Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique

 

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INTRODUCTION

I) La problématique de l'histoire

II) Présentation du texte

III) Explication du titre

IV) Le cadre théorique : l’idée d’une rationalité de l’histoire

V) Plan de l’œuvre

 

II) Repères biographiques

 

III) Repères historiques (cf : carte)

I) Introduction

II) Structure du texte

III) Explication

 

PREMIERE PROPOSITION

I) Présentation générale des propositions 1, 2,3 : les fondements biologiques de l’histoire

II) Sujets de dissertation concernant le thème « la connaissance du vivant » :

III) Arguments de la 1ère proposition :

 

LA DEUXIEME PRESENTATION

I) Présentation

II) Idées principales

III) Commentaire

 

TROISIEME PROPOSITION

I) Présentation

II) Idées principales

III) Commentaire

IV) Références

 

QUATRIEME PROPOSITION

I) Présentation des propositions 4 à 8

II) Sujets de dissertation que les propositions 4 à 8 peuvent suggérer

III) Présentation de la quatrième proposition

IV) Les idées principales

V) Commentaire

VI) Intérêt philosophique

 

CINQUIEME PROPOSITION

I) Présentation

II) Les idées principales

III) Références et apport conceptuel

 

SIXIEME PROPOSITION

I) Introduction

II) Explication

III) Intérêt philosophique

 

SEPTIEME PROPOSITION

I) Présentation

II) Idées principales

III) Références

IV) Intérêt philosophique

 

HUITIEME PROPOSITION

I) Présentation

II) Idées principales

III) Références

 

NEUVIEME PROPOSITION

I) Présentation

II) Idées principales

III) Références

 

CONCLUSION GENERALE

CONTROLE DES CONNAISSANCES

CONCLUSION SUR LE TEXTE

LEXIQUE

 

Notions au programme : l'histoire, la connaissance du vivant, la guerre (question au choix), le droit, la justice, la liberté

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


INTRODUCTION

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I) La problématique de l'histoire

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- Le mot histoire est dérivé d’un mot grec qui signifiait enquête. Ce mot possède deux significations principales. Il y a d’une part l’histoire qui est écrite par les historiens; son but est la connaissance du passé des sociétés humaines ou, comme l’écrit Raymond Aron, “ la science que les hommes s’efforcent d’élaborer de leur devenir ”. Il y a d’autre part l’histoire comme succession des événements historiques ou comme devenir de l’humanité. Le mot histoire peut donc signifier soit l'ensemble des changements, des événements qui ont eu lieu, soit la connaissance que l'on peut prendre du passé, le récit qui peut en être donné. L'histoire comme connaissance du passé et devenir historique.

 

- Ces deux définitions sont, en réalité, liées.

 

- En effet, si l'histoire est l'ensemble des changements qui se sont succédé dans les sociétés humaines dans tous les domaines d'activité -  technique, économique, politique, religieux, artistique, une histoire, quelle qu'elle soit, n'est connaissable qu'à partir du moment où des documents écrits ont été consignés. L'histoire comme connaissance a elle-même d'ailleurs une histoire puisqu'elle n'a pas toujours existé et qu'elle s'est profondément transformée au cours des siècles (l'histoire de l'histoire : l'historiographie).

 

- D'autre part, la conscience du passé est constitutive de l’existence historique : tant que nous n’avons pas conscience de ce que nous sommes et de ce que nous fûmes, nous n’accédons pas à la dimension propre de l’histoire. En cela, l’histoire comme connaissance est prise de conscience de l’humanité; elle tente de donner un sens et une valeur à l’action humaine. L'histoire correspond alors à l'exigence proprement humaine de garder la trace ou le souvenir de ce qui s'est passé, de donner un sens, une raison, une valeur à l'existence passée, présente et future.

 

- Cette ambiguïté du mot histoire renvoie à la fois au problème de la connaissance historique (il s'agit de réfléchir sur le travail de l'historien et la nature des vérités qu'il nous apporte) et à la question du sens de l'histoire. En effet, le spectacle apparent de l'histoire (les guerres, les conflits, les malheurs de toute sorte) peut donner à penser que les événements du monde sont désordonnées, que les faits et les gestes du passé ont lieu en pure perte, que les hommes, en empruntant des chemins dissemblables, n'ont aucune destinée commune. Les individus et les peuples semblent être les victimes impuissantes d’une histoire cruelle, insensée et sans auteur. Aujourd'hui, l’histoire semble être fatalité : la répétition des guerres et l’apparition de nouveaux et dramatiques problèmes de société suscitent un sentiment d’impuissance à l’égard du futur : la politique serait l’affaire des grands de ce monde et non des citoyens isolés; il semble qu’on ne puisse changer rien aux intérêts et aux passions qui jettent les hommes les uns contre les autres, au nom de leurs ethnies, de leurs Etats, de leurs religions, etc.

 

- Or, l'histoire, telle que l'historien nous la révèle, a-t-elle un sens, c'est-à-dire une signification profonde, une cohérence, un ordre, une direction ? Au-dalà du tumulte et du bruit, du chaos et du non-sens, est-il possible de penser qu'une synthèse ultime est requise ? Les tragédies de l’histoire ont-elles finalement servi à réaliser des progrès ? Peut-on vraiment diriger cette histoire, ou doit-on la subir comme une fatalité ? L'idée d'un sens de l'histoire n'est-elle pas nécessaire ? Ne fournit-elle pas un espérance et ne dessine-t-elle pas un projet éthique qui serait la liberté en lutte permanente contre la fatalité ?

 

II) Présentation du texte

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- Cette oeuvre de Kant fait partie d’une série d’opuscules que Kant a consacrés à l’histoire. Elle paraît en 1784, à peu près en même temps que Qu’est-ce que les Lumières ? , ouvrage dans lequel Kant présente son propre temps comme une époque qui est “en marche vers les Lumières”. Idée d’une histoire universelle… est une tentative de penser l’histoire humaine dans une perspective d’ensemble. Kant constate, en effet, que l’histoire nous offre le spectacle sans cesse renouvelé des luttes et des guerres que les hommes se livrent depuis les débuts de l’humanité. N’est - il pas alors absurde d’imaginer que, malgré tout, l’histoire humaine est celle d’un progrès moral ?

 

- Le but de l’article est de montrer que le cours des événements historiques peut constituer l’objet d’un savoir rationnel et que donc une histoire conçue comme science est possible. L’objet est de proposer et de justifier une interprétation philosophique de l’histoire de l’humanité fondée sur l’idée d’un progrès tendant à la réalisation d’une constitution cosmopolitique en laquelle les hommes pourraient être dits citoyens du monde. Ce point d’aboutissement cosmopolitique, souhaitable et prévisible, donne sens et unité aux différentes étapes qui marquent la civilisation. Il s’agit d’arracher l’histoire humaine au chaos des faits et gestes en quoi elle semble consister pour y discerner une régularité et une finalité.

 

- L’affirmation centrale de ce texte de Kant est que la nature poursuit dans l’espèce humaine une fin propre : la culture des hommes. Cette fin dernière, la nature la poursuit en vue d’un but transcendant, celui de la moralité de l’homme. L’espèce seule est capable d’une réalisation progressive de la liberté parce qu’elle se déploie dans l’histoire. Le douloureux travail qui permet à la rationalité et à la liberté d’advenir s’effectue, dans l’espèce, à son insu. Le thème central de cette oeuvre est celui d'un sens de l'histoire. Kant soutient, en effet, qu'il existe des raisons objectives de supposer qu'un sens est à l'oeuvre dans l'histoire, lequel consiste en un développement de plus en plus accompli des potentialités humaines – dispositions qui ne sont rien de moins que la liberté et la raison.

 

- Le but de Kant n’est pas uniquement de produire une théorie du progrès, mais également, par cette théorie, de contribuer au progrès. La connaissance historique doit elle-même contribuer à l’avènement de cet état cosmopolitique de l’humanité. Il convient, non de changer le monde par l’action révolutionnaire, mais de considérer d’un oeil nouveau le spectacle de l’histoire humaine comme s’il suivait un plan réglé en vue d’une totale émancipation de l’humanité.

 

- Trois  conceptions de l’histoire sont écartées :

 

·       une conception qualifiée de terroriste : le genre humain se trouve en perpétuelle régression;

·       l'autre, eudémoniste : le genre humain est en constante progression par rapport à sa destination morale;

·       la troisième que Kant appelle abdéritiste : le genre humain demeure en stagnation, il reste éternellement au degré actuel de sa valeur morale.

 

- Il manque à ces trois conceptions la dimension de l’attente. Kant entend nous donner une leçon de patience. L’humanité est encore jeune, son histoire s’inscrit dans un temps lent. De nombreuses générations doivent se succéder, mourir, pour que l’espèce accomplisse quelques progrès significatifs ; seul un travail persévérant peut à la longue élever l’homme.

 

- Originalité de la conception kantienne : le progrès de l'humanité est " pathologiquement extorqué ", c'est-à-dire arraché au conflit des passions. Kant entend dépasser l'optimisme naïf d'un progrès linéaire, sans tomber pour autant dans le pessimisme radical : dans la quatrième proposition, Kant va montrer que ce n'est pas pour l'amour du bien que l'homme parvient  s'élever mais par la discorde, " l'insociable sociabilité ". La finitude de l'homme, l'antagonisme immanent à la nature des passions est le facteur du perfectionnement humain.

 

III) Explication du titre

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- Pourquoi ce titre étrange de l’oeuvre, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique ?

 

a)     Histoire universelle :

 

- Pour être une science, l’histoire ne peut se contenter d’être particulière. Il ne s’agit pas, comme pour Montesquieu, de chercher la spécificité de chaque peuple et donc d’autonomiser chaque histoire. Pour Kant, le récit est secondaire : l’histoire particulière ne peut être que l’effet de lois universelles qu’il faut chercher.

 

- L’universalité tient aussi au fondement “ biologique ” de l’histoire selon Kant : l’histoire est celle de l’espèce humaine avant d’être celle de peuples particuliers. D'autre part, le moteur de l'histoire n'est pas la providence divine, mais la nature (la nature humaine passionnelle, mais aussi la nature cosmologique) qui force l'homme à s'humaniser et à humaniser le monde. S’il y a un principe, c’est à ce niveau d’universalité qu’il doit se trouver. " Universel " : qui concerne tous les hommes, tous les peuples.

 

b)     Au point de vue cosmopolitique :

 

- L’histoire est essentiellement histoire politique. Politique est à prendre au sens large d’organisation de la société (cité) : ce qui inclurait aujourd’hui les domaines économique et social. Ce qui importe à Kant est la rationalité de l’organisation : rationalité qui est celle du réel historique et le rend susceptible d’être une science. C’est donc la structure de la société, en tant qu’elle est dynamique, qui constitue le fil de cette histoire. Kant paraît limiter cette structure à l’aspect “constitutionnel” donc juridique. La constitution relève du devenir rationnel en tant qu’elle est consciente, mais il existe des structure cohérentes préalables (moeurs) qui sont déjà des modes d’organisation.

 

- Cette histoire politique est cosmo (= monde)-politique parce qu’universelle ; c’est la politique de l’espèce qui est en jeu, et l’organisation partielle n’est compréhensible qu’à la lumière d’une organisation globale qui l’enveloppe. Seulement, cette organisation globale n’est pensable que téléologiquement pour rendre compte au présent des organisations ponctuelles. Le cosmopolitique est donc le “point de vue” à partir duquel l’histoire est pensable.

 

c)     Idée :

 

- Kant ne prétend pas écrire cette histoire universelle. Il est philosophe et non historien. Cet article a pour but de montrer qu’elle est possible : et donc d’en produire l’idée. Idée comme idéal de l'humanité appelée à développer sa nature perfectible dans la suite indéfinie des générations. Cette idée est le cadre à l’intérieur duquel les lois de l’histoire seront trouvées. Elle montre la possibilité de la rationalité de l’histoire.

 

IV) Le cadre théorique : l’idée d’une rationalité de l’histoire

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- Cette oeuvre peut être considérée comme la première véritable " philosophie de l'histoire ". Par " philosophie de l'histoire ", il faut entendre les doctrines qui prétendent englober et donner sens à l'histoire humaine prise dans son ensemble. Au sens strict, on applique cette expression aux grands systèmes de Kant, Hegel, Marx et Auguste Comte.

 

- Cette idée de rationalité historique est nouvelle. Cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas d’historiens avant Kant, mais les projets de ces historiens n’étaient pas de même nature. Le rationalisme du XVII° a ancré cette idée que “ rien n’est sans raison ” (”nihil est sine ratione” : Leibniz). Tout événement doit bien “ être déterminé par les lois universelles de la nature ” - et les événements historiques ne peuvent faire exception. Mais quelle est la nature spécifique de cette rationalité ?

 

- L’histoire a d’abord été chronique, c’est-à-dire description des événements passés destinée à fixer ces événements dans une mémoire collective. L’histoire a alors partie liée avec la représentation qu’un peuple a ou veut avoir de lui-même. Ainsi, dans la Genèse puis dans l’Exode, le peuple hébreux a-t-il fixé les épisodes rendant compte de son identité spécifique. L’histoire est proche à la fois du mythe (début de la Genèse) et de l’épopée.

 

- Mais l'histoire en tant que connaissance rationnelle ou scientifique du passé est née en Grèce au Ve siècle av. J.-C. avec Hérodote et Thucydide. Elle se différencie alors du mythe, de la légende où les événements sont transformés et souvent embellis. Hérodote et Thucydide ont inventé une nouvelle façon de regarder le passé et ont jeté les bases de la méthode historique : recueil scrupuleux des témoignages, interrogation critique sur les faits rapportés, souci du détail, recherche des causalités et de leur enchaînement, exposé objectif de ce que l'on sait, de ce que l'on ignore, usage du récit comme mode d'exposition, etc. Toutefois, ce qui caractérise ces premières histoires est qu’elles relatent l’individuel, l’événementiel. Il s’agit toujours de rendre compte de l’exceptionnel parce que l’exceptionnel distingue et immortalise.

 

- L’objet kantien est autre : il veut trouver un principe universel d’intelligibilité. Le but n’est plus de décrire les événements mais de trouver la ou les lois qui régulent ces événements. Le problème qui se pose est alors la discontinuité des événements qui paraît s’opposer à toute continuité possible. Quel ordre pourrait rendre compte du désordre apparent des affaires humaines ?

 

- L'idée d'une histoire sensée, orientée vers un sens positif est déjà présente dans la pensée religieuse et surtout dans les théologies de l'histoire chrétiennes, ayant une conception linéaire du temps et une perspective eschatologique (eschatologie : idée que les théologiens se font des événements de la fin des temps, du jugement dernier, de la résurrection des morts, ainsi que de la vie future individuelle) :

 

·       Bossuet (Discours sur la Providence) : “ Dans le désordre même des choses humaines, il y a un ordre supérieur qui rappelle tout à soi par une loi immuable ”. Et  plus loin : “ Tout est surprenant à ne regarder que les causes particulières, et néanmoins, tout s’avance avec une suite réglée ”. C’est la Providence (gouvernement divin du cours des choses et de la destinée des êtres) qui constitue le principe d’intelligibilité là où nous ne percevons que discontinuité et brouillage. Ce principe est transcendant, rationnel, mais inaccessible à l’homme. Il ne peut pas constituer l’objet d’une science. L’histoire a un sens, mais ce sens est métaphysique.

 

·       Leibniz et la notion de théodicée (justification de Dieu destinée à prouver qu'il est innocent du mal du monde). Pour Leibniz, l’histoire a un sens, c’est-à-dire à la fois une direction et une signification qui correspondent à un développement rationnel que l’on peut expliquer. Le mal, la souffrance, le négatif dont l’histoire des peuples est encombrée sont autant de moments nécessaires à ce développement.

 

® Selon Leibniz, le “ principe du meilleur régit l’histoire ”. Ne pouvant pas créer le monde parfait, Dieu l’a créé le “ meilleur possible ”. Dès lors, le mal que l’on constate dans l’histoire (les crimes, les guerres, etc.) est le moindre qui soit et si Dieu l’a permis, c’est qu’à la fois il exprime la marge de liberté humaine, et qu’il est, si l’on sait bien y regarder, l’occasion d’un plus grand bien. Dieu n’est donc pas responsable du mal présent dans l’histoire; celui-ci ne résulte que de l’imperfection inhérente à toutes les créatures. Le monde historique est alors, sinon la perfection impossible, du moins le meilleur qui soit compatible avec l’état de cette créature finie qu’est l’homme.

 

®  Ce " meilleur monde " n'est pas celui qui est sans mal : un monde absolument sans mal (sans homme qui pèchent et souffrent) serait moins riche et moins parfait. Le meilleur des mondes est celui dans lequel un peu de mal permet le maximum de bien. Il faudrait pouvoir tout voir et bien voir comme Dieu et on ne pourrait manquer de tout vouloir et de bien vouloir, comme lui, de vouloir ce monde avec tous les maux qu'il comporte. Il y a deux volontés en Dieu : l'une antécédente, tendant à tout bien en tant que bien; l'autre conséquente, tendant au meilleur, et admettant tel ou tel mal, comme condition de la réalisation du bien. Dieu ne veut pas le mal avant de créer ("antécédemment") mais en tenant compte de la réalité créée elle-même (" conséquemment ").

 

® Nécessité d'une imperfection originelle des créatures : si la créature n'était pas limitée, imparfaite, elle serait Dieu lui-même. S'il y a du mal, c'est qu'il est impossible qu'un monde réel n'en contienne pas. Celui qui demande la suppression de tel ou tel mal change l'harmonie générale de l'univers, le monde qui en résulterait serait moins parfait que celui qui est. Comme tout est lié dans l'univers, rien ne peut être changé sans que tout soit changé en même temps. Chaque fois que nous accordons de l'importance à un mal, nous le faisons d'un point de vue trop particulier, nous ne comprenons que les effets les plus immédiats de ce mal. Si nous nous élevons à un degré de généralité plus grand, nous constatons que ce mal permet un plus grand bien. Tout mal est un moindre mal.

 

- La philosophie de l'histoire qu'inaugure Kant est laïcisée et porte ses interrogations sur l'avenir de l'homme plus que vers le passé et la justification de l'oeuvre divine. Toutefois, on reste dans un cadre similaire, celui d'une histoire intelligible et orientée où se réalise un projet.

 

- Pour penser l’histoire orientée, Kant se situe dans un cadre épistémologique précis : le cadre newtonien. L’histoire est bien un territoire spécifique autonome qui se différencie de la physique, mais ces deux disciplines dévoilent les lois de la nature, et l’histoire ne se constitue pas en rupture par rapport à la nature. Il s’agit de montrer que le devenir historique est rationnel.

 

- Le cadre conceptuel dans lequel s'inscrit ce texte s'organise autour d'une double opération :

 

1)     assimilation de l’histoire et du vivant : l’histoire se différencie du vivant comme l’espèce se différencie de l’organisme individuel, mais il doit y avoir homogénéité dans la régulation; 

 

2) compréhension de l’histoire non plus selon le déterminisme physique (causes efficientes), mais selon le finalisme biologique (causes finales).

- Ce cadre rend compte de la structure de l’article : Les 3 premières propositions articulent biologie et histoire, téléologie organique et téléologie historique ; les 5 suivantes dégagent le fil conducteur d’une intelligibilité historique ; et la dernière marque la différence entre ce travail philosophique et l’histoire proprement dite.

 

V) Plan de l’œuvre

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Idée d’une histoire universelle – tableau synoptique – Plan de l’oeuvre

 

Introduction

 

-        Alinéa 1

a)     Liberté métaphysique de l’homme et nécessité naturelle des actions humaines.

b)     Irrégularité des actions individuelles et régularité de l’histoire au niveau de l’espèce.

c)     Finalité naturelle et dessein de la nature dans l’histoire.

-        Alinéa 2

d)     Les hommes : ni animaux, ni citoyens raisonnables du monde.

e)     Folie des hommes et jugement optimiste du philosophe sur leur histoire.

Première proposition

 

Enoncé de la proposition :

a)     Destination finale des dispositions naturelles.

Développement :

b)     Confirmation par l’observation des animaux.

c)     Contre la désolation du hasard : la finalité comme principe d’un jugement rationnel sur la nature.

Deuxième proposition

 

Enoncé de la proposition :

a)     Destination finale des dispositions rationnelles (naturelles) de l’humanité réalisable seulement au niveau de l’espèce.

Développement :

b)     Définition de la raison.

c)     Développement progressif de la raison et finitude de l’existence individuelle.

d)     Nécessité d’une série de générations.

e)     Idée d’un développement complet des dispositions rationnelles (naturelles) de l’humanité comme but.

f)      Rappel du principe de la sagesse de la nature comme principe d’un jugement sur ses productions.

Troisième proposition

 

Enoncé de la proposition :

a)     L’autocréation par l’homme de sa propre perfection comme fin naturelle.

Développement :

b)     Rappel du principe : la nature ne fait rien en vain.

c)     Le don de la raison et de la liberté comme indication du dessein de la nature.

d)     La dotation de l’homme : ni instinct, ni connaissance innée.

e)     Economie de la nature dans la dotation de l’homme.

f)      Disposition naturelle de l’homme au travail.

g)     Le travail, fondement de l’estime de soi.

h)     Le sacrifice des générations.

 

 

 

Quatrième proposition

 

Enoncé de la proposition :

a)     L’antagonisme social, en tant que facteur de légalité, comme moyen naturel du développement complet des dispositions humaines.

Développement :

b)     Définition de l’antagonisme comme insociable sociabilité.

c)     Privilège de l’insociabilité comme facteur de socialisation et de culture.

d)     Possibilité d’une conversion de l’accord social pathologiquement extorqué en un tout moral.

e)     Critique du mythe des bergers d’Arcadie.

f)      Caractère providentiel de la discorde et valeur du travail.

g)     L’ordonnance d’un sage créateur révélée par le jeu des passions.

 

Cinquième proposition

 

Enoncé de la proposition :

a)     Le problème de l’établissement d’une société civile universelle comme problème fondamental imposé à l’homme par la nature.

Développement :

b)     Rappel de la quatrième proposition : l’antagonisme social et l’ordre légal qui s’ensuit comme facteurs de développement des dispositions humaines.

c)     Précision de la tâche suprême de l’espèce humaine : trouver un système de lois extérieures contraignantes parfaitement justes.

d)     Explication par l’image de la forêt du rôle de l’antagonisme social dans l’institution progressive du droit.

Sixième proposition

 

Enoncé de la proposition :

a)     Le problème de l’institution d’une société civile universelle est le plus difficile et sera résolu plus tard.

Développement :

b)     Définition de cette difficulté : l’homme a besoin d’un maître et ne le trouvera que dans un homme, qui a pourtant lui-même besoin d’un maître.

c)     Idée nécessaire d’un chef suprême qui soit à la fois juste par soi-même et homme, comme condition d’une solution parfaite au problème du droit.

d)     Impossibilité de réaliser cette Idée qui vaut comme une tâche infinie, et, donc, impossibilité d’une solution parfaite au problème du droit.

e)     Conditions et difficultés de la réalisation de cette tâche qui expliquent le caractère tardif de sa mise en oeuvre.

