce jugement ne nous apprend rien; il est a priori puisque nous n’avons pas besoin de recourir à l’expérience (par exemple, lorsque j’affirme que tous les corps sont étendus : le prédicat “étendue” est lié au mot “corps” de façon nécessaire). Les jugements synthétiques : le prédicat n’est pas contenu dans le sujet, c’est un jugement d’expérience (ex : tous les corps sont pesants : le prédicat “pesant” est différent de ce que l’on pense habituellement dans le simple concept d’un corps en général). Les jugements synthétiques a priori qui ne s’appuient pas sur l’expérience mais qui nous apprennent quelque chose de nouveau (ex : les jugements mathématiques (“ 2 + 3 = 5) sont des jugements synthétiques a priori, ainsi que les principes scientifiques (“ tout phénomène a une cause “).
- Kant se demande alors comment les jugements synthétiques a priori sont possibles, ce qui l’amène à envisager deux sources de la connaissance. Kant part de la possibilité des jugements synthétiques a priori qu’on constate essentiellement en mathématiques pour affirmer que notre raison a des structures innées, des formes a priori préexistant dans l’esprit à tout donné concret, à travers lesquelles elle appréhende le monde (a priori veut dire ce qui est antérieur à l’expérience), dispose les données sensibles dans un certain ordre, les lie entre elles par des rapports nécessaires.
- Les jugements synthétiques a priori sont des jugements qui ne dérivent pas de l’expérience et qui pourtant nous apprennent quelque chose de nouveau (par exemple : tout changement a une cause : j’affirme l’universel et le nécessaire sans recourir à l’expérience, mais j’ajoute à l’expérience quelque chose de nouveau qui est la capacité d’anticiper). Cette possibilité d’ajouter quelque chose au donné nous vient de la présence innée en notre esprit des formes a priori de l’entendement, c’est-à-dire des catégories (les catégories comme celles de la causalité, de la quantité, de la nécessité, de la dépendance, etc.) : les objets doivent être pensés, organisés intellectuellement par l’entendement, faculté reliant les sensations grâce aux catégories. Il y a aussi les formes a priori de la sensibilité (l’espace et le temps), c’est-à-dire des structures intuitives issues du sujet et permettant d’ordonner les objets hors de nous et en nous.
- A travers nos formes a priori, nous n’appréhendons le monde que sous forme de “phénomènes”, et les choses telles qu’elles sont en dehors de nous (“les choses en soi”), indépendamment de la connaissance que nous pouvons en avoir, nous sont définitivement inaccessibles. Nous ne pouvons qu’en poser l’existence, condition de notre perception, mais nous ne pouvons pas en connaître la nature. Temps, espace et catégories concernent le mode d’appréhension des objets. Sans eux, aucune connaissance ne serait possible. En clair, on ne peut parler des choses que telles qu’elles m’apparaissent et non telles qu’elles sont en elles-mêmes. Je ne peux donc saisir que ce qui s’offre à mon champ perceptif dans le cadre des formes pures de la sensibilité, l’espace et le temps, et dans le cadre des catégories. Ce sont les phénomènes, c’est-à-dire tout objet d’expérience possible, ce que sont les choses pour nous, relativement à notre mode de connaissance, par opposition au noumène, la chose en soi, que l’esprit peut penser, non point connaître. Dieu, par exemple, est un noumène, une réalité possible, mais que nous ne pouvons atteindre.
- En somme, avec Kant, la connaissance devient une soumission de l’objet au sujet. L’esprit construit lui-même grâce à ses principes a priori l’ordre de l’univers. Notre faculté de connaître est législatrice : elle est ordonnatrice et structurante. L’expérience n’est qu’une construction, c’est l’entendement qui fournit à l’expérience ses cadres, ses formes, ses concepts.
- Si la théorie n’est pas soumission passive à l’expérience, nous allons voir, à travers l’étude de la méthode expérimentale, que le fait expérimental est tout entier imprégné de théorie, de sorte que la démarche expérimentale, contrairement à la thèse empiriste, ne consiste pas tant à tirer l’idée du fait que le fait de l’idée.
1) Critique du raisonnement inductif
- On peut, dès lors, faire la critique du raisonnement inductif et de l’empirisme. Aucune connaissance inductive ne peut être considérée comme certaine : les observations n’étant pas reproductibles à l’infini, il est toujours à craindre qu’une nouvelle observation vienne démentir les précédentes. De plus, la « répétabilité » n’est pas une propriété de la démarche scientifique : un savant ne répète jamais deux fois une même expérience; il s’efforce de faire varier les données et les paramètres pour apporter à la loi des confirmations toujours nouvelles.
- Bertrand Russell a mis en évidence le cercle vicieux du raisonnement inductiviste. Rien ne garantit la certitude de l’inférence permettant de passer d’un énoncé singulier (“l’eau de mon petit déjeuner a bouilli ce matin à 99, 3 ° ”) à des énoncés universels (“toute eau bout à 100 ° “). Rien ne garantit que mon eau bouillira demain à 100 °, que le soleil se lèvera à nouveau; il n’y a aucune nécessité logique à ne pas concevoir le contraire. Russel donne l’exemple d’une dinde « inductiviste » amenée à une ferme d’élevage : le premier jour, on la nourrit à 9 h du matin; elle note l’énoncé d’observation : “un tel jour, j’ai été nourri à 9 h du matin”. Idem pour les 2ème, 3ème, 4ème jours. Elle fait alors varier les conditions expérimentales : qu’il neige ou qu’il fasse beau, que ce soit un homme ou une femme, on lui donne toujours à manger à 9 h du matin. Elle se croit donc autorisée le principe général: “on me donne toujours à manger à 9 h du matin”. Le lendemain est jour de Noël et à 8 h, on lui coupe la tête.
