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3 ) L’organisation du cours et les exercices
II) LA PHILOSOPHIE, QU'EST-CE QUE C'EST ?
1) Questionnaire distribué aux élèves
2) La signification du mot " philosophie "
3) Le questionnement philosophique
4) Pourquoi faire de la philosophie ?
5) L'actualité de la philosophie
- Si vous avez eu la curiosité de
feuilleter votre manuel de philosophie, qu'est-ce qui, selon vous, semble
caractériser l'enseignement de la philosophie en terminale par rapport aux
autres disciplines scolaires que vous pratiquez depuis longtemps ?
- Objectif : étude de notions, d’idées générales (le temps, la mort, l’histoire…) qui sont souvent ambiguës, polysémiques et qui conduisent à un problème, à une question fondamentale; lecture de textes philosophiques qui doivent nous aider à découvrir ce que parler veut dire et à apprendre à produire des questions et à formuler des réponses. Comme nous allons l'expliciter au fur et à mesure de cette présentation, l'objectif de ce programme est d'apprendre à penser par soi-même. Penser par soi-même : qu'est-ce à dire et pour quelles raisons conviendrait-il de penser par soi-même et d'apprendre à penser par soi-même ? Nous essaierons de répondre plus tard à ces questions.
- Notions organisées en 3 parties qui correspondent à des interrogations fondamentales sur l’homme : l’homme et le monde (la conscience, l'inconscient, les passions, autrui, l'histoire, le temps…); la connaissance et la raison (le langage, théorie et expérience, le sens, la vérité…) , chapitre qui renvoie essentiellement à la philosophie des sciences, à l'histoire des sciences; la pratique et les fins (le travail, la technique, l'art, l'Etat, le droit, la justice...), chapitre qui concerne la philosophie politique et morale : pratique signifie l'action concrète des hommes, fin désigne les buts et les objectifs de l'action.
- L’étude des notions est commandée par la définition d’un problème philosophique.
- Etude de textes (1 au moins par notion) permettant d’approfondir le cours. Les textes seront choisis dans le manuel de philosophie (vérifier l'édition avec les élèves) qu'il conviendra d'apporter à chaque leçon. La lecture des textes philosophiques est une des caractéristiques essentielles de la philosophie car elle participe de l'apprentissage de la pensée personnelle et critique : nous verrons que penser par soi-même, c'est penser avec les autres.
- Les notions sont approfondies par l’étude de 3 oeuvres en TL (dont l'une au moins doit être étudiée en totalité), 2 en Tes et 1 en TS. Leurs auteurs doivent être choisis dans la liste du programme. Les oeuvres proposées cette année sont les suivantes :
1. En TL :
-
Spinoza, Ethique, troisième partie, Traduction,
notices et notes par Ch. Appuhn, Garnier-Flammarion, 1965.
-
Montaigne, Apologie de Raimond Sebond, in Essais II, Gallimard, Folio classique,
1965 (ISBN 2-07-036290-X).
-
Emmanuel Kant,
Prolégomènes à toute métaphysique future
qui pourra se présenter comme science, traduit de l'allemand par J.
Gibelin, neuvième édition, Vrin, 1984 (ISBN 2-7116-0430-6).
2. TES :
-
Spinoza, Ethique, in Oeuvres III, Traduction, notices et notes par Ch. Appuhn,
Garnier-Flammarion, 1965.
-
Montaigne, Apologie de Raimond Sebond, in Essais II, Gallimard, Folio classique,
1965.
3. TS
-
Montaigne, Apologie de Raimond Sebond, in Essais II, Gallimard, Folio classique,
1965.
- A l'étude de ces oeuvres s'ajoutent deux questions au choix en TL, 1 en TS et TES : l'hindouisme (en rapport avec le voyage en Inde que nous prévoyons d'organiser cette année). Si oeuvres et questions au choix ont pour finalité l’oral du second groupe d’épreuves du bac, elles permettent surtout d'approfondir certains thèmes du programme et, surtout, d'apprendre à lire une oeuvre philosophique.
- Exercices à la maison : dissertations, explications de texte notées coefficient 3. 4 devoirs pour les TL par trimestre, 3 pour les TES , par alternance (texte, dissert, texte…), dont un devoir surveillé par trimestre dans les conditions du bac. Le calendrier des devoirs surveillés sera donné ultérieurement.