Septième proposition

 

- Alinéa 1

Enoncé de la proposition :

a)     Le problème de l’établissement d’une société civile universelle dépend de celui de l’instauration d’un droit international.

Développement :

b)     L’antagonisme entre les Etats comme facteur de paix et de fédération internationale.

c)     Légitimité de l’Idée d’une conférence des nations, comme issue obligée de la guerre.

-        Alinéa 2

d)     Trois hypothèses sur l’histoire : le hasard, le progrès, la compensation réciproque du progrès et de la chute.

e)     Réduction des trois hypothèses à une seule question : peut-on affirmer la finalité dans le détail de la nature sans l’affirmer du tout, et donc de l’histoire ?

f)      Rappel du principe de la discorde bienfaisante.

g)     Limite de l’idée cosmopolitique : nécessité de maintenir un danger d’affrontement entre les Etats selon une loi d’équilibre de l’action et de la réaction réciproques.

h)     Avantage et inconvénient de l’état conflictuel précosmopolitique par rapport à l’état de nature rousseauiste.

i)      Distinction entre être cultivé, civilisé et moral.

j)      Inaccessibilité de l’état moral dans l’état précosmopolitique.

Huitième proposition

 

Enoncé de la proposition :

a)     Possibilité de considérer l’histoire comme la réalisation d’un plan de la nature pour créer les conditions politiques intérieures et extérieures d’un complet développement des dispositions humaines dans un état cosmopolitique universel.

Développement :

b)     Idée d’un millénarisme philosophique.

c)     Valeur du recours à l’expérience pour appuyer cette idée.

d)     Valeur de l’espérance pour l’avènement de l’âge d’or espéré.

e)     Imbrication des visées expansionnistes des Etats et du développement des Lumières.

f)      Rôle pacificateur des relations économiques internationales.

 

Neuvième proposition

 

-        Alinéa 1

Enoncé de la proposition :

a)     Possibilité de lire l’histoire selon l’idée d’un dessein cosmopolitique de la nature, et valeur de cette lecture pour l’accomplissement de ce dessein.

Développement :

b)     Possibilité de passer de l’agrégat des actions historiques au système de l’histoire humaine.

c)     Recours aux historiens antiques et à l’influence civilisatrice de la Grèce puis de Rome pour attester un progrès politique.

d)     Possibilité d’une perspective consolante sur l’avenir de l’humanité.

e)     La théodicée comme motif d’une histoire philosophique.

-        Alinéa 2

f)      Valeur de l’histoire empirique relativement à l’histoire a priori.

 

- Le texte se présente sous la forme de 9 propositions précédées d’un préambule. Après une brève présentation de l’auteur et de l’époque dans laquelle il a vécu, nous dégagerons les idées principales, les allusions à d’autres oeuvres, les problèmes que les propositions tentent de résoudre et les concepts qu’elles mettent en oeuvre.

 

 

II) Repères biographiques

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- Kant est né à Königsberg, en Prusse, en avril 1724, dans une famille piétiste fort modeste (son père était artisan sellier). Il meurt en 1804 dans le même lieu. D’abord précepteur, il enseigne ensuite à l’université de Königsberg en 1755 où il donne des cours de mathématiques, de physique, de logique, de géographie, de philosophie, etc.

 

- Son oeuvre est encyclopédique, Kant s’intéressant à tout (l’art, la science, le droit, les maladies de la tête…) : La critique de la raison pure (1781-1787, deux éditions), Les fondements de la métaphysique des moeurs (1785), La critique de la raison pratique (1788), La critique du jugement (1790), etc.

 

- Sa vie fut d’une régularité constante et seuls deux événements furent en mesure de la perturber : la publication du Contrat social de Rousseau, en 1762, et l’annonce de la prise de la Bastille en France.

 

- Le “ vieux chinois de Königsberg ”, comme dit Nietzsche, n’en est pas moins ce démolisseur dans l’ordre de la pensée qui “ inaugure la philosophie moderne ” (Hegel) . Kant s’est posé quatre questions auxquelles son oeuvre tout entière s’est efforcée de répondre : que puis-je connaître ? que dois-je faire ? que m’est - il permis d’espérer ? Ces interrogations concernent la connaissance, la pratique, la sphère de l’espérance. Elles prennent leur pertinence dans une quatrième : qu’est-ce que l’homme ? La philosophie a pour tâche de répondre à ces quatre questions.

 

- La réflexion de Kant s’est développée, pour l’essentiel, à partir de quatre influences :

 

·       le piétisme : tentative de rajeunissement du luthéranisme protestant, destiné à réveiller la foi par la lecture vivante de la Bible. Cette tendance rigoriste entendait soumettre la conduite humaine à de sévères maximes;

 

·       la tradition rationaliste : issue de Leibniz et systématisée par Christian Wolff. La tâche de la philosophie est l’organisation d’un ensemble rigoureux à partir de la seule raison humaine. Kant s’éloigna de ce rationalisme, sous l’influence de Hume;

 

·       le scepticisme de Hume : il ébranle les certitudes rationalistes, le projet d’atteindre des vérités absolues, en enquêtant moins sur les choses que sur l’origine de nos croyances;

 

·       l’oeuvre de Jean-Jacques Rousseau : elle conduit Kant à réfléchir sur les questions morales.

 

III) Repères historiques (cf : carte)

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Préambule

Questions de compréhension : introduction

 

 

a)     En quoi la liberté des hommes est-elle un obstacle à l’intelligibilité de leur histoire ?

 

-        Dans la mesure où la seule liberté que l’historien peut accorder aux hommes, dont il relate l’histoire, est la liberté de l’arbitre, c’est-à-dire la liberté individuelle et arbitraire par laquelle les hommes agissent d’une façon incohérente uniquement en vue de satisfaire leurs penchants égoïstes.

 

-        Si l’histoire se présente d’abord comme inintelligible, c’est parce qu’elle est l’histoire de l’homme, c’est-à-dire de la liberté, et qu’elle commence par le mal. C’est parce que l’homme est doué d’un libre arbitre et n’est pas nécessairement déterminé au bien que l’homme est capable de choisir et d’accomplir le mal. Sa liberté est d’abord liberté pour le mal. Dès qu’il entre en rapport avec ses semblables, l’homme fait usage de sa liberté pour assouvir ses passions égoïstes. La question que pose Kant est alors la suivante : dans quelle mesure cette liberté pour le mal peut-elle devenir le principe d’un progrès vers le bien et d’une intelligibilité du cours apparemment absurde de l’histoire humaine ?

 

b)     Qu’est-ce qui permet de trouver une régularité et une finalité dans l’histoire chaotique des hommes ?

 

-        Les hommes sont soumis au mécanisme universel qui règle les rapports entre les phénomènes naturels. Leurs actions s’insèrent dans un ordre nécessaire, de telle sorte qu’une régularité, au moins statistique, peut être repérée dans le cours de l’histoire formée par la série des actions. Comme phénomènes naturels, les faits historiques peuvent être jugés en vue de leur finalité.

 

c)     Quelle signification donner au fait que les hommes n’agissent pas comme des animaux ni comme des citoyens du monde ?

 

-        Ce fait interdit d’abord de voir dans l’histoire humaine la réalisation d’un plan préétabli et rend manifeste la contingence des actions historiques ; ce fait nous fait désespérer de trouver un quelconque sens à l’histoire et semble justifier une représentation sceptique et pessimiste de l’histoire comme chaotique et absurde.

 

-        Ce fait oriente ensuite la question du sens de l’histoire vers la considération d’un dessein de la nature sous-jacent au désordre apparent des actions humaines, seule hypothèse susceptible de surmonter la contingence de l’histoire réelle.

 

 

 

 

I) Introduction

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- Le thème de ce texte est l'idée d'un sens de l'histoire. Selon Kant, il existe des raisons objectives de supposer qu'un sens est à l'oeuvre dans l'histoire, lequel consisterait en un progrès, un développement de plus en plus accompli des potentialités humaines (" dispositions originelles ") qui sont la liberté et la raison Définition ici de la méthode qui permettra à Kant de réfléchir sur l’histoire humaine: au lieu de raconter la vie d’un héros, les péripéties d’une guerre, de se perdre dans des détails à la façon des historiens, il faut envisager la totalité de l’histoire de l’espèce humaine, pour y découvrir un mouvement d’ensemble et en esquisser un plan général. D’où le titre (Idée d’une histoire universelle…) : considérer l’histoire comme le devenir d’une espèce une et unique, et comme le progrès continu au cours des siècles, qui conduit peu à peu l’humanité vers sa plus haute perfection.

 

II) Structure du texte

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1.     " De quelque façon…dispositions originelles de cette espèce " : affirmation du caractère globalement déterminé des actions humaines, en tant qu'elles n'échappent pas aux lois de la nature. Position de la possibilité théorique d’une science humaine comme l’histoire : même humaine, l’histoire relève de la nature en tant que les événements y apparaissent comme des phénomènes.

 

2.     " Ainsi, les mariages…uniforme et ininterrompue " : exemple des régularités statistiques invitant à supposer un ordre par delà les caprices et l'arbitraire des volontés individuelles. Un ordre mais aussi une finalité, une direction. La causalité historique ne peut être recherchée au niveau de l’individu mais au niveau de l’espèce.

 

3.     " Les hommes, en tant qu'individus…pas davantage s'ils le connaissaient " : Kant énonce l'hypothèse d'un plan caché de la nature qu'on peut concevoir comme une progression de l'espèce humaine indépendante des fins conscientes des individus. Notion de ruse de la nature : les hommes concourent à la réalisation de la finalité de l’histoire sans le savoir.

 

4.     2ème § : " Les hommes, dans leurs aspirations…plan déterminé de la nature " : Kant précise le statut purement hypothétique de cette idée d'un dessein que la nature aurait à l'intention de l'homme. Dualisme de la nature humaine : l'homme est écartelé entre son animalité et sa destination morale d'être raisonnable. L'homme comme être de passions. Telle est la source du mal dans l'histoire, de ce déroulement insensé et tragique, qui contraint le philosophe à chercher du côté de la nature ce qu'il ne trouve pas du côté de l'individu.

 

5.     " Nous voulons voir…cause universelle de la nature " (dernière partie) : Kant élargit son propos, en affirmant que l'idée d'un devenir sensé de l'espèce humaine doit être en même temps le fil conducteur que le philosophe propose à l'historien pour la rédaction de l'histoire empirique.

 

III) Explication

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A) " De quelque façon…dispositions originelles de cette espèce " : Liberté métaphysique de l’homme et nécessité naturelle des actions humaines.

 

1ère phrase

 

- Kant pose ici une question essentielle : peut-on espérer que l'histoire comporte un certain ordre, qu'elle n'est pas le règne de l'absurde et du mal ? Les lois de la nature ont-elles des effets sur la vie sociale ou bien cessent-elles bizarrement de s'appliquer dès lors qu'il s'agit de l'homme ? La liberté humaine, autrement dit, n'est-elle qu'un synonyme pour l'arbitraire ?

 

- Sens de la première phrase : quelle que sit notre conception de la liberté, que nous la jugions comme un phénomène empirique ou non, elle s'accompagne chez l'homme de la détermination d'une nature. L'homme appartient à deux mondes : au monde sensible en tant que phénomène, au monde suprasensible en tant que noumène. En tant qu'être de la nature, ses actions sont conditionnées et ont des causes. En tant qu'être raisonnable, il est une causalité libre et inconditionnée.

 

- Kant commence ici par évoquer les deux difficultés qu'offre l'histoire : elle est le destin d'êtres libres qui décident eux-mêmes de leurs actions; cette liberté semble contraire à la régularité, à la conformité des événements à des lois, qui permet de les comprendre, de leur donner un sens. Par exemple, nous comprenons le mouvement des astres parce qu'en vertu du principe d'inertie, nous posons qu'il s'agit de corps non libres, sans spontanéité aucune qui leur permettrait d'accélérer ou de ralentir à leur guise.

 

- La distinction des deux règnes auxquels appartient l'homme  - monde sensible, monde suprasensible – implique une distinction entre la physique et la métaphysique : la question de  savoir si l'homme est libre n'est pas du ressort de la physique, pas plus que celle de savoir si Dieu existe. Dès lors, il est possible de chercher à comprendre quelque chose aux actions des hommes comme êtres e la nature, sans pour autant nier leur liberté.

 

-  La thèse kantienne est essentielle : c’est elle qui ouvre la possibilité d’un savoir objectif de cette subjectivité qu’est l’homme. Accepter cette thèse, c’est ouvrir le champ de l’anthropologie (i. e. : de la connaissance de l’homme). Seule l’histoire intéresse Kant dans cet article : mais son geste dépasse la seule histoire pour fonder les sciences humaines.

           

- Pour qu’une science soit possible en droit, il faut que son objet soit rationnel, c’est-à-dire obéisse à des lois universelles. La physique est une science parce que la nature est rationnelle : elle obéit à des lois et n’est pas régie par le simple hasard. Une science de l’homme n’est possible que pour autant que l’homme obéisse à des lois et ne soit pas soumis au simple hasard.

 

- Ce début d’article va procéder à un coup de force : 1) Les décisions de l’individu (et pas de l’homme en général) sont aléatoires   2) la liberté peut bien être postulée au niveau individuel   3) l’homme en tant qu’espèce n’en est pas moins objectivable (i. e. rationalisable). On obtient donc le résultat : 1) il n’y a pas de science du sujet <=> il n’y a pas de science de l’individuel  et  2) l’espèce est objet  =>  il y a une science possible de l’espèce.

 

- La science possible de l’espèce ne peut toutefois pas se traiter au niveau de la liberté, c’est-à-dire au niveau des intentions : c’est au niveau des faits qu’elle peut définir sa compétence. En tant qu’elles sont des faits, les actions humaines sont des événements naturels (= sont déterminées par “les lois universelles de la nature”). On peut s’autoriser à chercher dans les faits humains une causalité spécifique, des lois universelles propres. Nous ne sommes pas loin de la première règle de la méthode sociologique de Durkheim : “considérer les faits sociaux comme des choses”. Il s’agirait donc d’une décision méthodologique et non d’un constat scientifique.

 

2ème phrase

 

- La deuxième phrase énonce une deuxième difficulté : l'histoire est obscure, ses causes sont cachées, elle apparaît irrégulière. Kant propose un moyen de lever cette difficulté : il faut prendre du recul, considérer l'histoire dans ses " grandes lignes ", chercher un plan général par delà les événements et les individus particuliers. Référence au titre de l'ouvrage : pour découvrir une certaine régularité dans le cours irrégulier de l'histoire, nécessité de considérer l'histoire comme le devenir d'une unique espèce humaine.

 

- Kant va montrer que l'on peut espérer qu'il y a dans l'histoire un ordre plutôt qu'un chaos. La marche d'ensemble de l'histoire est censée progresser, sous l'effet d'un dessein de la nature et non de la volonté des individus, vers une société composée de " citoyens raisonnables du monde " . Question : comment la nature toute seule peut-elle réaliser un but pareil sans l'intervention de la volonté des individus ? Kant n'apporte pas la réponse ici.

 

- C’est en considérant l’espèce que l’on sera susceptible de trouver des régularités, c’est-à-dire des lois. En somme, les actions humaines font partie de la nature. Elles sont déterminées et peuvent être objet de connaissance. Il est possible d’établir des lois des comportements humains à condition de dégager leurs interactions réciproques. Les actions humaines sont les manifestations du développement de l’espèce, et l’individu n’est plus que l’agent involontaire de ce développement. L’histoire est comprise comme phylogenèse.

B) " Ainsi, les mariages…uniforme et ininterrompue " : irrégularité des actions individuelles et régularité de l’histoire au niveau de l’espèce, l'exemple de la régularité démographique.

           

- La démographie (Le mot n’apparaît qu’au milieu du XIX°) et le climat manifestent la pertinence de la thèse de Kant. Du point de vue de l’individu, les naissances apparaissent comme une libre décision du sujet : on ne doit donc pas être en mesure d’écrire une histoire de la natalité (l’arbitraire ou le caprice ne peut pas être objet de science). Mais globalement, il y a des constantes, de telle sorte que l’on peut espérer trouver des lois régulant les naissances. On peut donc trouver une loi là où c’est la liberté humaine qui décide; la considération d’une population entière, par exemple, permet de découvrir une loi générale, alors que la diversité des cas particuliers nous interdit de voir de l’ordre.

- Buffon est l'auteur des premières tables statistiques, cherchant par la comparaison entre tables des naissances, mariages, décès, si l'on peut dégager des lois à partir des régularités dans la récurrence de ces événements, bien qu'ils dépendent en partie de l'arbitraire des hommes. La conclusion de ces études établissait qu'en dépit de l'intervention du caprice et de la volonté libre, il existait des régularités.  Au XVIII° les enquêtes démographiques sont nombreuses :

           

·       1746 : Deparcieux publie un “Essai sur les probabilités de la vie humaine”.

·       1778 : Maheau : “Recherches et considérations sur la population de France”.

·       Les mêmes études sont faites en Suède et en Allemagne : les statistiques répondent aux exigences de l’économie politique naissante.

 

- Le choix de l’exemple n’est pas innocent : la natalité relève à la fois de la nature (instinct animal de reproduction) et de la liberté (choix d’avoir un enfant). Une science humaine n’est possible que parce qu’elle rencontre ce double registre. On doit pouvoir dégager des lois de ces statistiques.

 

- Autre exemple : le climat. Ce deuxième exemple ajoute à l'idée d'ordre et de régularité, celle d'un sens et d'une finalité du devenir : le climat, en effet, outre sa remarquable constance en dépit des variations atmosphériques, contribue à la croissances des végétaux et des animaux. Tout se passe comme s'il existait une intention des phénomènes atmosphériques visant à la croissance de tel arbre. Les variations du temps paraissent désordonnées au jour le jour; le climat, au contraire, manifeste une constance remarquable. Les irrégularités du temps, par exemple, qui gênent un touriste en pays méditerranéen, apparaissent au géographe, qui les considère comme un tout, comme ce qui fait fructifier l'olivier.

 

- La comparaison choisie par Kant est révélatrice du point de vue : l’inconstance du temps est assimilable à l’inconstance des hommes. Or un savoir scientifique doit être en mesure d’anticiper : comment anticiper le libre-arbitre (= arbitraire) ? Puisque les causes restent indécidables, il faut se contenter d’enregistrer les effets, et les effets, dans leur globalité, restent les mêmes.

 

- Où Kant veut-il en venir avec cet exemple ? Que la régularité qu'on peut découvrir dans l'histoire universelle est inséparable de l'idée que l'espèce humaine, comme une autre espèce, se développe comme il convient à sa nature, au cours d'une histoire orientée, qui a un sens, tout comme un climat un sens. En météorologie, la régularité, l'ordre ont un sens : le climat, c'est le sens que nous accordons à une certaine combinaison de phénomènes naturels avant même d'en connaître le détail et le mécanisme parce que nous le voyons concourir à la présence d'un certain type de vie.

 

- Il faut donc considérer l'humanité universelle, si on veut espérer percevoir un sens dans l'histoire. L'espèce humaine doit être pensée comme totalité dans son unité, sans égard aux parties (groupes, nations, peuples) qui y introduisent des discontinuités, comme un développement continu au cours des siècles, à travers les générations. Embrasser donc du regard le destin de l'humanité entière partout et toujours.

 

C) " Les hommes, en tant qu'individus…pas davantage s'ils le connaissaient " : finalité naturelle et dessein de la nature dans l’histoire.

 

- Troisième moment du texte : idée d'une sorte de ruse de la nature. Les hommes concourent à une fin sans le savoir ni le vouloir. Ils y concourent en tant qu’espèce et non en tant qu’agents libres. Poussé par leur égoïsme, leurs intérêts, leur ambition, leurs passions privées, les individus sont bien loin de viser l'intérêt de leur espèce. L'hypothèse de Kant est audacieuse : au moment même où chacun se détermine en fonction de son intérêt particulier, sans souci  de l'avenir des hommes, chacun contribue sans le savoir, malgré soi, par son propre égoïsme justement, au progrès de l'espèce.

 

- Il n’y a donc pas identité entre le but consciemment voulu par un individu et le résultat objectif de son acte. L’histoire a pour objet ultime de découvrir que l’ensemble des événements qu’elle retrace concourt, à l’insu même de leurs auteurs, au développement des dispositions originelles de la nature humaine. Les hommes font l’histoire, mais à leur insu. Ils sont comme la matière que la nature utilise pour se réaliser. Peu leur importerait de connaître ce but qu’ils réalisent sans le savoir : ce n’est pas la fin de l’espèce qui peut constituer une motivation pour l’individu - d’autant que chaque génération se sacrifie pour la suivante (proposition 3) et que ce sacrifice ne peut constituer un but individuel.

 

D) 2ème paragraphe (" Les hommes, dans leurs aspirations…plan déterminé de la nature ") : les hommes : ni animaux, ni citoyens raisonnables du monde

 

- Le 2ème paragraphe rappelle que si l’histoire est une tragédie, il faut chercher à comprendre la cause du désordre des choses humaines. Les actions humaines ne peuvent être assimilées ni au comportement aveugle et prédéterminé de l'animal (exemple des abeilles et des castors), dotés par la nature d'un instinct infaillible, ni à la conduite d'êtres supérieurs, raisonnables. Kant précise que notre espèce est " si infatuée de ses supériorités " : elle a l'idée de qu'est une conduite raisonnable, elle fait la différence entre l'homme et l'animal, elle est raisonnable en puissance, mais pas en fait. L'homme paraît ainsi une étrange espèce, dépourvue d'instincts sûrs, dont la singularité est de posséder une qualité trop supérieure pour lui. La raison : un idéal trop difficile à pratiquer, à assumer. L'homme est en quelque sorte trop fini pour la raison qui l'habite.

 

- Raison : destination éthico-politique, vocation à être un citoyen raisonnable du monde. Les hommes n'agissent pas comme des citoyens raisonnables du monde. Il leur manque le temps : à l'échelle d'une vie humaine, les possibilités inscrites dans la liberté et la raison sont trop grandes, trop extraordinaires pour que la durée de l'existence d'un individu fini y suffise.

 

- La difficulté de comprendre l’histoire est donc liée à la nature de l’homme (l’histoire n’est qu’un secteur de l’anthropologie). L’homme est animal rationnel, c’est-à-dire ni totalement animal ni totalement rationnel. Les problèmes de méthode découlent de cette dualité : - s’il n’était qu’animal : l’étude du devenir de l’espèce relèverait de la biologie. Mais le problème réside dans l’interférence entre animalité et rationalité : les passions. L’homme est essentiellement un être de passions, c’est-à-dire un être dont la raison est toujours motivée par de l’irrationnel (désir). D’où la difficulté méthodologique pour étudier son devenir.