- Pour prouver la valeur du raisonnement inductif, il faudrait utiliser un syllogisme du type: le cours de la nature est uniforme; j’ai toujours constaté que tel objet a été accompagné de telle ou telle propriété; je peux donc généraliser et prévoir que d’autres objets de même nature seront accompagnés des mêmes effets ou propriétés. On aboutit alors à une aporie, une impasse logique, un cercle vicieux : comment établir la vérité d’une proposition “le cours de la nature est uniforme”, qui est elle-même une proposition générale, sinon par induction ?
2) Le fait et
l’hypothèse
- Sans l’idée et la théorie, le fait expérimental n’aurait aucune existence. Cela se vérifie à plusieurs niveaux : au niveau de l’observation proprement dite (nécessité d’un protocole expérimental et de la mesure), au niveau théorique (unification des lois dans une synthèse générale) ; il s’agit de faire voir (stade descriptif), de mesurer (stade quantitatif), de faire apparaître la loi (stade théorique).
- Exemple, la loi de Galilée :
1. Faire voir : expérience de la tour de Pise ; utilisation de deux boulets, de masse très différentes, offrant néanmoins la même prise à la résistance de l’air ; lâchés en même temps du sommet, ils atteignent le sol simultanément ;
2. Mesurer : construction de plans inclinés de 14 mètres de long, afin de ralentir la chute et des clepsydres (les quantités de temps sont évaluées à partir des masses d’eau écoulées) ; la loi est quantitativement déterminée ;
3. Faire apparaître la loi : cette mesure présuppose une théorie plus générale qui est celle de l’action d’une force constante sur un corps matériel (avec la notion d’accélération ou modification de la vitesse d’un corps en mouvement).
- En réalité, l’établissement des lois qui fait passer une science de la phase inductive à la phase déductive suppose l’élaboration d’une hypothèse et la vérification de cette dernière par l’expérimentation (physique, biologie) et par l’observation (astronomie). Il faut préciser que seules les sciences de la nature et les sciences humaines sont susceptibles d’utiliser l’expérimentation : les sciences formelles (logique, mathématiques) sont indépendantes de l’expérience, elles ne contiennent aucune information sur le monde et sont un pur langage permettant d’organiser les connaissances. La possibilité d’expérimenter dépend beaucoup de l’objet et de l’état d’avancement de la science.
- Selon Claude Bernard (Introduction à la médecine expérimentale), il faut distinguer observation et expérience : l’observation est passive, l’expérimentation est une investigation active. Dans l’expérience, la nature répond aux questions qu’on lui pose. L’expérience suppose l’existence préalable de problèmes et la formulation d’hypothèses (solution anticipée et conditionnelle des problèmes posés). L’expérience est alors la vérification de l’hypothèse; sans hypothèses préalables, pas d’expérimentation scientifique. L’observation est le résultat d’un raisonnement expérimental. Claude Bernard subdivise la démarche expérimentale en trois étapes :
1. formulation d’une hypothèse;
2. expérimentation;
3. contrôle de l’hypothèse par l’observation des phénomènes expérimentalement provoqués.
- Les théories ne sont pas des reflets mais des tremplins. Antériorité du point de vue théorique : si l’observation et l’expérience n’étaient pas guidées par des projets théoriques préalables, un scientifique ne saurait jamais quels faits recenser lors de l’expérimentation. L’observation est elle-même tout aussi active que l’expérimentation : elle suppose des instruments complexes (télescope, microscope…) qui sont la matérialisation de théories; l’observation est toujours motivée par un ensemble de découvertes antérieures et de recherches en cours (personne d’autre qu’un physiologiste n’aurait pu observer la couleur anormale de l’urine des lapins à jeun dont parle Claude Bernard).
- C’est dire que le constat brut n’apporte pas grand – chose à la connaissance : l’huissier, par exemple, peut toujours constater des faits prétendus magiques ; mais cela n’a pas grand sens s’il n’est pas compétent dans le domaine de l’illusionnisme. Il faut, en effet, connaître les procédés pour pouvoir les représenter. Je ne sais pas ce que je vois si je ne sais pas ce que je dois voir.
- D’où la notion bachelardienne de “faits polémiques”. Le point de départ de la recherche n’est pas le fait empirique considéré à part, mais le problème posé par le fait, la contradiction entre le fait découvert et les conceptions théoriques antérieures. Exemple : en octobre 1772, Lavoisier soumet un morceau de plomb à la chaleur du soleil, concentrée par une lentille, et fait brûler le plomb. Le plomb calciné a augmenté de poids. Ce fait est en contradiction avec la théorie du phlogistique acceptée par les chimistes du XVIIIe siècle : on pensait, depuis l’Antiquité, que lorsqu’un corps brûle, une certaine substance s’échappe de lui sous forme de flamme (le phlogistique d’après Stahl). Lavoisier refuse cette conception issue de la physique d’Aristote : c’est parce qu’il était libéré de cette physique que le fait de l’augmentation du poids du métal calciné prenait pour lui la valeur de problème.
