L'association du voyage et de la poésie
En premier lieu, la poésie est une des plus anciennes formes de littérature qui a su garder ses lettres de noblesse au cours des ans à un tel point que sa popularité n'a pas cesser de grandir. Parallèlement, le goût du voyage s'est installé dans l'âme des hommes pour devenir un besoin presque maladif chez certains. Il en découle que le voyage et la poésie sont devenus tout deux une évasion d'où l'association du voyage et de la poésie. Enfin, notre étude va débuter par le voyage classique pour se terminer par le voyage symbolique.
Mis en évidence, le voyage classique, c'est-à-dire le déplacement géographique, est l'aspect du voyage que la majorité des gens distinguent sans difficulté. Dans les poèmes, on évoque les voyages par la présence de moyens de transport utilisés pour les déplacements terrestres et maritimes. Blaise Cendrars nous invite à bord de son poème Prose du transsibérien et de la petite Jeanne de France pour nous montrer les sensations du voyageur empruntant le train : "Les rythmes du train La «moëlle chemin-de-fer» des psychiatres américains Le bruit des portes des voix des essieux grinçant sur les rails congelés"(1). Cet extrait illustre la présence des autres passagers et des images auditives du bruit entendu. On pourrait aisément s'imaginer à bord du train en route pour une destination quelconque.
Dans le poème Ma bohème, Arthur Rimbaud fait le lien entre le voyageur et le poète. Les allusions d'un déplacement : "Je m'en allais... sous le ciel... course... auberge... bord des routes"(2) combinées à des évocations poétiques telles que "Muse ! et j'étais ton féal"(3) démontre que le voyageur est aussi un poète. De plus, les règles rigides du sonnet témoignent un certain laissez-aller, notamment les "rythmes un peu cahotiques du premier quatrain, accentuées par la ponctuation et l'intrusion de l'interpellation, par les enjambements inattendus (Des rimes, De mes souliers blessés)"(4). Cela "fait de la poésie ce voyage magique dans un univers qui est autant celui des lieux découverts que celui des mots révélés"(5).
D'ailleurs, la poésie ne fait pas seulement allusion aux voyages; elle affirme le point de vue du poète envers ceux-ci. "Ah! il faut que ces bruits et que ce mouvement entrent dans mes poèmes et disent pour moi ma vie indicible"(6). En effet, dans Ode, Valéry Larbaud mentionne deux aspects communs dans le poème, soit le bruit et le mouvement. Le bruit du poème est situé dans les rimes qui donnent un effet sonore persistant comme le bruit du moteur de la locomotive dont il fait l'éloge de ses avantages dans ce poème. Le mouvement du poème, situé dans les coupes et les enjambements, contribue à inscrire un mouvement de rythme dans le poème. Ce procédé qui incite le lecteur à ralentir ou accélérer sa lecture est similaire au paysage que l'on voit défiler depuis notre wagon. En bref, la poésie sert à exprimer "Cet élan absurde du corps et de l'âme, ce boulet de canon qui atteint sa cible en la faisant éclater, oui, c'est bien là la vie d'un homme!"(7).
Contrairement à Larbaud, Charles Baudelaire affirme dans son poème Le voyage que le monde est ennuyeux.
Donc, le voyage géographique n'est pas une bonne source d'évasion pour lui. Il préfère s'abandonner à l'ivresse de l'inspiration que lui donne la poésie. Ce pessimisme peut être considéré comme un refus des règles de vie établies par notre société qui le pousse à se chercher un autre monde, un asile imaginaire qui pourrait éventuellement assouvir sa faim de plaisirs et de vie mouvementée.
Dans le voyage symbolique où celui-ci "est devenu imaginaire, intérieur... et désir de disparition"(9), la mort se change en un moyen de transport dans les vers de Baudelaire :
La métaphore comparant la mort à un capitaine de navire est un exemple probant du lien entre la mort et le voyage poétique. La mort, tel un capitaine, nous emmène dans un autre lieu. Même s'il n'y a aucun déplacement physique, l'âme de la personne est maintenant libre des souffrances et des nombreuses responsabilités que la société impose à l'individu. Elle se retrouve comme le voyageur visitant des lieux inconnus pour son loisir. Ici, peu importe la destination. On veut aller "N'importe où! pourvu que ce soit hors de ce monde!"(11) L'aspect important qui est dégagé s'avère le départ pour se débarrasser de son spleen, de son mal de vivre.
