DUJEAN Benjamin PHILOSOPHIE 19/03/2001
Terminale S
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CONTRIBUTION A LA CRITIQUE DE L’ECONOMIE POLITIQUE
« Dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociales déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience.
A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale. Le changement dans la base économique bouleverse plus ou moins rapidement tout l’énorme superstructure (…).
Une formation sociale ne disparaît jamais avant que ne soient développées toutes les forces productives qu’elle est assez large pour contenir, jamais des rapports de production nouveaux et supérieurs ne s’y substituent avant que les conditions d’existence matérielles de ces rapports ne soient écloses dans le sein même de la vieille société. C’est pourquoi l’humanité ne se pose jamais que des problèmes qu’elle peut résoudre; car, à y regarder de plus près, il se trouvera toujours que le problème lui-même ne surgit que là où les conditions matérielles pour le résoudre existent déjà ou du moins sont en voie de devenir. A grands traits, les modes de production asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne peuvent être qualifiés d’époques progressives de la formation sociale économique (…). Avec cette formation sociale (le mode de production moderne, ndlr) s’achève donc la préhistoire de la société humaine. »
Karl Marx, Contribution à la critique de l’économie politique, p.4, Editions sociales.
Ce texte de Marx, extrait de la préface de la Contribution à la critique de l’économie politique, s’interrogent sur le rôle de l’individu dans l’histoire. L’homme fait-il l’histoire ou l’histoire conditionne-t-elle l’existence de l’homme ? Deux hypothèses partagent les hommes. La première semble affirmer que l’homme a un rôle fondamental dans l’histoire, qu’il l’établit. La seconde tend, au contraire, à dire que l’homme subit l’histoire, que cette dernière conditionne sa vie.
Dans ce passage, Marx semble appuyer la première hypothèse puisqu’il soutient que « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être, c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience ». Il montre que le développement social et politique, donc historique, est régi par des lois économiques. En effet, il part de l’homme comme être agissant et non comme être pensant. Il dit que toutes les institutions sociales ont pour condition des faits d’ordre économique. Par conséquent l’homme ne serait-il qu’un pantin dont l’existence est déterminée par l’histoire ? C’est donc autour de ce concept du rôle de l’homme dans l’histoire que nous allons organiser notre réflexion.
Ce texte s’articule autour de trois mouvements correspondant aux trois paragraphes qui le composent. Dans un premier temps, Marx explique que le mode de production de la vie matérielle conditionne la vie sociale, politique et intellectuelle de la société, puis énonce sa thèse. Il explicite ensuite l’organisation de la dynamique sociale dans une société capitaliste. Finalement, dans le dernier paragraphe de ce passage, Marx nous présente la dialectique de l’histoire des formations sociales successives.
Dans le premier mouvement du texte qui correspond au premier paragraphe, Marx explique que le mode de production de la vie matérielle conditionne la vie sociale, politique et intellectuelle de la société. Il nous montre ici que le système social comporte une double correspondance entre d’une part les « forces productives » et les « rapports de production », et d’autre part les « rapports de production » et les « formes de conscience sociale ».
Dans la première phrase du texte, Marx établit une liaison entre les « rapports de production » et les « forces productives matérielles ». Les « rapports de production » sont les modalités fondamentales de la vie sociale, que l’auteur appelle également « la production sociale de l’existence », caractérisée par la division du travail, la répartition des biens, les rapports de classe et les rapports de propriété, qui forment la base minimale, l’infrastructure économique sur laquelle se construisent tous les rapports sociaux. En d’autres termes, les rapports de production peuvent être définis comme les relations sociales nouées dans le processus de production. Ces rapports de production ne sont pas conditionnés par la volonté humaine. Au contraire, ils sont indépendants de cette volonté et sont déterminés par le « degré de développement » des forces productives matérielles. Ces dernières constituent l’ensemble des moyens de production mis en œuvre au cours du procès de production : formes physiques et musculaires, application de la science, procédés de fabrication, instruments de production et moyens de production. Les forces productives matérielles ou forces de production, sont donc l’ensemble des moyens dont dispose la société humaine pour produire.
