PRESENTATION
DU LIVRE DE HANS JONAS, Le concept de
Dieu après Auschwitz – Par Benjamin Dujean, Terminale S
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Hans
Jonas
Hans Jonas naît en 1903 à Mönchengladbach, dans la
zone industrielle de la Ruhr. Il est issu d'un milieu aisé, celui de la grande
bourgeoisie juive libérale. Son père est fabricant de textiles et patriote
allemand. Les inclinaisons politiques du jeune Jonas vont vers un catholicisme
ouvrier ; il veut travailler à l'avènement d'une démocratie ouvrière allemande
non révolutionnaire. Plus tard, sous la pression des événements et poussé à
choisir une orientation sioniste, ces inclinaisons se traduiront par un
sionisme modéré, communautaire, exprimé par le socialisme des kibboutz. De
lui-même, Jonas disait qu'il avait un "tempérament méridional", qu'il
aimait l'Italie et croyait, après les événements tumultueux de la révolution
spartakiste et de l'aventure de la République des Conseils en Bavière, que
l'avenir de la communauté juive allemande était en Palestine (où il effectue un
premier voyage en 1923).Mais, dès ce premier contact avec la terre
palestinienne, il se rend compte de la difficulté qu'il aurait, lui, garçon
d'une ville industrielle, à vivre la vie paysanne et rurale des kibboutz.
Il abandonne provisoirement son rêve de colon sioniste
pour entamer des études de philosophie en Allemagne. Ses premières lectures
philosophiques le conduisent tout d'abord à Kant, dont il retient une
idée-force:" Il faut avoir de la BONNE VOLONTÉ", noyau essentiel de
la Metaphysik der Sitten. Ensuite, il
aborde Schopenhauer et Martin Buber (notamment les Reden über das Judentum), dont il retient l'amour pour la Vie et la
création de Dieu. De cette lecture de Buber, Jonas retient un respect de la
nature et des créatures (contraire de la gnose, qui, elle, se posera d'emblée
comme ennemie de la Vie).
Penseur éminent de la gnose, Hans Jonas, sait que,
depuis un temps très lointain passé, les hommes se sont heurtés à l’énigme du
monde en proie aux convulsions du mal, alors qu’ils proclament leur foi en la
bonté de Dieu. Jonas aborde ici le problème de la theodicée: comment justifier
Dieu pour prouver qu’il est innocent du mal du monde?
La contradiction entre la bonté divine et le mal qui
tranche à vif les plus humbles espoirs disparaît évidemment si Dieu n’existe
pas, si hasard, nécessité et force aveugle d’être se partagent sans pitié la
domination d’une terre qui est là, sans raison ni finalité.
En croyant en Dieu, comment surmonter cette
difficulté du mal ? Il semble nécessaire d’élaborer une nouvelle conception de
Dieu.
Hans Jonas tente de comprendre pourquoi il y a tant
de douleur malgré la bonté de Dieu.
Il s’interroge sur le sens de son abandon.
L’angoisse de savoir pourquoi Dieu ne porta nul secours quand la mort frappas
des millions de fois.
Le philosophe dans ce livre pense que le théologien
ne peut plus se réfugier dans les catégories traditionnelles pour penser Dieu,
sauf à en faire une divinité monstrueuse. Il remet ainsi en question la
conception d’un Dieu omnipotent, tout puissant. Qui, consentirait , de plein
gré, au martyre de ses créatures innocentes?
Hans Jonas s’efforce de se tenir en plus grande
proximité de la contradiction effrayante entre
l’idée d’un Dieu de bonté et le constat de l’horreur
qu’Il laissa advenir, en proposant un mythe, librement élaboré.
Pour des raisons inconnues, la source de l’être, ou la Divinité, a en
effet voulu s’effacer entièrement afin que la réalité du monde soit, dans le
temps et l’espace d’une immanence non troublée par l’ingérence de sa
transcendance. Le retrait de Dieu semble être une condition de la liberté humaine.
L’acte créateur commence ainsi par un renoncement à
être de la part de la Divinité, par son retrait destiné à permettre
l’apparition des créatures multiples et variées.
Avec l’apparition de l’homme, il n’est plus question d’innocence, un
tournant décisif se produit, car sa création signifie aussi le début de la
connaissance et de la liberté, et dès lors la possibilité d’une séparation du
bien et du mal, d’un refus radical de la transcendance qui prend pourtant tout
son sens face à lui, et d’une destruction de la création.