- Contrôles
réguliers sur l’apprentissage du cours, dont certains seront notés; travail
régulier à partir des fiches de travail ; fiches de lecture (1 ou 2 par
trimestre, en plus des œuvres au programme, pour les TL; pour les TES, fiches
de lecture sur les deux oeuvres au programme); 1 dossier sur la question au
choix (la guerre); exercices réguliers de méthodologie, etc. Ces exercices
seront comptés dans la moyenne trimestrielle coefficient 1 et coeff 2 pour le
dossier.
- Nécessité de participer à l’oral et de prendre des notes (ne pas se contenter des fiches de travail qui ne sont qu’un auxiliaire, et non un substitut, du cours); retenir l’essentiel, ne pas tout noter. Nécessité de lire.
- Le bac consiste en un écrit (au choix : deux sujets de dissertation et un commentaire) et/ou un oral de rattrapage (second groupe d'épreuves du baccalauréat) portant sur l’explication d’un passage d’une des trois oeuvres ou sur “ la question au choix ” .
- Difficulté majeure de cette année de philosophie : l’épreuve n’est pas un test de connaissance, ni une simple récitation du cours, des idées du professeur, encore moins un défilé de mode où seraient convoqués les grands auteurs sans autre lien entre eux qu'additif. C’est un véritable travail de réflexion philosophique.
- Exemple : concernant une notion classique comme la liberté, on ne posera pas une question de cours comme “quelle est la différence entre la liberté politique et la liberté métaphysique ?”, car ces définitions sont supposées connues et constituent une base de réflexion donnée par le cours. De même, on n’interrogera pas sur un point de doctrine comme : exposez la conception hégélienne de la liberté. Là encore, une telle conception est un élément de réflexion donné par le cours. Les questions posées lors de l’épreuve sont du type :
- Nier la liberté, est-ce retirer toute signification à la morale ?
- Jusqu’à quel point y a-t-il
antagonisme entre liberté et sécurité ?
- Que demande-t-on au candidat ? Une réflexion personnelle sur le sujet. Mais être personnel n’est pas être subjectif. Ce que j’argumente ne vaut pas parce que je suis moi (expérience soi-disant indicible) et qu’à chacun ses opinions, mais doit valoir comme argumentation : le lecteur doit, en droit, pouvoir se ranger à mon avis. Ceci suppose : 1. comprendre la question posée (comme problématique générale et souvent classique : c’est là que le cours est nécessaire) et 2. développer une argumentation rationnelle et pédagogique (je dois être clair et être compris).
- “ On ne peut pas apprendre la philosophie, on ne peut apprendre qu’à philosopher” (Kant).
- 1 classeur pour les cours (notions) avec des intercalaires séparant les notions. Y mettre les cours proprement dits, les textes étudiés en classe, les fiches de travail distribués par le professeur.
- 1 classeur pour les exercices (méthodologie, etc.), les devoirs, les corrigés des devoirs. Noter à chaque fois à quelle notion au programme et à quelle partie du cours l’exercice se rapporte.
- 1 classeur pour les oeuvres au programme, les questions au choix, le ou les dossiers.
- 1 répertoire pour le vocabulaire (indispensable).
- 1 dictionnaire de philo + les oeuvres au programme.
- Nécessité d’amener le manuel de philo à chaque cours. Nécessité de le consulter régulièrement (complément indispensable du cours).
- Voyage en Inde fin janvier. Thème
(question au choix : l'hindouisme). Dossier.
- Site philo sur la page internet du lycée (en collaboration avec mr Quero). 1 élève par classe (groupe de 3 ou 4). A créer dès le mois de septembre et à alimenter régulièrement. Echanges avec les autres lycées d'Asie : cours, devoirs, corrigés… Les meilleures copies… Dossier sur l'hindouisme, voyage. Fiches de lecture.
- Cette présentation rapide de l'enseignement de la
philosophie en terminale va maintenant nous permettre d'expliquer sommairement
ce qu'est la philosophie. Nous nous contenterons ici de dégager les grandes
lignes du projet philosophique. Nous nous mettrons ensuite directement au
travail en commençant par l'étude des deux premières notions au programme – la
conscience et l'inconscient -, la meilleure façon de définir la philosophie
étant d'en faire. Pour ce faire, je vous propose de répondre à ce petit
questionnaire qui nous aidera à cerner la question " qu'est-ce que la
philosophie ? "
1.