 

 

- Les hommes se conduisent comme des enfants. Les guerres et les conflits multiples sembleraient pouvoir être évités si les hommes ne se conduisaient pas de façon si puérile. C’est là un thème récurrent chez Kant. Dans l’article contemporain “Qu’est-ce que les lumières ?”, il a l’exhortation suivante : “aie le courage de te servir de ton propre entendement !”, c’est-à-dire “Sois adulte ! Sors de l’enfance !”.

 

- Le dessein de la nature est la solution méthodologique à l’impossibilité de choisir entre la nature instinctive et la nature rationnelle de l’homme. C’est en même temps l’explication de la puérilité humaine. L’exaspération ne conduit plus à la misanthropie mais à l’optimisme : l’espèce est en devenir, et ce devenir est le développement lent et progressif de la raison. L’espèce est d’abord dans l’enfance, avant de conquérir peu à peu la sagesse de l’âge adulte.

           

- L’hypothèse d’un dessein de la nature est la seule solution pour trouver un ordre derrière l’apparent désordre des affaires humaines. Faute de l’existence d’un tel dessein, l’histoire humaine serait dépourvue de sens. L’idée d’un progrès de l’espèce humaine, voulu par la nature, et non par les hommes, est la seule qui puisse nous faire découvrir un ordre dans le désordre de l’histoire, et qui nous permette d’espérer.

 

- A noter que l'humanité n'est pas le nom d'une espèce animale, mais le nom de l'idéal moral à réaliser par les hommes; elle a le statut d'une valeur qui oriente l'histoire, lui confère la direction d'un progrès. L'homme n'a que des germes de liberté et de raison, il est à éduquer. A la différence des abeilles et des castors, l'homme ne saurait avoir une histoire prédéterminée, répétitive. L'histoire humaine est une aventure de la liberté qui comporte arrachements, déceptions, efforts, échecs, espoirs. Tout se passe comme si les hommes avaient quelque chose à faire, un destin à assumer qui les dépasse.

 

- Kant est sans illusion sur la méchanceté des hommes : pessimisme anthropologique qui se traduit par le constat de la folie destructrice des hommes. Perspective qui évite deux écueils : l'optimisme béat, utopique, fréquent chez les hommes des Lumières (les progrès des sciences, des techniques, de la raison est apte à favoriser le bonheur et la moralité); le pessimisme radical prôné à l'époque par les penseurs réactionnaires et contre-révolutionnaires : Joseph de Maistre, Edmund Burke. Ces penseurs pessimistes s'autorisent des folies de l'histoire pour rejeter la confiance dans les confiances de l'humaine raison et ne compter que sur la tradition et Dieu; l'idée d'humanité universelle est rejetée (impact égalitaire de cette idée qui menace les privilèges !). Mise en question parallèle de l'idée d'humanité et de la valeur de la raison et du progrès.

 

- Cette mise en question n'était pas le seul fait des théoriciens réactionnaires. Herder, théoricien du Sturm und Drang, revendique un irrationalisme, la puissance des forces obscures, la supériorité des traditions, des sentiments, de la foi sur la raison. Ce n'est pas l'idéal d'humanité qui soude les sociétés mais les liens affectifs qui ont façonné les peuples depuis la nuit des temps. Chaque peuple a son histoire, chacun a sa vision du monde, son propre progrès. Herder pose les bases du relativisme historique qui allait trouver large écho dans l'apologie de " l'esprit des peuples " cher au romantisme, aux nationalismes et, de nos jours, d ans toutes les formes de pensée qui mettent en avant la reconnaissance de la différence – culturalisme, écologie, idéologies tiers-mondistes des décennies 60-70, etc.

- Kant s'oppose donc à la fois à un optimisme facile, qui néglige le mal inhérent à la nature humaine finie, et le pessimisme des réactionnaires. Kant a trouvé chez Rousseau le fier principe de la liberté présent en tout homme, lequel principe invite à ne pas désespérer de l'homme. Mais, à la différence de Rousseau, Kant compte sur l'espèce, et non sur la volonté des individus passant le contrat social, pour faire progresser la justice et conduire les individus à devenir des individus raisonnables.

 

E) " Nous voulons voir…cause universelle de la nature " (dernière partie) : Folie des hommes et jugement optimiste du philosophe sur leur histoire.

 

- Interrogation ici du statut de cette notion de dessein de la nature. Il s'agit de l'idée d'un devenir sensé de l'espèce humaine, d'un fil conducteur que le philosophe propose à l'historien pour la rédaction de l'histoire. Non seulement pour qu'on puisse écrire l'histoire en fonction de cette idée directrice, mais surtout afin que les hommes, devenant conscients de ce qui agit à leur insu, puissent collaborer librement au dessein de la nature.

 

- Ce fil conducteur est un principe de méthode générateur de sens, et non de vérité objective. Kant n'affirme pas qu'il existe objectivement une telle finalité; il prétend que nous avons besoin d'en former l'idée pour penser notre histoire.

 

- Kant utilise dans le texte le terme " puéril ". Dans Qu'est-ce que les Lumières ?, paru la même année qu'Idée d'une histoire…, Kant définit l'adulte comme celui qui est capable de disposer librement de sa raison. Devenir adulte serait, pour l'homme, comprendre le travail de la nature qui agit en lui malgré lui et y collaborer au lieu de le freiner. Comme il le souligne dans un autre texte (Projet de paix perpétuelle), et dans la suite des propositions, cette collaboration se marquerait notamment par l'établissement de conditions politiques d'une paix durable. En effet, la soif de destruction est le témoignage le plus dégradant de l'immaturité de l'homme.

 

- De quel côté ce sens de l'histoire voulu par la nature ? Du côté de l'analogie de la finalité morale avec la finalité naturelle : si la nature a pourvu l'abeille et le castor d'instincts, à plus forte raison doit-on considérer l'espèce humaine comme bien pourvue par la nature en dépit de son dénuement singulier. Idée qui sera développée par la suite que la nature ne fait rien en vain. Lorsqu'on suppose que la nature a intentionnellement pourvu l'homme à sa naissance de la seule raison et de la seule liberté afin qu'il ait tout à tirer de lui-même, on peut supposer également que la nature l'a pourvu de moyens " naturels " aptes à favoriser se finalité morale. Ces moyens, ce sont les passions antagonistes (Kant parlera plus loin de l'insociable sociabilité) qui doivent préparer le terrain à la liberté en forçant les hommes à s'organiser égoïstement pour vivre ensemble.

 

- En somme, c'est dans sa propre nature que l'homme doit trouver les moyens de dominer sa nature finie et de faire régner la raison.

 

PREMIERE PROPOSITION

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Notion au programme : la connaissance du vivant

 

 

Questions de compréhension : 1ère et 2ème propositions

 

 

a)     Pourquoi faut-il admettre une finalité dans la nature en général et dans les dispositions naturelles de l’homme en particulier ?

 

-        Afin de répondre à l’exigence théorique de la raison, qui, est de postuler une unité intégrale de la connaissance, de sorte que celle-ci n’apparaisse pas comme un simple agrégat accidentel mais comme un système lié suivant des lois nécessaires. La finalité de la nature est un postulat dont la conséquence est la considération de la nature comme un tout organisé excluant le hasard.

 

-        Dès lors, il convient d’admettre une finalité dans les dispositions naturelles de l’homme. En pensant la nature comme étant organisée de manière systématique, nous la pensons en même temps comme étant le produit d’une raison supérieure, d’une raison divine, qui lui prescrit a priori ses lois. En somme, le principe d’une organisation systématique et téléologique est valable pour toutes les espèces, l’homme y compris.

 

b)     Qu’est-ce qui oppose l’individu à l’espèce ?

 

-        L’individu et l’espèce s’opposent du point de vue de leur destination. L’individu n’a pas de destination ; la destination de l’homme est celle de l’espèce. C’est en tant qu’espèce animale que l’homme peut être considéré comme connaissant un développement finalisé. L’individu est mortel, à la différence de l’espèce, qui est immortelle ; il ne saurait donc atteindre dans le temps d’une vie l’achèvement du développement des dispositions naturelles de l’humanité, qui exige pour se déployer une série de générations.

 

 

 

I) Présentation générale des propositions 1, 2,3 : les fondements biologiques de l’histoire

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- Les propositions 1, 2 et 3 se consacrent principalement à la mise en place du concept de développement en tant qu’il est le mode d’existence historique de l’humanité : l’espèce humaine n’existe qu’en tant qu’elle devient. Kant se demande quelle est la finalité de la nature dans la production d’êtres doués de raison. Il tente de comprendre comment la nature, mécanisme aveugle et indifférent à la liberté, s’accorde avec la liberté. Il s’interroge donc sur les fondements biologiques de l’histoire. Il va monter que l’essence de l’humanité en tant qu’espèce est d’être perfectible, d’avoir à se développer. Dans la proposition 1, ce développement est posé selon le concept de but (le développement de tout être vivant a une fin); dans la proposition 2, selon celui d’espèce (dans le cas de l’homme, c’est dans l’espèce seulement que ce but est repérable); dans la proposition 3, selon celui d’effort (ce n’est pas l’instinct, mais l’effort qui préside au développement humain). Dans la 1ère proposition est donnée l’idée de développement naturel; dans la 2ème, celle de développement naturel humain; dans la 3ème, celle de développement historique culturel.

 

- A travers l’étude de ces trois propositions, nous en profiterons pour aborder la question de la connaissance du vivant. Pour quelles raisons ? Ces 3 propositions se demandent  quel rapport il y a entre histoire et biologie. L’homme est un vivant; l’histoire est celle du devenir de l’espèce.

 

- Enjeux du texte : débat sur la spécificité du vivant et la position de Kant.

 

-        Trois modèles :

 

a. Aristote : la finalité permet de comprendre le vivant. Mais ce modèle conceptuel est étendu à toute la nature (phusis : ce qui croît de soi-même).

           

b. Descartes : le vivant relève du mécanisme comme le reste de la nature. L’organisme est assimilé à un automate (ce qui se meut de soi-même).

           

c. Kant : le vivant n’est pas assimilable à une machine. Il y a une spécificité irréductible du vivant que la machine ne permet pas de penser.

 

           

II) Sujets de dissertation concernant le thème « la connaissance du vivant » :

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1) Spécificité du vivant :

 

- Un être vivant peut-il être assimilé à une machine ?

- Les animaux sont-ils comparables à des machines ?

- Peut-on donner un modèle mécanique au vivant ?

- La connaissance scientifique du vivant exige-t-elle que l’on considère l’organisme comme une machine ?

 

2) Biologie :

 

- Peut-on concilier le déterminisme et la finalité dans la connaissance du vivant ?

- La vie est-elle un objet scientifique ?

- Connaît-on la vie ou bien connaît-on le vivant ?

- Le vivant est-il entièrement connaissable ?

- Le biologiste peut-il prétendre connaître la vie en étudiant les êtres vivants ?

- Vous paraît-il nécessaire d’imposer des limites à la recherche en biologie humaine?

- Quelle place la réflexion sur le vivant peut-elle accorder au hasard ?

 

3) Le normal et le pathologique :

 

- Qu’est-ce qui distingue dans la connaissance du vivant le normal du pathologique?

- La maladie d’un être vivant est-elle comparable à la panne d’une machine ?

- Qu’est-ce qu’être malade ?

           

III) Arguments de la 1ère proposition :

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- La 1ère proposition se contente d’énoncer l’universalité du principe de finalité propre à l’étude du vivant. Le plan de la 1ère proposition est le suivant :

 

Enoncé de la proposition :

 

- Destination finale des dispositions naturelles.

 

Développement :

 

- Confirmation par l’observation des animaux.

- Contre la désolation du hasard : la finalité comme principe d’un jugement rationnel sur la nature.

 

-  L’argumentation  de cette 1ère proposition est la suivante :

 

a. Axiome : tout ce qui est en puissance dans une créature doit devenir (un jour) en acte et réaliser une fin.

                       

b. Vérification de l’axiome : pas d’exception à cette règle chez les animaux. L’observation valide l’axiome.

                       

c. Raisonnement a contrario : et si on trouvait une exception ? L’axiome serait invalidé = le réel ne serait pas rationnel.

           

- L’étude du vivant permet d’affirmer que rien n’est dû au hasard dans la nature. La nature ne fait rien en vain mais agit en fonction d’une finalité. Une disposition naturelle ne peut être comprise que par sa fin; comprendre un organe, c’est comprendre à quelle fonction il est destiné. Dans l’ordre de la vie, l’idée de finalité peut servir de fil conducteur pour la recherche. L’introduction de la finalité est justifiée par un besoin d’intelligibilité : la raison réclame un fil conducteur pour une compréhension d’ensemble de la nature. Le principe de finalité est un principe d’explication jugé plus rationnel que le simple recours à la contingence des êtres vivants.

 

- De même, le principe de finalité s’applique à l’homme qui est d’abord un être de la nature. Mais l’expérience de l’histoire nous livre un agrégat de faits dispersés et sans lien, un tissu d’absurdités. La nature n’a - t - elle donc pas créé l’homme en vain ? Face à cette diversité, la raison a besoin d’une unité qui est exprimée dans l’idée d’un dessein de la nature à l’oeuvre dans l’histoire ; ce dessein donne un sens à l’histoire. Rôle régulateur de l’idée de finalité : l’idée d’une sagesse agissant dans une intention providentielle favorise une vision plus complète et plus complexe de l’expérience, incite à totaliser le champ des phénomènes, alors que l’idée de hasard multiplie la dispersion, insiste sur l’accidentel.

 

- Il s’agit donc de voir dans quelle mesure l’histoire peut s’accorder avec la finalité naturelle. Exigence morale : penser que l’humanité n’existe pas en vain et est capable de réaliser sa destination morale.

 

IV) Le principe de finalité. Notion au programme : la connaissance du vivant

 

a)     Problématique, introduction

 

- La deuxième proposition permet d’aborder le thème au programme intitulé la connaissance du vivant. La notion de vie semble une donnée évidente de l'expérience immédiate : la distinction entre le vivant et la matière inerte, entre le vivant et le mort, semble aller de soi. Mais savoir ce qui est vivant ne permet pas pour autant de déterminer ce que c'est qu'être vivant. Pour qu'une science du vivant soit possible, il faut commencer par définir les propriétés qui caractérisent son objet propre et qui la distinguent des objets étudiés dans les autres sciences de la nature. En quoi la vie se distingue-t-elle de la matière ? La vie présente-t-elle des propriétés qui ne sont pas réductibles aux lois physiques et chimiques qui régissent les phénomènes matériels ? La notion de finalité est-elle pertinente pour connaître le vivant ou constitue-t-elle, au contraire, ce que Bachelard appelle un « obstacle épistémologique » ? Pour répondre à cette question, il convient d’évoquer l’histoire du concept de finalité.

 

b)     Le cadre aristotélicien

 

- Dire que la vie manifeste un principe de finalité revient à considérer qu’aucune des manifestations de la vie n’est due au hasard mais existe et se poursuit conformément au but qui lui a été d’avance fixé. La nature dans son ensemble obéirait alors à un plan qui expliquerait sa structure hiérarchique : de la pierre à l’homme, on pourrait classer tous les êtres selon le degré de complexité de leur organisation, celui-ci étant mesuré à sa plus ou moins grande proximité avec l’organisme le plus proche de la perfection – l’homme, considéré comme fin de la nature.

 

- La notion de finalité naturelle vient d’Aristote : la nature (l’essence, l’être des choses) est ce qui fait que les choses sont ce qu’elles sont, elle désigne un principe de croissance, de production. La nature des choses est la fin en fonction de laquelle cette chose se développe (l’arbre jaillit ainsi de la graine et croît jusqu’à devenir pleinement arbre). Les êtres vivants ne se développent pas au hasard, mais en vertu de la finalité de la nature.

 

- On peut, selon Aristote, comparer la production naturelle à la production humaine d’objets techniques et différencier quatre types de causes, la cause étant l'ensemble des conditions d'existence de quelque chose : matérielle, formelle, efficiente, finale.

 

·       La cause matérielle : ce dont une chose est faite (exemple : le marbre de la statue).

 

·       La cause efficiente ou motrice : l'auteur de la statue, le sculpteur, l'agent. Par exemple, à partir du bois on peut faire un lit : la matière – le bois – est lit en puissance, elle ne deviendra lit réel que par le travail de l’artisan – cause efficiente.

 

·       La cause formelle : le dessein ou l'idée que le sculpteur inscrit dans la pierre ou le bois (le travail de l’artisan qui fait un lit à partir du bois est guidé par le plan qu’il poursuit).

 

·       La cause finale : le plan que poursuit l’artisan dans la réalisation du lit est fonction du but à atteindre. De ce en vue de quoi il agit – le gain, le plaisir, la réputation, etc. La fin est dite une espèce de cause parce que la production d’un objet peut s’expliquer par ce pour quoi il est fait. Ainsi, pour donner un autre exemple, la coupe est fabriquée en vue du sacrifice, la chaise pour s’asseoir, les phares d’une voiture pour éclairer, les yeux pour voir, les oreilles pour entendre, etc.

 

- Ainsi, à partir du bois on peut faire un lit, de sorte que la matière – le bois – est lit en puissance, mais elle ne deviendra lit réel que par le travail de l'artisan (cause efficiente), guidé par le plan qu'il poursuit (cause formelle), ce plan étant lui-même fonction du but à atteindre (cause finale).

 

- La nature ressemble donc bien à la production intelligente humaine, en ce qu’elle s’oppose au hasard. Mais, à la différence de la production humaine, la nature n’est pas une intelligence consciente ; la finalité y est comme spontanée et inconsciente, la nature ne procédant pas à proprement parler d’un art.

 

- Aristote distingue ensuite la finalité interne de la finalité externe :

 

·       La finalité interne désigne le rapport d’une partie au tout - ce tout constituant une entité distincte : dans le vivant, ce sera le rapport de l’organe à l’organisme, dans le domaine technique ce sera le rapport de la pièce au mécanisme ou du mécanisme à la machine.

 

·       La finalité externe désigne le rapport qu’une entité (par exemple un être vivant) entretient à une autre en termes de moyens / fins : dans le règne animal, si je dis que la proie est faite pour le prédateur, ou dans le rapport végétal / animal que l’herbe est faite pour nourrir les herbivores, la finalité est dite relative ou externe. La finalité externe suppose que la nature en son ensemble  soit une unité finale.

 

- La nature, principe producteur des êtres, est une combinaison de matière et de forme. La forme n'est pas la simple configuration externe, mais ce qui produit la structure interne et explique la formation de tel adulte à partir de tel embryon. La matière est l'indéterminé, le passif; la forme est ce qui organise les fonctions vitales.  Cette distinction de la matière et de la forme recoupe une autre distinction : la puissance et l'acte, le potentiel et l'actuel. La puissance est une virtualité, une potentialité de changement, une possibilité qu'un être est capable de réaliser mais qu'il ne réalise pas actuellement. Telle matière est en puissance tel objet fabriqué à partir d'elle : par exemple, le morceau de bois est un lit en puissance, le gland enveloppe la puissance de devenir chêne, l'embryon celle de devenir adulte. On dira que l'oeil ne voit pas pendant le sommeil. La matière n'enferme l'opération qu'en pointillé et la forme devra activer ce qui attendait ou sommeillait.

 

- Si la nature ne fait rien en vain, si elle est un principe producteur analogue à la pensée intelligente, pourquoi ne réussit-elle pas à produire toujours des êtres parfaits ? Comment résoudre l'énigme des échecs de cette vie, de ses ratés ? Comment expliquer les monstruosités dans la nature ?

 

- Le monstre exprime l'impuissance de la nature comme forme à modeler parfaitement la matière : l'indéterminé est rebelle à la forme. La monstruosité, dont la science est la tératologie, est imputable à la seule résistance et pesanteur de la matière. Le matériau pèse trop et ne se plie pas à l'inspiration morphogénétique; la contrefaçon se décrit en termes d'absences ou d'excès : par soustraction (soudure de deux fragments séparés) ou addition (une partie surnuméraire).

 

- En sens inverse, le vivant réussi est celui qui est équilibré où les fragments sont justement répartis. Deux principes président à la mise en place de l'architecture du vivant réussi : celui de symétrie (la plupart des appareils sont doubles : deux oreilles, deux narines, deux poumons; le foie doit être rapproché de la rate…); celui du contrepoids (construction proportionnalisée): tout débordement ou déficit doit être compensé (par exemple, les pieds fourchus s'accorderont avec l'existence de cornes parce que la nature rend à la tête ce qu'elle a enlevé aux membres inférieurs; les oiseaux ont des ailes puissantes mais des pattes courtes. La morphologie ne résulte pas d'un simple cumul mais obéit aux principes d'intelligibilité et de calcul. Idée d'un plan d'ensemble.

 

- Aristote a fabriqué les premières catégorisations du fonctionnement vital.

 

c)     Le mécanisme : la nature dénuée de finalité (texte de Descartes, in Les principes de la philosophie, 4e partie)

 

- La théorie cartésienne avait précisément pour but de s’opposer au finalisme aristotélicien. Descartes élabore son système philosophique au début du XVII° lors de la naissance de la physique, science de la nature chronologiquement première et donc exemplaire. La faillite de la physique aristotélicienne avait pour origine son finalisme: c’est parce qu’on pensait qu’un corps lourd se dirigeait vers le bas pour rejoindre son lieu naturel que l’on ratait le mécanisme physique. La recherche du but constituait un obstacle épistémologique au simple constat d’un rapport constant entre les mesures de masse et de distance.

 

- Idées principales du texte :

 

1. " Je ne reconnais aucune différence…naturelles (ligne 11) " : Ame et corps sont deux substances différentes. Le corps fonctionne comme une machine dont les principes mécaniques relèvent des lois physiques régissant indistinctement tous les corps matériels. Le mot " machine " est à prendre au sens des " automates " dont la technologie se développe au XVIIe siècle. Les horloges, les fontaines artificielles, les moulins sont caractérisés par le fait qu'ils ont la capacité de fonctionner par eux-mêmes ( grec automatos : qui se meut de lui-même), une fois leur construction achevée.

 

2. " Les principes des corps naturels relèvent des mêmes lois physiques que les mécanismes des machines construites par les hommes. Il faut donc étudier le vivant selon la même méthode que celle utilisée dans les sciences physiques. Allusion de Descartes à ses recherches physiologiques sur la fonction du coeur, la vision, etc.

- Descartes en retient qu’il faut se garder de tout finalisme. Si la pensée (res cogitans) répond bien aux catégories de projet, d’intention, de fin, il n’en va pas de même de la matière (res extensa) qui n’obéit qu’aux causes efficientes. La physique cartésienne établit une stricte séparation entre la pensée et la matière, séparation qui met fin  à la finalité aristotélicienne. L’âme n’est présente que dans l’homme et désigne sa faculté de penser. Le sujet, le cogito, ne peut être que le seul et unique pôle de sens, de sorte que la nature est désinvestie de toute valorisation morale. Le corps est comparable à tout autre et devient réductible à un modèle mécanique.