Dans cette première phrase du texte, Marx établit que dans le cadre de « la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires », des divisions se forment au sein de la société. La formation de classes sociales est donc directement conditionnée par les rapports de production s’établissant entre les hommes. Ainsi, les différentes classes sociales sont déterminées par la place qu’occupent dans la production les individus qui la constituent. La correspondance que Marx établit entre « les forces productives » et les « rapports de production » est donc à double sens. Ainsi, le degré de développement des premières définit la nature des seconds, tandis que réciproquement, ceux-ci déterminent les modalités d’usage de celles-là dans la production. En effet, les forces productives, selon qu’elles appartiennent à la classe bourgeoise ou au prolétariat ne seront pas gérées de la même façon. Au final, nous pouvons donc dire que les articulations, les relations entre les « forces productives » et les « rapports de production » constituent les conditions de la production économique ou mode de production, qui repose sur une appropriation des moyens de production.
Cette idée est explicitée par Marx dans la seconde phrase du premier paragraphe. En effet, il explique que « l’ensemble des rapports de production constitue la structure économique de la société ». Selon l’auteur, l’organisation de la production et des rapports de production, notamment la lutte des classes, est à la base de l’infrastructure économique de la société capitaliste. De plus, il explique que c’est sur cette structure économique de la société que repose la « superstructure juridique et politique » de la société, c’est à dire les idées, les idéologies, le droit… La production de la vie matérielle de l’homme permet donc d’expliquer « toute la superstructure des institutions juridiques et politiques, ainsi que les conceptions religieuses, philosophiques et autres de toute période historique » (Marx). En ce sens, toutes les institutions sociales, et les idéologies dépendent de faits d’ordre économique, et particulièrement du mode de production. Dans cette seconde phrase du premier mouvement, Marx établit une correspondance entre les « rapports de production » et les « formes de conscience sociales », les idéologies. Il apparaît que ces dernières sont déterminées par les premiers. Ainsi, les idées, les pensées des hommes traduisent une réalité économique et sociale marquée par la lutte des classes exploitées et des classes possédant les moyens de production. La façon de penser des hommes s’explique donc toujours par les rapports sociaux et économiques qui existent entre les différentes classes de la société.
Selon Marx, « le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général ». Avant de penser, les hommes doivent vivre. Ils doivent se nourrir, se vêtir, se loger avant de pouvoir s’intéresser à la vie politique, juridique ou artistique. La production des objets satisfaisant les besoins matériels est donc la base de toute société. La vie matérielle précède la vie sociale, intellectuelle. Ainsi, la conscience de chaque individu se fore en fonction de sa condition matérielle et sociale. En d’autres termes, le mode production est à la base de toute pensée.
Dans la dernière phrase du premier paragraphe du texte, Marx expose sa thèse : « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience ». Le philosophe signifie que la conscience des hommes est dirigée par la production de leur vie matérielle. En d’autres termes, il explique que le mode de production conditionne la vie sociale politique et intellectuelle de chaque individu. Ce conditionnement ôte alors toute autonomie et toute histoire propre aux superstructures juridiques et politiques et aux formes de consciences correspondantes au sens où ce sont les « rapports de production », et notamment la lutte des classes qui façonnent l’histoire ; la lutte des classes est donc le moteur de l’histoire. Ainsi, le développement social et politique, donc historique est ainsi régi, déterminé par l’infrastructure économique. La conscience, la pensée humaine est alors aliénée à l’évolution des différents modes de production. L’homme n’est donc plus un être pensant car sa conscience est assujettie au monde extérieur. L’homme peut alors être comparé à une machine au sens où il ne peut pas penser par lui-même, toutes ses idéologies, ses croyances sont soumises au mode de production. Il n’est par conséquent pas maître de sa pensée.