Connaissez-vous
l'origine du mot " philosophie " ?
2.
Quand
on dit de quelqu'un qu'il est " philosophe " ou qu'il faut agir avec
" philosophie ", que veut-on signifier ?
3. Avez-vous entendu parler de certains philosophes ou lu des ouvrages philosophiques ? Si oui, lesquels ?
4.
Voici
14 questions. Distinguez les questions de portée philosophique de celles qui, à
votre avis, ne le sont pas et justifiez votre choix. Ecrire une définition
provisoire du questionnement philosophique et rédiger quatre questions
uniquement philosophiques, chacune portant sur un thème différent.
1.
Quels sont les
mécanismes de la mémoire ?
2. Pourquoi le
TGV va-t-il plus vite que le train corail ?
3. Y a-t-il
des usages légitimes de la violence ?
4. L’art
est-il utile ?
5. Quelles
sont les libertés fixées par la Déclaration des droits de l’homme ?
6. Qu’est-ce
qu’un ordinateur ?
7. Faut-il
défendre l’ordre à tout prix ?
8. Etre libre
est-ce faire ce qui nous plaît ?
9. Peut-on
donner son sang une fois par semaine sans être affaibli ?
10. Dieu
existe-t-il ?
11. D’après
Freud, à quel âge l’enfant passe-t-il par une période de latence ?
12. Existe-t-il
des êtres doués de pensée ailleurs que sur la Terre ?
13. Comment
s’effectue le dépistage du cancer du foie ?
14. Pensez-vous,
comme le dit J.-P. Sartre, que « l'enfer, c'est les autres » ?
- La philosophie est pour la plupart d’entre nous une discipline fort
étrange et obscure. Si l'on se tourne du côté du sens commun, le mot
"philosophie" reçoit différents usages, comme le suggèrent un certain
nombre d'expressions familières :
* "prendre les choses avec
philosophie" : garder son calme, sa sérénité au milieu des tracas de la
vie quotidienne; la philosophie : une sorte de sagesse entendue comme art de
s'accommoder des événements que l'on ne peut pas changer, un idéal de maîtrise
de soi;
* " la philosophie d'un homme
d'Etat, d'un programme" : les principes généraux d'un plan d'action, d'un
programme politique, d'une loi;
* " la philosophie bouddhiste" : la vision du
monde qui se dégage plus ou moins explicitement d'un comportement, d'une
croyance, d'une doctrine.
- Philosophie veut dire en grec ‘’amour de la sagesse’’. Le mot
philosophie aurait été introduit par Pythagore (VI e siècle avant notre ère)
parce qu'il était plus modeste, moins ambitieux que celui de sagesse. La philosophie se caractérise donc, en
premier lieu, par son aspiration à la connaissance, au savoir, à la sagesse.
Mais quel type de connaissances et en vue de quoi ?
- En premier lieu, remarquons qu'il est rare
qu’on demande à une discipline enseignée dans le secondaire de se définir, sans
doute parce qu’elle possède un air de familiarité. Il ne serait peut-être pas
évident de définir les mathématiques à quelqu’un qui n’en aurait jamais fait ;
et pourtant, on fait des maths sans s’interroger sur ce que l’on fait : soit on
réussit et c’est valorisant, soit on échoue et on est nul en math ; mais
l’objet des mathématiques n’est pas une question apparemment pertinente.
- Il n’en est pas de même de la philosophie puisque cette matière apparaît pour la première fois en terminale (spécificité française). On s’interroge légitimement sur son objet. Or la question " qu'est-ce que la philosophie ? " est déjà elle-même une question philosophique, comme la question : “ qu’est-ce que les mathématiques ? ” est philosophique.
- En effet, quand un mathématicien se demande ce qu’il fait, sur quel type d’objet il travaille, il se pose des questions qui excèdent les mathématiques, auxquelles il ne peut être répondu par des théorèmes. Une expérience de chimie est un exemple du travail du chimiste, mais elle ne peut satisfaire à la question : " qu'est-ce que la chimie ?". Sur ces questions, ou sur les réponses qu’il convient d’y apporter, tous les mathématiciens ne seront pas d’accord; alors même qu’ils font les mêmes mathématiques, ils n’auront pas nécessairement la même conception des maths.
- Quelles sont alors les caractéristiques du questionnement philosophique ? Pour répondre à cette question, examinons le petit exercice qui vous a été proposé.
