Stéphan Dithy présente :

Pier Paolo Pasolini ( 1922-1975)

Poèmes

Note : A lire! : Des extraits de la longue préface de Dominique Fernandez : 
"L’Italie virgilienne de Pier Paolo Pasolini".

 

Ô mes enfances

Ô mes enfances ! Je nais
dans l'odeur que la pluie
exhale des prairies
d'herbe vive… Je nais
dans le miroir du canal.

Dans ce miroir Casarsa
- comme les prairies de rosée -
de tout temps frissonne.
C'est là que, de piété, je vis,
lointain enfant du péché,

dans un rire inconsolé.
Ô mes enfances ! le soir
Colore l'ombre serein
sur les vieux murs : au ciel
la lumière éblouit.

 

A Rosario

Dans la terre pèse la chair
dans le ciel devient lumière.
Ne baise pas les yeux, pauvre garçon,
si l'ombre pèse sur ton ventre.

Tu ris, garçon léger,
de sentir dans ton corps
la terre chaude et sombre
et le frais ciel clair.

Pauvre Église, en son milieu
Péché et ténèbres t'oppriment
mais dans ta lumière légère
rit le destin d'un pur.

 

LES LITANIES DU BEAU GARCON

I

La cigale appelle l’hiver
-quand chante la cigale
tout est clair, immobile dans le monde.

Là-bas le ciel est d’un calme absolu
- si tu viens ici que trouves-tu ?
Pluie, ciel couvert, pleurs d’enfer.

II

Je suis un beau garçon,
je pleure tout le jour,
je t’en prie, mon Jésus,
ne me fais pas mourir.

Jésus, Jésus, Jésus.

Je suis un beau garçon,
je ris tout le jour,
je t’en prie, mon Jésus,
ah ! fais-moi mourir.

Jésus, Jésus, Jésus.

III

C’est aujourd’hui dimanche,
demain on meurt,
je m’habille aujourd’hui
de soie et d’amour.

C’est aujourd’hui dimanche,
d’un pied frais et agile
les enfants en sandales
sautent dans les prairies.

Chantant à mon miroir,
je me peigne en chantant.
Le Diable pécheur
rit dans mon oeil.

Sonnez, cloches de mon village,
repoussez-le en arrière !
« Nous sonnons, mais toi, que regardes-tu
en chantant dans les prés ? »

Je regarde le soleil
des mortes étés,
je regarde la pluie,
les feuilles, les grillons.

Je regarde mon corps
de quand j’étais enfant,
les tristes dimanches,
la vie perdue.

« Aujourd’hui te revêtent
la soie et l’amour,
c’est aujourd’hui dimanche,
demain on meurt. »

 

L’ANGE IMPUR

Me voici donc en pleine
et sublime intimité
avec ma présence,
ange impur que j’aime.

Quelle stérile horreur
surgit au contact du corps
qu’enfant je chérissais
parce que source d’amour.

Mais je ne sais ni ne prendre
en horreur ni m’abandonner...
Au Dieu qui ne donne pas la vie
je demande de ne pas mourir.

 

SUITE FRIOULANE :

A Rosario

Dans la terre pèse la chair
dans le ciel devient lumière.
Ne baisse pas les yeux, pauvre garçon,
si l’ombre pèse sur ton ventre.

Tu ris, garçon léger,
de sentir dans ton corps
la terre chaude et sombre
et le frais ciel clair.

Pauvre église, en son milieu
péché et ténèbres t’oppriment
mais dans ta lumière légère
rit le destin d’un pur.

 

SUITE FRIOULANE : PASTORALE DE NARCISSE

Hier en habits de fête
(mais c’était vendredi)
j’errais par les tendres
prairies et les champs brûlés.
Je tenais les mains
dans mes poches... Quatorze ans !
Corps fiévreux de beauté !
Je me touchais la cuisse
sous les plis limpides de l’étoffe.

Une voix chantait
dans l’ombre des peupliers.
« Ho ! » ai-je crié,
croyant que c’étaient des camarades...
Je me suis rapproché,
c’était une fillette blonde...
Non, une jeune femme,
seule, en blouse écarlate,
qui récoltait de l’herbe dans la brume.

J’épie en cachette... et à sa place
c’est moi que je trouve :
je me vois assis sur une souche,
sous les branches du peuplier.
Les yeux de ma mère,
noirs comme le fond de l’étable,
le thorax luisant
sous l’habit neuf,
et une main posée sur le ventre.

 

GESTIMMTSEIT

A moitié nu dans le halo
corrompu de la lampe
je regarde mon corps
de boue et d’ivoire.

Dieu, c’est dans ma chambre
que ma vie est enclose :
juvénile ironie,
enfantine espérance.

 

BLASPHEME

Ah, n’est-il pas doux peut-être
de me cacher le viril
devoir de remédier
à mon insouciance juvénile ?

Et d’en profiter
pour me livrer sans mépris
à ma paradisiaque
immorale gaieté ?

(Oui, je suis animé
par le bonheur
de sentir l’ardeur
qui fait de moi UN FILS.

Et le jour rose me permet
de ne pas croire au passé :
la même distance me sépare
de la vallée de Josaphat !)