- Ainsi l’hypothèse est-elle le fondement d’une proposition, elle relève, selon Bachelard, de l’imagination rationnelle : effort de l’intelligence pour résoudre la contradiction posée par le fait-problème; le savant ne répond pas directement à la question “pourquoi ?”; il procède par le détour d’une question nouvelle : “pourquoi pas ?”
- Exemples. En 1643, les fontainiers de Florence, tirant l’eau d’une citerne avec une pompe aspirante, constatent qu’au-delà de “18 brasses” (10,33 m) l’eau ne monte plus dans la pompe vide. L’hypothèse de la pression atmosphérique de Torricelli permet de comprendre ce phénomène. Mais l’hypothèse n’a de signification scientifique que si elle est vérifiable, soumise à l’épreuve de l’expérience. De même, pour rendre compte des perturbations de la planète Uranus, le Verrier fait l’hypothèse d’une planète inconnue (qu’il appelle Neptune) dont la force d’attraction expliquerait les perturbations d’Uranus. Cette hypothèse est vérifiée le en 1846 par l’astronome Gall qui l’aperçoit effectivement. Ici c’est l’hypothèse de la planète possible qui donne l’idée de chercher dans le ciel. Ce n’est pas le fait qui suggère l’hypothèse, c’est l’hypothèse qui, guidant l’esprit, provoque et dirige l’expérience : elle joue un rôle à la fois théorique (proposer une explication possible) et un rôle pratique (diriger l’expérience qu’elle jugera).
- Qu’est donc un fait scientifique ? La réalité scientifique n’est pas la réalité spontanément et passivement observée. C’est une réalité construite. Le fait n’a de signification scientifique que lorsqu’il est transposé de façon à pouvoir nous livrer des caractéristiques objectives, mesurables. Par exemple, la température devient un fait scientifique lorsqu’elle n’est plus sentie sur la peau mais lue sur le thermomètre. Apprécier une température, c’est mesurer la dilatation d’une colonne de mercure sur une échelle graduée. L’observation scientifique. L’observation scientifique suppose des instruments, elle requiert une manipulation. L’instrument suppose lui-même une théorie (par exemple, le thermomètre suppose la théorie de la dilatation) : “un instrument, c’est une théorie matérialisée” (Bachelard).
- Ainsi le fait scientifique ne prend-il tout son sens qu’en fonction des théories dont la science dispose au moment où le fait est observé. Donnons un exemple. En 1856, la mise au jour de la partie supérieure d’un étrange crâne près de Dusseldorf, dans la vallée dite Néanderthal, est loin d’avoir passionné les esprits. Virchov la considérait comme une “anomalie de conformation relevant de l’idiotisme” et si quarante ans plus tard une calotte crânienne de même type, celle de Trinil, suscite des discussions autrement fructueuses, c’est qu’entre-temps la publication de De l’origine des espèces de Darwin a posé le problème des origines de l’homme, a sensibilisé les esprits à l’hypothèse transformiste.
- La science substitue au monde perçu un monde construit. Cette construction est à la fois conceptuelle et technique. Elle va des techniques opératoires les plus abstraites du mathématicien jusqu’aux manipulations matérielles de l’expérimentateur. Plus la science progresse, en somme, et plus le fait scientifique s’éloigne du fait brut, c’est-à-dire du fait tel qu’il est donné à la perception vulgaire. L’univers de la science élargit prodigieusement l’univers de la perception. Le monde scientifique est un monde transposé et reconstruit à travers tout un réseau de manipulations techniques et d’opérations intellectuelles. C’est presque comme si le fait était fabriqué par le savant. Certes, les constructions théoriques des savants sont “objectives” puisqu’elles se vérifient les unes par les autres et prêtent à des applications pratiques. Mais cette objectivité, conquise contre les illusions subjectives, n’est atteinte que par une médiation, un détour théorique et technique dont la complexité s’accroît sans cesse.
- En effet, la conquête de l’objectivité scientifique exige d’abord l’exclusion de la subjectivité sensible (l’impression thermique est remplacée par la lecture du thermomètre). La subjectivité sensible, point de départ de la connaissance empirique, obstacle à la connaissance scientifique, devient l’objet d’une analyse scientifique. On peut parler de “désubjectivation” de la connaissance. Le fait est, en réalité, “refait”; il est toujours un résultat, obtenu dans des conditions déterminées, précises, elles-mêmes instaurées à partir d’un capital de savoir et de technique. L’activité scientifique suppose à la fois des théories et des instruments, c’est-à-dire des relations étroites qui unissent la science et la technique, relations que nous allons essayer de comprendre.