- Correction du questionnaire
:
- Exemple
de quatre questions philosophiques : la mort rend-elle la vie absurde ? Peut-on
concevoir des sociétés sans violence ? Qu’est-ce qu’être maître de
soi ? La passion est-elle toujours un esclavage ?
- Les caractéristiques du questionnement philosophique : ce sont des questions qui suscitent des prises de position, qui demandent un jugement personnel, qui concernent tout le monde.
- La définition du questionnement philosophique : le questionnement philosophique, qui a une forme générale et abstraite, porte sur toutes les dimensions de l’existence humaine. Il s’adresse à tout homme. Il remet en cause les idées toutes faites, les réponses faciles et définitives : il les interroge sur leur sens (signification et orientation-implication). Il fait appel à l’esprit critique mais exige aussi d’être attentif aux idées qui ne sont pas les nôtres. Il implique des débats où chacun doit chercher des arguments raisonnés et cohérents entre eux. Il débouche sur des réponses personnelles qui un jour seront encore interrogées.
- Nous apercevons ainsi que, contrairement à d'autres disciplines, la philosophie n’est pas une affaire de spécialiste : chacun philosophe dès qu’il s’interroge sur les fondements d’un savoir ou d’un concept. Si je me demande : " au fait, qu’est-ce que c’est qu’être libre ? " , ou bien " : qu’est-ce que c’est que la justice ", ou encore : " comment pourrait-on définir la vérité ? " , et que je dépasse la simple question pour m’aventurer vers un questionnement organisé en vue d’une réponse, je fais alors de la philosophie.
- Cela nous indique déjà un des caractères particuliers à la philosophie : le retour sur soi, la rationalité critique qui consistent, par l'exercice du doute méthodique, du dialogue raisonné, à dégager, au-delà des préjugés et des opinions, le fondement et la raison d'être de ces opinions. La philosophie réfléchit ainsi sur l’ensemble de nos savoirs (ex: savoir scientifique), de nos pouvoirs (ex: pouvoir technique), sur les fins (buts de l’action) et sur le problème des valeurs (“qu’est-ce que la justice, la beauté, la vérité…?”) dans une perspective d’universalité (au-delà de la multiplicité changeante des opinions, des idéologies, des conceptions du monde).
- Penser par
soi-même, s'interroger, aller au fondement des choses, se débarrasser des
préjugés et des illusions certes, mais pour quoi faire ? Ne vaut-il pas mieux
le confort des certitudes toutes faites, des préjugés, de l'ignorance ? La
philosophie n'est - elle pas finalement " une prise de tête " qui
nous éloignerait de la vraie vie en nous encombrant l'esprit de questions
fumeuses et déprimantes ? Pourquoi finalement faire de la philosophie en
général et plus particulièrement en terminale ? Demander aux élèves ce qu'ils en pensent.
- Le soupçon d'inutilité pèse en permanence sur la
philosophie. A la question de savoir si la philosophie est utile, voire
nécessaire, le philosophe Aristote tenait le raisonnement suivant :
·
ou
bien il faut philosopher ou bien il ne faut pas philosopher;
·
or,
s'il ne faut pas philosopher, encore faut-il le démontrer, donc philosopher.
·
Conséquence
: prouverait-on l'inutilité de la philosophie qu'on philosopherait encore.
- Démontrer l'inutilité de la philosophie, comme démontrer
l'inutilité du langage ou l'inexistence de la vérité, c'est contredire l'énoncé
par l'énonciation. De sorte qu'on n'échappe pas plus à la philosophie qu'on
n'échappe au langage ou à la vérité, sauf peut-être par la violence, la
mauvaise foi ou le silence.
- Ensuite, la philosophie peut nous permettre de dépasser nos préjugés pour accéder à un mode d'existence qui nous appartient en propre. Se contenter de préjugés, pour s'orienter dans l'existence, c'est renoncer à être pleinement humain, c'est renoncer à être l'auteur de ses actes et de ses expériences.
- Au contraire, la philosophie est d'abord réflexion critique sur les préjugés: elle est donc la condition nécessaire pour "devenir soi-même", au lieu de se contenter du conformisme ambiant.