 

- La finalité cartésienne est limitée au seul acte créateur, savoir l’acte divin ; la nature qui se produit à partir du chaos s’ordonne, sans qu’on doive rechercher, dans cet ordre, aucune finalité. La matière est réduite à ses éléments géométriques, à l’étendue ; les lois de la nature, telles que Dieu les a instituées par l’acte de création, se limitent aux lois universelles du mouvement conçu comme déplacement ; la nature est fondamentalement rationnelle, dénuée de toute finalité. Le vivant, quant à lui, dérive de la matière et ne possède aucune finalité. Le monde matériel, la nature sont donc sans âme. Le vivant n'exprime aucune téléologie; la physiologie dérive de la physique.

 

- Le dualisme cartésien est unificateur : il ne peut pas y avoir de différence de nature entre la matière et le vivant, le second est simplement plus complexe que le premier. Le “mécanisme” du vivant est réductible au mécanisme de la matière (on dirait aujourd’hui : à ses conditions physico-chimiques). L’animal est une sorte de machine: cela signifie que ce qui meut un automate n’est guère différent que ce qui meut un corps vivant. Il n’y a pas de “principe vital” ou d’âme” susceptible d’expliquer la vie. La “vie” comme principe spécifique différent de la matière n’existe pas.

 

- La comparaison du corps à l’automate sert de modèle théorique pour souligner la similitude de fonctionnement malgré la dissemblance de composition. Par ce modèle mécaniste du vivant s’exprime la volonté d’éliminer du vivant toute finalité interne, les organes n’étant pas faits en vue de telle ou telle fonction : leur arrangement seul rend compte de la fonction remplie. Par exemple, la vie s’entretient par la chaleur et le mouvement du sang irriguant et nourrissant les parties corporelles et les maintenant en état de fonctionnement. Descartes a vu des automates, machines imitant le vivant et capables de se mouvoir, il veut développer une étude strictement géométrique de la matière. Les principes du vivant peuvent être traduits en termes de mécanique : pression, traction, gonflement, etc. Il est alors possible d’analyser, de décomposer la machine corporelle sans se référer à une intention.

 

- D’où la théorie des animaux- machines. L’homme se spécifie par le langage, signe de la pensée. L’animal est exclu de ces capacités, ils n’ont ni sentiments ni passions comme nous. La parole animale, quand elle a lieu par imitation, n’est pas un langage, mais l’effet d’une machinerie sans âme ni signification. De même, l’animal, comme toutes les machines bien faites, fonctionne mieux que l’homme : « Je sais bien écrit Descartes, que les bêtes font beaucoup de choses mieux que nous, mais je ne m"en étonne pas, car cela même sert à prouver qu"elles agissent naturellement et par ressort, ainsi qu"une horloge qui montre mieux l"heure qu"il est que notre jugement. Et c"est sans doute lorsque les hirondelles viennent au printemps qu"elles agissent en cela comme des horloges ».

 

- Descartes souligne néanmoins que l’animal est « plus accompli » que la machine : le corps animal est une machine qui « ayant été faite des mains de Dieu, est incomparablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admirables qu"aucune de celles qui peuvent être inventées par les hommes ». Entre la nature et la machine, en somme, la différence repose sur la complexité.

 

- On a de nombreux exemples de comparaison entre l’animal et la machine. Au XVIIIe siècle, Vaucanson fabrique un canard automate censé représenter, selon les propos de son auteur, « les mécanismes des viscères destinés aux fonctions du boire, du manger et de la digestion ». Les salons des Lumières sont fascinés par des joueurs de flûte automates. On tente même d’inventer une machine qui parle, c’est-à-dire un orgue miniature que certains rêvent de glisser dans le ventre d’une poupée. On invente des prothèses articulées, les premiers pianos mécaniques.

 

- Ces inventions, outre le fait qu’elles constituent des avatars de cette fantastique tentation de se prendre pour Dieu et d’en finir avec les mystères de la vie, renvoient à l’assimilation de l’animal et du vivant à une machine, assimilation qui permet de réduire la vie à des lois rationnelles, excluant les imprévus. Si l’animal est une machine, à travers lui, ce sont les mécanismes répétitifs de la vie que l’on peut étudier, en excluant le vécu des expérimentations.

 

- Au total, quelles sont les conséquences du mécanisme cartésien ?

 

·       Il constitue d’abord une première étape nécessaire pour comprendre scientifiquement le vivant sous les mêmes lois physiques que l’inerte.

 

·       Pour lutter contre les causes finales aristotéliciennes, il construit l’analogie entre le vivant – l’animal et le corps de l’homme – et une machine (l'horloge).

 

·       Pour tenir compte de l’âme en l’homme, il instaure le dualisme des substances.

 

·       Le mécanisme cartésien exige donc une conception de l’animal comme machine, une compréhension des vivants comme systèmes soumis à l’ordre et à la régularité des lois éternelles de la nature. Du coup, le mécanisme cartésien exclut de voir dans la nature la manifestation de fins.

 

- Mais, si la réduction du vivant au modèle de la machine fut pour l’intelligence du vivant un paradigme fructueux, elle rend néanmoins aveugle aux spécificités du vivant et de l’organisme.

 

d)     Kant : retour au finalisme contre le mécanisme

 

- En reprenant les concepts aristotéliciens pour rendre compte du vivant, Kant s’oppose au mécanisme cartésien et à sa théorie de l’animal-machine. Le paradoxe kantien, c’est le retour à Aristote contre Descartes : il y a bien une différence de nature entre matière et vivant. Et si le concept de finalité doit être évacué de la physique, il doit être réintroduit en biologie (le nom de biologie n’apparaît qu’en 1802). Une machine n’est pas un bon modèle pour comprendre l’organisme. C’est même contre la machine que l’organisme peut être compris. Le vivant n'est pas une machine.  Quelle en est la différence ?

- La ressemblance, tout d’abord, est le rapport des parties au tout : chaque rouage de la montre existe par rapport aux autres en vue du mécanisme global ; de même chaque organe existe par rapport aux autres organes en vue de l’organisme : cette espèce de solidarité des parties dans leur rapport au tout est identique. La différence apparaît dans l’auto-régulation de l’organisme qui le rend capable de résister aux agressions du milieu et de se réparer. La maladie n’est pas la panne. La machine ne peut pas compenser une défaillance et la réparer : c’est la panne. La maladie, à l’inverse, est un désordre organique global qui manifeste que le corps réagit comme un tout à la défaillance. Notion de solidarité auto-régulée.

 

- Texte de Kant, in Critique de la faculté de juger.  3 idées importantes :

 

1.     Si le mouvement de la montre est l'effet de chaque rouage du mécanisme, aucun de ces rouages n'est l'effet d'un autre. La cause efficiente de la montre est l'horloger qui en produit chaque rouage.

 

2.     Chaque pièce de la montre est dans le mécanisme pour produire le mouvement des aiguilles qui indiquera l'heure, ce qui est la finalité de la montre, ce à quoi elle sert. La cause finale de la montre est contenue dans le projet de l'horloger. Lire les exemples que donne Kant lignes 7 à 15.

 

3.     On ne saurait affirmer que les êtres vivants résultent d'un projet, qu'ils sont la réalisation de l'intention consciente d'une force ou d'un être extérieur. Il est tout aussi impossible de prouver qu'une disposition quelconque de la nature n'ait pas du tout de fin. L'idée de finalité n'a aucune objectivité scientifique mais elle est indispensable à celui qui étudie la vie.

 

- Comprendre le vivant, c’est comprendre les parties constituant le tout comme existant pour réaliser une fin comme se maintenir en vie (comme individu) ou se reproduire (se maintenir en vie comme espèce). On comprendra ainsi l’organe par rapport à la fonction qu’il assure pour le tout : l’estomac se comprend dans sa fonction de digestion qui lui-même répond au maintien en vie de l’individu.

 

- Le principe de finalité apparaît nécessaire pour décrire le vivant, alors qu’il n’apparaît pas tel pour décrire la matière. Ainsi ne rend-on pas compte de l’évaporation de l’eau ou de la dilatation des métaux (devenir) par rapport à une fin. Si on ne fait pas appel à ce principe de finalité pour les êtres vivants, comment alors comprendre les parades (de séduction ?) des animaux, l’art du camouflage, etc. ? L’idée même d’adaptation au milieu si importante en biologie suppose une fin.

 

- Kant posera la téléologie comme un principe régulateur (et non constitutif) de la connaissance du vivant. L’introduction de la finalité est justifiée par un besoin d’intelligibilité : la raison réclame un fil conducteur pour une compréhension d’ensemble de la nature. La finalité sert à introduire le concept de disposition comme problème : une disposition naturelle ne peut être comprise que par sa fin; comprendre un organe, c’est comprendre à quelle fonction il est destiné. Compréhension biologique du vivant : la nature ne fait rien en vain mais agit en fonction d’une finalité (on parle ainsi des êtres vivants comme des organismes ou êtres organisés). Le principe de finalité est un principe d’explication jugé plus rationnel que le simple recours à la contingence des êtres vivants.

- De même, le principe de finalité s’applique à l’homme qui est d’abord un être de la nature. Mais l’expérience de l’histoire nous livre un agrégat de faits dispersés et sans lien, un tissu d’absurdités. La nature n’a - t - elle donc pas créé l’homme en vain ? Face à cette diversité, la raison a besoin d’une unité qui est exprimée dans l’idée d’un dessein de la nature à l’oeuvre dans l’histoire ; ce dessein donne un sens à l’histoire. Rôle régulateur de l’idée de finalité : l’idée d’une sagesse agissant dans une intention providentielle favorise une vision plus complète et plus complexe de l’expérience, incite à totaliser le champ des phénomènes, alors que l’idée de hasard multiplie la dispersion, insiste sur l’accidentel.

 

- Le vivant est donc reconnaissable à un certain nombre de caractéristiques que la biologie a progressivement dégagées :

 

1)     L’organisme constitue un individu distinct et cette individuation n’est pas seulement spatiale (une pierre paraît constituer un individu, mais quand on la brise en deux, il y a deux pierres ; si on coupe un animal en deux : il meurt, c’est-à-dire disparaît comme animal). Les êtres vivants sont donc des systèmes dont tous les organes sont interdépendants et ont des fonctions qui concourent à la conservation du tout.

 

2)     L’organisme est ce qui naît et meurt. Il se maintient entre naissance et mort, et généralement il croît : il entretient pour ce faire des relations avec son milieu (il assimile des éléments du milieu qui lui permettent de se maintenir comme individu = nutrition, respiration).

 

3)     Il se reproduit à l’identique.

 

4)     Il est capable d’autorégulation (l’organisme malade, par exemple, secrète des anticorps) et d’autoréparation (le phénomène de la cicatrisation, par exemple). La vie est donc création ; elle est, selon la formule de Bichat (1771-1802), « l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort ».

 

- Certains scientifiques contemporains, comme Jacques Monod, dans son livre Le hasard et la nécessité, comprend les manifestations de la vie en termes de buts ou de projets : « dans leur structure et leurs performances les êtres vivants réalisent et poursuivent un projet ». C’est ce que Monod appelle le caractère « téléonomique » des êtres vivants (du grec telos, « fin », et nomos, « loi »). La téléononomie est l'activité cohérente, orientée, constructive du vivant en vue de se conserver.

 

- Monod qualifie les êtres vivants « d'étranges objets ». Qu’est-ce qui, en effet, permet de distinguer un objet artificiel d’un objet naturel ? Imaginons qu'un vaisseau spatial explore une planète lointaine. Comment faudrait-il le programmer pour qu'il repère les traces du passage d'un éventuel vaisseau envoyé par d'autres êtres intelligents . Autremen tdit, par quels critères objectifs distinguons-nous les " objets artificiels, produits d'une activité projective consciente " des " objets naturels, résultant du jeu gratuit des forces physiques " ?  Rocher, montagne, fleuve, nuage sont des objets naturels ; couteau, mouchoir, automobile sont des objets artificiels. Les objets artificiels  sont les produits d’une activité projective consciente, les objets naturels sont le résultat de forces physiques apparemment sans projet. Cette distinction n’est pas satisfaisante car la ruche, par exemple, est artificielle, selon le critère précédemment établi, en ce sens qu’elle est le produit de l’activité des abeilles.

 

- Selon Monod, l’une des propriétés fondamentales d’un être vivant réside dans le fait qu’ils sont des objets doués d’un projet (l’oeil, par exemple, représente l’aboutissement d’un projet, celui de capter des images. Ce sont en plus des machines qui se construisent elles-mêmes. La structure macroscopique d’une machine artificielle résulte de l’application, aux matériaux qui la constituent, de forces extérieures à l’objet lui-même. Au contraire, la structure d’un être vivant résulte d’un déterminisme autonome, impliquant une liberté à l’égard d’agents ou conditions extérieures. Les êtres vivants se distinguent ainsi des artefacts par le caractère autonome et spontané des processus qui constituent leur structure.

 

Les limites du finalisme : la notion de programme

 

- On peut s’interroger toutefois sur les limites du finalisme. Kant n’était-il pas limité dans son raisonnement par les machines de son temps ? Le pilotage automatique des avions est capable d’intégrer des données nouvelles et de réagir par rapport à elles. De même le téléguidage d’un missile lui permet d’atteindre sa cible mieux que ne le ferait un guidage humain. Mais ces machines modernes se caractérisent alors en ce qu’elles sont téléologiques : le mécanisme exécute un programme qui intègre des variations possibles (logique floue) en fonction de données circonstancielles mais toujours en vue d’une fin prévue. Le mécanisme ne s’oppose plus ici à la téléologie.

 

- La notion de programme semble devoir réconcilier mécanisme et finalisme, voire machine (moderne) et vivant. Qu’est-ce que le passage aristotélicien de la puissance à l’acte sinon l’exécution d’un programme ? Mais le problème propre à tout mécanisme réapparaît : car en dernière instance, le programme de la machine a été mis au point par l’homme et pour lui. La fin du programme est extérieure au programme lui-même. Qu’en est-il alors du programme génétique ?

 

e) La constitution de la biologie comme science

 

- C’est Lamarck qui, en 1802, dans Théorie de l’évolution des espèces, fonde le nom « biologie ». Trois grandes découvertes fondent la biologie comme science.

 

- Dates importantes concernant l'histoire de la biologie :

 

·       1859-1882 : recherches de Darwin sur l'évolution des espèces.

·       1865 : lois de l'hérédité de Gregor Mendel.

·       1944 : découverte de l'ADN, porteur de l'information génétique.

·       1953 : Crick et Watson analysent la structure de l'AND, qui explique le mécanisme de l'hérédité.

·       1973 : premières manipulations génétiques sur les microbes.

·       1986 : début du programme américain du génome humain.

·       1996-1997 : clonage de mammifères.

 

1) La théorie cellulaire

 

-        D’abord la théorie cellulaire élaborée vers 1839 par Schleiden et Schwann. Le mot de cellule apparaît en 1665 dans l’ouvrage d’un botaniste anglais Robert Hooke qui, ayant examiné une mince tranche de liège, y avait reconnu une structure alvéatoire ou poreuse ; il aviat donné le nom de cellule à ces pores miniscules qu’il avait retrouvés dans d’autres végétaux (fougère, carotte…). Cellule vient du latin cellula qui veut dire « petite chambre ». Mais Hooke n’avait pas soupçonné la véritable nature et la signification de la cellule.

 

-        C’est avec la théorie cellulaire  qu’est véritablement établie l’existence d’un constituant commun à tous les êtres vivants, la cellule, unité élémentaire de la vie, point de départ du développement individuel. Cette découverte a été rendue possible grâce au perfectionnement de la microscopie optique et la mise au point de nouvelles méthodes cytologiques.

 

-        La théorie cellulaire a ouvert de grandes perspectives : elle anticipe l’approche évolutionniste en dévoilant une secrète affinité structurale entre tous les êtres vivants ; elle éclaire le mécanisme de la génération, les processus du développement embryonnaire.

 

2) Les théories de l’évolution

 

-        Lamarck et Darwin essaient de comprendre l’histoire des espèces et ruinent définitivement l’idée qu’elles ont été créées, dès l’origine, une fois pour toutes (« fixisme »). La question qui est posée est la suivante : comment les éléments matériels, chimiques, se sont-ils combinés pour aboutir à des organisations adaptatives vivantes si perfectionnées ?

 

-        Les théories de l’évolution de Lamarck et Darwin ont pour point commun l’idée d’une évolution des espèces par différenciations successives. Ces deux théories se distinguent néanmoins par l’explication proposée du mécanisme de l’évolution naturelle.

 

-        Le lamarckisme est fondé sur deux thèses : l’action du milieu sur les individus modifie la structure des organes, soit par l’apparition de besoins nouveaux, soit par la disparition de besoins antérieurs devenus inutiles (usage ou non-usage des organes liés à ces besoins) ; cette modification devient héréditaire (hypothèse de l’hérédité des caractères acquis) et se propage à toute l’espèce.

 

-        Le darwinisme (Darwin, 1859, L’évolution des espèces) explique l’évolution par la « sélection naturelle ». Tout individu étant confronté à la double nécessité de pourvoir à sa nourriture et de se reproduire, la concurrence vitale entre les espèces permet aux mieux adaptés de transmettre le nouveau caractère acquis (Darwin, comme Lamarck, soutient l’idée d’une hérédité des caractères acquis. La production d’un caractère biologique différent est aléatoire, la fonction adaptative ne résulte que de la meilleure capacité de reproduction des plus aptes. Idée de progrès dans l’échelle des espèces. Il s’agit, dans la nature, de discriminations qualitatives qui favorisent les porteurs de variations avantageuses, l’éliminations des moins avantagés n’étant qu’une conséquence.

           

LA DEUXIEME PRESENTATION

 

 

I) Présentation

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- Le pessimisme moral de l’introduction sert de déclencheur rhétorique à l’argumentation. L’homme est un animal rationnel qui se conduit collectivement de façon puérile : la raison ne lui sert donc à rien sinon comme moyen d’alimenter ses passions. Cette raison qui reste désespéremment en puissance apparaît comme une contradiction dans l’étude téléologique de la nature : la raison humaine est une anomalie pour autant qu’elle ne se développe pas. La deuxième proposition fait donc reposer sur l’espèce entière le principe d’un développement final des dispositions caractéristiques de l’humanité. L’espèce est le bénéficiaire de l’accomplissement des fins naturelle de l’homme. Kant étend la finalité naturelle en une finalité de l’espèce humaine : la nature fait que nous devenions raisonnables et libres. L’histoire est alors la longue éducation de l’espèce, le chemin qui la rapproche de sa véritable destination.

 

II) Idées principales

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1.     Pour développer pleinement ses aptitudes, l’individu devrait jouir d’une vie illimitée, ce qui manifestement n’est pas le cas. L’homme se distingue ainsi de l’animal par la nécessité où il se trouve de s’éduquer. La nature a rendu l’homme apte à la liberté, capable d’agir en fonction des fins qu’il se propose.

 

2.     L’espèce, dans la succession continue des générations, compense la précarité de l’existence individuelle; la société filtre en quelque sorte les produits de l’activité humaine, elle ne conserve et n’organise que ce qui est digne de durer. L’espèce, par le relais des générations, accomplira ce qu’un individu est trop faible pour accomplir.

 

3.     Si l’histoire ne manifestait pas alors dans le cours de son développement un progrès moral de l’espèce, cela réduirait à néant l’idée même de moralité et ferait de l’existence humaine une pure absurdité.

 

III) Commentaire

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-        Cette 2ème proposition donne donc une définition de l’histoire : l’histoire est la transmission de l’acquis d’une génération à la génération suivante, de telle sorte que la raison se développe pleinement dans l’espèce. Le début de l’histoire, c’est la raison en puissance (comportement irrationnel de l’individu dans son rapport à autrui) ; la fin de l’histoire, c’est la raison en acte (comportement rationnel de l’homme animal politique).

 

-        La différence entre l’animal et l’homme se situe dans cette historicité de l’homme: l’animal se reproduit à l’identique alors l’homme transmet par l’éducation ce qu’il possède d’expérience. L’histoire est rendue possible par cette transmission.

 

           

-        Pourquoi la raison a-t-elle besoin de plus temps que la vie d’un individu ? La raison a besoin d’apprentissage, d’essais, de tentatives, d’échecs. L’instinct sait tout ce qu’il doit savoir immédiatement : il en sait d’emblée plus que la raison, mais n’est pas capable de plus que ce qu’il possède d’emblée. C’est parce que la raison est plus maladroite qu’elle peut être plus adroite. L’instinct développe un programme qui ne se sait pas lui-même alors que la raison ne développe que ce qu’elle a posé elle-même comme projet : elle suppose la liberté.

 

-        Kant revient donc sur son geste inaugural : la liberté n’est pas vraiment hors du champ de l’histoire. C’est même parce que l’homme est libre que la raison ne peut pas se développer mécaniquement comme l’instinct. Et c’est parce qu’elle ne se développe pas mécaniquement qu’il faut faire appel à la téléologie. La raison est expérimentation libre. Elle procède par étapes de rationalisation : la vie d’un individu n’y suffit pas, il faut supposer la vie de l’espèce.

 

-        Kant anticipe des thèses qui ne seront développées que plus tard :

 

a.      La nature de l’homme réside dans sa culture : dire que l’homme est rationnel n’est pas dire que l’homme est raisonnable, mais que sa raison en puissance se développe dans la culture que chaque génération intériorise.

 

b.     L’histoire suppose le progrès. Mais ce progrès n’est pas tant un progrès intellectuel ou technique qu’un progrès dans les rapports civiques. C’est plus l’organisation de l’espèce qui se rationalise que l’individu en lui-même qui deviendrait plus intelligent. Mais s’assigner pour but le bien des générations futures ne risque-t-il pas de faire admettre trop facilement l’oppression dans la présent ? (beaucoup de despotes ont souvent prétendu fonder leur légitimité sur l’assurance que les efforts des hommes porteront leurs fruits seulement pour les générations ultérieures).

 

-        Pour Kant, il s’agit de l’idée d’un progrès à faire, progrès indéfini, qui ne cesse jamais : nous avons toujours à progresser parce qu’un homme sans aspiration est un homme mort; nous ne sommes pas réductibles à ce que nous sommes (nous pouvons toujours mieux faire) et pourtant, étant finis, il restera toujours à nous améliorer. La représentation de l’histoire comme progrès nous aide à ne pas désespérer de l’humanité, à nous donner espoir en l’avenir, et à nous apprendre à ne pas nous contenter de ce que l’histoire a fait de nous.

 

 

TROISIEME PROPOSITION

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Questions de compréhension : 3ème proposition

 

a)     Comment la troisième proposition est-elle liée à la précédente ?

 

b)     Dans quelle mesure le dénuement de l’homme est-il aussi son avantage ?

 

c)     En quoi le sacrifice des générations est-il à la fois une énigme et une nécessité ?

 

 

 

 

I) Présentation

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- Il s’agit sans doute de la proposition la plus finaliste de l’article. Kant va montrer que l’insuffisance, chez l’homme, de la dotation animale, crée par elle-même une disposition à l’humanité, du fait que la destination de l’homme est d’outrepasser les limites de son être simplement physique. Les individus doivent créer ce que ne leur donne pas la nature. Conception paradoxale du rôle de la finalité de la nature en l’homme ; la finalité de l’existence humaine est de s’arracher à la nature; le fait que l’instinct n’impose aucune forme fixée de satisfaction signifie que l’humanité n’a pas d’autre nature que de s’élever au-dessus de la nature. La raison en l’homme signifie qu’il a une vocation d’être libre; la liberté est notre véritable destination.