3)
La méthode
hypothético-déductive
- La science n’est donc pas inductiviste; elle ne procède pas par généralisations à partir de faits, sans formuler d’hypothèses ni être guidées par des points de vue et des principes théoriques. La recherche scientifique porte toujours sur un objet limité, un sujet circonscrit; elle vise à répondre à une question précise et suit une méthode qui procède en quatre temps :
1. construire un objet d’étude et poser une question;
2. problématique : cadre théorique de référence ( par exemple, le paléontologue qui recherche les filiations entre les grands primates élabore ses travaux dans le cadre de la théorie de l’évolution) + hypothèse (réponse anticipée à une question initiale);
3. l’observation et ses techniques (expérimentation, analyse comparative, enquêtes, sondages, etc.);
4. traitement et interprétation des données (interpréter les faits, voir si les informations correspondent aux hypothèses de départ, ouvrir sur de nouvelles connaissances et interrogations).
- Cette méthode est la méthode hypothético-déductive qui semble la plus universelle en science.
- L’activité théorique ne consiste pas oublier le réel, mais à passer de la loi, censée l’exprimer dans son objectivité, à la théorie qui coordonne et hiérarchise les lois. L’activité théorique recherche à réduire à un nombre minimal les lois fondamentales d’où toutes les autres puissent se déduire par combinaison et généralisation de type mathématique. Il faut alors entendre par théorie scientifique un système de propositions mathématiques, déduites d’un minimum de principes, pour représenter un ensemble de lois expérimentales. La théorie n’est utile que si elle simplifie les données expérimentales en les coordonnant et représente un pouvoir explicatif important.
1) Les lois
- Une loi scientifique ne se réduit pas à un énoncé de caractère général vérifiable par l’observation ou l’expérimentation. Elle doit satisfaire à d’autres conditions :
1. exprimer un rapport universel (vrai dans tous les cas que comporte la loi) et nécessaire (qui ne peut pas ne pas être dans ces conditions) capable de fournir entre deux ou plusieurs phénomènes une explication causale. Mais la science ne se limite pas pour autant à établir des relations causales : elle connaît d’autres types de relations universelles et nécessaires, des relations structurelles (par exemple, la loi de Mariotte établit que le produit de la pression d’un gaz par son volume est constant, sans pour autant que la pression soit la cause du volume);
2. posséder un haut degré de généralité qui dépasse l’inventaire des expériences ou des observations qui la vérifient. Ces lois sont des énoncés de forme universelle qui affirment l’existence d’une certaine relation uniforme entre différents phénomènes empiriques : quand et où que ce soit, si des conditions d’un genre déterminé F sont réunies, alors de la même façon, toujours et sans exception aucune, certaines conditions d’un autre genre G seront également réunies. Exemple de loi : quand la température d’un gaz s’élève, sa pression reste constante, son volume augmente;
3. la principale différence qui sépare la science de la connaissance commune est que la première établit des relations entre des phénomènes mesurés, alors que la seconde n’a recours qu’à l’observation imprécise de qualités. Nous disons couramment qu’il fait chaud, que le fond de l’air est frais, que la bière (hum !) est tiède (à éviter, surtout sous ces latitudes tropicales !), alors que le savant mesure une température. La mesure permet, par sa précision, d’établir des relations strictes entre les phénomènes. L’utilisation des concepts quantitatifs, à l’origine de la constitution des sciences de la nature au XVIIIe siècle, a été étendue à d’autres sciences, notamment les sciences humaines : la psychologie, par exemple, a bénéficié de cette attitude physicienne consistant à réduire le phénomènes psychologiques, à des comportements observables (le courant behavioriste);
4. mais, en même temps, la science ne peut ignorer les concepts qualitatifs : exclure le qualitatif de la science, c’est s’interdire l’étude de certains phénomènes; ce serait une attitude réductionniste. Georges Canguilhem a montré, par exemple, que les concepts de normal et de pathologique sont nécessaires à la physiologie. La méthode purement quantitative est incapable à elle seule de définir le normal et le pathologique.
- La science établit donc à la fois des relations quantitatives et qualitatives entre les phénomènes selon les sciences considérées. Mais une science ne se contente pas d’énoncer des lois, elle organise ses connaissances dans des systèmes plus vastes : les théories.
2) Les théories
- Une théorie est un système logique explicatif qui relie entre eux tous les faits et les différentes lois qui appartiennent à un champ de connaissance. Déduire ces faits et ces lois de principes très généraux et simples : le darwinisme ordonne les concepts de “lutte pour la vie”, de “sélection naturelle”, de “mutation”, de “hasard”, etc. Les théories scientifiques tendent à être des systèmes hypothético-déductifs.
- Problème du statut épistémologique des théories : quelle est la part de l’expérience et de la raison ? Elle n’est ni un simple reflet des faits (empirisme), ni un édifice arbitraire de la raison : elle est un système logique qui tient sa force de la confirmation que lui donnent à la fois l’absence de démenti des faits et sa conformité avec le reste du savoir scientifique.
- Les théories expliquent les phénomènes en les impliquant : si les circonstances sont telles que le suppose la théorie, les faits à expliquer doivent en découler. Une théorie est explicative lorsqu’elle permet de conséquences prédictives portant sur des phénomènes déjà observés, nouveaux. Le critère de choix entre deux explications rivales est l’étendue et la variété des phénomènes qu’un type unifié d’explications permet de rassembler. Ex : l’explication newtonienne du mouvement apparent des planètes est jugée supérieure aux théories de l’antiquité parce qu’elle repose sur la loi de la gravitation qui permet d‘expliquer beaucoup d’autres phénomènes que les théories de Ptolémée ou d’Eudoxe n’expliquaient pas (les marées, le comportement des corps lourds…).