Au total, dans ce premier mouvement du texte, Marx nous expose progressivement sa thèse en établissant deux correspondances importantes. Dans un premier temps, il relie les « forces productives » et les « rapports de production », puis il établit une relation entre ces « moyens de production » et les « formes de conscience sociales ». A l’aide de ces correspondances, il nous montre que c’est « l’être social des hommes qui détermine leur conscience ». En ce sens, l’histoire se forme autour des modes de productions successifs et non autour de l’esprit, de la conscience des hommes et d’un peuple. On peut alors se demander dans quelles conditions un changement historique peut-il se produire ? Quelles sont les conséquences d’un tel bouleversement pour la société en général ?
Le second mouvement du texte apporte des réponses à ces interrogations. En effet, Marx nous explique comment est organisée la dynamique sociale dans la société capitaliste. Ainsi, il décrit tout le processus qui permet, à partir d’un bouleversement du mode de production, d’aboutir à un changement dans la superstructure politique, juridique et sociale, c’est à dire à un changement historique.
Dans la première phrase de ce second mouvement, Marx nous explique l’origine d’un tel changement. Ainsi, un tel changement se fait dans un premier temps au niveau de l’infrastructure économique, de l’organisation de la production. Plus précisément, le développement des « forces productives » entraîne une rupture de leurs correspondances avec les « rapports de production ». Cela signifie que ces « forces productives » sont arrivées à un degré de développement qui les rend incompatibles avec les « rapports de production ». Cette opposition entre ces derniers et les « forces productives matérielles » est soulignée dans le texte par le terme « contradiction ». Ce changement important des « forces productives » affecte en particulier les « rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors ». L’auteur signifie ici que le développement des moyens de production entraîne un renforcement de la lutte des classes car la tendance à la mécanisation, avec le progrès qui touche les « forces productives », le prolétariat est sujet au chômage et à une baisse des salaires. La matérialisme historique de Marx souligne donc un fait essentiel la lutte des classes. Cette dernière est mise en relief dans la seconde phrase du second mouvement. En effet, il apparaît que les rapports de propriétés qui étaient au départ « des formes de développement des forces productives en deviennent des entraves ». Les classes disposant des moyens de production cherchent en effet à renforcer leur pouvoir, leur propriété sur les « forces productives » alors que le prolétariat cherche à conserver le faible pouvoir qu’il exerce sur ces dernières. En conséquence, le philosophe montre ici que les classes, lors d’un tel changement, luttent pour maintenir ou pour transformer l’organisation de la production et le régime de la propriété. La conséquence de cette lutte est l’ouverture d’une « révolution sociale ».
La dernière phrase du second mouvement du texte explicite le fait qu’un tel changement de l’infrastructure aboutit inéluctablement à un changement de la « superstructure » juridique, politique et sociale, donc à un changement historique. Ainsi, la contradiction entre le développement des « forces productives » et « les rapports de production » condamne ces derniers et entraîne un bouleversement de « l’énorme superstructure ». Un tel changement économique provoquerait donc des bouleversements idéologiques, politiques, religieux ou encore philosophique. Le changement historique n’est donc possible que si un changement des modes de production de la vie matérielle se produit auparavant. Par conséquent, selon le matérialisme historique et donc Marx, ce n’est pas l’esprit d’un peuple qui, comme le croyait Hegel, explique l’histoire, mais au contraire l’histoire réelle qui en explique l’esprit. L’idée d’un homme non pas pensant mais mécanique, robotisé est donc ici renforcée. Le capitalisme empêcherait l’homme de forger, de donner un sens à l’histoire. C’est l’histoire et les évènements économiques qui la composent qui donneraient un sens à la conscience humaine.
Au total, ce second mouvement du texte nous renseigne sur la dynamique sociale de la société capitaliste. Il apparaît que l’impulsion initiale d’un changement historique provient toujours de la base réelle, c’est à dire du mode de production de la vie matérielle. Un bouleversement de la superstructure politique, juridique et sociale est systématiquement conditionné, précédé par un changement du mode de production. Il apparaît également dans ce second mouvement qu’un tel bouleversement est inévitablement accompagné d’un renforcement de la lutte des classes et donc d’une révolution sociale entraînant le changement de « l’énorme superstructure ». On peut cependant se demander quelles sont les conditions requises pour qu’un tel bouleversement du mode de production de la vie matérielle se produise ? Quand un tel changement s’opère-t-il ?