- Voilà pourquoi, comme le notait le philosophe Alain, la fonction de penser ne se délègue point : c’est à nous de penser et il faut le faire par soi-même, ce qui est difficile. Il y a sans doute autant de philosophies qu’il y a de philosophes, bien qu’il arrive que des philosophes s’accordent (il y a des maîtres, des disciples, etc.). Cela signifie que si n’importe qui peut faire des maths ou des sciences à votre place, personne ne peut philosopher à votre place.
- Alors que notre tendance naturelle est
d’accepter une paisible situation où l’autre pense pour nous, en notre lieu et
place, penser, participer à la réflexion philosophique, c’est inventer quelque
chose de neuf, réapprendre à voir lucidement les choses ; c’est parvenir à une
réflexion adulte, apprendre à se servir de son entendement, sans la
direction d’autrui, ce qui exige courage et travail.
- Kant a montré, en effet, dans un petit texte intitulé Qu'est-ce que les Lumières ?, que la servitude consiste à remettre, en autrui, la charge de diriger nos pensées, à refuser d’assumer soi-même ses propres opinions et jugements. Kant appelle minorité la subordination de l’usage de l’entendement à la direction d’autrui. La cause de cette minorité volontaire est la paresse et la lâcheté, le confort de l’aliénation. La paresse est la propension au repos sans travail préalable ; la lâcheté est la pusillanimité sans honneur. La minorité exprime la manière dont le sujet se considère lui-même : elle a son fondement dans une déconsidération de soi, une mésestime de soi. Les tuteurs, les tyrans, les gourous multiples cultivent cette mésestime de soi, infantilisent les sujets et entretiennent, par conséquent, l’état pathologique dans lequel ils se trouvent.
- Kant définit alors les Lumières comme la sortie hors de la minorité volontaire, c’est-à-dire comme un processus d’élévation, d’arrachement progressif à un état de dépendance. La maxime des Lumières est de penser par soi-même en toutes circonstances, de chercher en soi-même, dans sa propre raison, la pierre de touche de la vérité. La vertu du courage est donc la condition de l’usage de l’entendement, de sorte que la raison, le savoir visent avant tout la formation de la personne, comme sujet responsable.
- Cela signifie que la motivation qui nous conduit à aimer la philosophie, c'est le goût de la liberté vraie. La fausse liberté, c'est la prétendue spontanéité de celui qui " fait ce qui lui plaît " et qui en fait ne fait que suivre son troupeau. Etre l'auteur réel de ses actes, ne plus se laisser abuser par les préjugés ambiants, voilà la motivation principale du philosophe comme de l'apprenti philosophe.
- Un philosophe du XX° siècle, du nom de Jankélévitch, disait lors d'une émission télévisée (Apostrophe) : "on peut très bien vivre sans philosopher, mais on vit moins bien". Je comprends cette phrase très simplement : on peut très bien vivre, et non pas seulement survivre, sans philosophie, c'est-à-dire connaître des moments de bonheur intense, mais on les vivra forcément moins intensément que si on philosophe aussi sur ces moments. Pourquoi ?
- D'abord parce que cela permet de les faire durer davantage.
- Ensuite parce qu'en prenant conscience de la nature et des causes de ces moments, on les revit plus pleinement.
- D'autre part, comprendre plus profondément la nature d'un état, de ses tenants et aboutissants, c'est se rendre capable d'une perception plus subtile, d'une sensibilité accrue lors de nouvelles expériences heureuses.
- Enfin, comprendre les causes réelles d'un état de bonheur réel, c'est être capable de devenir la cause de son bonheur, par la compréhension de celui-ci, au lieu d'attendre passivement que le bonheur vienne de l'extérieur.
- En somme, philosopher est une façon de vivre plus accomplie, voire plus intense. Si le bonheur ne s'apprend sans doute pas, la lucidité qui le rend possible se cultive. Le questionnement philosophique n'est donc pas une fin en soi; il relève d'une exigence de lucidité dont la fonction consiste à débarrasser la vie des faux-semblants pour mieux vivre, d'une façon plus accomplie, plus humaine et peut-être plus intense.
- A quoi peut donc servir la philosophie ? A vivre mieux, d’une vie plus raisonnable, plus lucide, plus riche, plus libre, plus heureuse…Permettre à chacun de mieux conduire son existence, d’accéder à une ‘’vie bonne’’, réussie.