Également, un voyage symbolique peut se réaliser dans le domaine de l'amour. Cette fois-ci c'est L'extase de Paul Éluard qui nous fait vivre ce voyage : "Je suis devant ce paysage féminin"(12). La métaphore entre une femme et un paysage fait montre de la ressemblance des sentiments d'un voyageur et d'un homme amoureux. Un voyageur qui admire un panorama va retenir le moindre détail dans sa mémoire tandis qu'un amant subit une extase comparable et la figure de sa bien-aimée va rester gravée à tous jamais dans sa mémoire et son coeur. Pour vaincre l'ennui et les tristesses de la vie, le voyageur va se souvenir des paysages observés et il se mettra à rêver. Quant à l'amant, l'image de son amante viendra soulager son esprit lors des moments de détresse.
Tout compte fait, nombreux sont les poèmes traitant d'un moyen de transport comme le train ou d'un voyageur poète s'accompagnant de la poésie pendant son trajet. Les poètes utilisent le poème pour exprimer leur vision du monde. Certains vantent les mérites du voyage, d'autres au contraire le condamnent. Le voyage dans les poèmes peut devenir symbolique lorsqu'il est question de thèmes aussi abstraits que la mort et l'amour. Si les voyages ont eu une aussi grande influence sur les poètes, il serait probable que cette influence se soit exercée sur les autres modes d'expression littéraires et artistiques. Suite à cette recherche, nous seront plus au courant à savoir si le voyage fascine tout le monde ou seulement un petit groupe de marginaux.
Eric Bélanger
1. Clartés, t. 16 Paris, Éditions Techniques, 1986, fascicule 14275 p. 3.
2. Bruno Doucey, Adeline Lesot, Hélène Sabbah, Catherine Weil, Littérature : Textes et méthode, Ville LaSalle, Éditions Hurtubise HMH ltée, 1994, p. 284.
3. Ibid., p.284.
4. Bruno Doucey, Adeline
Lesot, Hélène Sabbah, Catherine Weil, Littérature
: Textes et méthode - Livre du professeur, Ville LaSalle,
Éditions Hurtubise HMH ltée, 1994,
p. 214.
5. Ibid., p. 214.
6. Bruno Doucey, Adeline Lesot, Hélène Sabbah, Catherine Weil, Littérature : Textes et méthode, Ville LaSalle, Éditions Hurtubise HMH ltée, 1994, p. 324.
7. Ibid., p.283.
8. Elaine Marks, French Poetry from Beaudelaire to the Present, New York, Dell Publishing Co., Inc., 1969, p.68.
9. Bruno Doucey, Adeline Lesot,
Hélène Sabbah, Catherine Weil, Littérature : Textes
et méthode - Livre du professeur, Ville LaSalle, Éditions
Hurtubise HMH ltée, 1994,
p. 261.
10. E. Marks, op. cit., p. 69.
11. Ibid., p. 86.
12. Ibid., p. 269.
L'art de conjuguer : dictionnaire de 12 000 verbes. (1991). Ville
La Salle : Éditions Hurtubise HMH Ltée.
Doucey, B., Lesot, A., Sabbah, H. et Weil, C. (1994). Littérature
: Textes et méthode. Ville LaSalle : Éditions Hurtubise
HMH ltée.
Larousse Classique, dictionnaire encyclopédique. (1957).
Paris : Librairie Larousse.
"La littérature française depuis 1850 : Les Maîtres de
la poésie", dans Clartés, Paris, Éditions Techniques,
1986, t. 16, fascicule 14260, pp. 1-16.
"La littérature française depuis 1850 : La poésie",
dans Clartés, Paris, Éditions Techniques, 1986, t. 16,
fascicule 14275, pp. 1-4.
Marks, E. (1969). French Poetry from Baudelaire to the Present. New
York : Dell Publishing Co., Inc.
Rey, A. (1992). Le Micro-Robert Poche, dictionnaire d'apprentissage de la
langue française. (2e édition). Paris : Dictionnaires
Le Robert.