- Les théories scientifiques contiennent toujours des lois universelles et générales. Seule une loi peut être explicative. Un fait ne s’explique pas par d’autres faits (ex : “Thomas pleure parce que Mathieu lui a donné un coup de poing). Les faits considérés comme explicatifs ne le sont que parce que nous supposons l’existence d’une loi universelle.
3) La vérification des théories
- Karl Popper a tenté d’énumérer les diverses procédures mises en oeuvre pour établir la vérité d’une théorie :
1. la cohérence interne du système : comparaison logique des conclusions entre elles qui ne doivent pas se contredire;
2. la comparaison de la théorie à d’autres théories, afin de déterminer si elle constitue un progrès scientifique;
3. mise à l’épreuve de la théorie en procédant à des applications empiriques des conclusions qui peuvent en être tirées.
- Selon Popper, le problème épistémologique central est celui de la démarcation entre science et non-science (voir, dans le cours sur l’inconscient, la critique de la théorie freudienne) : le caractère distinctif d’une théorie scientifique n’est pas sa vérifiabilité, mais sa falsifiabilité. La falsifiabilité est la possibilité de voir l’expérimentation démentir la théorie. Les théories scientifiques sont susceptibles d’être réfutées par l’expérience mais ne peuvent jamais être définitivement confirmées. Une théorie qui a résisté victorieusement aux contrôles qui auraient pu la réfuter est confirmée; cela ne signifie pas qu’elle est vérifiée. Une explication irréfutable (exemples de la psychanalyse, du marxisme) est non scientifique : elle refuse de s’exposer au démenti expérimental et prétend avoir réponse à tout.
- Ainsi, selon Popper, ce n’est pas l’abondance des vérifications expérimentales qui assure la scientificité d’une théorie, mais la possibilité pour elle d’être infirmée par l’expérience. La science n’a pas pour but de vérifier des hypothèses, des conjectures, mais de faire son maximum pour tenter de les falsifier, c’est-à-dire des les réfuter.
- L’horoscope qui prédit tel souci de santé a toutes les chances de se voir confirmé par l’expérience. Mais le fait que ses prédictions se réalisent n’autorise nullement à affirmer sa scientificité : en annonçant des événements qui ont toutes les chances de se réaliser, l’horoscope, et l’astrologie en général, se met à l’abri de toute réfutation. Dès lors, les théories au pouvoir explicatif illimité, les théories qui prétendent rendre compte de la totalité des phénomènes qui se produisent ne peuvent être tenues pour scientifiques : elles ne prennent jamais le risque d’être réfutées; il n’existe pas de fait susceptible de les invalider.
- Soit la proposition : « Tous les corbeaux sont noirs ». J’aurais beau accumuler mille, dix mille observations allant dans le même sens, elles ne prouveront jamais que tous les corbeaux sont noirs : il est toujours possible qu’une nouvelle observation aille dans le sens inverse, et il faudrait que je connusse tous les corbeaux pour pouvoir conclure valablement, ce qui est par définition impossible. En revanche, il est parfaitement possible de réfuter cette proposition : pour cela, il suffit que j’exhibe un seul corbeau blanc, et alors nous serons certains que la proposition est fausse.
- En somme, une théorie scientifique n’atteint jamais la vérité définitive, elle n’est qu’une hypothèse qui rend le mieux compte du réel dans l’attente d’une nouvelle théorie plus précise. La science progresse par conjecture et réfutations. Une théorie scientifique forme un corps d’hypothèses dont la validité se mesure à sa capacité à résister à des tests ou expériences qui pourraient la falsifier.
- Il y a donc assymetérie entre la vérité et la fausseté : s’il est impossible de prouver empiriquement qu’une proposition est vraie, il est possible de prouver en toute rigueur qu’elle est fausse. Nos certitudes ne peuvent jamais porter sur la vérité, mais il est certain que certaines propositions sont fausses. Dès lors, une proposition qui ne se prête à aucune réfutation possible (par exemple : Dieu existe,c e que nul ne peut réfuter expérimentalement) n’est pas, par définition,une proposition scientifique. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit fausse, mais simplement qu’elle relève d’une autre logique que celle de la science.
- Moralité : « la science est d’abord et avant tout un corps de propositions falsifiables ; la qualité première d’une conjecture scientifique est d’être risquée, et non a priori immunisée contre toute réfutation et toute discussion possible » (Luc Ferry et Jean-Didier Vincent, in Qu’est-ce que l’homme ?, p.123).
4) Les
révolutions scientifiques
- Thomas Kuhn, dans La structure des révolutions scientifiques, montre que l’histoire des sciences évolue par cycles : à une époque, une théorie dominante (un paradigme) s’impose jusqu’à ce qu’émerge une période de crise. Une révolution scientifique s’ouvre alors qui voit l’émergence d’un nouveau paradigme dominant.