 

II) Idées principales

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1.     Pourvu par la nature de raison et de liberté, il appartient à l’homme d’exploiter ses qualités. Il est responsable de ce qu’il devient. La nature ne pourvoit pas immédiatement aux besoins humains; alors que l’animal est spécialisé, prisonnier d’un type déterminé d’activité, l’homme est capable d’apprendre, d’inventer, il doit tout tirer de lui-même et est par nature “cultivable”. Rôle fondamental du travail et de la technique par lesquels l’homme conquiert sa liberté et qui produisent véritablement la culture.

 

2.     L’usage de la raison et de la liberté aboutit d’une part au développement des sciences et des techniques - donc à une existence plus facile -, d’autre part à la réalisation d’une vie plus heureuse dont l’homme seul portera le mérite. La générosité de la nature est une fausse idée en ce qui concerne l’homme. La nature a voulu que nous devenions libres et raisonnables par nos propres efforts. L’homme a une tout autre nature que les autres animaux : la raison lui a été donnée pour qu’il devient vertueux et sage.

 

3.     L’idée d’une finalité naturelle qui fait de l’histoire un progrès de l’humanité implique que les générations futures profiteront du fruit des peines et des misères de leurs aînées et jouiront ainsi d’un privilège. Il y a là apparemment une injustice de la nature que nous ne comprenons et qui demeure mystérieuse.

 

III) Commentaire

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-        La nature est sujet et reçoit par là-même tous les attributs du sujet : elle possède une volonté, elle “ne fait rien en vain”, elle “n’est pas prodigue”, elle éprouve du “plaisir”, elle “tient” à la moralité de l’homme plus qu’à son “bien-être”. Mais Kant accumule, au fur et à mesure du texte, les précautions comme pour diminuer les risques anthropomorphiques : “semble” et “comme si” apparaissent deux fois chacun. Par ailleurs, la réponse de l’homme à la volonté de la nature se fait sous la forme du devoir (sollen) : l’homme “ne doit pas être dirigé par l’instinct” mais “doit tout tirer de lui-même”.

 

-        Mais cette nature est “étrange” : et la fin du texte paraît désamorcer la dérive théologique de la proposition. Cette nature est, en effet, à la fois sujet moral kantien absolu et disciple de Machiavel. L’étrangeté réside dans la différence entre la fin et les moyens.

                       

·       1. La fin est morale : c’est la dignité humaine. Et cette dignité a pour origine la liberté. L’homme n’est pas déterminé par l’instinct, et en ce sens il est le plus démuni des animaux. A la place, il possède la raison (cf fable sophiste : Epiméthée / Prométhée). Mais la raison n’est pas le simple substitut de l’instinct. Il ne s’agit pas de donner à l’homme la simple capacité d’atteindre le niveau de l’instinct. Il s’agit bien plutôt de le rendre responsable de cette capacité. La raison est à la fois théorique, technique et morale. L’homme doit connaître, réaliser et être responsable de cette réalisation. La nature se dépasse et peut trouver son achèvement grâce à un être libre. La ruche constitue peut-être une société parfaite, mais quel intérêt cela représente-t-il si cette perfection est purement mécanique ? Une société parfaite d’êtres libres constitue une toute autre dimension. L’histoire n’est donc pas en rupture avec la nature : elle constitue son achèvement. L’émergence d’une société morale (= rationnelle et libre) est le point le plus haut de la nature.

 

·       2. Les moyens sont immoraux. La raison pour se développer a besoin d’essais. Les propositions suivantes montreront que ces essais sont les multiples conflits et guerres qui contraignent les peuples à faire la paix pour ne pas périr. La société civile parfaite (ou tout moral) n’est obtenu à la fin de l’histoire que grâce au sacrifice (involontaires) des générations intermédiaires. Les peuples s’entretuent par passion et découvrent la raison par épuisement de leur bêtise : la nature le sait et a choisi cette stratégie “volontairement”. Les générations sacrifiées le sont pour les générations dernières, qui seules connaîtront la moralité rationnelle. Ce ne sera pas tant leur mérite propre qu’un mérite progressivement conquis. La moralité dernière (la fin - au deux sens du terme - de l’histoire) suppose l’utilisation à leur dépens des générations intermédiaires. Celles-ci sont donc utilisées par la nature comme des moyens pour réaliser sa fin.

 

-        Or, la philosophie pratique (morale) de Kant pose comme loi morale qu’un homme ne doit jamais être visé comme moyen mais toujours aussi comme fin. La nature serait donc immorale en tant qu’elle sacrifie des générations entières. Mieux : elle éprouverait du plaisir (comme si) en dotant l’homme si court qu’il devrait tout découvrir par lui-même. La multiplication des essais et donc des échecs ressemblerait à un “malin” plaisir “éprouvé” par la nature.

 

-        Mais Kant accepte l’étrangeté immorale sous couvert de nécessité. La fin de l’histoire justifie les moyens. La fin n’est pas individuelle : il s’agit du destin de l’humanité entière. Inutile de dire que ce n’est pas la dernière fois que le sens de l’histoire est invoqué comme justification de l’action (politique).

 

IV) Références

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-        Lorsque Kant décrit les dispositions naturelles de l’homme au tout début de la 3ème proposition, il fait implicitement référence au mythe de Prométhée dans Protagoras de Platon : les dieux chargent Epiméthée et Prométhée de répartir entre les êtres vivants les qualités qui leur permettront de survivre et de se reproduire. Mais Epiméthée a oublié l’homme. Prométhée, qui a eu pitié de nous, a volé aux dieux la connaissance des Arts et celle du feu. Cela signifie que l’homme est nu, qu’il est contraint d’inventer sa propre nature, de se faire homme, alors qu’il n’y a chez l’animal que nature. L’homme est l’être qui travaille et qui est le produit de son propre travail.

 

-        Mais, à la différence du mythe qui fait de l’homme un être faible que la nature n’a pas rendu viable et qui a besoin d’artifices pour vivre, Kant pense que la nature a très sagement privé l’homme d’instinct et l’a mis au monde comme nu pour le contraindre à cultiver sa raison : ce qui apparaît dans le mythe raconté par Protagoras comme une imprévoyance de la nature devient ici une preuve de la Providence.

 

-        Kant insiste sur l’auto-production de l’homme par lui-même, thème qui sera central chez Marx. Il récuse la conception chrétienne d’une humanité heureuse au paradis mais aussi toutes les spéculations sur le bonheur des “sauvages”? C’est en terme d’obstacles qu’il faut envisager le développement de l’humanité. Les notions d’effort, de peine, de travail, de mérite, appartiennent à la tradition protestante (comme l’a montré Max Weber ) à laquelle Kant se rattache.

 

-        Remarquons, enfin, que le raisonnement de Kant est présenté, tout au long du texte, sur un mode hypothétique (“comme si”). Il est en effet impossible de prêter des intentions et des buts à la nature, si l’on reste sur le terrain objectif de l’observation et de l’expérimentation. Il s’agit, en réalité, de la part de Kant, d’une adhésion au système providentialiste dont il sait qu’il ne peut en aucun cas être prouvé.

 

QUATRIEME PROPOSITION

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Questions de compréhension : 4ème proposition

 

 

 

a)     Pourquoi, selon Kant, le mal est-il la cause positive du développement de la raison humaine ?

 

b)     En quoi l’inertie est-elle un plus grand mal que la discorde ?

 

 

 

 

 

I)                Présentation des propositions 4 à 8

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-        Les trois premières propositions mettent en évidence le fait que  l’on échappe à l’absurdité , au niveau de l’histoire, par la considération de l’avenir et du devenir de l’espèce humaine. La finalité exprime un besoin d’intelligibilité qui représente le point de vue de la totalité du développement possible de l’humanité. Dans les propositions qui vont suivre, il s’agira de cerner l’orientation de la destination finale de l’humanité dans les progrès du droit.

 

-        Les propositions 4 à 8 analysent la dimension juridico-politique de l’histoire. Elles permettent d’aborder les notions au programme suivantes : la société, l’Etat, le pouvoir (TL), la violence (TL), le droit. Elles permettent de réfléchir sur la politique en général.

 

II) Sujets de dissertation que les propositions 4 à 8 peuvent suggérer

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1) La société :

 

- En quel sens peut-on dire que l’homme est un animal politique ?

- Une communauté politique n’est-elle qu’une communauté d’intérêts ?

- L’intérêt général est-il la somme des intérêts particuliers ?

- L’intérêt est-il l’unique lien social ?

- La cité se compose-t-elle d’individus ?

- L’inégalité des hommes rend-elle impossible l’égalité des citoyens ?

- Faut-il distinguer le citoyen dans l’Etat et l’individu dans la société ?

- Une société sans conflits est-elle possible ? Est-elle souhaitable ?

- La vie en société n’a-t-elle pour fondement que la complémentarité des besoins ?

- Les décisions d’un groupe peuvent-elles être rationnelles ?

- Quelle signification faut-il donner à l’idée de l’égalité entre les hommes ?

- Un citoyen peut-il se prévaloir d’un droit de résistance ?

- Les crises au sein d’une société sont-elles un signe de sa vitalité ?

- Etre citoyen, est-ce un droit ou un devoir ?

 

2) L’Etat :

 

- L’Etat a-t-il pour but de maintenir l’ordre ou d’établir la justice ?

- Peut-on tout attendre de l’Etat ?

- Le rôle de l’Etat est-il de faire régner la justice ?

- La morale relève-t-elle de la compétence de l’Etat ?

- L’individu se réalise-t-il grâce à l’Etat ou contre lui ?

- Les citoyens doivent-ils parfois défendre les droits de l’homme contre l’Etat ?

- L’Etat est-il l’ennemi de la liberté ?

- La fin de l’Etat est-elle la liberté ?

- Le pouvoir de l’Etat est-il facteur de liberté ou d’oppression ?

- L’Etat a-t-il besoin de la mémoire des citoyens ?

- Par quelles voies un Etat peut-il exercer sa souveraineté ?

- Y a-t-il vraiment une “Raison d’Etat” ?

- Est-ce dans la nature de l’Etat de limiter son pouvoir ?

- Pour limiter le pouvoir de l’Etat, peut-on s’en remettre à l’Etat ?

- L’Etat restreint-il la liberté individuelle ?

- La liberté politique se réduit-elle au pouvoir de vivre tranquillement ?

- Peut-on affirmer que la force de l’Etat fait la liberté des citoyens ?

- L’Etat n’impose-t-il l’obéissance que par la force matérielle ?

- Quels sacrifices l’Etat est-il en droit de nous demander ?

- Ce que la morale autorise, l’Etat peut-il légitimement l’interdire ?

- La puissance de l’Etat est-elle condition de l’harmonie sociale ?

- L’Etat est-il l’objet essentiel de la théorie politique ?

- Qu’est-ce que la compétence en matière politique ?

 

3) Le pouvoir :

 

- Le pouvoir repose-t-il sur la contrainte ou sur le consentement ?

- Bien gouverner, est-ce donner satisfaction à l’opinion publique ?

- Faut-il reconnaître quelqu’un comme son maître ?

- Y a-t-il un plaisir à gouverner ?

- L’exercice du pouvoir entraîne-t-il nécessairement l’abus de pouvoir ?

- Faut-il défendre l’ordre à tout prix ?

- Le pouvoir politique peut-il échapper à l’arbitraire ?

 

4) Le politique :

 

- L’action politique peut-elle être autre chose que la recherche du moindre mal ?

- La responsabilité politique n’est-elle réservée qu’à ceux qui gouvernent ?

- Peut-on critiquer la démocratie ?

- La politique peut-elle recevoir son principe de l’éthique ?

- La guerre est-elle la continuation de la politique par d’autres moyens ?

- Peut-on parler de vérité dans le domaine politique ?

- Y a-t-il des tyrans heureux ?

- L’ordre politique exclut-il la violence ?

- Quand peut-on parler de révolution ?

- La politique peut-elle viser à autre chose qu’à l’efficacité ?

- La politique est-elle une technique ?

- Une démocratie véritable est-elle nécessairement une utopie ?

- L’action politique s’exerce-t-elle sur les choses ou sur les esprits ?

 

III) Présentation de la quatrième proposition

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- Kant va développer, dans la 4ème proposition, une réflexion sur le rapport entre la civilisation et les passions. Il montre que, de même que les individus encore sauvages ont dû se contraindre à accepter une situation sociale et politique commune, de la même façon il est permis d’envisager que la civilisation puisse conduire à une liberté morale. La nature se sert ainsi des passions humaines, pour mener à bien son dessein, qui est de développer entièrement leurs dispositions. La nature tire en quelque sorte parti de notre méchanceté qu’elle n’a pas produite, mais seulement prévue, pour nous donner les moyens de nous en débarrasser nous-mêmes.

 

IV) Les idées principales

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- 4 idées-clés :

 

1)  - L’homme ne peut réaliser toutes ses dispositions naturelles qu’en vivant en société. Mais il existe chez l’homme deux penchants contradictoires (“l’insociable sociabilité”) : s’associer avec ses semblables, mais aussi s’opposer à eux, tenter par tous les moyens d’obtenir une satisfaction égoïste. Les hommes sont donc habités par des mobiles contradictoires à l’égard de leur socialisation puisque c’est une “insociable sociabilité” qui les meut. Elle désigne, en chacun, cette lutte entre la liberté naturelle (qui est sauvage et sans loi) et l’intérêt susceptible d’être acquis (en s’associant pour la sécurité).

 

2)  - Quels sont les effets de ces antagonismes ? Kant explique que ceux-ci sont autant d’obstacles que l’individu doit surmonter en mettant en oeuvre toutes ses facultés. S’il ne rencontrait aucun obstacle, l’homme resterait proche de la bête brute. C’est la contrainte qui lui permet de développer son humanité. Le moteur effectif et constant du développement humain est donc l’insatisfaction, issue de la contradiction des passions entre elles. Ainsi s’explique le progrès de la civilisation qui se situe entre deux extrêmes : l’état de grossièreté originaire (état dans lequel l’homme est sans culture) et celui d’une totalité morale (état dans lequel l’homme pourrait se conduire d’après des principes pratiques et non d’après des inclinations naturelles). Le premier état est celui de la dispersion, de la liberté sauvage des individus; le dernier, s’il est réalisé, sera celui de l’unité volontaire des hommes moralisés.

 

3)  - L’homme n’est pas pacifique par nature. Sans quoi rien ne distinguerait l’humanité d’un quelconque troupeau domestiqué.

 

4)     - Il termine en faisant remarquer que ce caractère d’insociabilité peut être tenu pour un bienfait de la nature puisqu’il stimule constamment l’homme. La sagesse de la nature vient de ce qu’elle fait que nos passions doivent contribuer au progrès général de notre espèce. La nature utilise l’insociable sociabilité des hommes pour socialiser et faire progresser l’espèce.

 

 

V) Commentaire

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- La violence inhérente aux sociétés humaines est un des objets majeurs de la réflexion en philosophie politique. Penser la violence, c’est avant tout saisir sa provenance (travail descriptif) de façon à la contenir, voire à la supprimer (travail prescriptif).

 

- Kant reprend de Rousseau l’idée selon laquelle la société est le système qui a pour fonction de transformer des hommes mus par des passions génératrices de désordre en acteurs de leur propre développement. Cf, Rousseau, Contrat social, livre I, chap. 8 : “ le passage de l’état de nature à l’état civil, produit dans l’homme un changement très remarquable en substituant dans sa conduite, la justice à l’instinct et donnant à ses actions la moralité qui leur manquait auparavant “. Rousseau dénonce la société comme génératrice d’une violence qui ne relève pas de la nature humaine et que seul un contrat repensé peut supprimer.

 

-        La notion d’insociable sociabilité renvoie à la philosophie de Locke et de Hobbes : pour Locke, en effet, l’homme est un être sociable par nature et par suite l’Etat a pour seul rôle d’organiser ce qui dépasse la compétence individuelle (notion de sociabilité naturelle que Locke doit lui-même à Aristote : l’homme est un animal politique). Pour Hobbes, au contraire, l’homme est un loup pour l’homme, l’état de nature se caractérise par un état de guerre de tous contre tous; l’Etat a alors pour fonction de réduire par tous les moyens cette insociabilité afin de faire régner la sécurité, bien suprême. Le fondement de l’Etat est donc à chercher dans la nécessité de limiter la violence que les hommes s’infligent et qui relève de leur propre nature.

 

-        L’originalité de Kant, au regard de ces deux thèses, est d’admettre simultanément ces deux penchants et d’affirmer que c’est précisément le jeu des antagonismes entre les hommes qui permet le progrès des sociétés vers la liberté. Kant repense le problème de la violence en lui faisant quitter le terrain de la politique (synchronique) pour l’histoire (diachronique). Il ne s’agit plus de penser la maîtrise de la violence, mais sa fonction. Le cadre est celui d’une téléologie naturelle : si la violence existe, elle a un sens et c’est ce sens qu’il faut comprendre.

 

-        La proposition 4 de “l’histoire universelle au point de vue cosmopolitique” va s’attacher à définir la thèse suivante : la violence sociale - qu’elle soit larvée (concurrence, lutte pour le pouvoir)  ou manifeste (criminalité, séditions, guerres) - est bien un problème politique qu’il faudra résoudre politiquement, mais c’est en même temps le moteur de l’histoire. Il y a une nécessité propre à la violence

 

eux-mêmes qu’ils sont en conflit entre eux. Les contradictions que les hommes connaissent constituent d’abord une contradiction dans la nature humaine même. Il caractérise cette nature par le concept contradictoire d’insociable sociabilité. Et c’est l’insociable sociabilité qui est le moyen assurant le développement de la raison. Mais qu’est-ce que l’insociable sociabilité ?

 

-L’insociable sociabilité est la cause anthropologique de la violence dans les sociétés humaine. L’homme veut et ne veut pas la compagnie des autres. Il en veut les avantages et pas les inconvénients.

 

1) Il est sociable : grâce aux autres “il se sent plus qu’homme”. L’humanité ne peut se rabattre sur le seul individu. Ce que je suis (langage, culture, développement de la raison), je le suis par les autres. C’est par eux que je suis homme. Mais je me sens en même temps plus qu’homme parce que je m’identifie au groupe lui-même : je suis aussi un nous. Cette sociabilité n’est pas un calcul de la raison : c’est un “penchant”, une “disposition”, une “tendance”. Elle relève d’une spontanéité de la nature humaine.

 

2) Il est insociable : si mon désir a besoin d’autrui, il a aussi autrui comme entrave. Si ma liberté s’arrête à celle des autres, c’est d’abord parce qu’ils constituent un obstacle de fait avant d’être une limite de droit. L’égoïsme n’est pas encore ici un défaut moral: c’est un penchant lié à la nature du désir qui recherche sa satisfaction. La nature humaine n’est à ce stade ni rationnelle ni raisonnable (la raison n’est qu’en puissance) : elle est ce donné pathologique (ces penchants sont subis) qui est source du pire (la violence) mais qui engendrera le meilleur (l’état de droit).

 

-L’homme est condamné non pas à inhiber sa violence, mais à la sublimer. En termes freudiens, c’est le principe de réalité qui va forcer l’homme à différer la satisfaction de son principe de plaisir. Et c’est cette différence qui assure le développement de la raison. Ainsi la violence n’est-elle pas inhérente aux sociétés humaines : elle est inhérente à la nature humaine. Et c’est la société qui contraint l’homme à se dénaturer, c’est-à-dire à s’humaniser et à progresser vers la culture.

 

- L’homme est donc arraché à sa propre nature par sa propre nature. La contradiction qu’il abrite est dynamique. Point n’est besoin d’une force extérieure (l’Etat de Hobbes) pour arrêter sa violence. Le problème de la violence trouve sa solution de façon interne à la société par le développement de la raison. Cette raison à laquelle Hobbes faisait déjà appelle pour le contrat, mais qu’il ne concevait pas historiquement.

 

- L’histoire est faite de violence (insociabilité). Et c’est grâce à cette violence que la raison est appelée à se développer. Car la violence est insupportable : il faudra donc trouver des moyens pour la limiter. Et ces moyens devront être rationnels : ce sera la lente élaboration du concept rationnel de réciprocité. Comprendre la réciprocité, c’est être capable de distance à l’égard de ses propres pulsions pour se mettre à la place de l’autre. Mais c’est aussi être capable de maîtrise de sa propre insociabilité. La raison théorique doit donc également être raison pratique (morale).

 

- Toutefois, de la nécessité de la raison  à la réalité d’une société rationnelle, il y a le temps de l’histoire. Le fil conducteur de cette histoire est le droit. Ce sont d’abord les moeurs, puis le droit coutumier et enfin le droit écrit qui constituent la lente histoire de la régulation de la société contre la violence que les hommes s’infligent (état de nature). Il y aurait donc une fin de l’histoire : ce moment où l’homme est en mesure de faire que son rapport à l’autre n’est plus rapport de violence et que l’intériorisation de la rationalité le conduise à être moral. La société de fait doit devenir un état de droit, et ceci non par moralité, mais par calcul. Mais est-ce vraiment un stade moral ?

 

VI) Intérêt philosophique

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1.     Réflexion sur la violence et l’histoire

 

- Le problème qui se pose est alors le suivant : comment est-ce que l’insociable sociabilité peut produire “un tout moral”, alors que la rationalité du rapport à l’autre s’obtient par calcul et non grâce à une intention morale ?

 

-L’anthropologie kantienne n’est donc pas remise en cause. Ce n’est pas la violence qui produit la morale par une sorte d’obscur renversement dialectique : la violence contraint l’homme au droit. Kant revient donc ici à la leçon de Hobbes et de Rousseau. La violence est insupportable et oblige l’homme à inventer la société civile (contrat). Il ne s’agit donc plus à proprement parler d’une légitimation de la violence : la violence s’explique, mais c’est parce qu’elle est illégitime qu’il faudra légaliser sa suppression.

 

-L’anthropologie contemporaine nous a montrer qu’il existe des sociétés sans histoire: sociétés aux mutations si lentes qu’elles n’en ont pas eu à faire la chronique (sociétés froides). Ces sociétés sont soit des sociétés pacifiées ou bien des sociétés où la violence interne est fortement canalisée pour prévenir toute auto-destruction. Kant a bien repéré le rapport intime entre violence et histoire. Les sociétés historiques sont des sociétés instables et cette instabilité est paradoxalement source de progrès. Le progrès n’est pas l’harmonie : il suppose la destruction de l’ordre ancien. Kant en fait la loi de l’histoire dont il croit trouver le fondement dans la nature humaine.

 

- Mais la fin des sociétés historiques (sociétés chaudes) est, au bout du compte, la même que celle des sociétés sans histoire : la maîtrise interne de l’insociabilité humaine, c’est-à-dire de la violence.