Le mouvement de retrait divin atteint alors son
apogée puisque l’homme , créé à l’imge de Dieu, détient désormais la
responsabilité du sort du monde et, par-delà, de celui de la Divinité
elle-même. Celle-ci ne peut plus agir, elle doit subir les conséquences
inhérentes à son projet créateur, et elle assiste à l’histoire humaine sans la
maîtriser, sans pouvoir la rédimer. Le destin de Dieu est donc entre les mains
des hommes: la création divine est totalement prise en charge par l’homme.
L’homme devient maître de lui-même.
Le concept de Dieu, le Dieu de la Torah, qui se déduit de ce mythe là comprend trois prédicats majeurs : souffrance, devenir, souci. En effet, si l’acte créateur commence par le retrait de la Divinité et par son acceptation de dépendre de ses créatures afin d’atteindre sa plénitude, elle court inévitablement le risque de pâtir d’elles.
Trois prérogatives sont classiquement attribuées à
Dieu : puissance, bonté, intelligibilité.
Or, selon Hans Jonas, la bonté et l’intelligibilité
ne peuvent être ôtées du concept de Dieu sans inconséquence. La première lui
est indissociable et la seconde, dans le cas du judaïsme en tout cas, se déduit
de l’idée de la Révélation. Les sages hébraïques attribuent souvent le mal à la
liberté humaine.
Après ce désastre des camps, nul n’aurait désormais
le droit d’évoquer la « main puissante » de Dieu sans trembler de sa propre
indignité en songeant aux innombrables victimes qui périrent dans le silence
divin, livrées sans défense à l’ignominie des bourreaux.
Le théologien qui désire sauver l’unicité et la
bonté de Dieu doit donc admettre cette impuissance radicale. La relation à la
divinité ne disparaît pas dans cette analyse, mais, c’est à l’homme de
permettre à Dieu de se réjouir de sa décision de créer le monde.
Hans Jonas ainsi dans ce livre dont l’œuvre tente de
se mesurer au paradoxe de la modernité –
effarante puissance et perte de tout statut métaphysique- affronte en ses
pages une conséquence redoutable :
Dieu peut-il survivre dans la pensée alors que la
puissance, autrefois considérée comme l’un de ces attributs nécessaires, est
désormais accaparé par des hommes oublieux de tout horizon de transcendance,
leur permettant de commettre l’irréparable ?
Il s’agit de réfléchir aux fins humaines. Pour Hans
Jonas, la raison scientifique et technique se croit autorisée à régir
l’intégralité de l’existence, mais son impiété, ou son manque d’humilité,
laisse démuni quand il s’agit de réfléchir aux fins humaines.
Le philosophe ne vise pas à détruire la foi de
l’homme crédule en lui rappelant le silence outrageant de Dieu. Elle envisage,
avec angoisse, quel concept de la divinité survit au désespoir .
Ainsi, Dieu dut se retirer d’un point de l’espace primordial pour que l’altérité des
créatures advienne. Tout dépendrait de « l’initiative des actions humaines
«en-bas » l’homme disposant de la « liberté d’orienter sa propre personne et
les mondes dans la direction qu’il désire »..
Dieu aurait besoin des créatures pour s’associer au monde. « Il ne faudrait pas parler de retrait mais de voilement de Dieu qui ne s’est pas retiré du monde, Il reste là, mais Il s’est revêtu d’habits afin que les créatures ne soient pas anéanties par l’éclat de sa lumière » ( R. Schneour Zalman).
Hans Jonas se désolidarise de toute vision misérable
de l’homme qui ne ressemble pas à une créature impuissante qui, sans grâce, ne
sait qu’errer dans la faute et l’aveuglement en méconnaissant, par orgueil et
vanité, l’idée qu’il doit tout attendre d’un Sauveur. Jonas insiste sur
l’impact considérable des actes et, plus généralement, de la façon de conduire
sa vie, fût-ce dans les menues choses, car « notre responsabilité ne se laisse
pas simplement définir en termes mondains qui, souvent dispensent de prendre la
mesure réelle de ses dimensions.
Reste la question de l’homme responsable :
qu’arrivera-t-il à cette existence si je ne me soucie pas d’elle ? Hans Jonas
affirme simplement qu’il faut vivre et penser avec la certitude de la proximité
toujours là du mal et exiger de soi ce qui permet de l’empêcher. Mais cette
conception de Dieu semble semble présenter quelques difficultés. En effet,
l’impuissance de Dieu a pour conséquence le desespoir de l’homme. En ce sens,
l’homme ne peut plus compter que sur lui-même, car son seul support, la
personne dans laquelle il a placée toute sa confiance est impuissante. L’homme
se sent donc seul et cette solitude le mène au désespoir.