- Les révolutions scientifiques se caractérisent par des changements brusques et profonds dans les conceptions scientifiques et par une accélération de la succession des découvertes importantes. Les périodes d’innovations, de changements dans les sciences ont partie liée avec certains transformations dans les conceptions philosophiques : le principe d’inertie, par exemple, suppose un bouleversement complet dans la conception du mouvement par rapport à Aristote et à la conception médiévale (voir, dans le cours “la formation des concepts scientifiques”, l’exemple du concept de pesanteur). De même, les théories d’Einstein conduisent à une approche renouvelée de l’espace et du temps. Les périodes de science exceptionnelle sont caractérisées par des bouleversements rapides et profonds; la communauté des savants abandonne alors une tradition de pensée enracinée : une nouvelle tradition se déploie, incompatible avec la précédente.
- Ces périodes succèdent à de longs épisodes de “science normale” au cours desquels s’établit un consensus de la communauté des chercheurs sur les fondements de l’explication du monde. La science normale se cristallise dans un paradigme, un courant de pensée qui s’incarnent dans des manuels, des publications, des colloques, etc. Le paradigme désigne ce qui donne du travail à la communauté scientifique, ce qui garantit le sérieux de ses recherches.
- Quelles sont les causes de la disparition d’un paradigme ? Essentiellement l’accumulation des anomalies qui provoque le ralliement des chercheurs à un cadre d’analyse concurrent. Par exemple, dans le paradigme de Képler, la perturbation de l’orbite de Saturne lors de sa conjonction avec Jupiter constitue une anomalie dans ce paradigme. Ce phénomène contredisait les lois de Képler. Newton propose un nouveau paradigme.
- Dans une autre perspective, Feyerabend propose une “théorie anarchiste de la connaissance” : il n’est pas de méthode scientifique rigoureuse. Si les savants parviennent à résoudre certains problèmes, c’est parce qu’ils les ont longtemps étudiés et qu’ils ont su faire preuve d’astuce et d’imagination. Mais il n’existe aucun critère permettant de distinguer science et non-science. Il faut alors réhabiliter tous les savoirs étouffés par le diktat de la science officielle : le mythe, la religion, la magie, la sorcellerie : “Séparer la science de la non-science est non seulement artificiel, mais aussi nuisible à l’avancement de la connaissance. Si nous voulons comprendre la nature, si nous voulons maîtriser notre environnement physique, nous devons nous servir de toutes les idées, de toutes les méthodes et non pas seulement d’une sélection de quelques-unes d’entre elles. Affirmer, à l’inverse, qu’il n’y a pas de connaissance en dehors de la science - extra scientiam nulla salus - n’est rien d ‘autre qu’un conte de fées fort commode” (Feyerabend).
- Ici les théories scientifiques ne sont que des explications provisoires susceptibles d’être remises en cause par la découverte de nouveaux faits. Le réel est inépuisable et révèle sans cesse de nouvelles richesses à nos techniques d’observation toujours plus fines et plus puissantes. L’expérience ne cesse de poser des problèmes auxquels les hypothèses proposent des solutions qu’il faut sans cesse élargir. Il n’y a pas de système définitif d’explication : l’univers des faits connus ne cesse de s’élargir avec le progrès des techniques. L’achèvement du savoir est seulement un idéal, une exigence.
- Ne peut-on pas affirmer que la science et ses théories sont seulement des conventions qui nous permettent de parler commodément du monde, sans qu’il soit possible d’exhiber leur fondement objectif ? Si les théories ne sont pas des reflets objectifs, sont - elles alors des fictions qui nous permettent de rendre compte des phénomènes sans se poser la question de l’objectivité et de la légitimité de la connaissance ?
- Vous mettrez en relation cette partie du cours avec les documents relatifs à la notion de vérité distribués en classe ; vous lirez très attentivement les corrigés de dissertation portant sur le thème de la vérité et sur le rapport entre la science et la vérité (par exemple : y a-t-il des vérités définitives ? Une théorie scientifique peut-elle être à la fois vraie et provisoire ?).
- La vérité est une exigence, un idéal régulateur, pour la science et la connaissance en général : l’activité scientifique consiste à viser la vérité absolue à travers des vérités successives. Lire le cours sur la vérité et la distinction établie entre les différentes façons qu’a la sciences de produire le vrai : la vérité formelle avec les mathématiques et la logique, la vérité expérimentale avec la biologie, la physique, la vérité comme interprétation avec les sciences humaines…
- D’abord, la vérité d’une théorie, ce n’est pas la correspondance entre une théorie (un langage) et une réalité objective extérieure et indépendante. La vérité serait plutôt une affaire de cohérence : cohérence de l’interprétation des théories relativement aux données et à la réussite des prédictions qu’elles autorisent. Conception “conventionaliste” de la science : le critère de choix des théories est davantage leur commodité que leur vérité objective. Exemple de la polémique qui opposa Galilée à l’Inquisition. L’Eglise adoptait le géocentrisme grec d’Aristote et de Ptolémée. Galilée était partisan de l’héliocentrisme. Le géocentrisme est une interprétation du mouvement apparent, observable des planètes. C’est une interprétation cohérente qui permet des prédictions sur la trajectoire des planètes, des éclipses. L’héliocentrisme est une autre interprétation cohérente des mêmes observations permettant des prédictions correctes. Les théories héliocentriste et géocentriste sont des langages commodes pour rendre compte de l’expérience. La théorie de Galilée est seulement supérieure à celle de Ptolémée et non pas vraie dans l’absolu car elle est un langage plus cohérent et plus performant sur le monde, elle permet davantage de prédictions.