 

2.     Réflexion sur les passions et la moralité

 

- Si les passions sont condamnables sur le plan individuel en ce qu’elles constituent des “maladies de l’âme”, elles sont positives sur le plan de l’espèce : par le jeu des passions, la nature elle-même nous discipline; elle nous rend capables de nous gouverner nous-mêmes. Si l’égoïsme des hommes les amène à se donner des lois et à s’y soumettre, cet accord, dit Kant, est “pathologiquement extorqué”, il est l’oeuvre de la nature et non librement consenti. En clair, cet accord résulte non de notre libre activité, mais du fait que nous sommes soumis à nos inclinations. Si les passions sont essentielles au développement historique, c’est qu’elles sont appelées à mobiliser les forces humaines par leurs contradictions.

 

- Idée préhégélienne d’une “ruse de la nature”, terme qui évoque, tout en s’en distinguant, la thèse hégélienne de la “ruse de la raison” : la nature exploite, à l’insu des individus, les passions qui les agitent pour les convertir en vecteurs de l’histoire. Ce n’est pas au niveau de l’individu, mais au niveau du genre humain tout entier qu’il faut se placer pour reconnaître aux passions une fonction productive dans l’histoire. Idée que l’individu est dépassé par l’histoire.

 

- Idée que les hommes sont méchants et que leur grandeur même est liée à leur méchanceté. Par la perte de son innocence naturelle, l’homme a gagné la possibilité d’user de sa raison et de donner un sens à la création tout entière. Sans l’homme, la création serait un vide, un néant. Le mal qui nous désespérait devient un mal providentiel. Mais les hommes sont seuls responsables de leur méchanceté. Kant exclut l’idée d’un péché originel : un homme méchant qui aurait reçu ses vices de la nature ou de Dieu serait à plaindre, non à condamner. La nature vient à notre secours, elle a mis en nous tout ce qui est nécessaire pour nous sauver. Elle n’a pas voulu que nous soyons  méchants mais a seulement prévu qu’au cas où nous le serions, le choc des passions remplirait tant bien que mal l’office de la raison et de la volonté.

 

3.     Réflexion sur le travail et le bonheur

 

- La raison suppose le travail et la peine qui nous permettent de vaincre notre paresse naturelle et notre animalité par la discipline qu’il nous impose et qui est essentielle à notre formation.

 

- Kant ne fait ni l’apologie de la spontanéité naturelle, ni celle des bienfaits de la civilisation. Il montre que ces derniers se situent, paradoxalement, dans les épreuves qu’elle nous impose et dans le bonheur qu’elle ne nous donne pas spontanément. La civilisation fait non seulement disparaître, dans les individus, le bonheur naturel, mais aussi l’aspiration à un tel bonheur. Kant veut dire que l’appétit du bonheur se trouve civilisé et la perte de la paresse naturelle ouvre un nouvel âge de l’humanité, qui est l’âge du mérite. La nécessité de se rendre digne du bonheur justifie, sur le plan de l’histoire, l’entrée dans une morale du mérite. La peine et l’effort ne sont pas insensées; ils forment le mérite humain, ils sont la vertu propre à la civilisation. Le fait que le bonheur soit reporté à une échéance ultérieure (celle qu’auront préparée les effort actuels) signifie que les hommes doivent travailler à l’avènement du droit et que la peine est devenue la condition de la félicité. Dès lors, si le bonheur n’est pas la fin naturelle de l’espèce humaine, c’est la culture qui constitue la destination des hommes. Cette dernière est précisément de dépasser la nature. 

 

CINQUIEME PROPOSITION

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Questions de compréhension : 5ème et 6ème propositions

 

 

-        Cinquième proposition

 

a)     En quoi l’établissement d’une constitution civile pose-t-il un problème ?

b)     Pourquoi la solution de ce problème est-elle la tâche suprême de la nature ?

c)     Quelle est la fonction de l’image des arbres dans la forêt et que vaut-elle ?

 

-        Sixième proposition

 

d)     Le maître peut-il exister ?

e)     Dans quelle mesure doit-on reconnaître dans l’établissement du droit une impossibilité et une tâche ?

 

 

 

 

I) Présentation

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-        Après avoir montré, dans la 4ème proposition, que la nature contradictoire du progrès historique se manifeste par l’insociable sociabilité de l’homme, la nature utilisant cet antagonisme pour faire progresser l’espèce, Kant établit, dans la 5ème proposition, que l’équilibre des actions et des réactions entre les hommes ne s’obtient que par un système complexe de contraintes. La société est, certes, le produit de la nature qui a contraint les hommes à s’unir pour ne pas se détruire ; mais la fin de l’existence sociale des hommes est, dit Kant, “l’établissement d’une société civile administrant le droit universellement”. La 5ème proposition apparaît comme la conclusion vers laquelle tendent les quatre premières propositions. Puisque le développement des dispositions naturelles de l’humanité exige le travail des générations successives, et puisque le travail des hommes n’est suscité que par l’insociable sociabilité, la tâche suprême de la nature est l’institution d’une société gouvernée par le droit.

 

-        Si la fin que la nature poursuit dans l’histoire est la production d’une constitution civile parfaite, on peut dire que Kant fait du droit et de l’accomplissement du droit la mesure de la valeur et du sens de l’histoire. Cette constitution civile est une idée que la raison peut concevoir et exiger. La finalité suprême de l’existence sociale est une organisation juste de cette société. La justice, comme idéal du droit, reste le fil directeur qui permet de juger l’histoire.

 

-        4 idées importantes : le problème de l'établissement d'une société civile universelle comme problème fondamental imposé à l'homme par la nature; l'antagonisme social et l'ordre légal qui s'ensuit comme facteurs de développement des dispositions humaines; précision de la tâche suprême de l'espèce humaine : trouver un système de lois extérieures contraignantes parfaitement justes; explication par l'image de la forêt du rôle de l'antagonisme social dans l'institution progressive du droit.

 

II) Les idées principales

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1)     Le problème de l'établissement d'une société civile universelle comme problème fondamental imposé à l'homme par la nature.

 

- Kant énonce d’abord le problème essentiel que l’humanité doit réaliser malgré elle : la réalisation d’une société libérale , juste, réglée par le droit - c’est dans cette société de liberté que l’espèce humaine peut trouver son épanouissement. L'établissement d'une telle société pose problème : d'un côté, l'instauration du droit est la condition d'un rapport de l'homme à l'homme favorable au développement culturel des dispositions naturelles de l'espèce; le droit est la limitation des libertés individuelles selon un principe de coexistence. En même temps, l'antagonisme social, c'est-à-dire l'affrontement et la concurrence des libertés pour la reconnaissance, est la cause positive de ce développement (cf. Proposition IV).

 

- Le problème posé par l'établissement d'une constitution civile est donc d'abord celui de la compatibilité entre la nécessité de l'institution d'un ordre contraignant visant à restreindre ou à empêcher la libre expansion des volontés de puissance individuelles et, d'autre part, la nécessité de garantir cette libre expansion. Il faut ainsi que chacun soit à la fois intégralement soumis à la contrainte et totalement libre d'oeuvrer à la réalisation de son désir. L'inégalité des talents ne doit pas être contraire à l'égalité politique. Problème donc de la synthèse entre un libéralisme socio-économique et un absolutisme juridico-politique.

 

2)     Rappel de la quatrième proposition : l'antagonisme social et l'ordre légal qui s'ensuit comme facteurs de développement des dispositions humaines.

 

- La cinquième proposition est la conclusion vers laquelle tendent les quatre premières propositions; les propositions ultérieures ne feront que l'approfondir. Pour que l’antagonisme entre les passions puisse jouer son rôle bénéfique et que les libertés puissent coexister, pour que le corps social ne se dissolve pas, la société doit être réglée par un système de contrainte - les lois - que personne ne puisse renverser. Il faut, autrement dit, qu’il y ait une force publique.

 

- La tâche suprême de la nature, qui a pour dessein la plus grande perfection de l'espèce, est l'institution d'une société gouvernée par le droit : instauration d'un état civil dans lequel tout le bénéfice de l'insociabilité pourra être garanti, et chacun étant libre de travailler à son bonheur oeuvrera sans le savoir pour la perfection de l'espèce.

 

- Ainsi, selon Kant, les passions elles-mêmes poussent les hommes à accepter une règle de vie commune qui limite leur liberté (les passions exacerbées jettent les hommes dans un état de détresse) . Contraints et forcés, les hommes s’unissent et se soumettent à la contrainte des lois ; à l’intérieur de ces limites, ils peuvent assouvir leurs ambitions, se discipliner et se cultiver.

 

3)     Précision de la tâche suprême de l'espèce humaine : trouver un système de lois extérieures contraignantes parfaitement justes.

 

- La solution de ce problème est la tâche suprême de la nature : l'instauration d'une société civile, en garantissant la liberté du travail individuel et l'épanouissement des talents, est le moyen pour la nature d'assurer le progrès historique de l'humanité. Le but du droit est la liberté individuelle, c'est-à-dire le travail. C'est l'atteinte à la liberté du travail, et au talent qui s'y rattache, que la puissance contraignante du droit a pour but de réprimer : le travail est le principe de l'autoconstruction personnelle et le moteur de l'histoire.

 

- Reconnaissance de la primauté du droit au travail, critique implicite du travail aliéné qui s'ensuit. Thème libéral, au coeur également de la tradition socialiste et anticapitaliste.

 

- L'exécution de cette tâche – la constitution civile -, dont la fin est la culture ou la moralité, est confiée à l'homme lui-même : il doit pouvoir mériter son bonheur; cette tâche est infinie, vu qu'elle est confiée à l'histoire comme progrès infini. La réalisation de la constitution civile parfaite est une Idée vers laquelle l'histoire de l'humanité tend par un effort constant : principe d'un perpétuel dépassement de soi.

 

4) Explication par l'image de la forêt du rôle de l'antagonisme social dans l'institution progressive du droit

 

- La métaphore de l’arbre et de la forêt permet d’expliquer par quel mécanisme la nature produit les progrès de la culture et du droit. Cette image soustrait l'avènement du droit à la bonne volonté pour le confier à l'histoire. L'égoïsme ne saurait faire obstacle au processus historique de réalisation progressive du droit puisqu'il en est le ressort. Cette image permet de penser une solution du problème juridico-politique. Représentation libérale de la communauté politique : ce n'est que dans une société fondée sur le libre jeu des égoïsmes antagonistes que peut s'enclencher le mécanisme par lequel les comportements se redressent.

 

-  De même que les arbres, lorsqu’ils sont côte à côte, sont mécaniquement amenés à s’élever, de la même façon, les hommes isolés ne peuvent développer leurs dispositions naturelles, la vie en société impose les règles du droit, elle discipline les hommes, comme la forêt permet le développement des arbres auxquels elle donne leur rectitude. Kant se représente le progrès du droit comme l’effet d’un mécanisme naturel qui, par un jeu d’un équilibre des forces, règle la vie commune des hommes. Il parle des “lois extérieures” pour signifier que ces lois n’exigent pas, comme pour les lois morales, une obéissance intérieure de notre conscience. Il veut dire que même si les hommes ne sont pas encore effectivement raisonnables, ils peuvent créer une société réglée par des lois, un Etat, qui peut nous éduquer moralement. En somme, la nature réalise sans nous une société où elle nous prépare à la liberté.

 

- L'image de la forêt tend à atténuer le rôle de la contrainte dans la réalisation des conditions juridiques et politiques de la liberté : le règne de l'intérêt général ne semble pas devoir être obtenu par l'exercice d'une quelconque violence sur les intérêts particuliers.

 

III) Références et apport conceptuel

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- Ici, Kant pense la relation étroite entre les passions et le droit, la nature et la liberté.

 

- D’abord, l’idée que la nature se sert des passions humaines pour réaliser la liberté peut être rapprochée de la philosophie de Hume dans le livre III du Traité de la nature humaine : selon lui, ce sont les passions, et notamment celle qui produit la partialité (la préférence de chacun pour ses proches), qui vont conduire à l’instauration de la justice ou au respect d’une règle commune. La partialité ne fait d’abord qu’attiser la rivalité entre les individus et les familles, mais elle peut faire place au sens de la justice dès lors qu’elle est satisfaite par d’autres moyens que ceux de l’égoïsme. Dès que les individus perçoivent, dans la société, le moyen de leur assurer une satisfaction durable, celle de la préservation de leurs possessions, ils prennent conscience que l’intérêt de tous est aussi une forme de l’intérêt de chacun. La passion ici, on le voit, a un rôle actif et constructif.

 

- D’autre part, la métaphore qu’utilise Kant pour décrire les bienfaits de la société (celle des arbres condamnés à coexister dans l’enclos d’une même forêt et contraints, de ce fait, à pousser “beaux et droits”), et pour montrer que la rivalité à laquelle condamne l’existence commune se convertit en une émulation profitable au développement des dispositions naturelles, est également à rapprocher d’une autre métaphore : celle “de la main invisible” qui sert à Adam Smith à figurer la productivité et l’égal intérêt du marché pour chaque individu, dans un contexte économique. Selon lui, du libre jeu des intérêts dans l’échange marchand, émerge, par le mécanisme régulateur des prix, une situation globale d’équilibre qui se réalise naturellement, sans qu’elle soit jamais voulue par les agents économiques ou l’Etat. Il y a ainsi une régulation naturelle du marché, par l’effet d’une “main invisible”. Il s’agit donc de mettre en valeur la fonction régulatrice de l’intérêt égoïste dans le cadre de l’échange des biens, de répondre au problème de l’ordre social en réduisant au minimum le rôle de l’Etat et la contrainte de la loi, sans toutefois faire appel à la vertu et au souci désintéressé du bien commun.

 

- Par ce rapprochement entre Adam Smith et Kant, la thèse d’un développement inconscient de l’intérêt de tous par le moyens de l’appétit personnel de possession ou par la cupidité individuelle correspondrait à une version libérale de la conception kantienne du progrès.

 

- Or, Kant ne confie pas à une unique passion (le goût de la possession et l’intérêt du gain) le soin de produire l’intelligence du bien commun par la satisfaction qu’il procure. Sa thèse n’est pas libérale en un sens strictement économique si l’on considère qu’elle n’est pas dominée par le concept de propriété. D’autre part, la société ne supprime pas les rivalités qui ont donné lieu à son existence, ni la détresse première des hommes ; elle crée, au contraire, de nouveaux conflits, de nouvelles sources de souffrance. Le conflit des passions conduit au maintien de la tension des forces et non à la satisfaction des passions.

 

- Kant insiste donc sur l’idée que l’histoire se fait avec des moyens naturels, avec les passions et la lutte, selon des dispositions qui se développent par la contrainte. Mais Kant ne fait pas l’éloge des passions et de l’égoïsme. C’est plutôt ce qui contrarie la passion et l’égoïsme qui est reconnu comme moteur du développement humain. C’est le travail qui est fécond, l’effort ou le labeur parce qu’avec eux, l’acte de se développer contredit l’inclination à la paresse. Dans la proposition 4, Kant vantait le talent qui transforme la passion en goût affiné et en connaissance.

 

- On pourrait, enfin, faire remarquer que la 5ème proposition, et celles qui vont suivre, esquissent une conception du droit et de la liberté qui renvoie à la philosophie politique du 18ème siècle. Il existe deux définitions de la liberté : tantôt liberté signifie faculté d’accomplir ou de ne pas accomplir certaines actions quand on n’est pas empêché par d’autres, ou par la société ou par l’Etat ; être libre signifie alors jouir d’une sphère d’action plus ou moins large non contrôlée par les organes du pouvoir (thèse représentée par Locke) ; tantôt liberté veut dire pouvoir de n’obéir qu’à la seule loi que je me suis imposée, obéir seulement à lui édictée par la volonté  générale. Kant se rallie au premier sens. Dans la doctrine du droit , il écrit, en effet : “le droit est l’ensemble des conditions moyennant lesquelles la volonté arbitraire de l’un peut s’accorder avec celle d’un autre selon une loi universelle de liberté. La liberté est la faculté d’agir sans être empêché par d’autres”.

 

- En conclusion, rôle charnière de cette cinquième proposition. L'établissement du droit demeure une tâche. La nature contraint l'homme de trouver une solution au problème politique de l'autorité juste. Ce problème a sa source dans l'exigence mécanique de trouver un équilibre entre le déploiement illimité de l'agir individuel et la limitation ce même agir en vue de la coexistence des puissances.

 

 

SIXIEME PROPOSITION

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- Explication détaillée (“ce problème…un pouvoir d’après les lois”)

 

I) Introduction

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-        La 6ème proposition énonce un paradoxe : Kant a montré, dans la proposition précédente, que la finalité de l’existence sociale est une constitution juridique parfaite; il soutient en même temps, dans la 6ème proposition, que l’homme est un animal qui a besoin d’un maître. N’y a - t - il pas une contradiction entre la volonté juridique de traiter l’homme selon sa majorité et la volonté politique de le considérer comme un sujet de l’Etat ou comme un éternel mineur ? Quel est alors, dans ce texte, le fondement de l’usage de la contrainte ? Comment, dans la société, passer de l’emprise des passions jusqu’à la sphère du droit universel ? La difficulté ne provient-elle pas du fait que le gouvernant est lui-même un être fini, accédant avec le plus grand mal à l’Universel ? La contrainte n’est - elle pas un moyen nécessaire pour accéder à un ordre politique juste ? Kant va montrer que le problème de la justice publique est très difficile parce que les dirigeants sont des hommes égoïstes, soumis à des penchants individuels et, de ce fait, ne prenant pas en compte l’universel de la loi.

 

-        Le texte se divise en trois parties : dans la première (“ce problème…humaine”), Kant énonce sa sixième proposition, ayant trait à la difficulté de résoudre le problème de la justice publique. Dans la deuxième (“la difficulté…être libre”), il souligne qu’un maître est nécessaire pour élever l’homme, animal égoïste, à l’universalité. Dans la troisième (“mais…des lois”), il montre que l’établissement de la justice publique représente une tâche difficile car le maître a lui-même besoin d’un maître.

 

 

II) Explication

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1) 1ère partie (“ce…espèce humaine”)

 

-        Enoncé d’une aporie théorique et pratique qui a trait au destin de l’humanité. Le démonstratif “ce” de la première ligne renvoie à la 5ème proposition : il s’agit du problème de l’établissement d’un ordre politique juste, administrant le droit de façon universelle.

 

2) 2ème partie (“la difficulté…être libre”)

 

a) (“la difficulté…maître”)

 

-        La nécessité d’un maître, médiateur entre la nature et la culture, et d’une contrainte.

 

-        La difficulté d’une édification politique juste vient de ce que l’homme est un animal, un être vivant appartenant au règne de la nature et recherchant son intérêt propre, qui requiert un maître, c’est-à-dire une personne exerçant une domination, selon un mode non arbitraire, ayant pour but de conduire le gouverné, le disciple ou l’élève dans la voie de la culture ou de la formation universelle. La première fonction du maître est donc de faire accéder notre nature animale à la sphère de la culture et de la coexistence.

 

b) (“car…lui-même”)

 

-        Mais pourquoi l’homme a - t - il besoin d’un maître ? La raison profonde du recours à la contrainte tient à la dualité humaine, à l’opposition des deux règnes, celui de la nature et celui de la loi, auxquels se rattache l’homme. Les individus n’obéissent pas spontanément à la raison, la liberté de chacun se présente d’abord comme négation de celle d’autrui. La liberté désigne, en premier lieu, la faculté d’agir sans contrainte, aveugle à la personne d’autrui. Kant parle ici d’un penchant animal à l’égoïsme, attachement excessif à soi-même tel que l’on recherche exclusivement son intérêt personnel. Cet égoïsme omniprésent procède de notre existence naturelle et “biologique” et s’enracine dans nos besoins vitaux. Dès lors, l’homme aspire à l’universel de la loi, mais comme être vivant recherchant son intérêt propre, il demeure enfoncé dans la particularité de ses besoins. Seule une loi commune peut contraindre les égoïsmes à coexister et à se régler selon une norme valable pour tous.*

 

c) (“il lui faut donc… être libre”)

 

-        La conclusion que tire Kant est que la contrainte est nécessaire : le maître doit forcer l’homme à obéir à la loi. Il a pour fonction de soumettre la particularité des besoins à l’universel de la loi. Il force les sujets à obéir. Cette contrainte permet, en même temps , à chacun d’être libre, d’accéder à une existence raisonnable et soumise à l’Universel. Etre libre, ce n’est donc pas agir selon son bon plaisir, mais se soumettre à la loi valable pour tous. Il s’agit d’une faculté d’agir d’après des règles s’appliquant à tout être raisonnable. Par là, nous passons de la nature à la culture.

 

3) 3ème partie (“mais…des lois”)

 

-        Kant souligne une nouvelle difficulté : le maître a lui-même besoin d’un maître. Le maître dont l’homme a besoin est un “chef” qui “soit lui-même juste” et cependant un homme. Mais le maître idéal qui pourrait introduire la justice dans l’Etat est introuvable puisque lui-même ne sera jamais qu’un homme qui a également besoin d’un maître.

 

a) “mais…espèce humaine”

 

-        Kant nous rappelle ici la naturalité du maître qui fait lui-même partie de l’espèce humaine et donc de la nature.

 

b) “or…des lois”

 

-        L’exercice de la justice est le plus difficile des problèmes politiques : le maître est lui-même un animal soumis au particulier et qui requiert lui-même un maître pour accéder à l’universel. Si la justice publique est l’état juridique où les hommes, au sein de l’Etat, jouissent de leurs droits, ce règne du droit devrait requérir un chef capable de se référer directement à la loi, sans nul rapport aux intérêts égoïstes. Un maître véritable, authentique, devrait être un Dieu, un saint. Or, il ne peut l’être. Donc sans instance représentant la loi universelle, les gouvernants porteront atteinte aux droits d’autrui.

 

-        Le problème central de la politique, mais aussi de l’éducation, apparaît alors clairement : comment faire régner le droit, si le gouvernant n’est , lui aussi, qu’un vivant égoïste ?

 

III) Intérêt philosophique

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-        C’est d’abord la définition kantienne du maître qui est intéressante. Le maître, médiateur entre la nature et la culture, brise les particularités et l’arbitraire des volontés individuelles. Il conduit vers le respect de la loi, tout en étant lui-même soumis à des penchants égoïstes. Kant nous permet de saisir la difficulté centrale du problème politique : quand un maître ou un chef doit établir la justice, il tend à oublier l’intérêt universel, il veut toujours plus de pouvoir.

 

-        La vraie nature de la difficulté soulevée par Kant est celle du bon gouvernement, c’est-à-dire celle de la relation entre la morale et la politique, si la détention du pouvoir est toujours en mesure de corrompre les intentions que l’on se donne. Selon Kant, si le détenteur du pouvoir ne peut pas être un saint, cela signifie que la politique ne peut pas être confondue avec la morale. A la fin de la 6ème proposition, Kant envisage une moralisation continue des hommes : “le bois dont l’homme est fait est si noueux qu’on ne peut y tailler des poutres bien droites”. La moralisation de l’homme doit être repoussée dans l’avenir et faire l’objet d’une espérance, car le bois tordu dont est faite la nature humaine situe au-delà des forces et des prétentions humaines l’accès à la moralité. 