Le dernier mouvement du texte nous présente la dialectique de l’histoire des formations sociales successives. Dans un premier temps, il nous décrit les modalités de l’évolution des différents modes de productions (Une formation…devenir). Puis dans une seconde partie, qui est une sorte de conclusion du texte, il différencie la formation sociale moderne, le communisme, de celles qui l’ont précédé (A grands…humaine).
Dans la première phrase du dernier mouvement, Marx nous explique qu’une formation sociale ne disparaît jamais prématurément. Au contraire, pour qu’une telle formation puisse disparaître, il faut que ses forces productives aient atteint leur degré de développement maximum et que les bases des rapports de production de la nouvelle société soient déjà posées dans la vielle formation sociale. En d’autres termes, l’auteur signifie que le passage d’une formation sociale à une autre n’est possible et envisageable que si l’ancienne société a développé les conditions d’existence matérielles des nouveaux rapports de production de la nouvelle société en épuisant totalement sa capacité à produire de nouvelles forces productives. Le philosophe appuie donc ici sa thèse en montrant que ce n’est pas l’homme qui par sa conscience permet un changement historique, mais que seules les conditions matérielles, c’est à dire la saturation d’un mode de production de la vie matérielle peuvent produire un tel changement social. C’est donc bien « l’être social des hommes qui détermine leur conscience ». Il apparaît à travers ces propos que la succession des différentes formes sociales est linéaire, fluide. Elle s’exprime en effet dans la lutte permanente et continue des classes exploitées et exploitantes pour maintenir ou transformer l’organisation de la production et le régime de la propriété. Cette lutte évolue sans discontinuité et fait ainsi évoluer les formations sociales. L’auteur explicite donc ici la correspondance entre les « rapports de production », plus précisément la lutte des classes, et les « formes de conscience sociales », c’est à dire les différentes formations sociales.
Dans la seconde phrase du dernier mouvement, Marx explique que la succession fluide et linéaire permet de trouver tôt ou tard une solution aux problèmes de l’humanité. En effet, les nouveaux « rapports de production » étant préexistants dans la vieille société, les problèmes se posant dans celle-ci ont déjà un début de solution et seront intégralement résolus lorsque la société sera entrée dans le nouveau mode de production. En conséquence de cette théorie, l’humanité s’achemine progressivement vers une formation sociale où tous les problèmes pourront être résolus et où il n’y aura donc plus de lutte des classes et où la conscience des hommes déterminera leur être.
Marx définit cette dialectique sociale dans la deuxième partie du dernier mouvement du texte. Celle-ci se présente comme la succession linéaire et finie de quatre modes de production : « asiatique, antique, féodal et bourgeois moderne » définis chacun par l’antagonisme du procès social de production, c’est à dire la lutte de classes pour le pouvoir sur les moyens de production. Ces quatre modes de production sont qualifiées par le philosophe « d’époques progressives de la formation sociale et économique ». Il précise que la succession de ces modes de production résout progressivement le problème de la lutte des classes et qu’elle permet de s’acheminer vers une formation à la fois « économique » et « sociale ».
Dans la dernière phrase du texte, Marx explique qu’avec « le mode de production moderne », c’est à dire le communisme, « s’achève la préhistoire de la société humaine ». En effet, ce dernier mode de production crée les conditions de l’achèvement du processus historique des antagonismes sociaux. En d’autres termes, ce nouveau mode de production est à l’origine des disparitions des rapports de production permettant « l’exploitation de l’homme par l’homme » et de l’appartenance à tous des instruments de production. Le mode de production ne détermine plus les « formes de conscience sociales » et c’est donc la conscience des hommes qui détermine leur être.
Au total, ce dernier mouvement nous montre que l’humanité s’achemine inexorablement vers un mode de production moderne qui marque la fin de la préhistoire de la société humaine. En effet, avec le communisme, ce n’est plus l’histoire réelle qui explique l’esprit d’un peuple, mais bien cet esprit qui explique l’histoire.
