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Je me souviens encore des odeurs de tabac
brun, de fumées tamisées à la bougie
blanche, d'un nuage de lait au thé tiède, de
son corps si chaud peut-être bien ivre, des grandes
orgues aux toccatas en boucles Topaze et Jean
Sébastien, d'un tendre baiser du doigt sur la joue,
du petit matin blême, de nos tristes mines de fiacre
épuisé, et de son doigt sur mes lèvres.
Le silence et la méditation sortent l'âme du
bois aux mille regrets changeants. S'ils sont
éternels, ces regrets sont aussi un miroir que rien
désormais ne pourra obscurcir, sinon l'amour
même qui a su si bien le polir de toutes ses
amertumes. ...J'ai vu s'arrondir la terre Sienne et
bleutée, j'ai vu l'enfant s'y prélasser d'aise
ou de bonheur ; j'ai vu la vie, le cri, l'univers
s'étendre en formes définitives et bruyantes ;
j'ai vu la musique s'élever plus haut que la
lumière ; j'ai vu l'orgue à manivelle et le
petit singe du lampadaire ; j'ai vu la pluie dans la timbale
et une mélodie éloigner l'horizon ; j'ai vu
mes larmes sécher sur moi, calquer l'empreinte de
leur sel ; j'ai vu l'arène et le monde, les barreaux,
la misère et l'hystérie.
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