 

-        C’est dire qu’aucun individu ne saurait atteindre la destination complète de l’homme, qui ne peut être atteinte qu’au niveau de l’espèce. L’impossibilité qu’existe un tel individu, dont l’existence  est la condition  de la réalisation du droit, ne doit cependant pas nous faire désespérer que l’espèce humaine atteigne un jour sa destination. Le problème de la réalisation du droit ouvre sur la foi : la représentation d’un maître idéal doit être ordonnée à notre espérance et, comme telle, avoir une efficacité pratique et sociale, être l’instrument, en somme, de la réalisation progressive de ce qui n’a pas encore, pour nous de réalité effective.

 

-        De même, l’exhortation selon laquelle il faut seulement se rapprocher de la moralité peut s’entendre aussi comme un plaidoyer contre le despotisme, comme un avertissement aux souverains : celui de ne pas prétendre à la moralisation forcée des individus (vouloir rendre, par force, les hommes bons ou meilleurs). Il faut aller, dit Kant, de la politique à la morale, et non le contraire.

 

-        Par ailleurs, il semble que ce texte nous incite à renoncer à un quelconque projet démiurgique concernant la création politique de l’homme par l’homme. C’est la nature qui fixe l’ordre des espérances permises : d’abord l’anarchie naturelle, puis la socialisation forcée qui rend l’homme civilisé; la civilisation elle-même doit être comprise comme une éducation à la moralité. La politique ne détient donc pas la norme de la moralité, elle demeure un instrument de civilisation.

 

-        Les solutions proposées à la finitude du politique, à l’aporie signalée avec force dans le texte, apparaissent à la fin de la 6ème proposition . Premièrement, dit Kant, il faut une philosophie du droit; le philosophe n’est pas un conseiller du prince; il doit dénoncer publiquement toutes les formes d’action despotiques; il doit défendre, contre l’histoire telle que le politicien professionnel veut la voir dans son propre intérêt, une histoire qui soit celle de la finalité de l’homme. Kant mentionne également l’utilité des voyages qui exprimerait une disposition favorable à un cosmopolitisme intellectuel, à une manière d’être un citoyen du monde. A la philosophie du droit l’histoire apporte la connaissance des hommes et des institutions du passé, et les voyages la connaissance des hommes contemporains. Il faut, enfin, attendre des hommes une volonté bonne (une volonté qui veuille universellement) : il faut les supposer capables d’être vertueux; l’histoire peut certes préparer l’humanité à la liberté, mais la liberté ne peut venir que de l’homme lui-même et de ses efforts.

 

 

SEPTIEME PROPOSITION

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Questions de compréhension : 7ème proposition

 

 

a)     Dans quelle mesure la réalisation du droit dans une communauté civile dépend-elle de l’instauration d’un droit international dans une confédération des nations ?

 

b)     En quoi l’idée d’une confédération des nations est-elle à la fois délirante et nécessaire ?

 

c)     Quelles sont les trois conceptions de l’histoire évoquées par Kant pour expliquer la formation de cette confédération ?

 

d)     Dans quelle mesure Rousseau avait-il raison de préférer l’état des sauvages ?

 

e)     Quelle différence y a-t-il entre être cultivé, être civilisé et être moralisé ?

 

 

 

I) Présentation

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-        Kant se demande, dans les trois dernières propositions, comment il est possible d’atteindre une définition juridique de la justice dans les rapports entre Etats. Il reprend l’argumentation d’ensemble de ses réflexions sur l’histoire et expose, notamment dans la 7ème proposition, le mécanisme par lequel la nature conduit les Etats vers la paix perpétuelle.

 

-        Il a montré dans les 4ème, 5ème, 6ème propositions que l’insociable sociabilité contraint les hommes à s’associer, à se donner le droit, une constitution. La proposition 6, nous l’avons vu, insistait sur l’extrême difficulté de la réalisation du droit universel, du fait que l’arbitraire de la liberté humaine est seulement éducable par un maître qui ne saurait exister, de sorte que la réalisation universelle et parfaite du droit, parce qu’elle dépend de la liberté, est indéfiniment repoussée par Kant.

 

-        Dans la 7ème proposition, le philosophe envisage la création d’une confédération des nations comme une issue nécessaire de l’évolution historique. Ainsi, les Etats, préoccupés par la guerre et le désir de domination, seront forcés de mettre en place un droit international et de s’entendre entre eux. De même que les individus ont été contraints de se soumettre à une souveraineté, de même les Etats seront contraints de se soumettre par eux-mêmes à une organisation juridique de la paix. L’établissement d’un droit international garantissant la sécurité des Etats apparaît alors comme un événement qui peut être raisonnablement attendu de l’histoire moderne.

 

-        Kant se demande donc comment l’on peut concilier le fait des guerres et la vocation de l’humanité dans l’histoire. Il tente de concilier à la fois un réalisme empirique qui prend en compte la réalité et le rôle des guerres dans histoire et un idéalisme juridique : l’accès à la paix est une norme du droit, un devoir - être de l’avenir des Etats. La paix est alors une norme (ce qui sert de règle à tout jugement portant sur l’expérience) ; une organisation pacifique des Etats ne peut être conçue que comme une obligation qui doit être pensée et voulue. Elle n’existe pas dans les faits, puisque c’est la guerre qui triomphe, mais elle a à être, elle doit être reconnue comme la norme la plus raisonnable du destin futur des Etats.

 

II) Idées principales

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-        Kant, comme dans la proposition précédente, commence par l’énoncé d’un problème fondamental : on ne peut résoudre la question de l’établissement, sur le plan interne, d’une constitution civile que si, sur le plan des relations extérieures entre les Etats, puisque c’est la guerre qui règne entre eux, ce sont des conventions juridiques qui règlent ces rapports mutuels entre les Etats. Il est alors douteux de réussir la constitution d’une société de droit si les sociétés qui l’environnent sont despotiques, sont vouées à la guerre.

 

-        Les mêmes causes qui permettent l’avènement d’une société obéissant aux règles du droit, valent pour la constitution d’une société des nations où les antagonismes entre Etats se résoudront par l’établissement d’une paix perpétuelle. De même que les conflits entre les individus les ont fait passer de l’état de nature à l’état civil, de même la détresse née de la guerre les contraint peu à peu à fonder un état civil entre les Etats.

 

-        Aussi la guerre est-elle le moyen dont la nature se sert pour la paix inévitable. La guerre porte naturellement en elle le remède à la guerre. En sorte qu’instaurer la paix ne relève ni de la bonne volonté des Etats, encore moins de leur nature. Les guerres, provoquées par le désir des Etats d’imposer à d’autres leur volonté par la force, doivent conduire les Etats à conclure par nécessité des accords, des traités qui garantiront leur sécurité. La paix est donc le fruit de la discussion, de la raison qui, contrainte par l’expérience, comprend qu’il vaut mieux régler les différends par la négociation. La paix est un résultat durement conquis ; jamais un état initial.

 

- Mais l’idée d’une société des nations est soumise à un ensemble de questions :

 

·  Est-ce par l’effet du hasard que les Etats finiront par trouver une forme politique qui rend possible la vie en commun ?

·    Existe - t - il un plan de la nature tendant inévitablement à ce but ?

·   Ne doit-on pas plutôt conclure, en raison de la constante réapparition des guerres, qu’il n’existe pas de plan providentiel et que l’histoire n’est que la répétition de conflits qui n’ont aucun sens ?

 

-        Il faut, malgré les objections possibles, présumer que l’histoire a un sens - la réalisation de la constitution politique la plus parfaite - sans quoi il faudrait admettre que les sociétés humaines se perdront pour rien dans le néant de la barbarie.

 

-        Tant qu’une société des nations n’est pas mise en place, la vie des hommes dans nos sociétés est pire que l’état de nature.

 

 

- L’éducation des citoyens revient à la communauté mais une telle entreprise ne pourra réussir tant que les Etats seront préoccupés de la guerre et interdiront le libre exercice de la réflexion. Lorsque la communauté - la nation, l’Etat - a pour fin la guerre, l’éducation des hommes s’en trouve entravée et rendue impossible. On cultive alors, plutôt que la liberté, les passions et les bassesses qui rendent les hommes dociles. Les sociétés humaines resteront dans le plus misérable état d’immoralité tant qu’une paix extérieure ne les libérera pas de l’obsession de la guerre.

 

III) Références

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-        Kant ne parle qu’allusivement de ses prédécesseurs pour ce qui concerne un programme de paix organisée. Il donne le Foedus Amphyctionum comme synonyme terminologique de sa propre société des nations. A l’origine, les Amphyctionies étaient des confédérations grecques à caractère religieux; les peuples s’associaient dans un but défensif, ils nommaient des représentants réunis en conseil, dont le rôle politique était d’empêcher la destruction mutuelle. La mention de ce système ne relève qu’une analogie relative aux fins : faire en sorte que la politique serve à préserver des guerres, au lieu que la guerre soit l’objet entier de la politique.

 

- Kant fait référence à l’abbé de Saint-Pierre (1658-1743) qui est l’auteur d’un Projet pour rendre la paix perpétuelle en Europe. Rousseau a publié L’extrait du projet de paix perpétuelle de monsieur de l’abbé de Saint-Pierre, en le comptant aussi parmi les théoriciens de la paix perpétuelle. Kant présente l’abbé de Saint-Pierre comme un théoricien quelque peu chimérique, qui aurait cru trop proche la réalisation de la paix. Mais Kant se situe bien dans la filiation des thèses de l’abbé. Pour tous deux, en effet, il s’agit, non pas de chercher des raisons à la guerre, mais de substituer à la guerre les moyens du droit, d’accéder à l’idée d’une priorité de la paix sur la guerre. Il ne s’agit pas de savoir s’il y a des guerres justes ou des guerres injustes, mais de mettre la guerre hors du droit. A la différence de l’abbé, Kant ne veut pas faire seulement de la paix un objet d’espérance, il souhaite la fonder dans la réalité même de l’histoire. Kant conçoit alors la paix directement comme un problème de droit : penser le droit sous l’espèce de la paix revient à doter le droit d’un avenir juridique qui dépasse le stade politique de la souveraineté interne des Etats. Les Etats pourront et devront se traiter comme des sujets égaux en droits et ils se considèreront de plus en plus comme des sujets ou des habitants de la terre entière.

 

IV) Intérêt philosophique

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-        L’originalité de Kant ici consiste à intégrer le problème de la politique dans celui des relations internationales et de mettre en évidence que c’est par la politique que le droit se réalise historiquement. Il faut que chacun des Etats perfectionne sa constitution intérieure et qu’il accède à l’idée d’une paix nécessaire à la prospérité de tous et de chacun. Autrement dit, les sociétés fondées sur le droit ne peuvent que vouloir la paix ou régler leurs différends par des accords, non par la guerre. On peut se demander si Kant n’a pas raison : au XXème siècle, les guerres n’ont-elles pas été voulues, ou déclenchées, par des régimes autoritaires ou totalitaires qui cherchent par ce moyen à se donner une légitimité et à résoudre des problèmes qui n’auraient pu l’être par la politique intérieure ?

 

-        Ce texte nous propose donc une conception étonnamment moderne du droit international . Le cosmopolitisme est une réalisation juridique possible et une situation anthropologiquement souhaitable. Kant conçoit-il ce droit sous la forme d’une unification politique du monde ou d’un fédéralisme d’Etats libres ? Le texte parle d’une “association d’Etats”, la mention d’une liberté égale de tous les Etats est présente, celle aussi d’une égalité, c’est-à-dire d’une possibilité de vivre en sécurité et en liberté même si l’on n’est pas le plus fort. Cela veut dire que si chaque Etat reconnaît un droit international et donne à la société des nations la force qui lui permet de faire respecter ce droit, le plus faible est garanti contre les violations du droit qu’il pourrait subir d’un voisin plus fort. Il faut donc que la force cosmopolitique mise en place soit plus forte que le plus fort des Etats qui y prennent part. Cette société des nations n’est pas un super-état (une monarchie universelle). La tension entre les Etats est maintenue au lieu d’une fusion, non seulement parce que l’émulation est un principe d’activité et de travail, mais aussi parce qu’il faut éviter la subordination totale des Etats à un seul. La paix ne doit pas être comprise comme un fait empirique (le repos et le bonheur sans droit), mais comme une valeur juridique (l’accès au bonheur par la liberté et le mérite).

 

-        Réflexion, à partir de documents contemporains, sur l’Onu.

 

-        On peut dire que le cosmopolitisme est d’abord une manière de penser et de vouloir le droit, un progrès dans les mentalités. Il correspond à une prise de conscience publique et mondiale de l’extension du droit et de l’importance prise par le droit, qui correspond au développement et à la multiplication de relations de toutes sortes dans la civilisation.

 

-        Réflexion intéressante sur la guerre : Kant montre que le sens de la guerre est à chercher dans le mécanisme par lequel la nature conduit les Etats vers la paix perpétuelle, dans les tensions que la guerre impose aux Etats, leur interdisant de s’endormir. La guerre nous oblige à nous produire nous-mêmes comme des êtres de culture et à changer nos modes de pensée. La guerre est une tentative de la nature pour contraindre les Etats à construire de nouveaux rapports de droit. C’est pourquoi, dit Kant, le besoin le plus urgent qui s’impose au niveau international est celui d’une objectivité du droit qui dépasse l’appréciation individuelle des Etats combattants. La réflexion kantienne est nourrie de cette certitude qu’un certain âge de la guerre est achevé, qu’un certain âge de la souveraineté est maintenant dépassé. C’est celui du rêve d’expansion et de conquête qu’il juge “chimérique”. Kant, dans d’autres textes, condamnera l’idée et le fait de la colonisation européenne.

 

HUITIEME PROPOSITION

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Questions de compréhension : 8ème proposition

 

 

a)     Dans quelle mesure cette proposition est-elle la conséquence de la précédente ?

 

b)     Que signifie le recours à l’image astronomique pour caractériser la trajectoire du progrès humain ?

 

c)     Quels sont les indices du progrès ?

 

d)     Quel est le rôle du commerce dans le progrès « cosmopolitique » ?

 

 

 

 

I) Présentation

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-        La 7ème proposition a permis de comprendre que la nature conduit les Etats vers une paix garantie par une société des nations qui permettrait aux Etats de viser l’amélioration des hommes. Kant va montrer , dans la 8ème proposition, que l’idée selon laquelle l’histoire humaine manifeste la réalisation d’un plan caché de la nature n’est pas un délire de visionnaire et que l’on peut chercher, dans le 18ème siècle, c’est-à-dire dans l’expérience, un indice du progrès de l’humanité. La 8ème proposition tire les conclusions de ce qui précède et éclaire tout à fait le titre de l’opuscule : l’histoire universelle a pour fin la perfection de l’espèce et vise à établir une constitution cosmopolitique en vue de l’instauration d’un état de droit susceptible de garantir à l’humanité les conditions favorables au complet développement de ses dispositions. L’avènement d’une telle constitution politique extérieure – internationale – ouvrira une nouvelle ère pour l’humanité. De même que l’idée d’une confédération des nations n’est pas une idée extravagante, l’espoir d’un tel avènement n’est pas vain, et l’expérience contemporaine du progrès des Lumières en Europe constitue un indice suffisant de la marche de l’histoire vers l’établissement d’un état cosmopolitique.  

 

II) Idées principales

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- L’idée selon laquelle l’histoire humaine manifeste “la réalisation d’un plan  caché de la nature” n’est pas une rêverie de visionnaire (millénarisme ou chialisme (“mille”) : diverses formes de croyances qui promettent l’avènement d’un règne de mille ans du messie, d’une ère nouvelle mettant un terme aux maux que nous connaissons). La promesse d’un avenir meilleur est pratique ou moral, c’est-à-dire qu’elle nous donne espoir. Il ne s’agit nullement d’une prévision ou d’une prophétie. L’histoire nous permet d’affirmer qu’il existe un progrès continu de l’espèce, à condition de ne pas s’attacher aux cas particuliers. Il faut saisir l’ensemble des événements à la façon des astronomes qui étudient les mouvements des corps célestes et qui ainsi parviennent à dégager des loi.

 

-        La prise de conscience de ce fait permettra peut-être de hâter la réalisation d’un tel état cosmopolitique.

 

-        L’époque présente manifeste au plus haut point qu’il ne s’agit pas d’une chimère. On peut trouver dans le 18ème siècle de quoi nourrir notre espérance : les relations entre  Etats européens sont devenues si étroites que les gouvernants ne peuvent pas se permettre de négliger la formation de leurs citoyens sous peine d’être inférieurs aux autres en cas de conflit. De même, ils ne peuvent pas s’opposer au développement de la liberté car le résultat en serait une supériorité sur le plan économique. L’essor économique correspond au libre échange qui entraîne une libre circulation des idées, une plus grande tolérance, un progrès des sciences, une influence grandissante de la philosophie, et une plus grande liberté politique. Même mus par leurs seuls intérêts immédiats et égoïstes, les Etats jouent sans le savoir, ni le vouloir, le jeu de la Providence.

 

-        Le développement de la liberté, qui fait du 18ème siècle le siècle des Lumières, est à chercher dans l’intérêt égoïste de chaque Etat; il rend possible l’émergence d’un esprit public éclairé qui pourra jouer un rôle politique. La politique ne sera plus l’apanage d’une élite, mais l’affaire de tous.

 

-        Occupé par ses fonctions économiques et militaires, l’Etat moderne est contraint de relâcher sa tutelle sur les individus. Des îlots de liberté se constituent et gagnent de proche en proche toute la société.

 

-        Certains Etats, non impliqués dans les conflits, peuvent jouer le rôle de médiateurs et préparer l’avènement d’un Etat cosmopolitique universel.

 

III) Références

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-        L’idée de progrès prend tout son développement au 18ème siècle. Son extension est liée au déclin des croyances religieuses, mais aussi au développement des sciences et de leurs applications qui transforment la vie sociale jusque-là fondée sur la tradition. Kant voit dans l’avènement d’un état de droit, la preuve de ce progrès qui doit s’étendre à toute l’humanité.

 

- Les philosophes des Lumières invitent l’humanité à travailler à son perfectionnement, à se libérer par ses propres forces de toute tutelle. A la différence du christianisme qui affirme l’incapacité des hommes à faire eux-mêmes leur salut, et qui les place sous la dépendance de la grâce divine; le christianisme considère également la vie sociale et terrestre comme une chute.

 

1.     Condorcet (1743-1794). La perfectibilité de l’homme s’est traduite par un progrès général; tous les individus constituent une même unité générale, l’humanité progresse comme progresse l’individu (les Anciens ne sont que des enfants). L’Esprit huamin est seul responsable de ses progrès; il est à lui-même sa propre Providence. La science doit être au service de l’homme.

 

2.     Voltaire (1694-1778) . Le progrès est une valeur mais est loin d’être un fait. Le progrès est toujours incertain et discontinu : permanence dans l’histoire des passions, du fanatisme, de l’intolérance. L’histoire n’est pas un destin. Critique de l’optimisme qui consiste à concevoir la présence du mal dans l’histoire qu’en tant que “moindre mal”, qu’en tant que moyen d’un progrès. Un tel finalisme (le présent est justifié par le futur) est contradictoire avec l’idée de liberté : s’il est possible de déterminer une fin de l’histoire, on peut la prévoir; la prévision est une prédétermination des actions humaines. Les conséquences morales et politiques du finalisme sont inacceptables : apologie de l’ordre existant, sanctification du réel, dénégation de l’injustice profonde de la souffrance.

 

3.     Rousseau (1712-1778). L’histoire n’est pas nécessairement celle du progrès. L’homme est cet être qui surprend toujours. Il est capable du meilleur comme du pire.

 

- A noter, enfin, que l’ère des Lumières est due à un ensemble de facteurs objectifs (développement des relations entre Etats, universalité des échanges) indépendants de la volonté des particuliers, qui rendent possible un saut qualitatif. Kant renonce aux chimères, aux illusions d’un âge d’or situé à l’aube de l’histoire, et est sensible à l’extraordinaire mutation du siècle dont il essaie de dégager le sens.

 

- Aussi la philosophie peut-elle favoriser l’avènement d’une situation politique mondiale : elle anticipera, par son action sur les esprits, la généralisation de la tolérance religieuse, la priorité de l’éducation à la citoyenneté et la diffusion des lumières dans la sphère du pouvoir. Les philosophes ont pour tâche de demeurer les gardiens d’une pensée essentiellement libre. Dans la perspective et dans l’attente d’une société juridique parfaite, le philosophe doit travailler à la conversion des mentalités et à produire, dans les esprits, la préférence de la liberté des citoyens plutôt que la jouissance des prestiges du pouvoir.

 

 

NEUVIEME PROPOSITION

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Questions de compréhension : 9ème proposition

 

 

a)     Où est la frontière entre le roman et l’histoire ?

 

b)     Pourquoi faut-il « justifier » la nature ?

 

 

 

 

 

I) Présentation

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-        Nous avons vu, dans les propositions précédentes, que le principe d’un dessein de la nature constitue un point de vue supérieur qui permet de voir que la dynamique des conflits fait, en définitive, la guerre à la guerre elle-même. Les guerres modernes par les maux qu’elles occasionnent, conduisent inévitablement à une organisation mondiale de la paix. Il suffit que les Etats calculent leur intérêt, ce qui est du domaine de la prudence politique.

 

-        Kant, dans la dernière proposition, apporte une solution au problème soulevé en introduction : on peut envisager l’histoire humaine au point de vue cosmopolitique et comme un progrès des Grecs jusqu’à nous. En effet, Kant insiste ici sur la valeur théorique et pratique de l’idée d’un développement de l’humanité orientée vers la réalisation de l’idée de droit. Cette idée définit la condition de possibilité même de la science historique.

 

II) Idées principales

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- L’étude de l’histoire doit permettre d’élaborer une philosophie de l’histoire révélant que l’humanité franchit progressivement les étapes de l’animalité à la raison. L’auteur explique que l’idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, d’une histoire philosophique des progrès de l’humanité vers la paix et la liberté, n’est pas chimérique. Il ne s’agit pas de substituer une philosophie de l’histoire à l’histoire des historiens : l’histoire, comme connaissance du passé, est l’expression d’une pensée libre qui veut comprendre rationnellement, avec un souci de vérité, le destin des hommes. La philosophie de l’histoire est une autre façon de considérer la même histoire; elle s’interroge sur le sens de l’existence humaine, en considérant le devenir de l’humanité du point de vue du droit politique et international.

 

- Kant montre ainsi que c’est le perfectionnement de la constitution politique qui fournit le fil conducteur de l’histoire et qu’il consiste en une extension du système démocratique à l’ensemble des collectivités humaines. Pour les Anciens, seuls quelques-uns sont libres (les citoyens) puis malgré l’existence des monarchies centralisées, la sphère de la liberté ne cesse de s’étendre.