- On comprend alors mieux pourquoi, en son acception étymologique, la philosophie est définie comme l'amour de la sagesse. La sagesse, en son sens originel, n’est rien d’autre que la méthode du bonheur, methodos signifiant le chemin. La sagesse est, strictement parlant, la technique du bonheur. Elle nous enseigne des recettes pour être heureux en quelque sorte. Le philosophe est donc celui qui tente de découvrir et d’élaborer une sagesse, c’est-à-dire un savoir indiquant les vrais moyens de parvenir au bonheur.
- C’est la raison pour laquelle le philosophe Epicure définit la philosophie de cette façon : “ la philosophie est une activité qui, par des discours et des raisonnements, nous procure la vie heureuse ”. Autrement dit, la philosophie est une pratique discursive, qui a “ la vie pour objet, la raison pour moyen, et le bonheur pour but ” (André Comte-Sponville, L’amour la solitude).
- Qu'est alors un philosophe ? Le philosophe est celui qui se sert de sa raison pour réfléchir sur la vie, pour se libérer de ses illusions et pour être heureux. Philosopher, c’est penser sa vie et vivre sa pensée.
- Faisons néanmoins remarquer que si le bonheur est le but de la philosophie, il n’en est ni le chemin, ni la norme : on peut être heureux sans philosopher et l’on peut philosopher sans être heureux (il y a des philosophes malheureux). La norme de la philosophie est la vérité : ce n’est pas parce qu’une idée me rend heureux que je dois la penser, mais si je dois penser une idée c’est uniquement parce qu’elle me semble vraie. La vérité, pour le philosophe, l’emporte toujours sur le bonheur : mieux vaut une vraie tristesse qu’une fausse joie. Définissons alors la sagesse comme vérité heureuse : une vérité n’est pas vraie parce que heureuse mais heureuse parce que vraie. La philosophie n’est qu’amour de la sagesse, amour à la fois de la vérité et du bonheur. Où l’on voit que nous sommes loin de la sagesse : la plupart du temps les vérités nous sont indifférentes ou nous font mal.
- Notons, enfin, qu’aujourd’hui la philosophie semble susciter un regain d’intérêt : publications “grand public” (Le monde de Sophie de Jostein Gaarder, Petit traité des grandes vertus d’A.Comte-Sponville…); mode du café philosophique; médecins et juristes qui se tournent vers la philosophie pour élucider les questions d’éthique, de politique que le génie génétique a mises à l’ordre du jour; astrophysiciens et biochimistes qui redécouvrent des questions d’origine (celle de l’univers, de la vie) et qui en perçoivent l’ascendance et la portée philosophiques…
- Il n’est nulle pensée, nulle action, en effet, qui ne sollicite l’interrogation philosophique et ne tienne par quelque biais au tout de la pensée. Qui plus est, la philosophie s’avère susceptible de trouver son emploi dans l’élucidation de questions actuelles et brûlantes. Les philosophes ont toujours peu ou prou contribué à transformer le monde, en un sens ou un autre, et notre civilisation a été modelée en profondeur par l’esprit philosophique. Chacun est en quête de justice, d’un chemin du bonheur et d’un sens à donner à son existence. Les sciences, fussent - elles humaines, et pour nécessaires et intéressantes qu’elles soient, ne peuvent nous apporter de vraies réponses : leur objet est le réel, non l’idéal ou le Bien ; elles disent ce qui est et ce que l’on peut faire, mais non ce que l’on doit faire.
- L’idéal de la philosophie est, en définitive, dans les sociétés laïques et démocratiques, de servir à vivre ensemble, de la meilleure façon, selon deux formes essentielles.
1. D’abord dans le débat rationnel, sans lequel il n’y a pas de démocratie. En effet, la démocratie, comme la philosophie, est fondée sur un pari : que chaque homme soit une partie du pouvoir souverain, que chaque citoyen soit un gouvernant en puissance. Cela suppose que chaque homme soit informé et capable de bien juger, en connaissance de cause. Pour que la démocratie soit effective, il faut que les citoyens soient instruits et comprennent les grands enjeux moraux et politiques. C’est à cet objectif que répond l’instauration d’un enseignement philosophique en fin d’études secondaires.
2. D’autre part, si la philosophie peut servir à vivre ensemble dans le débat rationnel, elle le peut aussi dans l’amitié, sans laquelle il n’y a pas de bonheur. Il s’agit, par conséquent, de conquérir l’amitié avec soi-même – la paix, le bonheur, la sérénité -, l’amitié avec autrui, l’amitié avec la Cité et, enfin, avec le monde.
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