- On retrouve ici l’analyse de Kuhn sur les aspects conventionnels de la science. Les paradigmes scientifiques sont des modèles idéaux de l’ordre naturel en fonction duquel les théories son proposées, les recherches se programment, les méthodes se codifient, l’enseignement est défini, etc. La science est conservatrice : il s’agit pour elle de parfaire les paradigmes existants, de trouver à l’intérieur du cadre que fournissent ces paradigmes des solutions plus satisfaisantes aux problèmes qu’ils permettent de résoudre. Une révolution scientifique ne survient que lorsque toutes les possibilités de conservation du paradigme existant ont été épuisées. Impossibilité donc de fonder la connaissance scientifique sur des bases à toute épreuve.
- Mais si l’expérience n’est pas un fondement, elle est néanmoins un guide pour le savoir scientifique. S’il n’y a pas de fondement absolu à la connaissance scientifique, il y a un critère de démarcation qui permet de la distinguer des spéculations incontrôlables : l’accord réalisé par la communauté scientifique sur les paradigmes est l’indice d’une “objectivité minimale”. La connaissance scientifique consiste à établir des règles de correspondance permettant d’interpréter l’expérience dans le langage de la théorie. Si la science a un minimum d’accord des esprits et d’universalité, c’est que les théories ont un contenu expérimental contrôlable. On peut alors parler d’une “objectivité faible” de la science.
- On peut aussi envisager une théorie du progrès scientifique par intégration : la théorie précédente reste vraie, à l’intérieur de certaines limites que la théorie suivante parvient à dépasser ; il y a remplacement d’une théorie, mais par une autre qui inclut la première. Une théorie nouvelle intègre les résultats qu’on avait cru d’abord définitifs dans une synthèse plus générale où ils apparaissent comme des cas particuliers
- La tentative empiriste et inductiviste de réhabilitation de l’expérience n’est pas probante. Il n’est pas possible d’exhiber un donné expérimental pur sans présupposition théorique. Il est impossible de fonder à partir des faits une procédure inductive garantissant la vérité des lois et des théories : l’expérience n’est pas le seul ancrage solide de nos théories.
- Un fait n’a de sens pour la science que s’il pose une question. Un fait ne suscite l’attention d’un savant que lorsqu’il est en contradiction avec la science de l’époque (notion de fait polémique).
- L’hypothèse apporte une réponse au fait polémique, elle est une explication rationnelle inventée sur le mode du “pourquoi pas ?”.
- Les procédures de vérification n’apportent pas une réponse définitive aux hypothèses. Une théorie est infirmée lorsque les conséquences tirées de la théorie se révèlent contraires aux faits expérimentaux. Mais une hypothèse ne saurait être définitivement vérifiée : la nature peut répondre non, elle ne peut répondre par un oui définitif : de nouveaux faits polémiques peuvent modifier radicalement la théorie initiale.
- Le réel en tant qu’objet de science n’est donc pas la chose en soi, au sens kantien du terme (ce qui fait la réalité de l’objet indépendamment de son rapport à nous). La science construit le réel et, par là, déréalise le donné. La réalité de l’objet scientifique ne doit pas être confondue avec la réalité de l’objet naturel. Même les sciences de la nature ne rencontrent jamais la nature : ces sciences saisissent leur objet non comme extérieur, mais comme résultat d’une activité qui le constitue en construisant les conditions de son observation et de son étude.
- La science est donc à la fois relative à notre pensée et assise sur le réel. La relativité de la science ne doit pas entraîner un relativisme ; il ne faut pas prendre l’objectivité de la science pour un absolu de l’objet. Cette objectivité est liée à des conditions qui tiennent à la fois à l’exercice de la raison et au développement de la technique. La science exige l’universalité au niveau de ses opérations, mais elle ne prétend pas à l’intemporalité : cette universalité, liée à la transparence de ses procédés, ouvre la possibilité constante d’un dépassement.
- C’est dire que l’aventure scientifique est un progrès indéfini, non une accumulation de faits, une succession de crises. La vérité scientifique est une solution, toujours provisoire, des contradictions entre les théories anciennes et les faits nouvellement découverts : tantôt on parvient à intégrer les faits nouveaux à l’ancienne théorie, tantôt la théorie elle-même doit être bouleversée.
- L’histoire des sciences à proprement dite
· Eléments d’histoire des sciences, sous la direction de Michel Serres, Bordas
- La notion de réalité (la science a-t-elle pour finalité la connaissance d’une réalité objective ? Quelle est cette réalité que nous révèle la science ? Y a-t-il une réalité indépendamment de nous ? Que pouvons-nous au juste connaître ? Qu’en est-il de l’objectivité de la science ?)
·
On lira avec profit l’ouvrage de Bernard
d’Espagnat, A la recherche du réel, Le
regard d’un physicien
- Quel rôle joue l’expérience dans la connaissance des hommes ?
- Quels enseignements peut-on recevoir de l’expérience ?
- Avoir de l’expérience et faire une expérience ?
- Ne doit-on tenir pour vrai que ce qui est scientifiquement prouvé ?
- Les faits parlent-ils d’eux-mêmes ?