 

- Il termine en s’adressant à la fois aux historiens futurs et aux hommes d’Etat : les historiens ne doivent pas tomber dans le piège de l’érudition, dans le souci extrême du détail, et oublier le sens véritable de leur discipline : l’histoire est la mémoire des peuples libres, elle doit faire que chaque homme, pour comprendre sa tâche présente, sache juger son temps. De même, concernant les hommes d’Etat, Kant fait remarquer que l’histoire ne retiendra que les hommes qui ont su agir en hommes libres et raisonnables.

 

III) Références

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- Les études historiques sont, au 18ème siècle, partagées en deux courants bien différents :

 

·Courant tourné vers l’érudition et qui se rattache à la méthode inaugurée par Bayle dans son Dictionnaire historique et critique (1696) : l’historien doit avant tout établir les faits; le rôle de l’étude critique est d’établir le fait dégagé de la gangue de la tradition et des préjugés.

·Le second courant est représenté par Montesquieu et Voltaire : dans L’esprit des lois, Montesquieu envisage l’histoire humaine en dégageant une typologie des régimes politiques, en faisant de la vie politique le centre du monde historique. Voltaire, dans son Essai sur les moeurs, centre l’analyse non plus sur la seule histoire politique mais sur l’histoire de l’esprit. L’histoire a pour but de faire comprendre la lente marche de l’humanité et tous les obstacles qu’elle doit surmonter pour arriver à sa perfection. Voltaire s’interroge sur un dilemne que Kant retrouvera : d’une part les progrès de l’humanité sont indéniables, et, d’autre part, persiste l’idée selon laquelle l’humanité n’a pas changé et est “au fond” restée la même. Mais la nature humaine n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se forme peu à peu au travers des obstacles et des résistances.

 

- L’histoire à laquelle Kant se limite est une histoire philosophique dont le concept central est celui de liberté. Le fil conducteur de l’histoire est le point de vue cosmopolitique , c’est-à-dire la tendance à l’unification de l’espèce humaine. Kant montre que la civilisation est en marche vers une conscience cosmopolitique de soi. Dans un autre texte, Le conflit des facultés, Kant verra dans la révolution française le signe d’un élargissement de la conscience juridique des peuples. De même , Kant fait une histoire exclusivement européocentriste. Il exprime ainsi une certaine idée de l’Europe dans une mission qui lui appartient en urgence, celle de promouvoir l’esprit constitutionnel dans le monde, de fonder un ordre mondial qui ne soit pas celui de la guerre. Ce que Kant attend de l’Europe, ce n’est pas tant un pouvoir de conquêtes, d’uniformisation politique du monde que la capacité de faire du droit lui-même une partie de la culture et du patrimoine culturel des Etats modernes, de diffuser le concept de citoyenneté et de l’élargir aux dimensions d’une conscience cosmopolitique.

 

 

CONCLUSION GENERALE

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- Nous nous sommes demandés, dans l’introduction, si l’histoire a un sens et si l’on peut parler d’un progrès dans l’histoire.

 

- Nous avons vu, avec Marx, que ce progrès dans l’histoire n’est pas régulier, linéaire puisqu’il existe des crises, des contradictions, des retours en arrière, voire des régressions dans la barbarie dont témoignent les guerres. Il n’y a guère que le progrès scientifique et technique qui soit incontestable. L’histoire, selon Marx (cf texte) est le siège de contradictions et ces contradictions (entre les modes et les rapports de production, entre les classes sociales, etc.) sont génératrices de progrès. L’histoire aurait alors un sens, caractérisé par une maîtrise toujours plus grande de la nature et par la conquête par l’homme de son autonomie grâce aux acquis de la technique et aux combats des opprimés. Ce progrès n’est pas analysé comme une fatalité; il requiert, au contraire, l’intervention consciente des hommes. Autrement dit, le progrès n’est ni continu, ni nécessaire, il procède par bonds, se nourrit de l’échec et se présente comme une solution, toujours provisoire, à un noeud de contradictions et à une crise. En sorte que la direction vers laquelle doivent tendre les efforts des hommes est une valeur éthique et un idéal.

 

- Cette idée est approfondie dans l’oeuvre de Kant que nous avons étudiée.

 

- La philosophie de l’histoire de Kant repose sur trois affirmations : il y a un progrès constant de l’humanité pour parvenir à un but conforme à sa nature raisonnable; ce but est d’une part la réalisation d’une constitution républicaine, d’autre part l’instauration de la paix entre les Etats. L’histoire humaine réalise, à l’insu et parfois contre le gré de ses acteurs, un dessein de la nature, c’est-à-dire de la Providence.

 

- L’histoire est donc, selon Kant, le progrès de la liberté. L’humanité n’accomplit son oeuvre et ne se réalise comme telle que sous une discipline : elle passe de la discipline qu’elle subit à la discipline qu’elle se donne, et dont l’expression suprême est un ordre juridique universel, effet et condition de sa liberté.

 

- En somme, l’idée de progrès et de finalité naturelle nous permet de comprendre que notre vie peut être conforme au dessein de notre raison. Il s’agit d’un progrès indéfini. S’il y a une fin de l’histoire, il s’agit d’un but, et non d’un terme, d’un état dont nous devons toujours nous rapprocher sans jamais le croire atteint. La liberté signifie pour l’homme qu’il doit toujours devenir meilleur et que la république, la paix demeurent encore et toujours notre tâche.

 

- L’humanité est donc toujours responsable : l’histoire ne s’accomplit que par nos efforts puisque c’est à l’homme de faire triompher la paix, l’ordre, la raison, contre la guerre, le désordre et l’égoïsme. La raison n’est pas une nouvelle providence, elle ne s’accomplit dans l’histoire que par les efforts d’une humanité responsable. Si la nature semble contraindre les hommes à obéir aux “ordres divins”, à agir en vue de l’avènement du droit, c’est par la volonté consciente de bien agir, par la rigueur d’une vie vertueuse que ceux-ci parviennent à favoriser l’avènement de la raison. La vertu est justement ce travail incessant pour la réalisation de la liberté, que Kant distingue du fanatisme, qui consiste moins en l’effort pour bien faire qu’en la conviction de bien faire. La vertu suppose le scrupule : c’est ce qui fait qu’on n’est jamais pleinement certain de bien faire mais seulement assuré de vouloir le faire, d’être de bonne volonté.   

 

 

 

Kant, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique

 

CONTROLE DES CONNAISSANCES

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- Répondez  brièvement aux questions suivantes :

 

 

1) Quelle est la thèse de Kant dans cette oeuvre et quel problème entend-il poser ou résoudre ?

 

- Kant se demande s’il n’est pas absurde d’imaginer que l’histoire est celle d’un progrès moral et si l’idée de progrès est le point de vue rationnel qui permet de donner un sens et une unité à la diversité désordonnée de l’histoire. Il va montrer que le postulat de l’existence d’une finalité historique répond à une exigence rationnelle de cohérence. Ce point de vue rationnel sous lequel l’histoire universelle doit être traitée est celui du cosmopolitisme, union juridique des hommes qui doit faire d’eux un citoyen du monde.

 

2) Que faut-il entendre par “dessein de la nature” ?

 

- Par dessein de la nature, Kant entend un projet émanant de la nature conçue comme ensemble de réalités qui révèlent un plan divin. Il s’agit d’un projet divin unifiant le cours absurde de l’histoire et l’intégrant. La nature, c’est-à-dire la Providence, poursuit des fins qui ne sont pas les siennes; elle n’a qu’une fin, l’homme rationnel libre. La nature laisse le soin à l’espèce de son propre sort. Rôle régulateur de cette idée d’un “dessein de la nature” : l’idée d’une sagesse agissant dans une intention providentielle favorise une vision plus complexe de l’expérience; elle correspond à un besoin d’intelligibilité et d’unité de la raison. En somme, l’idée d’un progrès de l’espèce humaine, voulu par la nature, est, selon Kant, la seule qui puisse nous faire découvrir un ordre dans le désordre de l’histoire, et qui nous permette d’espérer.

 

3) Pourquoi Kant introduit-il la notion de finalité ? Dans quelle proposition cette idée apparaît-elle ?

 

- La notion de finalité est introduite dans la première proposition. L’introduction de cette idée est justifiée par un besoin d’intelligibilité : la raison réclame un fil conducteur pour une compréhension d’ensemble de la nature. Le principe de finalité est un principe d’explication jugé plus rationnel que le simple recours à la contingence des êtres vivants.

 

4) Quelle est la finalité suprême de l’existence humaine selon Kant ?

 

- La finalité suprême de l’existence humaine est la liberté et la raison qui doivent se réaliser à travers l’espèce et s’incarner dans une constitution politique parfaite, réglant les relations des Etats entre eux aussi bien que les relations des individus dans un Etat. La finalité de l’existence humaine est donc de s’arracher à la nature.

 

5) Quel est le moteur essentiel du développement humain ?

 

- Le moteur effectif et constant du développement humain est l’insatisfaction, issue de la contradiction des passions entre elles. L‘insociable sociabilité est le moteur de l’histoire : par une sorte de ruse, la nature contraint l’homme au développement de ses facultés. Sans antagonisme, l’homme serait proche de la bête brute.

 

6) La nature est-elle responsable de la méchanceté humaine ?

 

- Les hommes sont seuls responsables de leur méchanceté et des maux qui en résultent. Une méchanceté dont nous ne serions pas responsables parce que la Providence l’aurait mise en nous ne serait pas une méchanceté (un homme méchant qui aurait reçu ses vices et son immoralité de la nature, serait à plaindre, non à condamner). La Providence n’a pas voulu le mal mais sait l’utiliser. La nature tire parti de notre méchanceté qu’elle n’a pas produite, mais seulement prévu, pour nous donner peu à peu les moyens de nous en débarrasser nous-mêmes.

 

7) Quel (s) problème (s) essentiel (s) l’humanité doit-elle résoudre ?

 

- La réalisation d’une société libérale, juste, réglée par le droit; l’établissement, autrement dit, d’une constitution fondée sur le droit.

 

8) Comment Kant se représente-t-il le progrès du droit ?

 

- Kant se représente le progrès du droit comme l’effet d’un mécanisme naturel qui, par un jeu d’équilibre des forces, règle la vie commune des hommes. La nature contraint les hommes à se soumettre au droit qui endigue le déferlement des passions. La vie en société impose les règles du droit et discipline ainsi les hommes, elle fait leur éducation. C’est donc le mécanisme naturel des passions au sein de la société qui joue le rôle de maître de l’espèce humaine. Le progrès du droit se fait ainsi avec des moyens naturels, avec les passions et la lutte, selon des dispositions qui se développent par la contrainte.

 

9) Kant fait-il l’éloge des passions et de l’égoïsme humains ?

 

- Kant ne fait pas l’éloge des passions et de l’égoïsme. C’est plutôt ce qui contrarie la passion et l’égoïsme qui est reconnu comme moteur du développement humain. C’est le travail, l’effort, le labeur qui sont féconds parce qu’avec eux l’acte de se développer contredit l’inclination à la paresse.

 

10) En quoi l’établissement de la justice publique représente-t-elle une tâche difficile ?

 

- Le problème de la justice publique est très difficile parce que les dirigeants sont des hommes égoïstes, soumis à des penchants individuels et ne prenant pas en compte l’universel de la loi. Le gouvernant lui-même est un être fini, accédant avec le plus grand mal à l’universel de la loi. 

 

11) Comment Kant conçoit-il le maître ? Quelle est sa fonction ?

 

- Le maître est une personne exerçant une domination, selon un mode non arbitraire, ayant pour but de conduire le gouverné, le disciple, l’élève, vers la voie de la culture ou de la formation universelle. Il est le médiateur entre la nature et la culture. Sa fonction est de briser les particularités et l’arbitraire des volontés individuelles, de conduire vers le respect de la loi. Sa fonction essentielle consiste donc à faire accéder notre nature animale à la sphère de la culture et de la coexistence.

 

12) Par quel mécanisme les Etats sont-ils conduits vers la paix perpétuelle ?

 

- Les mêmes maux qui forcèrent les individus à se soumettre à la régularité des lois civiles forceront les Etats à chercher pour les rapports internationaux une constitution régulière. A force de conflits destructeurs devrait s’imposer la nécessité d’une fédération pour une paix perpétuelle : le fardeau de plus en plus lourd des dépenses militaires, les misères sans nombre que la guerre engendre, etc., doivent convaincre les peuples de la nécessité de sortir de la sauvagerie sans loi pour entrer dans une fédération où chacun d’eux, même le plus petit, tiendra ses droits et sa sécurité de la volonté collective des Etats légalement organisée.

 

13) De quoi traitent la septième et la huitième propositions ?

 

- La septième proposition montre que les Etats seront contraints de se soumettre par eux-mêmes à une organisation juridique de la paix, de la même manière que les individus ont été contraints de se soumettre à une souveraineté. Les ambitions des Etats et les catastrophes qui en découlent deviennent ce qui doit finalement contraindre les Etats à s’entendre. Dans la huitième proposition, Kant explique que l’idée d’un plan caché de la nature n’est pas un délire de visionnaire et que l’on peut chercher, dans l’expérience (dans le XVIIIe siècle), un indice du progrès de l’humanité.

 

14) Quel est le sens de la guerre ?

 

- Le sens de la guerre est à chercher dans le mécanisme par lequel la nature conduit les Etats vers la paix, dans les tensions que la guerre impose aux Etats, leur interdisant de s’endormir. La guerre est une tentative de la nature pour contraindre les Etats à construire de nouveaux rapports de droit. La guerre nous oblige en quelque sorte à nous produire nous-mêmes comme des êtres de culture et à changer nos modes de pensée.

 

 

 

15) Qu’est-ce que le cosmopolitisme ?

- Le cosmopolitisme est l’organisation juridique de la apix mondiale qui donne sens et unité aux différentes étapes marquant la civilisation. Il s’agit d’une union juridique des hommes qui doit faire de chacun d’eux un citoyen du monde. C’est l’idée que la fin de l’histoire est mondiale.

 

16) Quelle est la thèse de Kant dans la huitième proposition ? Que veut-il démontrer ?

 

- Dans la huitième proposition, Kant entend démontrer que le sens de l’histoire est bien la destination de l’humanité vers un Etat cosmopolitique de paix et de droit. Il s’interroge alors sur la signification culturelle du cosmopolitisme.

 

17) Qu’est-ce qui fournit le fil conducteur de l’histoire de l’humanité ?

 

- C’est le perfectionnement de la constitution politique qui fournit le fil conducteur de l’histoire, c’est-à-dire le progrès de l’humanité vers la liberté et la paix sur toute la terre.

 

 

CONCLUSION SUR LE TEXTE

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18) Quelle conception Kant se fait-il du progrès dans Idée d’une histoire universelle… ?

 

- Kant conçoit le progrès comme étant indéfini, toujours à faire et ne cessant jamais. L’idée de progrès est une idée régulatrice qui doit nous aider à ne pas désespérer de l’humanité, à nous donner espoir en l’avenir, et à nous apprendre à ne pas nous contenter de ce que l’histoire a fait de nous. L’idée de progrès signifie donc à la fois que nous ne sommes pas réductibles à ce que nous sommes, puisque nous pouvons toujours mieux faire, et que pourtant nous ne nous arracherons jamais à notre finitude puisqu’il restera toujours à nous améliorer.

 

19) Y a-t-il, selon Kant, une fin de l’histoire ? Si oui, que faut-il entendre par “fin” et en quoi consiste cette “fin” ?

 

- Il y a une fin de l’histoire, au sens de but, mais non de terme. Il s’agit d(un état dont nous devons toujours nous rapprocher sans jamais le croire atteint. Concevoir une fin de l’histoire signifie que nous devons toujours devenir meilleurs? Cette fin est la République et la Paix, ce que nous devons réaliser et qui est susceptible de donner un sens à notre histoire. Elle est un idéal, un devoir-être.

 

 

20) A quelles notions du programme l’oeuvre de Kant renvoie-t-elle ? En vous aidant de votre manuel de philo et éventuellement des annales du bac, identifiez quelques sujets de dissertation que la connaissance de cette oeuvre permettrait de développer.

 

- Notions au programme : l’histoire, nature et culture (TL), le travail, le droit, la justice, l’Etat, les passions, le bonheur.

 

 

- Sujets de dissertation :

 

 

1. L’histoire comme réalité :

 

            a) L’histoire comme processus spécifique et finalisé :

 

- L’histoire a-t-elle un sens ?

- L’histoire n’a-t-elle un sens que si elle a une fin ?

- L’histoire produit-elle un sens ou bien ce sens lui est-il communiqué ?

- Pensez-vous que l’homme est le seul être à avoir une histoire ?

- Suffit-il de changer pour avoir une histoire ?

- Peut-on dire que l’histoire se répète ?

- Est-ce par son travail que l’homme prend conscience qu’il a une histoire ?

- L’histoire peut-elle délivrer l’homme du déterminisme naturel ?

 

            b) Responsabilité de l’homme :

 

- Peut-on dire que ce sont les hommes qui font l’histoire ?

- L’histoire des hommes résulte-t-elle de leur liberté ou d’une nécessité ?

 

2. L’histoire comme connaissance :

 

            a) Problèmes épistémologiques :

 

- En quel sens peut-on dire que l’historien “fait” l’histoire ?

- L’histoire est-elle le simple récit des faits tels qu’ils se sont passés ?

- Qu’est-ce que changer d’époque ?

- L’histoire peut-elle se passer du récit ?

- L’historien peut-il être impartial ?

- En quoi l’histoire représente-t-elle à la fois un savoir indispensable et une science impossible ?

- Le journaliste peut-il décider qu’un événement est historique ?

 

            b) Utilité de l’histoire :

 

- Peut-on concevoir une société sans historiens ?

- En quoi la connaissance de l’histoire est-elle indispensable au citoyen ?

- Paul Valéry écrit à propos de l’histoire qu’elle “justifie ce que l’on veut. Elle n’enseigne rigoureusement rien car elle contient tout et donne des exemples de tout.” Que pensez-vous de ce point de vue critique ?

- Mieux connaître l’histoire permet-il à l’homme de mieux exercer sa liberté ?

 

 

 

LEXIQUE

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- La nature : l’ensemble des phénomènes, psychiques comme physiques, internes ou externes, en tant qu’ils sont soumis à des lois universelles, entrent dans une connexion en vertu du principe de causalité  et peuvent être objets de science. Cause suprême du monde, sagesse agissant dans une intention providentielle. Système de fins propre aux êtres vivants.

 

- L’histoire : devenir de l’espèce humaine, c’est-à-dire d’êtres libres qui décident eux-mêmes de leurs actions. Connaissance du passé (l’histoire des historiens).

 

- La raison : ensemble des principes a priori dirigeant la connaissance, sans aucun emprunt à l’expérience. Cette raison peut être spéculative et concerne le pouvoir de connaître a priori des objets, ou bien pratique et concerne la règle de la moralité.

 

- L’universel : ce qui est valable et exigible pour tous les hommes. Ce qui est susceptible d’être admis par tous les hommes.

 

- La liberté : capacité à agir en fonction de fins que l’on se propose soi-même. Capacité de se perfectionner (perfectibilité). Capacité de se donner sa propre loi, d’être autonome et responsable de soi. La liberté, selon Kant, relève d’une culture, d’une éducation qui exige la médiation juridique, politique, cosmopolitique, dont le lieu de développement est, pour notre espèce, l’histoire.

 

- Les passions : “inclination que la raison du sujet ne peut pas maîtriser ou n’y parvient qu’avec peine…” (Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique). Rupture de l’équilibre psychologique qui privilégie un penchant au détriment de tous les autres. La passion, selon Kant, est folie, “maladie de l’âme” consistant à prendre une partie de la fin que nous poursuivons pour le tout.

 

- La culture : fin de la nature, manière dont la nature nous prépare à la liberté. A la fois les techniques, les arts, les sciences, le droit, les institutions politiques d’une société, et tout ce qui résulte de l’apprentissage, de l’éducation, du travail, c’est-à-dire de l’histoire et de la vie sociale. Processus général de l’histoire humaine donc. Tout ce qui, en somme, développe des dispositions naturelles ; processus par lequel l’humanité surmonte la grossièreté des instincts.

 

- Le cosmopolitisme : organisation juridique de la paix mondiale. Union juridique des hommes qui doit faire de chacun d’eux un citoyen du monde et qui donne sens et unité aux différentes étapes marquant la civilisation.

 

- L’instinct : comportement transmis héréditairement, caractérisé par un savoir-faire inné.

 

- La morale : ensemble de règles de conduite tenues comme universellement et inconditionnellement valables. Accord intérieur avec la loi du devoir, comportant l’intention d’agir par respect pour cette loi.

 

- Le bonheur : état de satisfaction complète, caractérisé par sa plénitude et sa stabilité. “ Le pouvoir, la richesse, la considération, même la santé ainsi que le bien-être complet et le contentement de son état…” (Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs). Idéal , non de la raison, mais de l’imagination.

 

- Le scepticisme : doctrine selon laquelle l’esprit humain ne pourrait atteindre avec certitude la vérité; il serait donc nécessaire de suspendre le jugement et de pratiquer le doute.

 

- La critique : au sens général, examen d’une réalité quelconque dans le dessein de l’évaluer, de formuler un jugement d’appréciation à son sujet (exemple : la critique d’art). Au sens kantien, la critique est l’examen du pouvoir de la raison et de la valeur de la connaissance.

 

- La sagesse : caractère de celui qui est un sage, qui réalise un type moral idéal, qui parvient à la vertu. 

 

- A priori : ce qui, d’un point de vue logique, est antérieur à toute expérience et en constitue la condition de possibilité et le présupposé nécessaire et universel.

 

- Cause efficiente : désigne un phénomène pour autant qu’il en produit un autre, par opposition à la cause finale qui désigne le but en vue duquel s’accomplit un acte.

 

- Constitution civile : état de limitation réciproque des libertés institué par un contrat entre les hommes libres se soumettant à une loi commune.

 

 

 

 

 

 

Idée d’une histoire universelle – tableau synoptique – Plan de l’oeuvre

 

Exercice de mémorisation du plan de l’oeuvre

 

Consigne : indiquez les idées principales en essayant de reproduire le plus fidèlement possible le tableau du cours.

 

Introduction

 

-        Alinéa 1

 

-        Alinéa 2

 

 

Première proposition

 

Enoncé de la proposition :

 

Développement :

 

 

Deuxième proposition

 

Enoncé de la proposition :

 

Développement :

 

 

Troisième proposition

 

Enoncé de la proposition :

 

Développement :

 

 

Quatrième proposition

 

Enoncé de la proposition :

 

Développement :

 

Cinquième proposition

 

Enoncé de la proposition :

 

Développement :

 

 

Sixième proposition

 

Enoncé de la proposition :

 

Développement :

 

 

Septième proposition

 

- Alinéa 1

Enoncé de la proposition :

 

Développement :

 

-        Alinéa 2

 

Huitième proposition

 

Enoncé de la proposition :

 

Développement :

Neuvième proposition

 

-        Alinéa 1

Enoncé de la proposition :

 

Développement :

 

-        Alinéa 2

 

 

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