Cette préface de la Contribution à la critique de l’économie politique présente donc un raccourci du matérialisme historique de Marx : « les rapports juridiques et les formes correspondantes de l’Etat s’enracinent dans les conditions d’existence matérielles des hommes, constituant cette société civile dont l’économie politique présente l’anatomie ». Cependant Marx montre que la société est vouée à changer et à entrer dans un mode de production ou ce n’est pas l’être social qui détermine la conscience des hommes mais bien la conscience des hommes qui détermine leur être. Après avoir examiné ce texte, nous pouvons maintenant nous demander ce qu’il nous apporte. Quel est son intérêt philosophique ?
Les concepts que développe Marx dans ce texte sont source de réflexion chez le lecteur. Se pose dans un premier temps le problème de la finalité de l’histoire. Ainsi, l’histoire de la société humaine avant le communisme était-t-elle vraiment la préhistoire ? De plus, dans ce texte Marx semble tout rattacher au sens de l’histoire. La présence permanente de ce sens ne tend-elle pas à relativiser la liberté humaine ? Finalement, nous pourrons réfléchir sur le marxisme. Est-ce vraiment une théorie du passé ou est-elle encore d’actualité dans le monde d’aujourd’hui ? Examinons ces différents points.
Dans ce texte, Marx écrit que l’histoire de la société humaine avant l’apparition du communisme était la préhistoire. En effet, selon lui, le modèle capitaliste et les autres modèles de production qui l’ont précédé ne permettaient pas à l’homme de s’exprimer librement et de forger sa propre histoire. Au contraire, l’histoire, selon l’auteur, était façonnée à partir des différents modèles de production. C’est l’histoire réelle qui expliquait l’esprit, la pensée des peuples et non le contraire. Cette théorie semble cependant présenter quelques limites. En effet, l’histoire avant le communisme n’a pas été forgée uniquement par les modes de production successifs. En effet, l’histoire est la transformation dans le temps des sociétés humaines ; c’est la succession des états par lesquels passe une réalité. Or, avant l’apparition du communisme, d’autres évènements que les changements de mode de production ont affecté les civilisations. De plus ces évènements sont le fruit de la conscience humaine libre, qui fait son histoire, et non assujettie à quelconque mode de production. Ainsi, on peut prendre comme exemple les guerres de religions. Celles-ci ont marqué l’évolution des sociétés humaines et sont pourtant totalement étrangères aux modes de production de la vie matérielle.
De plus la thèse de Marx présente des limites car des théories autres que le marxisme montrent ou du moins supposent que l’histoire de l’humanité ne reposent en aucune façon sur la lutte des classes. Ainsi, selon la conception chrétienne, le moteur de l’histoire serait une cause antécédente et antérieure au mouvement historique et non pas la lutte des classes. Le sens de l’histoire aurait été fixé depuis toujours par une révélation divine et le moteur de l’histoire serait donc l’attente de cette même révélation divine.
Chez Hegel, le moteur de l’histoire ne serait pas non plus la lutte des classes mais la raison. La raison ou « esprit du monde » guiderait les hommes dans une recherche perpétuelle du bien.
Il semblerait donc que ces différentes théories sur le sens et le moteur de l’histoire ne prennent aucunement en compte la lutte des classes. Ainsi, il n’y aurait pas d’avant et d’après communisme. L’histoire de l’homme serait continue depuis l’apparition de celui-ci et le communisme ne constituerait pas le passage de la préhistoire à l’histoire. Ce serait donc l’homme qui ferait l’histoire et non les modes de production successifs.
Tout dans le texte de Marx semble renvoyer au sens de l’histoire. On peut alors se demander si ce sens ne tend pas à relativiser la liberté humaine. En effet, Marx explique que ce n’est pas l’homme qui forge son histoire, mais la succession des différents modes de production économiques. Il dit alors que « ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience », c’est à dire que l’homme ne serait pas libre de pensée.