- Comment juger la validité d’une théorie ?
- A quoi reconnaît-on qu’une théorie est scientifique ?
- A quoi reconnaît-on qu’une expérience est scientifique ?
- La science nous livre-t-elle le réel tel qu’il est ?
- Quel est le rôle de l’hypothèse dans la connaissance scientifique ?
- Peut-on dire d’une théorie scientifique qu’elle est à la fois vraie et provisoire ?
- Y a-t-il des limites à la connaissance scientifique du réel ?
- Est-il vrai de dire de la science qu’elle est par nature inachevable ?
- Quelle est la nature et la valeur de la croyance en la science ?
- Toute connaissance autre que scientifique doit-elle être considérée comme une illusion ?
- En quoi consiste l’objectivité scientifique ?
-
La théorie :
- Sens étymologique : vient du grec theoria, contemplation.
-
Sens
commun : connaissance spéculative, par opposition
à pratique ; en tant que telle, la théorie peut avoir une signification
péjorative en ce qu’elle s’éloigne de la réalité et de l’expérience.
-
Sens
philosophique : ensemble de connaissances formant
un système sur un sujet ou dans un domaine déterminé (ex : la théorie
cartésienne des animaux-machines).
-
Sens
épistémologique : notion de théorie
scientifique entendue comme synthèse englobant les lois particulières relatives
à un domaine et destinée à rendre compte des données de l’expérience.
-
L’expérience :
- Sens étymologique : latin experire, éprouver.
-
Sens
courant : instruction acquise par l’usage de la
vie (« avoir de l"expérience ») ; savoir ou savoir-faire
acquis par la confrontation avec la réalité ou par l’exercice.
-
Sens
épistémologique : action d’observer ou
d’expérimenter en vue de former ou de contrôler une hypothèse. Synonyme
d’expérimentation (montage stratégique visant à la production artificielle de
phénomènes dans des conditions déterminées en vue de contrôler la validité d’une
hypothèse ; production artificielle de phénomènes en vue de leur
observation précise et méthodique).
- Loi : au sens épistémologique du terme, rapport mesurable, universel et constant établi entre les phénomènes naturels (ex : la loi de la chute des corps).
- Induction : raisonnement qui tire des lois générales à partir des cas particuliers.
Lectures indispensables
-
Bachelard, La formation de l’esprit scientifique
-
Descartes, Discours de la méthode
-
Kant, Critique
de la raison pure
- Platon, République, livre VII
Lectures conseillées
-
Karl Popper, La logique de la découverte scientifique
-
Thomas Kuhn, La structure des révolutions scientifiques
-
A. Chalmers, Qu’est-ce que la science ?
-
Bernard d’Espagnat, A la recherche du réel
-
Articles de la revue Sciences humaines : n° 80 de février 1998 (« Les sciences
humaines sont-elles des sciences ?), n° 11 (« Qu’est-ce que la
science ? »)
- Consigne : vous lirez attentivement le cours qui vient de vous être distribué et répondrez au fur et à mesure aux questions suivantes :
1)
Indiquez les différents sens des notions de théorie et d’expérience
2)
Qu’est-ce qui, selon Platon, distingue le monde sensible et le monde
intelligible ?
3)
Qu’est l’Idée pour Platon ?
4)
Pourquoi, selon Descartes, la méthode est-elle nécessaire ?
5)
La raison est également partagée chez tous les hommes, selon
Descartes V F
6)
Quelles sont les caractéristiques du doute cartésien ?
7)
Quels sont les quatre préceptes de la méthode cartésienne ?
8)
Qu’est-ce qu’un “obstacle épistémologique” ?
9)
Qu’est-ce qu’une « rupture épistémologique » ?
10)
Quelles sont les caractéristiques de la connaissance scientifique par
rapport à la connaissance commune ?
11)
Quelle est, pour l’empirisme, l’origine de nos connaissances ?
12) Comment Hume explique-t-il le principe de causalité ?
13) Qu’est-ce que l’inductivisme ? Expliquez en quoi consiste l’induction.
14) Qu’est-ce que le positivisme ?
15) En quoi l’inductivisme est-il incapable de rendre compte de la démarche scientifique?
16) Que pouvons-nous connaître selon Kant ?
17) Le principe de causalité nous vient-il de l’expérience ?
18) Définissez :
· connaissance a priori :
· connaissance a posteriori :
· jugement analytique :
· jugement synthétique :
19)
Quelles sont les formes a priori de la sensibilité ?
20)
Qu’est-ce qu’un fait polémique ?
21) Qu’est-ce qu’un fait scientifique ?
22)
Définissez le sens des notions de loi et de théorie
23) Quels sont les critères de scientificité selon Karl Popper ?
24) Qu’est-ce qu’un paradigme ?
25) Qu’est-ce qu’une révolution scientifique ?
Sujets de réflexion (indiquez le sens du sujet, la problématique et les idées principales) :
26)
La science nous livre-t-elle le réel tel qu’il est ?
27) Peut-on dire d’une théorie scientifique qu’elle est à la fois vraie et provisoire ?
28)
A quoi reconnaît-on qu’une expérience est scientifique ?
29)
Quel est le rôle de l’hypothèse
dans la connaissance scientifique ?
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