Cette thèse semble néanmoins présenter quelques limites. En effet, l’homme dans le monde capitaliste, s’il est obligé de travailler pour parvenir à combler ses besoins matériels et est en ce sens un être aliéné au travail, il n’en reste pas moins libre. Cette liberté s’exprime notamment dans le domaine artistique. Les peintres, par exemple, sont libres de peindre ce qu’ils désirent, ils n’ont aucune contrainte due au mode de production. De même, l’homme pense librement, agit librement tout en respectant les règles civiques que sont les lois. Au final, il apparaît que la société capitaliste, de même que la société communiste ne supprime en aucune façon la liberté humaine. L’homme est libre dans l’absolu. C’est donc la conscience des hommes qui détermine leur être.
Cependant, si comme dans le texte, tout est renvoyé au sens de l’histoire, alors non les hommes ne sont pas libres. Ils ne l’ont jamais été et ne le seront jamais. En effet, le mode de production de la vie matérielle, quel qu’il soit, conditionne toujours leur existence, leur être social et leur pensée. En effet, les hommes ne font pas leur histoire puisqu’ils sont dépendants de l’infrastructure économique pour parvenir à satisfaire leurs besoins. Par conséquent, si l’on renvoie tout au sens de l’histoire, alors l’homme ne paraît plus libre puisqu’il apparaît comme un être mécanique, aliéné et non pas comme un être pensant.
Au final, on peut dire que Marx tend à relativiser la liberté humaine car tout dans son texte renvoie au sens de l’histoire. Mais dans l’absolu, l’homme reste libre, quelque soit la formation sociale dans laquelle il vit : tribale, collectivisme, capitalisme. L’homme reste donc être pensant et non être agissant.
S’il présente différentes limites, comme nous avons pu le constater, le matérialisme historique, le marxisme reste néanmoins une philosophie actuelle. Ainsi, l’enjeu du texte est un enjeu d’actualité. En effet, l’idéologie marxiste est acceptée et soutenue par des millions de personnes à travers le monde. On peut ainsi prendre l’exemple de la Russie. Dans ce pays récemment passé du communisme au capitalisme, de nombreuses personnes ont perdu tous leurs biens et n’ont même plus de quoi se nourrir. Ces personnes, qui sous le régime communiste étaient certaines de pouvoir manger et avoir un emploi sont aujourd’hui démunies et voient dans le marxisme une source d’espérance. En effet, seule le retour du communisme en Russie pourrait leur redonner des repas réguliers et le minimum matériel nécessaire à la vie. Il semble donc que le marxisme soit un courant qui touche très fortement les Russes, car le capitalisme leur a tout pris.
Au contraire, dans certains pays communistes, la population rejette la philosophie marxiste et rêve d’un système capitaliste. Il apparaît donc que les populations vivant sous un régime communiste rejettent le marxisme alors que les populations de pays récemment passés du communisme au capitalisme adhèrent fortement à ce courant et rêvent d’un retour au communisme.
La philosophie marxiste est également un sujet d’actualité avec la question de la mondialisation qui touche peu à peu l’ensemble du monde. Est-ce qu’un pays ayant adopté la philosophie marxiste ne se retrouverait pas isolé de nos jours ?
Finalement, on voit que la philosophie du marxisme n’est en aucun cas une philosophie du passé à travers toutes les publications écrites qui existent actuellement dans les pays capitalistes. Ainsi des revues comme Actuel Marx ou encore la Revue M paraissent régulièrement en France et expliquent les fondements de cette philosophie.
Il apparaît donc que la philosophie marxiste n’est pas une philosophie passée mais au contraire une philosophie d’actualité, et que cette présence se traduit de nombreuses façons.
Le problème était de définir le rôle de l’homme dans l’histoire. Marx définit dans ce passage l’homme comme un être agissant subissant l’histoire régie par des faits d’ordre économique. Il apparaît ainsi que l’homme, dans tous les modes de production ayant précédé le communisme, n’est qu’un pantin de l’histoire soumis à une lutte des classes permanente. Cependant, la thèse de Marx peut être contestée sur certains points en ce sens où l’homme, quelque soit la formation sociale dans laquelle il vit, de penser librement. L’homme, s’il est un être agissant serait donc également un être pensant. Par conséquent, son rôle dans l’histoire serait bien réel. Ce ne serait donc pas l’être social des hommes qui déterminerait leur existence mais bien leur conscience qui déterminerait leur être.